Sans surprise, j'ai aimé l'ensemble car le sujet me touche, d'autant que la délicatesse de la relation des années 1940 est exactement ce que j'attends d'une histoire d'amour. Évidemment, la situation était dramatique à cette époque, puisque les relations homosexuelles ne pouvaient s'exprimer que clandestinement, avec tout le glauque que la jurisprudence abjecte d'alors pouvait engendrer : les rencontres avaient lieu dans des latrines, et si l'on se faisait surprendre, on risquait la prison, ce qui arrive malheureusement à l'un des personnages. Le réalisateur tire tout de même de ces drames une histoire élégante, à la manière dont les deux hommes s'embrassent pour la première fois derrière un arbre, avant de se retrouver pour d'agréables étreintes dans une maison de campagne où le temps est comme suspendu. Malheureusement, le scénario nous rappelle que Michael est fiancé à Flora, qui n'en finit plus d'attendre son retour : la pression sociale le fait céder, alors que Thomas envisageait pour eux une vie de couple magnifiquement normale, où tous deux auraient partagé les tâches du quotidien. Le basculement arrive de façon un peu abrupte à cause du format de la série, mais la douleur de la séparation n'en reste pas moins poignante, surtout dans les scènes « d'adresses manquées », que l'on suive Michael s'enthousiasmer pour la libération de Thomas bien que celui-ci ne le voie pas, ou que l'on observe ce dernier faire un signe particulièrement touchant à son amant alors que le bus s'en va.
L'histoire contemporaine me parle moins, car je vis mentalement dans les grands mélodrames qui fleurissaient avec éclat dans les années 1940. Dès lors, le parcours d'Adam, collé à ses applications de rencontre pour coucher avec tout ce qui bouge sans se soucier du visage de ses conquêtes, ne m'enthousiasme pas autant que les drames vécus par son grand-père. Je sais que beaucoup de gays parviennent à enchaîner les amants sans trop de problèmes, mais personnellement, je ne peux pas faire ça. Il me faut le temps du dialogue et de la rencontre avant de pouvoir sauter le pas, et même dans ce cas, je n'ai jamais pris de plaisir à coucher sans éprouver un minimum de sentiments. À ma décharge, je n'ai pas la chance d'être à l'aise avec mon corps et mon passé, ce qui a créé plus de blocages que pour d'autres, mais le fait est que j'ai beaucoup de mal à voir ce « marché de l'amour », pour ne pas dire du sexe tout court, d'un bon œil. L'épisode montre assurément à quel point ce mode de vie débridé est finalement un mal pour Adam, qui ne parvient jamais à combler le vide existentiel qui le tourmente depuis longtemps. Ses deux sauveurs sont tout de même très intéressants, notamment Steve qui lui apprend qu'il y a une personne derrière chaque corps, et grâce à qui Adam peut regagner l'amour-propre qu'il avait perdu. Caspar, l'homme avec qui Steve est dans une relation libre avant de rencontrer Adam, illustre quant à lui ce concept que je trouve à la fois très séduisant mais aussi très exotique. Je me situe clairement dans la lignée de Thomas qui rêve de partager sa vie avec une seule et même personne. J'attends toujours le grand amour à 34 ans, et rien n'a jamais réussi à me faire changer d'avis jusqu'à présent.
La réussite de la série, outre ces deux sujets gays traités avec finesse, réside dans l'interprétation des comédiens, tous très justes voire fantastiques. La perfection physique des acteurs ajoute aussi au charme de l'ensemble, surtout quand la narration nous offre des plans sur Oliver Jackson-Cohen en caleçon… Je ne suis plus attiré par les mannequins depuis que j'ai passé le cap de la vingtaine, mais j'avoue que cet assemblage de traits, de muscles et de toison d'or m'a mis dans tous mes états ! En outre, comme il joue bien et pleure avec conviction, son personnage devient assez multidimensionnel pour rester passionnant. Malgré tout, je tomberais plus facilement amoureux de James McArdle dans la vraie vie, car son physique plus commun me charme davantage. Lui aussi joue très bien, ne serait-ce que dans ce dernier plan magnifique qui résume la relation amoureuse avec une grande délicatesse. Il est en revanche plus difficile de s'attacher à la jeune Flora incarnée par Joanna Vanderham, car son personnage est vraiment écrit comme l'antagoniste de l'épisode, mais elle compose heureusement une jeune mariée complexe, qui essaie tout de même d'exister dans une réalité qui ne joue pas en sa faveur. Par contre, sa sœur jouée par Laura Carmichael de Downton Abbey est tragiquement sous-exploitée : alors qu'elle fait une entrée en scène captivante lors du mariage, elle n'a finalement aucune incidence sur l'histoire, tant et si bien qu'on aurait pu retrancher cette dame sans dommage pour le scénario. Nous lui préférerons l'inimitable Frances de la Tour dans le rôle de la mère de Thomas, qui montre élégamment à Michael qu'elle est plus ouverte d'esprit qu'il n'y paraît en cette époque tragique pour l'homosexualité.
