Un film d'Andrew Haigh.
Je reprends ma série des films actuels à travers mes deux découvertes de fin janvier, Steve Jobs et 45 Years, avant de conclure sur Room et Brooklyn le mois prochain, histoire de dresser un début d'inventaire des films qui me tentaient le plus cette année. Pour les actrices, j'ai honteusement fait l'impasse sur Joy, qui ne m'intéressait pas assez pour justifier une visite en salle, mais encore sur Spotlight, où Rachel McAdams a la réputation de ne rien faire du tout dans un ensemble masculin; sachant que je ne regarderai jamais The Hateful Eight: je hais le cinéma de Tarantino et celui-là est paraît-il encore plus gore et stupide que les autres, donc non merci. Par bonheur, je ne regrette nullement ma découverte de 45 Years, dont l'atout majeur compense largement les impasses de l'année.
Pourtant, l'histoire est assez peu alléchante dans le détail, car le seul point de mire susceptible de créer un mouvement, c'est le visage de Charlotte Rampling, qui se retrouve en proie au doute pendant toute une semaine avant la cérémonie des 45 ans de mariage du couple. Dans les faits, on ne bouge quasiment pas de cet intérieur sclérosé et mal décoré (faites-moi d'ailleurs penser à ne jamais partir à la retraite. Mieux vaut se suicider à soixante ans plutôt que passer trente ou quarante années entre quatre murs dans le même environnement.), et l'on pourrait rapidement s'ennuyer si l'on n'avait que l'histoire à notre disposition. Heureusement, il n'en est rien. A mesure que l'héroïne, Kate, se met à douter de ces 45 ans de certitudes, il se crée une forme de tension impressionnante qui dynamise le quotidien et donne envie de connaître les réactions des jours suivants, tout cela sans absolument aucune goutte de mélodrame ou de réactions disproportionnées. On se retrouve alors avec une histoire adulte et parfaitement naturelle, mais d'un naturel qui passionne et qui reste un grand exploit scénaristique, puisque Andrew Haigh prend toujours soin de ne jamais sortir du strict thème du doute, sans pour autant se laisser dépasser par cet élément aux contours imprécis et difficilement palpables.
Sa mise en scène est d'ailleurs assez inspirée par rapport à la fine marge de manœuvre que lui laisse l'histoire, et l'on appréciera que chaque jour de la semaine s'ouvre sur un plan de Charlotte Rampling isolée, soit dans la campagne brumeuse, soit sous la couette, comme pour la placer sans véritables soutiens au milieu d'un monde qui s'écroule tout autour. Les longs dialogues monotones avec Tom Courtenay sont quant à eux filmés en de longs plans d'abord sur le partenaire qui parle, puis sur celui qui écoute, afin d'isoler une fois de plus l'épouse, cette fois-ci au sein même de son couple. Ce qui aurait pu n'être qu'une histoire ennuyeuse et atrocement "quotidienne" se retrouve au contraire chargée en tension, et ce jusque dans le choix de ne pas montrer le fantôme de l'intrigue qui hante la maison, sauf lors d'une révélation inattendue dans la noirceur d'un grenier. Ainsi, on a beau trouver le temps long en de brefs passages, chaque journée apporte son lot de dynamisme qui permet de ne jamais décrocher dans cet environnement peu accueillant entre brume et pièces exiguës. Je sais d'autre part que certains s'interrogent sur la signification des saisons qui semblent alterner dans une unique semaine: j'admets que ce détail ne m'a pas marqué mais à la réflexion, le choix semble être judicieux, en soulignant que le doute à présent installé ne pourra pas s'estomper du jour au lendemain comme si de rien n'était.
Sinon, 45 Years m'évoque deux autres films. Le premier, c'est A Letter to Three Wives à travers la promenade en bateau sur les canaux anglais, où Kate tente de faire bonne figure au groupe du troisième âge qu'elle accompagne, avant de préférer s'isoler à la poupe pour mieux douter en silence, ce qui m'évoque d'une certaine manière le pique-nique des trois épouses de 1949, où chacune se laisse envahir par le doute sur le bateau tout en essayant de ne pas trop y penser de retour avec le groupe. Le deuxième film qui me vient à l'esprit a tout à voir avec le prénom du chien: Max. Son amour? Non! Je préfère ne pas savoir!
