Aujourd'hui, parlons de mon idole, un personnage plus irrésistible encore que Scarlett O'Hara, la divine... Becky Sharp! S'il est facile, quoique dommage, de prendre la dame en grippe, on regrettera tout de même que le film soit mal aimé 80 ans après sa sortie. Cela tient entre autres aux mauvaises copies en circulation et aux teintes peu contrastées de ce premier film intégralement tourné en Technicolor trichrome, mais c'est aussi que Miriam Hopkins n'intéresse hélas plus grand monde à part une dizaine de personnes en Europe, sachant que son rôle n'est pas des plus subtils et trouve alors toujours des réfractaires parmi ceux qui ne la connaissent que pour son unique nomination aux Oscars. Pourtant, le film regorge de qualités et la performance d'actrice n'y est pas pour rien.
En fait, l'intrigue a beau être tirée de Vanity Fair de Thackeray (1847-1848), le scénario se recentre pour sa part exclusivement sur le personnage de Becky, en suivant la pièce que Langdon Mitchell écrivit à partir du livre en 1899. Il fallait donc une interprète principale à la hauteur et capable de porter l'intégralité du film sur ses épaules, aussi le choix de Miriam Hopkins fait-il particulièrement sens étant donné le charisme et le talent dont on l'avait vue faire preuve depuis le début de la décennie. Et certes, Becky Sharp est un personnage caricatural... Mais tel le veut l'esprit du roman, et un jeu d'actrice moins appuyé n'aurait pas fonctionné pour épingler aussi bien les travers de la société britannique du XIXe siècle. Ainsi, Miriam en fait souvent des tonnes pour faire rire, et force est de reconnaître qu'elle est hilarante: quand elle pleure sur son coffre à souvenirs, Becky sait très bien qu'elle a affaire à des sots et que point n'est besoin de s'embarrasser de subtilités pour mieux les mettre de son côté. Le changement d'attitudes alors qu'elle vient de sautiller de joie un sucre d'orge à la main pour mieux pleurer devant sa coiffeuse dès qu'elle entend frapper à la porte est également l'une des choses les plus drôles du monde, et ce qui est surtout à mettre au crédit de l'actrice, c'est qu'on ne doute jamais qu'elle eût été capable d'avoir la même repartie que Becky à chaque rebondissement. Les répliques fusent alors de façon très naturelle, et c'est toujours irrésistible: la demande en mariage du "gros idiot", la fausse parenté avec l'ordonnance indien, la duchesse aveugle, les portraits de famille achetés aux puces la veille, l'opinion sur la valse, le petit-déjeuner en plein siège de Waterloo... C'est hilarant! A vrai dire, il lui suffit simplement de conclure une phrase en enfilant un capuchon pour faire hurler de rire.
Par ailleurs, Miriam ne recule jamais devant quoi que ce soit et brosse un portrait sans concessions d'une véritable sociopathe jamais embarrassée par le moindre scrupule, sans chercher à l'adoucir de quelque manière. Et c'est précisément ça qui rend Becky aussi captivante, car on est toujours avide se savoir jusqu'où elle peut aller en déployant des trésors d'inventivité pour monter les échelons. En outre, Miriam ne craint pas plus le ridicule et elle ne cherche pas à se mettre en valeur quand Becky est au creux de la vague et doit chanter dans un bouge pour payer son loyer: l'actrice se livre alors à un numéro superbe de décadence où elle est une fois de plus à mourir de rire à mesure qu'elle révèle la vulgarité d'un personnage souhaitant se faire passer pour chaste. Cerise sur le gâteau: bien que n'ayant peur ni de la vilenie ni du ridicule, Miriam parvient tout de même à ajouter la petite dose de complexité dont Becky avait besoin afin de ne pas conduire à saturation, en faisant bien ressentir sa crainte absolue, celle de chuter de son piédestal. L'angoisse qui la saisit lors du souper secret avec le marquis est notamment sincère, et lorsqu'elle tente de retenir son mari, on ne doute jamais de son désarroi malgré ses réactions toujours un peu vives. La seule chose que je n'aime pas, c'est son cri de désespoir sur le tapis, pour le coup trop appuyé pour être honnête, avec en arrière-plan la scène des essayages après la réception à la cour, un peu trop grimaçante alors que ça n'a pas lieu d'être. Mais le reste du temps, la performance fonctionne à merveille, et l'excès délibéré est toujours compensé par des regards beaucoup plus sobres qui en disent long, comme lorsque Becky cherche à faire chanter l'un des officiers en lui présentant froidement une lettre, lorsqu'elle écoute calmement les autres discourir sur son sort alors qu'elle est au plus bas, ou lorsqu'elle ne peut retenir un léger sourire en apercevant un homme qui lui plaît enfin.
