Pas grand chose, mais certains aspects m'ont agréablement surpris. Pas assez, hélas, pour me faire aimer le film, qui partait avec un écueil de taille dont nul n'est responsable : je n'aime pas Marie Stuart. Et pourtant, dieu sait si je lui ai donné une chance! Mais après avoir épluché plusieurs biographies nous avons encore du mal à trouver un terrain d'entente. Ma grande amie Marie-Catherine de Gondi me confiait il y a peu que malgré ses hautes qualités spirituelles, la reine-dauphine avait le don de gâcher tous ses talents par un air supérieur dont elle ne savait se départir, car trop adulée depuis le berceau pour une chose qui n'était même pas de son fait : sa naissance. C'est ce défaut qu'elle ne sut corriger sur les îles britanniques, débarquant comme prête à régner sur l'ensemble de la péninsule, tenant Élisabeth et la religion de son propre État pour quantité négligeable, pour finalement faire des choix catastrophiques qui la conduisirent à prendre la fuite comme une vulgaire criminelle. Nous lui reconnaîtrons certes un grand courage, d'avoir osé prendre les rênes du pouvoir dans une cour masculine au lieu de se contenter d'une retraite discrète en France; ainsi qu'une détermination dans la déchéance qu'il faut saluer. Mais difficile de la plaindre quand on sait que ses idées bornées en dépit de tout bon sens, sans parler de sa haute conscience d'elle-même, la rendirent responsable de ses malheurs. Ce n'est précisément pas un état d'esprit qui m'agrée : je préfère de loin les figures de l'ombre, telles Catherine de Médicis qui attendit quarante ans pour paraître dans la lumière, pour le meilleur et pour le pire; ou pour la génération précédente l'admirable Marguerite d'Autriche, qui travaillait à sauver le monde tandis que les souverains de l'époque s'enlisaient dans un triste concours de phallus.
Je vous l'accorde, cela n'est pas l'affaire de Josie Rourke, la réalisatrice du film. Ce que je lui reproche, c'est d'aboutir à un résultat absolument quelconque et déjà oublié trois heures après. Avant tout ancrée dans le monde du théâtre, elle ne sait pas donner de dynamisme aux longs dialogues politiques convenus qui essaiment son œuvre, rate ses scènes de sexe de manière particulièrement glaçante, tout en se révélant peu inspirée dans sa direction d'actrices lors des dialogues sous tension. Elle n'est certes pas aidée par le scénario de Beau Willimon, qui oublie de définir les contours de ses personnages et de replacer leurs actions dans un contexte territorial et spirituel. Ainsi, la reine d'Écosse, catholique intransigeante, devient subitement gay friendly et ne semble pas vraiment se soucier de religion avant son exécution; la reine d'Angleterre devient quant à elle une oie blanche qui ne veut que le bien de sa cousine, qui à en croire le texte occupe davantage ses pensées que la grandeur de son propre royaume (!); la première est affligée d'un mari qui devient homosexuel du jour au lendemain, et trouve le temps de pardonner à son meilleur ami gay qui la cocufie pour le bonheur de le voir être enfin lui-même; et les vingt années d'emprisonnement de la souveraine passent carrément à la trappe.
Habile, Josie Rourke justifie cette gigantesque ellipse par un point de vue novateur sur le sujet, s'intéressant davantage à la perception que les deux reines ont l'une de l'autre, ce pourquoi elles ne prennent aucune ride puisque désireuses de garder de leur rivale l'image de leur jeunesse. Cette entorse à l'Histoire est peu convaincante mais tout à fait divertissante, tranchant avec les habituelles querelles de sitcom, pourtant incarnées avec plus de vigueur par des actrices consommées telle Glenda Jackson et Vanessa Redgrave. Décidément progressiste, la réalisatrice tient à exposer son ouverture d'esprit à chaque rebondissement, faisant d'Élisabeth une souveraine altruiste, figure de proue d'une sororité royale, et peuplant les cours de Londres et d'Holyrood de nobles dames noires et chinoises, et de gentilhommes non moins colorés. Tout cela est rafraîchissant, et donne une belle idée de ce qu'aurait pu être le monde si le racisme n'avait pas existé. À vrai dire, le destin de la reine d'Écosse sert avant tout de miroir au monde culturel des années 2010, comme un écho aux protestations "Oscars so white" qui ont fleuri cette décennie. Quant au point de vue féministe, l'ignoble et misogyne John Knox est incontestablement le grand méchant de l'histoire, s'opposant à une Elisabeth pétrie de bonnes intentions : le message est clair.
