mardi 28 décembre 2021

Marquise des fanges


 
Il y a cinq ans, Francesco me faisait, sous l'article consacré à Saint-Cyr, la recommandation suivante : "Si  tu veux voir le plus mauvais film se déroulant sous le règne de Louis XIV, je peux te conseiller Marquise avec Sophie Marceau, que j'ai vu en espérant soit un film camp, soit un film divertissant moins épouvantable que sa réputation et qui s'est révélé non seulement tellement mal joué qu'il en devenait hilarant (quand même) mais en plus franchement insupportable (mais vraiment : j'ai un sentiment rare de pénibilité au cinéma, moi qui suis bon public)." Eh bien, comme ce "film" est passé à la télé hier soir, j'ai pu vérifier l'exactitude absolue de ces propos ! C'est abjectement mauvais, et pour couronner le tout, même pas drôle : on en est presque à regretter Silvana Pampanini dans La Tour de Nesle, c'est dire ! Sachant que l'histoire retrace le succès de Mademoiselle Du Parc dans les plus belles pièces de Molière et Racine, il y avait pourtant matière à de belles choses. Que de gâchis…

La comédienne en question fut, comme le rappelle le scénario, la créatrice du rôle d'Andromaque du célèbre tragédien. En parlant de belles lettres et de beaux vers, avec les plus belles musiques du temps comme mélodie, Marquise aurait dû être un véritable bouillon de culture. Las ! Véra Belmont, la réalisatrice, s'est arrêtée aux trois premières lettres, ancrant son propos dans de la grossièreté crasse qui n'aurait même pas fait rire une personne du Grand Siècle, époque pourtant plus aguerrie que la nôtre aux choses naturelles. Mais on cherchera en vain du réalisme historique là-dedans : le film n'est qu'une infâmie répugnante, ni plus ni moins. L'ouverture montre d'ailleurs des femmes montrer leurs fesses pour aller uriner devant une foule qui se presse pour ce "spectacle", tandis que la scène suivante se croit fort drôle, à montrer l'héroïne se faire passer sur le corps sans enthousiasme tout en poursuivant une conversation avec un tiers, alors que c'est bêtement lamentable et anti-cinématographique au possible. Malheureusement, le reste du film est du même acabit : on y verra tour à tour Marquise montrer son vagin en dansant pour plaire au roi, Louis XIV faire asseoir une femme à poil dans un gâteau à la crème, ou encore La Voisin faire l'amalgame entre les verbes prier et pisser à l'église. Ce qui est vraiment navrant, c'est qu'on sent que la metteuse en scène a cru donner de l'humour et de la légèreté à son œuvre, alors que ses images sont d'une lourdeur effarante qui donne envie de détourner les yeux à chaque minute.

Il n'y a donc rien à sauver dans Marquise. Même le destin hors norme de la comédienne ne parvient pas à intéresser, puisque celle-ci ne gravit les échelons de la gloire que par ses charmes, tout en se voyant enfermer dans un rôle de femme-enfant "à protéger", sans pour autant cesser de coucher avec tout ce qui bouge sans jamais une once de désir sincère. Le pire étant que Mademoiselle Du Parc est hélas incarnée par Sophie Marceau, qui ne prend même pas la peine de composer un personnage et se contente de jouer son propre rôle, celui d'une actrice agaçante qui laisse choir tout le monde dès qu'elle en a marre, et qui continue cependant d'être sollicitée par tout un chacun sans que cela soit justifié par un quelconque talent. Apparemment, la réalisatrice et la comédienne se sont très mal entendues sur le tournage, mais comment pouvait-on croire qu'il serait intéressant de suivre le parcours d'un personnage qui arrête une scène dès qu'il commence à se passer quelque chose pour aller bouder ? Dans ce projet, la pauvre Marquise, dont c'était le vrai prénom, n'est qu'une tête à claques qui nous donne envie de ressusciter Joan Crawford pour l'inviter à venir la mater.

