Vous pensiez qu'il s'agirait d'un article à propos d'un film de 1946 avec Bette Davis? Eh bien non! Il sera au contraire question de sa pire ennemie, la grande prêtresse de ces lieux, l'immense Miriam Hopkins, que je viens tout juste de découvrir dans une rareté actuellement sur Youtube:
Dancers in the Dark (1932).
Ce film de David Burton, un illustre inconnu ayant peu tourné, est hélas une cuisante déception. En effet, la mise en scène brille par son absence d'audace, et l'histoire est inintéressante au possible à force de présenter un personnage féminin peu captivant à la base comme le point de mire du regard de trois hommes qui rôdent dans le cabaret où elle chante chaque soir. On y retrouve donc son soupirant falot mais sincère qui joue dans l'orchestre, le chef d'orchestre prêt à tout pour éloigner son rival afin de tripoter la dame tout son content, et un gangster qui vient se rafraîchir dans la salle à la nuit tombée. Et devinez qui interprète le gangster dur à cuir et monoexpressif? L'inévitable George Raft, qui n'a pas plus d'expression ici que dans Scarface et Some Like It Hot, mais qui frôle le génie en tentant d'esquisser un petit rictus à un moment donné histoire de montrer tout ce dont il est capable... De son côté, Jack Oakie pique plus facilement l'intérêt par le décalage créé entre sa bonne bouille de gros enfant gâté et son obsession malsaine envers la chanteuse, mais ce n'est pas franchement la performance du siècle, surtout dans le dernier acte, tout d'imprécisions et de rebondissements grotesques. Le plus ennuyeux, c'est que l'histoire a tendance à se répéter d'une scène à l'autre: chacun essaie d'avoir la femme pour lui et... c'est tout. Le seul intérêt du scénario est alors son caractère osé très prononcé, bien dans l'ère du temps de cette période pré-Code, mais ce lot de personnages désagréables et sans profondeur agace rapidement. Pour couronner le tout, lorsqu'il se passe enfin quelque chose de vraiment dramatique, comme la tentative de viol heureusement avortée, le réalisateur fait le choix de stopper le film dans son élan par des plans de coupe incessants sur les danseurs, ce qui a surtout pour effet de casser le rythme au lieu de renforcer le suspense. L'étrangeté des couples sur la piste de danse, supposée faire rire aux dépens de grosses femmes valsant avec de petits gringalets, tombe pour sa part complètement à plat et alourdit d'autant plus l'atmosphère.
Le plus vexant, c'est que même Miriam Hopkins n'arrive pas à ajouter plus de piquant à l'affaire. En effet, elle hérite d'un personnage mal écrit dont elle ne sait clairement pas quoi faire au début, lorsque Gloria se laisse conter fleurette par Floyd, à l'occasion de quoi Miriam reste constamment terne et effacée, sans donner par conséquent envie d'en savoir plus sur elle. Par la suite, elle souligne mieux les manières un peu rustres d'une chorus girl, mais son jeu charismatique qui tente de reprendre le dessus à partir du deuxième acte n'est plus adapté compte tenu de ce qu'on avait entrevu avant, à l'image de cet accès de colère contre Floyd et Duke qu'elle laisse choir avec de grands gestes expressifs de la main. Par bonheur, Miriam réussit sa plus grande scène, où elle se met à rire nerveusement juste après avoir échappé à une agression sexuelle en voyant les traces de rouge à lèvres sur la figure de son assaillant. Mais si l'expressivité est bien jouée, les réactions du personnage n'en restent pas moins mal écrites, puisque Gloria ne semble jamais tenir rigueur aux hommes qui l'embrassent de force, tentent de la violer ou entendent faire constamment pression sur elle: elle pardonne tout et rit de bon cœur le moment d'après, et c'est franchement malsain. Bref, Miriam méritait un meilleur scénario et un personnage plus consistant, d'où l'énorme déception de la voir patiner avec ce texte, qui me fait vraiment douter du talent réel d'Herman Mankiewicz. J'ajouterai également que les scènes de chant sont elles aussi très quelconques et ne permettent pas à l'actrice de briller. Certes, Hopkins n'a jamais été une grande chanteuse, mais la mise en scène aurait dû essayer de la mettre davantage en valeur, en usant par exemple de décors totalement expressionnistes au lieu de se contenter de cette pâle copie d'escaliers et lampadaires délabrés. La séquence paradisiaque de Pola Negri dans A Woman Commands semble bien plus inspirée par comparaison, pour parler d'une autre rareté introuvable de 1932.
Mon vif désir de mettre la main sur Dancers in the Dark depuis plusieurs années n'est donc qu'en partie comblé, parce que j'attendais vraiment plus d'une actrice habituée à mieux choisir ses projets du début des années 1930. N'ayant pas aimé grand chose, j'en reste à un 4. Le seul atout du film, c'est qu'il laisse imaginer que les fans de Björk puissent découvrir Miriam Hopkins par association d'idées, mais je ne me fais guère d'illusions!
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