dimanche 7 mars 2021

Le Mariage de minuit (1941)

 



Réalisé par Mario Soldati, Le Mariage de minuit est une adaptation d'un grand classique de la littérature italienne d'Antonio Fogazzaro, Petit Monde d'autrefois (Piccolo mondo antico), publié en 1895. L'histoire nous plonge au cœur des lacs de Lombardie au milieu du XIXe siècle, à l'heure où le sentiment anti-autrichien était exacerbé. C'était apparemment toujours le cas près d'un siècle plus tard: Alberto Lattuada, l'un des scénaristes du film, a confié trente ans après avoir souhaité faire passer un message anti-germanique, à l'heure où l'Italie fasciste faisait front commun avec l'Allemagne nazie. La mise en veilleuse de l'Autriche depuis l'Anschluss aurait aidé le régime à fermer les yeux sur la critique de son allié, puisque seul l'ancien empire alpin est cité par les révolutionnaires lombards. Assurément, Lattuada s'est déclaré très fier que le scénario ait réussi à passer la censure, estimant même que ces ferments patriotiques furent la principale raison du succès de cette œuvre, sortie au printemps 1941.

De manière moins politique, Le Mariage de minuit présente un autre intérêt, et pas des moindres: c'est par ce film qu'Alida Valli devint une grande vedette. Elle devait retrouver Mario Soldati cinq ans plus tard sur le tournage d'Eugénie Grandet, mais plus encore qu'à l'adaptation de Balzac, elle nous fait surtout penser à Senso, le chef-d'œuvre de Visconti adapté de Camillo Boito, avec pour même thème central l'opposition italienne face à la domination de l'Autriche dans le nord du pays. Sachant qu'Alida Valli avait elle-même des origines des deux États, quoique s'étant toujours revendiquée comme fermement italienne, qui mieux qu'elle pouvait prêter ses traits à ces conflits latents?

Ayant moi-même une connexion très forte avec l'Autriche, étant passionné par l'Italie du nord et adorant l'Istrie et le littoral slovène, région qui faisait également partie des origines multiples de la dame, j'avais très envie d'aimer Le Mariage de minuit. D'autant qu'aux tourments politiques se greffe un beau drame d'amour écrit sur mesure pour moi. Malheureusement, la découverte fut particulièrement pénible. Je blâme le metteur en scène, qui malgré de jolies images lacustres a toutes les peines du monde à insuffler un rythme à son histoire pourtant passionnante: il fait la part belle aux scènes éminemment statiques, où de beaux parleurs discourent avec emphase, mais tout cela irrite d'entrée de jeu. Je veux bien croire que les salons de la marquise, qui déteste sa bru issue d'un milieu modeste et déterminée à lui mener la vie dure, se devaient d'être étouffants afin d'illustrer le désarroi de l'héroïne, mais le réalisateur a la main bien trop lourde et confère à son film une pesanteur morose qui manque cruellement de vie. Eh! On parle d'un aristocrate fougueux prêt à faire fi des conventions et à se révolter contre l'oppresseur, alors autant dire qu'on est fortement déçu du manque de dynamisme d'un film déjà statufié dès le départ, loin des grandeurs épique et mélodramatique attendues.

Pour comble de malheur, les seconds rôles sont à l'unisson de la torpeur générale, les adjuvants étant bien gentils mais ne servant pas à grand chose, tandis qu'Ada Dondini, d'une présence écrasante qu'il conviendra tout de même de saluer, se contente de tout jouer sur une même note de sécheresse désincarnée, ce qui ennuie vite. À l'époque, c'était considéré comme une bonne interprétation, et l'on reconnaîtra que ce personnage aristocratique et calculateur ne s'autoriserait sûrement pas à montrer une once d'émotion en public, mais force est de reconnaître que sa marquise manque de vie, comme si déjà éteinte dès son entrée en scène.

Massimo Serato est quant à lui correct dans le rôle du fringant héros, mais la lumière du film est bel et bien Alida Valli, qui à seulement dix-neuf ans montre les signes d'un grand talent à venir. Pourtant, elle n'est pas en mesure de captiver dans la morosité ambiante, mais elle joue avec une retenue de bon aloi, donnant corps aux interrogations d'un couple que tout s'ingénie à séparer, et pleurant avec une jolie discrétion quand il le faut. Hormis un cri surjoué, la scène la plus difficile lui permet d'explorer un certain degré de folie, sans aucune exagération, ce qui lui permet de marquer les esprits quand bien même le film vous laisse de marbre.

Dès lors, je suis déçu d'être déçu! J'adore l'histoire et les contrées évoquées, j'aime les costumes et les vues sur les lacs; la relation de couple, traitée avec finesse, me plaît également beaucoup, et le tout est porté par une actrice pas encore au pic de son génie, mais dans un quasi début très solide au cinéma; et pourtant, je n'ai pris aucun plaisir devant tout ça. Pour les spectateurs d'alors, Le Mariage de minuit fut un succès critique et public retentissant, l'équivalent, en quelque sorte, d'un Autant en emporte le vent lombard, certains spécialistes du septième art allant même jusqu'à le comparer aux grands films en costumes de George Cukor et Clarence Brown. À titre personnel, je me permettrai de préférer le vernis américain des grandes œuvres de la Divine, portées par un souffle, une sagacité et des visions inspirées, où les mouvements de caméra, les cadrages sublimes et la vitalité des acteurs sont autant d'atouts au service des grands drames romantiques qu'ils cherchent à explorer. Le Mariage de minuit ne saurait soutenir la comparaison, bien qu'un visionnage s'impose pour découvrir le premier grand rôle d'Alida Valli.

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