Quoi qu'il en soit, le film faisant la part belle aux réactions silencieuses de l'héroïne, et ne ménageant pas ses gros plans sur l'actrice, il était impératif que la performance principale soit à la hauteur, sans quoi tout l'édifice aurait pu s'effondrer. Or, Charlotte Rampling relève non seulement le défi avec brio, mais elle donne carrément la meilleure performance imaginable pour un film contemporain. Chaque changement discret s'opérant sur son visage est notamment travaillé avec soin, mais aussi avec subtilité pour que tout paraisse justement réaliste, sans aucune ficelle apparente. En fait, tout est dans la nuance, entre sourires et sentiment d'être égarée, entre chaleur et colère contenue, et le tout dernier plan conclut brillamment le portrait esquissé jusqu'alors. L'exploit est d'autant plus grand qu'il n'y a pas, comme précisé plus haut, de catharsis forcée ou de grande scène dramatique. Chaque réaction de l'héroïne se fait tout en discrétion, même dans les séquences les moins adultes où elle cède à la tentation de s'énerver ou de mener son enquête, et ça fait un bien fou. Très clairement, Charlotte Rampling surpasse allègrement Cate Blanchett et Rooney Mara dans les listes de remises de prix, et peu importe qu'elle dise des bêtises à la ville: elle donne l'une des meilleures performances de la décennie et mérite absolument cet Oscar, un trophée qui non content de récompenser l'excellence interprétative de 2015 couronnerait aussi une brillante carrière faite de choix audacieux. Heureusement, Rampling a eu l'Ours, c'est toujours ça de pris. Par contre, je suis un peu moins enthousiaste envers Tom Courtenay: il est très bon, arrive à bien faire sentir le poids de son passé en quelques regards, se sort avec les honneurs de l'exercice périlleux des troubles sexuels des septuagénaires et montre enfin la dose requise d'émotion et de désir de bien faire, mais tout de même, on a du mal à s'intéresser à son personnage étant donné la performance de sa partenaire en face.
Avec de tels atouts, 45 Years reste un bon film qui mérite bien 7/10, en particulier pour sa capacité à toujours maintenir l'intérêt sans tomber dans la torpeur attendue, malgré un rythme général un peu lent. Dans le détail, Charlotte Rampling mérite l'Oscar, et force est de reconnaître qu'Andrew Haigh et Tom Courtenay sont hors de tout reproche, en particulier le scénariste-réalisateur qui parvient à mettre en images la notion même de doute, et dieu sait si ce n'est pas chose facile quand on y pense. L'unique bémol du film: il est possible de s'énerver sans avoir besoin de dire "fucking" ou "bloody" avant tous les noms communs. Vraiment. Ce n'est pas parce que Loretta Young n'est plus là pour contrôler qu'il faut en profiter!
Précisons qu'il faut néanmoins ne pas se sentir vieux et déprimé pour aller voir le film, la dernière séquence étant difficilement soutenable et vraiment désespérante, à mes yeux. J'ai des frissons, rien qu'en y pensant. Belle utilisation de la sublime balade de Kern (je n'aurais pas hésité à utiliser la version d'Irene Dunne, moi, mais bon ... ça aurait vraiment fait rétro !)
RépondreSupprimerSpotlight est un bon gros téléfilm d'investigation avec Rachel MacAdams n'ayant pas grand chose à faire (et le faisant bien ... aussi bien que n'importe quelle actrice non débutante dans un tel rôle).
L'AACF
J'aime la version Dunne, mais pour le coup, c'eût peut-être été trop rétro pour des septuas. Je les imagine mieux danser comme à vingt ans sur une reprise sixties. Mais c'est vrai qu'en y repensant, les paroles sur ce type de scène sont terrifiantes. Ce dernier geste de Rampling est...
SupprimerPour Spotlight, tu confirmes ce que 100% des gens qui l'ont vu me disent depuis un mois.