Le reste de la distribution n'est guère mieux : les acteurs masculins exaspèrent à force d'outrance, notamment Bernard Giraudeau composant un Molière épouvantable, tout en réussissant malgré tout à ne pas être pire que Patrick Timsit et Thierry Lhermitte qui, eux, rivalisent de vulgarité. Lambert Wilson est un Racine un peu plus mesuré, mais ça ne l'empêche pas d'être ridicule plus souvent qu'à son tour. Sans compter que, ironie de l'histoire, tout cela se passe dans le monde du théâtre, à la cour comme à la scène. Or, aucun de ces messieurs ne sait maîtriser son souffle : chacune de leurs phrases s'éteignent à mi-chemin sans que la deuxième moitié soit audible ou articulée. Alors, comment supporter de les entendre plus d'une minute dans ces conditions ? Et pour leur malheur, les dames sont tout aussi affligeantes de nullité, notamment les étoiles de la troupe de Molière qui s'offusquent de jalousie telles des pintades, avant de sauter au cou de leur rivale sans absolument aucune raison. Et toutes n'ont que des répliques très crues à la bouche, même la très effacée reine de France ne parle que de cul dans son unique scène. À vrai dire, tout les gens impliqués ne parlent que de cul, les belles rimes d'Andromaque sont quant à elles jetées aux orties, y compris par la principale intéressée qui préfère botter les fesses de sa servante au lieu de lui donner la réplique correctement. Bref, les deux seules personnes qui parviennent à survoler cet étron sont Marianne Basler, plus distinguée que les autres dans le rôle d'Henriette d'Angleterre, et la jolie Estelle Skornik, la seule qui ait l'air de savoir jouer sur une scène de théâtre, dans le rôle d'une Eve Harrington à la française.

Autrement, c'est nul, nul, nul ! Même les couleurs des costumes et décors sont criardes : ça donne mal au crâne et le tout est vraiment pénible. On pourrait également ajouter que l'histoire n'a aucun sens, avec une répétition de La Thébaïde qui devait supposément durer deux jours et qui a l'air de prendre deux ans, et surtout des chocolats empoisonnés qui disparaissent plusieurs mois avant de reparaître intacts quand ça arrange les scénaristes, mais ce serait tirer sur l'ambulance.

Je regrette d'autant plus d'avoir vu ce film que ça vient de me pourrir la joie qu'il y a à écouter mes disques préférés. En effet, la bande-son est signée par l'illustre Jordi Savall, à partir de partitions de Lully, dont entre autres la Bourrée du Divertissement de Chambord, Marin Marais dont le Charivari ouvre le film, ou encore de grands compositeurs anonymes de La Petite Bande, dont le morceau Libertas. Ces beaux airs ont par la suite été réenregistrés par le chef d'orchestre catalan, avant de sortir sur une série de disques sur lesquels j'ai dansé toute mon adolescence. Je refuse que les images de Marquise soient associées à ces souvenirs merveilleux.

Moralité : la fange n'est même pas un mot assez fort pour désigner Marquise. Le résultat est une insulte à la véritable comédienne, qui toute dissolue fût-elle, n'en demandait pas tant, aux plumes de Racine et Molière, au bel esprit du Grand Siècle, et même aux cochons qui ont plus de grâce dans la boue que n'en ont les comédiens à écarter les jambes pour montrer leur toison intime. Même si on ne le savait pas encore à l'époque, il y a même un futur militant d'extrême droite dans la mêlée, preuve que ce film est bon à jeter à la poubelle. Tout n'est que bêtise et laideur, sans aucun reflet de camp qui aurait pu sauver quelques meubles. Pour ça, il fallut attendre deux ans et Le Monde ne suffit pas pour que Sophie Marceau ruissèle de camp et de mauvais jeu. Mais avec Marquise, il n'y a rien que de la nullité. En attendant l'adaptation de Britannicus par Michaël Youn, et la lecture d'Esther et Athalie par Lova Moor et les danseuses du Crazy Horse.

4 commentaires:

  1. Tu connais Lova Moor ???? Là, je suis sidéré !

    Sinon ... ben on est d'accord sur tout (y compris Savall, d'ailleurs, j'ai acheté la BO du film). Je ne comprends pas ce qui leur a pris à tous et toutes.

    Je proteste simplement en ce qui concerne Marie-Thérèse, qui a toujours été une de mes figures historiques préférées et je renvoie à l'excellente biographie de Joelle Chevé qui bouscule l'idée d'une "reine effacée". D'ailleurs, elle a été jouée au cinéma par Joan Bennett ... et Sylvia Kristel !

