jeudi 27 octobre 2022

Aux confins du Poitou


Il faisait très beau ce mercredi, et je suis en vacances ! Comble de bonheur, je me repose dans une région nettement plus rassurante que celle évoquée précédemment. La campagne du Poitou n'est pas à proprement parler spectaculaire, avec son enchaînement assez rébarbatif d'openfields, de bois et d'éoliennes dans des plaines très plates, mais je m'y sens bien depuis toujours. Si l'on remonte à mes grands-parents, le Poitou historique (Vendée incluse) est une terre où je trouve une partie de mes origines, avec les Charentes, le Périgord et le Limousin, le tout mâtiné d'une touche asiatique afin d'ajouter un peu d'exotisme à ce « grand ouest » français. Le plus curieux est qu'un caprice du sort a presque failli me faire naître en Bretagne, mais j'ai échappé de peu à ce surplus d'élégance. Pas de regrets néanmoins : je garde une infime connexion familiale avec l'ancien duché indépendant, et de toutes manières, le Poitou, terre natale des grandes favorites de Louis XIV, me va très bien au teint !


Tout cela pour dire que j'ai profité de ce mercredi ensoleillé pour me promener à l'est de la Vienne, d'abord dans les cités incontournables de Chauvigny et Saint-Savin-sur-Gartempe, avant de monter plus au nord du côté d'Angles-sur-l'Anglin, dont je n'avais que quelques souvenirs grisonnants par temps de pluie, et de La Roche-Posay, inconnue au bataillon. Ce sont ces deux communes que j'évoque ce jour, et le mot « confins » n'est pas trop fort. En effet, toutes deux sont très exactement situées sur la frontière de la Vienne avec l'Indre et l'Indre-et-Loire, ce qui fait de ce territoire une véritable terre de confins entre le Poitou, la Touraine et le Berry. Il suffit d'ailleurs de regarder une carte des anciennes provinces de France pour se rendre compte de ces particularités frontalières, notamment à cause de la forme assez étrange du Berry aux environs du Blanc. D'autre part, bien que donnée à la Vienne lors de la création des départements en 1790, La Roche-Posay relevait de la Touraine sous l'Ancien Régime. Ces paysages paisibles, commençant à jaunir délicatement en ce début d'automne, avaient assurément un air de Val de Loire sous le soleil encore chaud.

Angles-sur-l'Anglin


Faisant partie de l'association Les Plus Beaux Villages de France, Angles-sur-l'Anglin est certainement l'un des plus agréables du département, avec ses petites ruelles verdoyantes et les vestiges de sa forteresse qui se reflètent dans la rivière. La ville basse comme la ville haute offrent des points de vue magnifiques sur les vieux toits et la campagne alentour, pour un ravissement de tous les instants.


La beauté des lieux vient, de manière terrible, d'une suite de destructions et de reconstructions depuis la guerre de Cent Ans à l'époque moderne. Bertrand du Guesclin y causa notamment de nombreux dégâts, conduisant les évêques de Poitiers, propriétaires du château, à reconstruire celui-ci, tandis que les moines de l'abbaye Sainte-Croix, dont il reste une église dans la ville basse, aidèrent à la résurrection des maisons. Durant les guerres de Religion, les protestants menés par Coligny ravagèrent l'abbaye et s'emparèrent du château, qui fut ensuite pillé par les ligueurs lors de la reconquête catholique. Un siècle plus tard, les frondeurs opposés au jeune Louis XIV achevèrent d'endommager la forteresse, qui ne s'est pas relevée de ses ruines depuis.


L'une des célébrités locales, née à proximité de l'église Sainte-Croix comme par écho à sa future carrière ecclésiastique, est le cardinal de la Balue, qui sut assez bien intriguer pour s'attirer les bonnes grâces de Louis XI dans un premier temps. Mais comme toujours avec l'Universelle Aragne, sans doute le souverain le plus fourbe et méfiant de notre histoire, cela se retourna contre lui, si bien que le cardinal passa onze ans de sa vie dans les terribles fillettes du roi au donjon de Loches. Réhabilité sous Charles VIII, il fut nommé légat pontifical et termina ses jours en Italie.


Le village est aussi renommé pour sa production textile nommée « jours d'Angles », une toile ajourée qui faisait fureur dans la bonne société du XIXe siècle, et qui permit à plusieurs centaines d'ouvrières de faire vivre leur ménage par ce travail précis et délicat. Un commerce rend hommage à ce métier sur la place centrale de la ville haute, mais je ne m'y suis pas arrêté : quand je visite un lieu, je préfère rester au grand air et m'imprégner de l'ambiance des rues. Angles-sur-l'Anglin compte justement de nombreuses ruelles convergeant vers cette place, notamment la rue traversière, mais encore la rue de l'Arceau, dont une partie est une galerie creusée sous les maisons, où les hirondelles aiment à faire leur nid.


La rue la plus célèbre du village reste néanmoins celle de la Cueille, qui gravit la colline pour relier le pont sur l'Anglin à l'église Saint-Martin, et qui est aussi directement connectée à la rue de l'Arceau. Mon coup de cœur va tout de même à la rue Saint-Jean, d'abord pour ses jolies maisons autour de la mairie, mais surtout pour le chat noir qui y habite et qui a fêté mon arrivée céans à grand renfort de miaulements et de ronronnements ! La cour de l'hôtel de ville est agrémentée d'un très bel arbre de Judée aux ramifications sinueuses, ce qui ne gâche rien !



