Un bonheur n'arrivant jamais seul, cette semaine aura également été l'occasion pour moi de découvrir un autre Miriam Hopkins inédit, le très attendu Lady with Red Hair, à savoir le véhicule Warner tout entier consacré à son actrice principale, mais aussi le dernier film où la dame a tenu le premier rôle. Le résultat est-il à la hauteur de mes attentes?
Honnêtement oui, car même si j'étais avide de découvrir le film, je ne m'attendais pas à un chef-d’œuvre, et je ressors de l'expérience avec exactement le même sentiment que je m'imaginais avoir avant de poser les yeux dessus. En un mot, c'est le parfait exemple d'une production de qualité légèrement secondaire où tout le monde est impeccable bien qu'ayant été meilleur(e) ailleurs, et il est vrai que Mrs. Leslie Carter souffre légèrement de la comparaison avec Henriette Deluzy-Desportes et Leslie Crosbie, les deux mastodontes davisiens de l'année objectivement privilégiés par le studio. Pourtant, Lady with Red Hair est techniquement bien huilé: les costumes de Milo Anderson sont à ravir et atteignent des sommets avec de magnifiques chapeaux de trois kilomètres de haut; les décors de Max Parker font bien ressentir l'aspect historique et grandiose d'intérieurs luxueux et de scènes prestigieuses, et il n'y a pas grand chose à redire sur les coiffures, le montage ou la photographie. En somme, l'ensemble reste un beau travail, mais on sent bien que les équipes sont malgré tout plus secondaires par rapport aux travaux de Carl Weyl et Orry-Kelly sur les grands chevaux de bataille de l'année, et le sentiment que cette biographie de Madame Carter reste "secondaire" est hélas prégnant de bout en bout.
Evidemment, Curtis Bernhardt n'est par un Wyler ou un Curtiz, et Miriam Hopkins n'était pas la reine du studio pour imposer un projet avec plus d'envergure sur son seul nom en 1940. En gardant ce contexte à l'esprit, on regrettera que la mise en scène soit assez quelconque, laissant l'histoire se dérouler sans lui donner d'épaisseur particulière. Le scénario n'est d'ailleurs pas des plus captivants: non seulement le film ne dure qu'une heure et quart, mais l'histoire à proprement parler ne dure que cinquante minutes, ce qui a contraint les scénaristes à plaquer un dernier acte assez laborieux après la résolution du conflit principal à mi-chemin. Ce qui commençait alors sous les meilleurs auspices, à savoir un biopic partant de la chute d'une femme condamnée par ses pairs et déterminée à devenir riche et célèbre pour avoir sa revanche et récupérer la garde de son fils, se résout donc un peu trop vite, si bien que le soufflé retombe après la confrontation tant attendue lors du retour à Chicago. Ceci dit, la majeure partie de l'intrigue se suit avec intérêt, et l'on appréciera les touches d'humour qui ralentissent heureusement l'ascension trop rapide de l'héroïne afin de la remettre un peu à sa place malgré son enthousiasme débordant, comme lorsque Claude Rains tente de lui apprendre à se relaxer sur scène en la transformant en marionnette dont il tire les ficelles.
Claude Rains, justement, prouve une fois encore qu'il fut le plus grand acteur américain de l'époque, en composant cette fois-ci un personnage mémorable de metteur en scène mégalomane mais sensible, ce dont il s'acquitte à la perfection tout en éclipsant Miriam Hopkins dans leurs scènes en commun. Celle-ci livre pourtant une prestation plus que correcte, mais on n'y retrouve pas, hélas, l'âme qui habita l'actrice dans ses grands rôles antérieurs, d'où l'impression qu'on reste légèrement sur sa faim même si dans le détail tout est parfaitement au point. On suit en effet l'évolution de l'héroïne avec limpidité, Hopkins ajoutant la bonne dose d'émotions dans les séquences avec son fils, et la dose d'humour adéquate lors de ses péripéties à la pension d'artistes, le tout en soulignant toujours le caractère déterminé d'une dame forte et volontaire. Mais on a constamment l'impression qu'elle aurait pu jouer ce rôle les yeux fermés, et deux scènes mal maîtrisées la font momentanément tomber dans le cartoon. La première a lieu d'entrée de jeu lors de l'ouverture au tribunal, où elle assure sa défense en surjouant beaucoup trop, ce qui pourrait néanmoins être accepté si l'on considère que Mrs. Carter est une comédienne dans l'âme, comme tout le monde le lui fait remarquer, et que Miriam accentue délibérément cet aspect pour définir dès le départ les contours du personnage. Seulement, comme elle retombe dans cette mécanique lors d'une scène de colère dans le dernier acte, bien que l'héroïne ait évolué à ce moment-là, on est en droit de se poser des questions et de se demander si Miriam ne se repose pas finalement sur ses lauriers, en proposant inconsciemment une sorte de transition entre les excès d'une Becky Sharp et ceux d'une Millie Drake. Mais autant ces deux performances exacerbées fonctionnent parce que les personnages ne demandent pas autre chose, autant ces deux scènes excessives dans La Femme aux cheveux rouges donnent plutôt l'impression d'un travers non corrigé par l'actrice. Par bonheur, ce n'est pas trop grave car dans 98% des cas, la performance reste fort bien interprétée, bien qu'il manque la niaque et le flamboiement de jadis.
Les seconds rôles ont eux aussi été plus fougueux dans d'autres projets: Laura Hope Crews était beaucoup plus drôle en âme maternante pudibonde l'année précédente, Helen Westley a quant à elle à peine le temps d'être un peu gouailleuse avant de disparaître au second plan, et l'on aurait aimé que le personnage jaloux de Victor Jory soit plus développé, car il est le seul des membres de la pension dont j'aurais aimé connaître la suite des aventures. Nous en revenons donc bel et bien à ce que je disais au départ: cette Femme aux cheveux rouges est en soi un bon film où tout est exactement à sa place, mais où il manque un brin de vigueur et une once de prestige pour pouvoir en parler comme d'une vraie réussite. Comme il manque également une véritable mention de la couleur des cheveux de l'héroïne, un oubli qui rend le titre vainement pompeux, on restera donc sur un 6 très correct. Le positif l'emporte largement, mais le générique de fin ne nous laisse pas dans un enthousiasme débordant.
Il faut que je le revoie ! Je pense que tu as tout dit et tout me semble très exact, mais il y avait un je ne sais quoi qui m'avait enthousiasmé à l'époque : peut-être simplement le cabotinage d'Hopkins dans les scènes que tu cites, le léger contraste entre son physique en 1940 et le fait qu'elle joue une femme sublime et sans doute plus jeune, les costumes, et le numéro de Claude Rains, décidément un acteur génial. Bref, une approche un peu plus camp du film sans doute ... Mais sur le fond, je pense que ce que tu dis sur l'impression de film quasiment de série B malgré une ambition apparente me paraît absolument vrai et tout est dit, en effet.
RépondreSupprimerC'est trop court aussi, on aurait aimé plus de Miriam flamboyante.
L'AACF
Sur le moment, je n'ai pas eu l'impression que ça tendait trop méchamment vers la série B, mais en repensant à la durée très courte et à cette impression de "second couteau" par rapport à La Lettre ou L'Aigle des mers, je me pose effectivement des questions. Avec All This, and Heaven Too, Litvak a réussi à faire un film très long avec peu de rebondissements, mais où l'on ne s'ennuie jamais et où un personnage de gouvernante arrive à être réellement flamboyant: tout ce qu'il manque à Lady with Red Hair, malgré ses qualités.
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