lundi 18 avril 2016

Battement de cœur (1940)


Hier soir, j'ai vécu une expérience palpitante devant un film au titre on ne peut plus adéquat: Battement de cœur, une œuvre d'Henri Decoin sur un scénario de Jean Villeme et Max Kolpé, avec dialogues de Michel Duran, d'après une nouvelle de Lilly Janüsse ayant inspiré le film italien Batticuore un an plus tôt. Cette découverte ravissante est essentielle à trois points de vue. Tout d'abord, c'est une oeuvre si rare, jamais éditée de nos jours, que je désespérais de ne pouvoir mettre la main dessus: avoir triomphé de cette difficulté me met donc en joie! Ensuite, j'ignorais qu'on pouvait réussir une comédie qui soit à la fois légère et sympathique en France, et Battement de cœur vient de me prouver le contraire: c'est l'équivalent français des comédies américaines délicieusement improbables et chics, avec en outre un certain esprit aristocratique qui tranche avec la grande majorité de films français où tous les acteurs se croient obligés de parler comme des poissonniers. Mais surtout, j'avais besoin de me racheter une virginité en matière de cinéma: après avoir visionné quasiment tous les films qui m'inspiraient le plus ces dernières années, je regrettais vivement l'époque bénie du sentiment même de la découverte, d'où une sensation de manque un peu désagréable. Or, Battement de cœur vient de me pousser à dénicher toute la filmographie des jeunes années de Danielle Darrieux, de quoi redonner un nouveau souffle à ma cinéphilie.

Après, je suis peut-être un tout petit peu trop enthousiaste, car le scénario souffre de deux problèmes ultra mineurs. Le premier, c'est la sensation qu'on passe trop facilement d'un personnage à l'autre, certains semblant être très développés au départ avant de disparaître trop longtemps une fois leur tâche accomplie. Le second, qui en découle, c'est qu'après tous ces rebondissements qui se bousculent dans les deux tiers du film, le dernier acte patine en comparaison, au prix d'une résolution trop bâclée. Mais ces défauts ne nuisent nullement au plaisir: notre cœur bat au rythme des aventures de cette jeune voleuse pleine de bonnes intentions qui évolue entre un pensionnat aux formations très particulières et de charmantes salles de bal d'ambassades, sur fond de romance et d'humour. C'est tout à fait plaisant et délicieux, les quiproquos s'enchaînent entre perles, valises et petits chiens, et l'on a constamment envie d'en savoir plus. En outre, les répliques sont souvent très drôles en toute simplicité (la scène avec le valet muet!), ce qui ne gâche rien, et la musique de Paul Misraki nimbe l'ensemble d'une aura pétillante qui donne envie de valser, entre les mesures instrumentales d'Au Vent léger qui invitent à la danse, et la sympathique Charade romantique chantée par l'héroïne.

Surtout, l'interprétation est excellente et fonctionne à merveille pour ce type de comédie. Saturnin Fabre ouvre notamment le film sur une note de drôlerie teintée de sévérité, Julien Carette apporte quant à lui la gouaille nécessaire pour introduire une touche de prolétariat détonnant dans les hautes sphères diplomatiques, et Claude Dauphin, Jean Tisser et André Luguet sont plus que corrects. Cependant, personne n'égale la divine Danielle Darrieux dans une performance qui n'a rien à envier aux grandes interprétations américaines: elle soutient très bien la comparaison avec une Claudette Colbert période It Happened One Night, bien qu'elle fasse davantage penser à une Deanna Durbin espiègle et musicale dans une jolie romance à l'ancienne qu'elle aurait très bien pu incarner. Dans tous les cas, elle sait rester humble telle la jeune fille de dix-huit ans qu'elle incarne sans pour autant se laisser marcher sur les pieds, son honnêteté et sa volonté de bien faire sont souvent hilarantes par comparaison avec ce qu'on lui demande d'accomplir, et chacune de ses grimaces, chacun de ses sifflets et chacun de ses cris est à hurler de rire! Si j'avais des Golden Globes pour 1940, Danielle en ferait indéniablement partie aux côtés de Rosalind Russell, Katharine Hepburn et Margaret Sullavan.

A la fin, le seul défaut très évident du film, c'est son montage abrupt: on saute sans liant d'une scène à l'autre, voire d'un temps à un autre, si bien qu'on perd parfois ses repères. Jamais pour longtemps, heureusement, et le 7/10 que j'envisageais de mettre au départ reste très mérité. A noter que devant le succès de Battement de cœur dans son pays d'origine, Hollywood s'est empressé d'en faire un remake en 1946 avec Ginger Rogers, Adolphe Menjou et l'homme de ma vie. Malheureusement, c'est tellement calqué à l'identique qu'on préférera toujours l'original à la copie, sans compter que Ginger n'a pas, à 35 ans, la fraîcheur requise pour le rôle. Ces deux versions restent néanmoins sympathiques, mais la française est indépassable.

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