Avant de quitter la place, il ne faut pas oublier de gagner la chapelle castrale, qui offre un très beau point de vue sur les ruines du château. Les pillages successifs que nous évoquions plus haut conduisirent les évêques de Poitiers à le délaisser totalement au cours de l'époque moderne, et comme bon nombre de symboles de l'Ancien Régime, la forteresse servit de carrière pendant la Révolution. Les vestiges restent heureusement assez nombreux pour conférer au village cette beauté singulière qui lui vaut son classement mérité.


Un chemin fort escarpé permet ensuite de longer l'éperon rocheux où fut bâti le château, afin de gagner les rives de l'Anglin et la belle campagne environnante. La descente n'est guère aisée si vous avez le vertige, mais la vue justifie amplement la prise de risques.


En résumé, ce fut là une promenade fort agréable. Il est surtout extrêmement plaisant de se trouver dans une contrée où les gens vous répondent quand vous les saluez. Cela devient tellement rare qu'il convient de le relever. Il me faudra de toute façon revenir à Angles-sur-l'Anglin à la belle saison, car je n'ai jamais vu le Roc aux Sorciers, un abri sous roche couvert de sculptures pariétales datant du Magdalénien. Ce sera le prétexte idéal pour y revenir.

La Roche-Posay


Je passerai plus rapidement sur cette bourgade bien davantage peuplée, avant tout connue pour son thermalisme de renommée internationale. La Roche-Posay est même référencée comme l'une des capitales de la dermatologie européenne, ce qui explique pourquoi on ne trouve que des images de tubes de crème si l'on oublie de préciser « ville » dans le moteur de recherche. Pour ce qui est du patrimoine, je ne peux pas dire que la cité vaille absolument le détour, à la différence d'Angles. Une poignée de monuments intéressants agrémenteront votre promenade si vous passez dans les parages, mais il ne faut pas nécessairement faire le crochet exprès. Pour sûr, l'entrée dans le cœur historique est remarquable, grâce à la porte Bourbon, heureux assemblage de deux tours reliées par un mâchicoulis. Ouverte sur l'ouest, cette porte est le dernier vestige des remparts médiévaux, sachant qu'il ne reste plus de traces de ses deux jumelles gardant le nord et le sud de la ville.


Plus imposant, le donjon massif du XIIe siècle en pierre de tuffeau témoigne des riches heures de la cité au Moyen Âge. Haut de 23 mètres depuis une base carrée dont les côtés en mesurent une quinzaine, il se distingue par l'acoustique apparemment exceptionnelle de la salle des échos : si deux personnes se placent chacune dans un angle, face au mur, elles pourront ainsi se faire entendre l'une de l'autre même en chuchotant, sans que des tiers présents dans la salle ne puissent surprendre leur conversation. Ce procédé aurait manifestement servi jadis pour que les prêtres pussent confesser les lépreux, en gardant ainsi une distance de bon aloi. Tout cela est sûrement fort ingénieux, mais comme je voyage toujours seul faute de pouvoir faire autrement, je n'ai pas pu en faire l'expérience, d'où une certaine déception.


Je suis néanmoins content d'avoir pu rentrer dans le donjon. Ce n'était pas du tout prévu à l'origine, mais dès que je m'en suis approché, la gardienne des lieux m'est immédiatement tombée dessus et m'a quasiment tiré par la manche pour me forcer à monter au premier étage. « Bonjour Monsieur ! Il faut absolument que vous alliez voir le vidéo mapping dans la salle ! Votre vie en sera à jamais bouleversée ! Et c'est gratuit ! Il faut appuyer sur le bouton vert ! Vous serez subjugué ! » Visiblement, je n'ai pas dû exprimer l'enthousiasme qu'elle attendait (mais j'ignorais ce qu'était un vidéo mapping…), car elle s'est empressée d'ajouter : « C'est fait par les étudiants du Futuroscope ! C'est dire !!! » Comme je suis courtois et que j'avais surtout très envie de voir l'intérieur de la forteresse, je me suis donc laissé tenter par cette expérience hors du commun, tout cela pour découvrir qu'un vidéo mapping est en fait… une projection d'images virtuelles sur des murs blancs. Ce que toutes les municipalités de France font désormais chaque été sur les façades de leurs monuments. Bon, c'est plutôt joli, mais ça ne dure que cinq minutes. Et certes, la vidéo est travaillée au millimètre afin d'épouser le contour de chaque pierre, mais je n'ai pas franchement l'impression d'avoir eu une révélation d'ordre divin.


En sortant du donjon, j'ai fait un signe de tête à la dame pour la remercier, étant tout de même soulagé de la voir en grande conversation avec d'autres touristes, et ne pas craindre de la sorte de subir un interrogatoire sur les propriétés transcendantales du vidéo mapping de La Roche-Posay ! Plus loin, des habitués des lieux essayaient eux aussi d'y amener leurs hôtes de la semaine, en vantant à leur tour les mérites de ce moment métempirique. Sauf que les invités en question craignaient d'arriver en retard à leur souper, sur quoi il fallut les rassurer sur la brièveté de l'expérience. Ont-ils réussi à atteindre un orgasme extrasensoriel devant cette vidéo suprême ? Nous ne le saurons jamais, car pour moi, il était temps de rentrer. À défaut d'avoir pleuré de bonheur au milieu de ces échos d'antan, j'ai tout de même passé une excellente journée dans ces terres de confins. Mais soyons honnêtes : la contemplation bien réelle des vieilles pierres d'Angles-sur-l'Anglin est nettement supérieure aux images de synthèse de La Roche-Posay !

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