Les comédiens du second épisode n'ont pour leur part rien à envier à leurs collègues, qu'il s'agisse de Julian Morris dans le rôle du vétérinaire qui tente de vaincre son addiction, ou de David Gyasi dans le rôle calme et posé de l'architecte qui lui vient en aide. Julian Sands, qui fut heureusement immortalisé dans toute sa splendeur par James Ivory dans Chambre avec vue, est quant à lui tout à fait correct dans le rôle de Caspar, bien qu'il reste un peu trop opaque pour qu'on parvienne à s'intéresser à lui : il semble que voir partir son amant de plusieurs années ne l'émeuve pas plus que ça. La cerise sur le gâteau reste tout de même l'immense Vanessa Redgrave, qui à l'instar d'Atonement dix ans plus tôt, reprend un personnage déjà créé dans sa jeunesse par une autre comédienne, pour mieux le connecter au temps présent. Sans surprise, c'est là une chose qu'elle réussit avec brio, en montrant une Flora aimante envers son petit-fils, mais tellement traumatisée par son drame marital qu'elle ne peut décidément pas accepter que celui-ci soit aussi attiré par des hommes. Bien que la dame continue de paraître hautement antipathique sur ce sujet-là, Vanessa fait passer en elle tant d'amertume et de regret que l'on comprend finalement sa façon d'agir, bien qu'on ne la cautionne pas.
Toutes ces qualités font de Man in an Orange Shirt une série que j'ai suivie avec passion. On est malgré tout loin du chef-d'œuvre, la faute à une structure en deux épisodes, alors qu'un troisième n'aurait pas été de trop. En effet, les relations évoluent de manière trop rapide, surtout la première qui se déroule sur plusieurs années résumées en une petite heure, là où l'on aurait souhaité rester plus longtemps avec les personnages. Le second épisode semble plus cohérent car il ne passe en revue que quelques mois d'une même année, mais là encore, on ne peut que regretter l'absence de certains thèmes évoqués dans l'autre histoire, qui disparaissent malheureusement sans laisser de traces. La plus grosse lacune de la série, c'est de faire s'évanouir le personnage de Robert, le fils de Michael et père d'Adam, dont on ne parle jamais dans le deuxième récit. Mais ce n'est pas parce que le pauvre homme fut hétéro qu'il faut le vouer aux gémonies ! D'autant que son enfance est assez bien développée dans la première heure pour qu'on ait envie d'en savoir plus sur lui, et sur la manière dont il a vécu le mariage raté de ses parents. Si les amies de Flora âgée laissent entendre que Michael est mort jeune, l'existence de Robert est quant à elle complètement niée dans toute cette deuxième partie, ce qui n'est pas honnête envers lui. Vanessa Redgrave dit bien à Adam qu'en l'élevant, elle cherche à rattraper la mauvaise mère qu'elle semble avoir été envers son fils, mais dire cela est bien trop frustrant si l'on n'en sait pas plus après coup. Un troisième épisode central, joignant les amours contrariées de Michael puis d'Adam, par le prisme d'un homme hétéro pris entre deux générations aux orientations amoureuses inverses, aurait été de mise.
Cela ne m'a pas empêché d'apprécier cette mini-série dans son ensemble, mais j'ai tellement aimé certains personnages que j'avais envie de passer plus de temps avec eux. L'histoire des années 1940 m'a assurément beaucoup marqué, et confirme donc mon goût très prononcé pour la sensibilité scénaristique de cette période. Je suis très clairement joancrawphage : élégance et mélodrame constituent les plus beaux mets de ma cinéphilie.
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