    Le Vengeur démasqué

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah ! C'est très intéressant ça ! Je me suis toujours demandé : Marie-Thérèse était elle vraiment aussi sotte et effacée qu'on l'a dit, où a-t-elle été victime de l'historiographie qui lui préfère fatalement les destins plus flamboyants de ses rivales ? Je te remercie pour la référence à Joëlle Chevé, je me dirigerai donc vers son livre pour mieux la connaître.

      À ce jour, j'ai surtout lu des biographies ou romans historiques consacrés à Montespan et Maintenon, où la reine est rarement montrée sous son meilleur jour (sauf dans un livre pour enfants où elle est la victime d'une machination). La seule analyse historique et psychologique où elle a droit à un chapitre à son nom que j'ai lue jusqu'à présent, c'est un ouvrage consacré aux "Femmes du Roi-Soleil". L'écrivaine y semblait passablement exaspérée par la reine, disant que même Anne d'Autriche avait fini par la trouver agaçante au bout d'un moment. Mais il y était aussi question d'une réplique de la reine, à qui on venait d'annoncer que le roi avait une nouvelle maîtresse, et qui avait répondu : "Mais ? C'est l'affaire de Mme de Montespan." L'analyse se demandait si c'était un trait d'esprit ou une maladresse.

      Il serait donc intéressant d'en savoir plus. Que ressentait-elle réellement ? Est-elle passée pour sotte à cause de sa méconnaissance de la langue, à l'époque où l'absence de repartie était impardonnable ? Aurait-elle osé coucher avec un serviteur ? Bref, j'ai toujours envie de mieux connaître les personnes "laissées pour compte", et avec un mari qui phagocyte toute l'historiographie depuis bientôt quatre siècles, elle m'a toujours donné l'impression d'être "asservie".

      Mais j'ai quand même vu la version du Masque de fer avec Joan Bennett, film que je n'ai pas du tout aimé même si c'est un James Whale. Étant très sage, en apparence tout du moins, je ne connais Sylvia Kristel que de nom. Le trône de sa Marie-Thérèse est-il en osier ?!

      Supprimer
  2. Bertière est terrible avec Marie-Thérèse, c'est vraiment un portrait à charge et elle interprète tout (même ce qui a été en général porté au crédit de la reine) dans le pire sens possible. Ça a le mérite de la cohérence. Mais Chevé fait un vrai travail d'historienne et est beaucoup plus nuancée (elle est même assez favorable à son sujet).

    Dans une version du masque de fer que j'ai vu adolescent, Mademoiselle de La Valière est joué par Ursula Andress (très méchante et très vicieuse !) et Marie-Thérèse par Sylvia Kristel (très jolie et très gentille) et tout finit bien entre le roi et la reine !!!! Si, si ...
    Je n'ai pas vu ce que ça donne dans la série Versailles, mais le personnage couche effectivement avec son serviteur de couleur, d'après ce que j'ai lu ici et là. Je n'arrive pas à décider à franchir le pas, dans la mesure où j'ai trouvé la plupart de ces séries historiques anglo-saxonnes insupportables (sauf les adaptations de Philippa Gregory, je dois dire).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ces compléments ! J'achèterai le livre de Joëlle Chevé le mois prochain (là je viens de faire de folles dépenses pour compléter ma collection de littérature américaine du XIXe siècle, alors on va se calmer un peu sur les achats ce début d'année). J'ai hâte de le lire en tout cas, vu ce que tu m'en dis. Par ailleurs, j'ai trouvé Simone Bertière peu empathique, voire très méprisante, envers la plupart des femmes qu'elle décrit, or ça me dérange toujours un peu quand un auteur porte un regard supérieur sur autrui, surtout quand ces personnes ont vécu à des époques qui obéissaient à d'autres règles que les nôtres.

      Sinon, le film avec Ursula Andress ne me tente pas du tout, mais ça a l'air très camp, ça devrait être marrant un dimanche après-midi si jamais je le trouve un jour ! Par contre, je n'ai pas vu les séries dont tu parles, j'ignorais même qu'il y en avait une sur Versailles. Je ne connais que celle sur les Tudors avec un mannequin dans le rôle d'Henry VIII… Ce n'était pas du tout crédible !

      Supprimer