Techniquement, deux aspects du film m'ont également plu, bien que pas assez longs pour éclairer durablement la grisaille ambiante des forteresses médiévales aux murs épais. Le premier, c'est le portrait d'une vie festive à Holyrood. On imagine que la vraie Marie, éduquée en Val de Loire, dut tomber de haut en découvrant les rudes terres d'Écosse, et un demi-frère sinistre que le film n'hésite pas à transformer en Viking, contrairement aux portraits d'époque! La vie dans ce pays, qu'elle ne connaissait finalement pas, dut lui paraître bien austère, ce que soulignent les versions cinématographiques précédentes où l'on voyait surtout la reine cloîtrée dans sa chambre écoutant des airs de luths. Ici, elle a droit à quelques pas de danse, à des partenaires déguisés en oiseaux, et à un défilé de mode orchestré par sa meilleure amie folle. On est loin des fêtes chamarrées de Londres ou de la douceur des jardins de Touraine, mais le plaisir a le mérite d'exister un tant soit peu en Écosse, à l'image des tenues bleues de la reine qui font un pied de nez aux prédications calvinistes de son ennemi. L'autre atout du film, c'est l'inévitable rencontre romancée des deux rivales, qui ne s'assume tellement pas qu'elle a lieu dans... une chaumière au fond des bois! Sauf que la place n'est pas occupée par Blanche-Neige, mais par une lavandière qui a eu la bonne idée de laisser cent mille draps sécher dans toute la maison, obligeant par-là même les têtes couronnées à se tourner autour avant d'oser se regarder mutuellement, comme si la rencontre n'était qu'un fantasme de femmes qui s'admirent secrètement sans oser se l'avouer, et dont l'une fait même un complexe d'infériorité par rapport à l'autre.
Ce point de vue inédit permet à Margot Robbie de dominer la scène : essayant de conserver un port de tête royal devant celle devenue reine à six jours, elle propose un mélange de grandeur et de gaucherie, mais encore d'ouverture et de fermeté, qui reste fascinant à observer... mais qui ne me convainc pas vraiment. La littérature et le cinéma nous ont tellement habitués à une Élisabeth capable de rester forte malgré ses fêlures et ses sentiments qu'on a du mal à imaginer qu'elle ait passé sa vie à se sentir illégitime, surtout à une époque où son pouvoir était bien ancré et où son conseil lui vouait une fidélité à toute épreuve. Ici, elle a besoin des bras de Leicester au moindre problème, et adopte un comportement qui donne raison à Marie lorsque celle-ci la traite d'inférieure. On est effectivement loin d'Helen Mirren et Bette Davis, mais dans l'absolu j'adore cette proposition, à la fois parce qu'elle se défend bien malgré tout, notamment en mouchant les prétentions de son ambassadeur, mais aussi parce que j'ai toujours eu un faible pour les personnes brillantes qui n'ont pas confiance en elles. Il est tout à fait acceptable d'imaginer une Élisabeth, orpheline de mère, enfermée dans sa jeunesse et défigurée par la variole, qui ait du mal à avoir de l'estime pour soi, d'où l'obligation de jouer un rôle de reine vierge blanchie à la céruse, et forcée de devenir homme pour conserver son pouvoir intact. Je pense toutefois que la véritable Élisabeth avait d'autres soucis en tête que de se mettre à nu devant sa consœur pour se lamenter sur son sort. D'autant que la reine d'Angleterre, forte de l'amour un peu intéressé mais plus complexe que cela d'un homme et de son beau-fils, a sûrement eu une vie amoureuse plus épanouissante que Marie, qui n'eut pour elle qu'un prépubère et un débauché, et dont le seul grand amour était voué d'avance à l'échec.
Malgré sa vie sentimentale désastreuse, Marie n'en reste pas moins forte dans les épreuves, guidée en cela par son orgueil qui ne l'a jamais quittée. Saoirse Ronan se révèle ainsi meilleure que ne le faisait craindre la bande-annonce, le monteur s'étant visiblement ingénié à n'intégrer que ses mauvaises scènes. C'est là tout le problème de la perception d'une grande performance, forcément subjective, et à notre époque forcément influencée par les remises de prix annuelles. On nous a ainsi laissé croire que l'effort mérite récompense, alors qu'un bel habit ne montre jamais ses coutures. Or, Saoirse n'est jamais aussi mauvaise que dans ses scènes à Oscar, crachant son fiel au visage de son frère sans parvenir à rendre sa colère convaincante malgré ses cris. Ses meilleures scènes sont en fait les plus intimes : qu'elle se confie aux quatre Mary ou qu'elle s'amuse avec espièglerie, elle contraste joliment le ton morne du film dans ces moments là. Mais autrement, elle en fait trop. Même lorsqu'elle pardonne à son meilleur ami d'avoir couché avec un mari qu'elle n'aime déjà plus, elle a les larmes aux yeux comme si elle venait d'apprendre son exécution, ce qui est un peu disproportionné. Se savoir coiffée de manière anachronique comme Gabrielle d'Estrées ne l'a peut-être pas aidée à se mettre dans la peau d'un personnage dans un projet plus innovant qu'à l'accoutumée, et pourtant, l'évidence demeure : Marie Stuart est l'un de ses moins bons rôles.
En résumé, cet énième portrait de la reine tragique m'a assez intéressé pour que j'en parle ce soir, en particulier grâce à un point de vue moderne qui permet de mieux comprendre notre époque tout en jetant les coutumes et conflits du XVIe siècle aux orties; mais l'ensemble n'est pas très bon. Pire, en dehors de l'inénarrable confrontation finale, les deux heures restantes sont ennuyeuses et oubliables. La musique omniprésente de Max Richter, qui lorgne du côté de Zadok the Priest de façon grandiloquente et inappropriée, ajoute sûrement à la morosité ambiante malgré l'ouverture d'esprit d'une metteuse en scène qui divertit de temps à autres. À voir à l'occasion pour les rapports de femmes, les conflits intérieurs d'Élisabeth et les quelques audaces de casting, mais on comprend pourquoi ce film n'est pas resté dans les annales.
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