jeudi 4 février 2016

Edouard et Caroline (1951)

Un film de Jacques Becker.

La semaine dernière, j'ai redécouvert par inadvertance Elina Labourdette, dont j'avais presque tout oublié dans les superbes Dames du Bois de Boulogne alors qu'elle y tient en fait le rôle principal, avec beaucoup de talent qui plus est. Alors, cette très plaisante réminiscence m'a entièrement motivé pour la découvrir ailleurs, ce qui nous vaudra de passer le reste de la semaine en sa compagnie, d'abord à travers Edouard et Caroline où son chic et son pétillant font des merveilles, puis avec la Lola de Jacques Demy, avant de conclure par le chef-d’œuvre de Robert Bresson.

Dans le film de Jacques Becker, la divine Elina n'occupe en réalité qu'un rôle périphérique, l'intrigue coécrite par le réalisateur et Annette Wademant étant centrée sur de jeunes mariés, Anne Vernon et Daniel Gélin, qui se disputent le temps d'une soirée à propos de vêtements alors qu'ils sont attendus de toute urgence à une réception mondaine où bien des quiproquos leur seront réservés. Et franchement, il s'agit là de l'une des histoires les plus sympathiques qui soient. Ayant d'ailleurs un infini respect pour les scenarii se déroulant dans un laps de temps réduit, j'apprécie tout particulièrement la conception presque théâtrale de la narration: tout se passe en une même nuit en seulement deux lieux, ce qui pourrait tout à fait se jouer sur scène, sans que le film ne fasse précisément théâtral. L'élégance de la mise en scène et la beauté formelle lui donnent justement un cachet vraiment cinématographique qui me séduit, et le jeu sur les décors et costumes est toujours utilisé à bon escient. L'appartement modeste où le couple d'artistes a choisi de vivre son grand amour bohème s'oppose ainsi à la luxueuse enfilade de l'oncle de Caroline, dont la recherche de l’opulence traduit bien l'esprit atrocement snob du personnage. Quant aux costumes, ils constituent avec finesse l'un des principaux ressorts narratifs, entre le gilet qu'Edouard cherche désespérément afin de se présenter devant des gens capables de faire avancer sa carrière, et la robe de Caroline que celle-ci s'ingénie à transformer de peur de n'être pas assez à la mode. A mesure que la tension monte entre deux coups de ciseaux et l'utilisation étonnante de dictionnaires, les relations entre les protagonistes s'enrichissent avec humour et subtilité, de quoi faire du film une expérience réellement agréable qui ne ménage pas ses moments d'anthologie à travers de menus détails du quotidien, à commencer par ce génial coup de fil pas du tout discret en plein récital improvisé pour la concierge.

Ceci dit, le mordant du texte est encore plus prégnant dans le grand appartement de l'oncle, puisque le spectateur y est alors introduit à toute une galerie de seconds rôles rocambolesques incarnés par une poignée d'acteurs bien déterminés à rendre chaque personnage croustillant. Jacques François épingle ainsi à merveille les travers d'un bourgeois inculte et prétentieux qui s'imagine éblouir son monde en parlant avec un accent anglais (qu'il perd délicieusement lors de situations imprévues), Jean Galland est quant à lui judicieusement insupportable en jeune homme arrogant faussement énamouré, tandis que William Tubbs incarne peut-être le personnage le plus touchant de la distribution, avec cet homme d'affaires américain que le tout Paris pense pouvoir snober aisément alors qu'il est justement le contrepoint idéal aux faux-semblants de cette petite société sclérosée. Les dames ne sont toutefois pas en reste, en particulier la charmante Elina Labourdette dont nous parlions à l'instant, laquelle incarne avec bonheur l'archétype de la mondaine éblouissante que tout le monde attend pour égayer sa soirée, et qui n'hésitera pas à jouer de sa séduction devant un héros fort à son goût, avec toujours un chic indépassable qui ne lui fait jamais rien perdre de sa superbe, même lorsqu'elle s'amuse à faire des "yeux de biche" à d'autres invités. Cependant, c'est peut-être Betty Stockfeld qui marque le plus les esprits parmi les seconds rôles, avec sa pétulante grande dame qui se ridiculise à son insu à mesure qu'elle se croie sublime.

