Et hop ! Un jeu de mots qui me fait hurler de rire depuis ma plus tendre enfance me donne l'occasion de retrouver la Divine dans un divertissement redécouvert ce jour, Garbo Talks, un film de Sidney Lumet écrit par Larry Grusin, dont le générique fait précisément défiler des images de la légende du septième art dans le rôle de Mata Hari. Sortie en 1984, cette comédie par moments très sérieuse met en scène une Anne Bancroft fort énergique qui apprend que ses jours sont comptés. Elle demande alors à son fils l'impossible : qu'il parvienne à convaincre l'actrice la plus recluse de l'histoire du cinéma de venir la voir un moment à son chevet. Cela entraîne le pauvre Ron Silver dans une course contre la montre qui lui fera voir, à son tour, la vie sous un autre angle.
Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'un scénario comme celui-ci est parfaitement alléchant quand on écrit sur un blog intitulé Gretallulah ! Se basant sur l'émoi réel que suscitaient les errances de la comédienne dans les rues de New York, et la traque éhontée orchestrée par des paparazzi en tous genres, l'histoire rend finalement hommage à son modèle insaisissable, en montrant les personnages pleurer devant la mort tragique de Marguerite Gautier, ou rire aux éclats parmi une foule en délire devant les répliques cinglantes de Ninotchka. Le titre originel fait évidemment référence au célèbre slogan d'Anna Christie, film qui annonça la transition réussie de la dame au cinéma parlant, mais de manière assez ironique, Garbo ne parle jamais dans Garbo Talks, à l'exception d'une réplique finale qui clôt le film sur une note optimiste. C'est la scénariste et parolière Betty Comden qui prête ses traits à la Divine : l'équipe savait d'avance qu'il serait impossible de sortir celle-ci d'une retraite de plus de quarante ans, et essuya d'ailleurs une fin de non recevoir lors d'une unique tentative de communication avec un proche de la star. Entretenant le mystère jusqu'au bout, Betty Comden n'est filmée que de dos, tandis que les propres confidences de l'actrice à l'héroïne mourante ne sont que rapportées par celle-ci après la rencontre.
On aurait bien sûr aimé que le personnage soit davantage vivant, et suivre par exemple un mouvement très discret sur son visage marquant un début de compassion, mais la Garbo « dans le film » ne reste qu'une silhouette. On ne comprend même pas ce qui la motive à suivre le héros à l'hôpital. Et pour cause : l'histoire reste avant tout celle de la famille Rolfe, la dynamique Estelle et son fils Gilbert, nommé en l'honneur de John. Et encore, Estelle a beau être incarnée par une autre légende du septième art, Anne Bancroft, elle est en fait un personnage secondaire. La relation mère-fils n'en reste pas moins intéressante, avec une matriarche parfois exaspérée d'avoir enfanté un rejeton plus accommodant qu'elle et qui n'ose pas vraiment exister par lui-même. Estelle déteste notamment sa bru, incarnée par une très mauvaise Carrie Fisher, et ne se prive pas de le faire savoir même lors d'un souper. La quête de Gilbert lui permet finalement d'évoluer, et d'oser reprendre le contrôle de sa vie, mais cela ne suffit pas à rendre le film aussi bon qu'on l'aurait voulu.
Le grand problème de cette « recherche de Garbo » est… la recherche en elle-même, qui s'éternise à n'en plus finir et nous fait trépigner d'impatience, avec un brin d'agacement, dans l'attente d'un dénouement anticipé depuis le départ. Consacrant trois mois de sa vie à enquêter afin de savoir où trouver la Divine dans la fourmilière de la métropole, Gilbert fait assurément des rencontres pour le moins iconoclastes, mais aucune d'entre elles n'a de réel impact à la fin. Ainsi, le paparazzo est surtout là pour l'orienter sans que son intervention ne serve vraiment à faire avancer l'histoire, tandis qu'Hermione Gingold n'est pas très intéressante, un comble (!), dans le rôle d'une actrice ratée incapable de mémoriser plus d'une réplique. En définitive, s'il reste intéressant de voir Gilbert reprendre du poil de la bête, dire ses quatre vérités à son patron et oser aller vers une femme vraiment faite pour lui, le cheminement qui le conduit à changer manque d'énergie et peine finalement à captiver.
On aurait surtout voulu voir davantage Anne Bancroft à l'écran ! Ron Silver est pourtant bon dans ce rôle bien écrit, mais c'est vraiment sa partenaire qui donne les décharges d'énergie nécessaires pour faire avancer l'intrigue. D'ailleurs, les moments les plus mémorables du film sont ceux où elle est au premier plan, à commencer par cette séquence de chantier où elle monte sans casque (!) au sommet d'une construction afin de tancer les ouvriers qui venaient de faire une remarque sexiste à une passante. Elle y est ferme avec une pointe d'ironie, attachante mais sans le désir d'être agréable à ses interlocuteurs, et ce à tel point que son interprétation électrise l'ensemble de la scène. Sa manière de réclamer à boire alors qu'elle se retrouve en prison pour une énième fois, à cause de son militantisme, est également le signe d'un personnage fort qui refuse de se laisser abattre, chose qui va de pair avec son mépris des larmes lorsqu'elle apprend qu'elle est condamnée. De la sorte, sans esquiver la douleur de l'annonce, elle la dissimule derrière une forme d'irritation, puisqu'elle regrette que le médecin n'ait pas osé lui avouer la gravité de son mal en personne. Elle voulait être la première à ne jamais mourir, mais il lui faut se rendre à l'évidence. L'acceptation arrive dans sa dernière scène où, très diminuée, elle ressent une joie immense de voir son idole devant elle, et lui raconte sa vie en un monologue formidablement nuancé entre joie et tristesse. Mais comme le film se présente avant tout comme une comédie, c'est finalement l'enthousiasme qui l'emporte, à en juger par la manière fort joviale, pour ne pas dire excitée, avec laquelle Estelle raconte l'entrevue à Gilbert.
À la recherche de Garbo est finalement un joli film, qui partait avec une excellente idée de base, mais qui ne tient pas tout à fait ses promesses en cours de route. Développer davantage la relation entre les deux protagonistes, et insuffler un peu plus d'énergie dans la très longue quête centrale, auraient sûrement permis de donner une autre envergure au projet. Celui-ci est aimable en l'état, mais les cinéphiles, qui restent le cœur de cible visé par le film, attendaient forcément plus. Le parallèle entre la vie réelle et le cinéma, à commencer par le trépas de Marguerite préfigurant celui d'Estelle, sont bien esquissés mais auraient dû s'assumer davantage. Cela n'en reste pas moins un joli rôle pour Anne Bancroft, et à travers elle un portrait flatteur pour Greta Garbo, dont il est révélé qu'elle déteste la guerre et affectionne surtout les choses simples du quotidien. De même, on se contentera de ce qu'on nous présente, en dépit d'un certain regret de rester un peu sur sa faim.
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