Dans tous les cas, Miriam nous fait totalement ressentir quelque chose pour le personnage, à la fois parce qu'elle ne cherche pas à rendre Becky sympathique tout en sachant cependant rire de ses travers. Son charisme incroyable se charge quant à lui de dévorer le film à pleine dents afin que la tension ne retombe jamais bien que l'histoire devienne très répétitive dans le second acte, avec toutes ces histoires de dettes qui reviennent à la charge. A côté, la pauvre Frances Dee a beau tenter de ne plus se leurrer sur les actes de sa meilleure amie, elle se fait tout de même manger en un rien de temps lors d'une séquence homoérotique au pianoforte, où même son visage est éclipsé par la main de sa partenaire qui la domine. Miriam ne faillit donc jamais à la tâche en portant l'essentiel du film sur ses épaules, elle se démarque très facilement rien que par son entrée en scène dans la pension, bien qu'elle apparaisse sagement assise dans un coin, et elle dynamise considérablement l'histoire à chaque rebondissement.
Cependant, il ne faut pas nier pour autant l'apport de Rouben Mamoulian derrière la caméra, celui-ci ayant intégralement refait les séquences d'abord filmées par Lowell Sherman, décédé en cours de production. Becky Sharp n'est toutefois pas aussi inspiré que La Reine Christine ou le dédoublement de personnalités du Docteur Jekyll, mais les choix du réalisateur sont toujours payants. Ainsi, pour bien faire ressortir l'esprit caricatural du texte, certaines scènes sont filmées à la manière d'un théâtre d'ombres comme pour accentuer le double-jeu constant de l'héroïne, qui passe derrière un rideau pour mieux comploter avant de paraître à nouveau en pleine lumière, très fière de ses dés pipés par lesquels elle compte bien s'enrichir en profitant de la guerre. A l'inverse, au moment où les choses commencent à lui échapper parce que le marquis a vu clair dans son jeu et peut utiliser son influence sur elle, Becky est vue en reflet dans un miroir, tandis que des mains dominantes encerclent son cou pour le parer d'un bijou qui limite symboliquement son pouvoir. Dans le même ordre d'idées, le montage révèle souvent le fiel des machinations de ce petit monde, à l'image des mains de Becky tenant des fleurs qui fondent sur celles de Becky tenant des billets d'argent, ou à l'image de ce rideau gris dévoilant une héroïne seule et inquiète puis la montrant aussitôt après à table, avec une compagnie non souhaitée qui alimente un désarroi qu'elle fait tout pour dissimuler.
On notera encore le choix très pertinent de toujours placer l'héroïne, cœur de l'action, au centre de l'image, qu'elle soit entourée de multiples hommes à ses pieds, ou qu'elle se retrouve seule en larmes sur son tapis luxueux. Le clou du spectacle reste néanmoins le bal de Waterloo où les danseurs virevoltent de façon aérienne à mesure que l'héroïne papillonne, et où les rideaux bleus, les capes rouges et les robes blanches s'envolent dans l'affolement général à l'arrivée de Bonaparte. Les couleurs ont beau être délavées, cette séquence reste visuellement très belle, avec de jolis décors très soignés, des prises de vue intéressantes sous le maillage des branches de palmiers, et une tension savamment entretenue entre les manigances de l'héroïne qui change de partenaire avec la régularité d'une horloge, la déception d'Amelia dans l'ombre d'une terrasse au clair de Lune, et les lumières du siège qui illuminent soudainement la campagne au son des danses de la grande salle.
Par ailleurs, Miriam ne recule jamais devant quoi que ce soit et brosse un portrait sans concessions d'une véritable sociopathe jamais embarrassée par le moindre scrupule, sans chercher à l'adoucir de quelque manière. Et c'est précisément ça qui rend Becky aussi captivante, car on est toujours avide se savoir jusqu'où elle peut aller en déployant des trésors d'inventivité pour monter les échelons. En outre, Miriam ne craint pas plus le ridicule et elle ne cherche pas à se mettre en valeur quand Becky est au creux de la vague et doit chanter dans un bouge pour payer son loyer: l'actrice se livre alors à un numéro superbe de décadence où elle est une fois de plus à mourir de rire à mesure qu'elle révèle la vulgarité d'un personnage souhaitant se faire passer pour chaste. Cerise sur le gâteau: bien que n'ayant peur ni de la vilenie ni du ridicule, Miriam parvient tout de même à ajouter la petite dose de complexité dont Becky avait besoin afin de ne pas conduire à saturation, en faisant bien ressentir sa crainte absolue, celle de chuter de son piédestal. L'angoisse qui la saisit lors du souper secret avec le marquis est notamment sincère, et lorsqu'elle tente de retenir son mari, on ne doute jamais de son désarroi malgré ses réactions toujours un peu vives. La seule chose que je n'aime pas, c'est son cri de désespoir sur le tapis, pour le coup trop appuyé pour être honnête, avec en arrière-plan la scène des essayages après la réception à la cour, un peu trop grimaçante alors que ça n'a pas lieu d'être. Mais le reste du temps, la performance fonctionne à merveille, et l'excès délibéré est toujours compensé par des regards beaucoup plus sobres qui en disent long, comme lorsque Becky cherche à faire chanter l'un des officiers en lui présentant froidement une lettre, lorsqu'elle écoute calmement les autres discourir sur son sort alors qu'elle est au plus bas, ou lorsqu'elle ne peut retenir un léger sourire en apercevant un homme qui lui plaît enfin.