Pour couronner le tout, les premiers rôles sont à la hauteur de leurs partenaires. On regrettera néanmoins l'absence prolongée d'Anne Vernon dans un bon tiers du film, mais c'est évidemment essentiel à la narration et ça donne lieu à un grand rebondissement comique, ce dont on ne saurait se plaindre. Et puis elle est réellement charmante à chacune de ses apparitions, sans toutefois surpasser ses consœurs, avec un petit côté futile assumé et toujours beaucoup de répondant. Caroline devient alors un personnage actif qu'on a envie de voir évoluer, et c'est tant mieux. Mais à choisir entre les deux, c'est sans doute à l'Edouard de Daniel Gélin que va ma préférence, sauf lors d'une scène de gifle qui lui fait perdre des points. Malgré tout, son esprit raisonnable qui n'a que faire de l'hypocrisie des mondanités colle idéalement à la personnalité de l'acteur, ce qui aide considérablement le personnage lorsqu'il lui faut se démarquer des autres invités lors de la fameuse réception. Le balancement entre naturel et culte des apparences donne finalement lieu à de jolis dialogues sur la vie de couple et la fidélité, si bien qu'on ne s'ennuie à aucun moment.

Elina Labourdette est donc secondaire, mais ça n'empêche nullement le film de constituer une découverte rafraîchissante qui à l'image de ses dames élégantes exerce beaucoup de séduction. Pour beaucoup, Casque d'or reste certainement la pièce maîtresse de Becker, mais pour ma part, j'échange volontiers la coiffure mythique de Simone Signoret contre les plumes d'Elina Labourdette, les froufrous d'Anne Vernon et le gilet de Daniel Gélin. L'ensemble est délicat à souhait et l'expérience à recommander sans honte aucune. 7+

4 commentaires:

  1. J'adore ce film (et je n'aime pas du tout Casque d'Or ... que j'ai trouvé d'une noirceur déprimante et affligé d'un héros un peu mal distribué). Je suis amoureux de tous les personnages ... et je nomme sans complexe Labourdette et Betty Stockfeld.

    L'AACF

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    1. Je confesserai même un ennui profond de ma part devant Casque d'or, j'ai vraiment lutté pour aller jusqu'au bout, et je lui préfère mille fois Edouard et Caroline. D'ailleurs, je te remercie une fois encore car je n'avais jamais entendu parler de ce film avant de relire ton inventaire! Entre celui-là et Olivia, les films français de l'année me ravissent au plus haut point!

      J'ai néanmoins l'impression qu'il manque un petit quelque chose pour aller jusqu'à nommer les délicieuses dames d'Edouard et Caroline, mais en même temps, je ne suis absolument sûr de rien pour les seconds rôles de l'année, et si je nomme Nina Foch dans un registre un peu similaire, pourquoi pas Elina Labourdette et Betty Stockfeld? L'accent de cette dernière me captive et me donne envie de la découvrir dans d'autres films. Pour sa collègue, je suis vraiment très enthousiaste pour sa composition "de Boulogne" et suis prêt à la nommer comme premier rôle en 1945.

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  2. Figure-toi que j'ai moi-même vu ce film parce que je les avais vues listées dans l'inventaire de quelqu'un d'autre.

    Comme quoi, ces listes ont quand même un véritable écho cinéphile. Je me rappelle la première fois que j'en ai découverte une (hélas, je n'ai jamais remis la main dessus) sur internet. Le blogueur mettait en valeur des noms et des films auxquels je n'aurais jamais pensé (Rosalind Russell et Bette Davis pratiquement chaque année, y compris pour des films moins prisés, Joan Crawford en rôle secondaire pour The Best of Everything ...)

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    1. The Best of Everything! Je ne connais que le dialogue: "But I want my comments on each." "Typed?" "No Miss Bender. Beat it out on a native drum." Et rien qu'à ces mots je fantasme totalement sur l'idée de faire monter Sa Sainteté Notre-Joan de l'Amabilité à 8 nominations! J'espère que je ne serai pas déçu!

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