Dans tous les cas, Miriam nous fait totalement ressentir quelque chose pour le personnage, à la fois parce qu'elle ne cherche pas à rendre Becky sympathique tout en sachant cependant rire de ses travers. Son charisme incroyable se charge quant à lui de dévorer le film à pleine dents afin que la tension ne retombe jamais bien que l'histoire devienne très répétitive dans le second acte, avec toutes ces histoires de dettes qui reviennent à la charge. A côté, la pauvre Frances Dee a beau tenter de ne plus se leurrer sur les actes de sa meilleure amie, elle se fait tout de même manger en un rien de temps lors d'une séquence homoérotique au pianoforte, où même son visage est éclipsé par la main de sa partenaire qui la domine. Miriam ne faillit donc jamais à la tâche en portant l'essentiel du film sur ses épaules, elle se démarque très facilement rien que par son entrée en scène dans la pension, bien qu'elle apparaisse sagement assise dans un coin, et elle dynamise considérablement l'histoire à chaque rebondissement.
Cependant, il ne faut pas nier pour autant l'apport de Rouben Mamoulian derrière la caméra, celui-ci ayant intégralement refait les séquences d'abord filmées par Lowell Sherman, décédé en cours de production. Becky Sharp n'est toutefois pas aussi inspiré que La Reine Christine ou le dédoublement de personnalités du Docteur Jekyll, mais les choix du réalisateur sont toujours payants. Ainsi, pour bien faire ressortir l'esprit caricatural du texte, certaines scènes sont filmées à la manière d'un théâtre d'ombres comme pour accentuer le double-jeu constant de l'héroïne, qui passe derrière un rideau pour mieux comploter avant de paraître à nouveau en pleine lumière, très fière de ses dés pipés par lesquels elle compte bien s'enrichir en profitant de la guerre. A l'inverse, au moment où les choses commencent à lui échapper parce que le marquis a vu clair dans son jeu et peut utiliser son influence sur elle, Becky est vue en reflet dans un miroir, tandis que des mains dominantes encerclent son cou pour le parer d'un bijou qui limite symboliquement son pouvoir. Dans le même ordre d'idées, le montage révèle souvent le fiel des machinations de ce petit monde, à l'image des mains de Becky tenant des fleurs qui fondent sur celles de Becky tenant des billets d'argent, ou à l'image de ce rideau gris dévoilant une héroïne seule et inquiète puis la montrant aussitôt après à table, avec une compagnie non souhaitée qui alimente un désarroi qu'elle fait tout pour dissimuler.
On notera encore le choix très pertinent de toujours placer l'héroïne, cœur de l'action, au centre de l'image, qu'elle soit entourée de multiples hommes à ses pieds, ou qu'elle se retrouve seule en larmes sur son tapis luxueux. Le clou du spectacle reste néanmoins le bal de Waterloo où les danseurs virevoltent de façon aérienne à mesure que l'héroïne papillonne, et où les rideaux bleus, les capes rouges et les robes blanches s'envolent dans l'affolement général à l'arrivée de Bonaparte. Les couleurs ont beau être délavées, cette séquence reste visuellement très belle, avec de jolis décors très soignés, des prises de vue intéressantes sous le maillage des branches de palmiers, et une tension savamment entretenue entre les manigances de l'héroïne qui change de partenaire avec la régularité d'une horloge, la déception d'Amelia dans l'ombre d'une terrasse au clair de Lune, et les lumières du siège qui illuminent soudainement la campagne au son des danses de la grande salle.
En somme, Becky Sharp a beau montrer de jolies jeunes filles en robes longues et de beaux officiers en uniformes, le film fait moins dans la dentelle que dans la caricature, et ce jusque dans son portrait de personnages secondaires souvent gros et pas franchement futés. Mais la caricature est l'ingrédient essentiel de l'adaptation d'un tel ouvrage, et le résultat est franchement positif a défaut d'avoir donné lieu à un chef-d’œuvre. Parce que certaines trouvailles sont particulièrement inspirées et que Miriam Hopkins dévore la scène avec drôlerie, double-jeu et une pointe de sincérité qui perce toujours sous ce vernis, le film vaut bien un bon 7/10. C'est bien meilleur dans le détail qu'on ne le croirait d'après sa réputation!
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