Promenade littorale
Le départ d'Aytré offre une vue imprenable sur l'ensemble du pertuis d'Antioche, ce détroit au nom exotique qui fut apparemment le départ de croisés santons vers le Proche-Orient. La balade a d'ailleurs très bien commencé le long des célèbres carrelets où des mouettes nous attendaient en rang d'honneur!
Le sentier littoral permet ensuite de longer la plage du Roux avant de gagner La Rochelle en passant devant un complexe d'immeubles épouvantables : mieux vaut se tourner vers l'océan pour observer la pointe du Chay à Angoulins depuis ce charmant escalier qui, orné de vieilles pierres surplombées de tamaris, évoque irrésistiblement le mot "vacances"!
Le parc des Pères est lui-même enchanteur, avec ses couleurs chamarrées baignées par la lumière méridienne. Même en novembre, on a envie de piquer une tête et jouer avec des galets.
Bien qu'elles ne passent pas le cap de la photographie, les îles charentaises s'offrent dans toute leur splendeur entre les branches des arbres. On distingue bien entendu l'île d'Aix, la plus proche, mais aussi l'île d'Oléron qui se laisse soupçonner par un temps dégagé. Se découpe également la silhouette du lugubre fort Boyard, ce dispositif inutile dont je n'ai jamais compris l'intérêt touristique qu'il continue de susciter.
Les Minimes
Parvenus à la pointe des Minimes, c'est désormais le phare du bout du monde qui s'élève sur l'horizon. Cette réponse française à un phare argentin de Patagonie s'admire très bien à midi, alors que le bleu est à son ensoleillement maximum, quoique la vue reste plus impressionnante encore à contre-jour, pour une ambiance crépusculaire qui sied bien à son nom. À côté, l'île de Ré est également bien surveillée par le port de plaisance des Minimes et sa forêt de mâts. Ce n'est pas mon coin de prédilection : je préfère de loin les vieilles pierres du port d'origine, bien que tous les gens que je connaisse se battent pour acquérir un logement aux Minimes. Il faut en vouloir.
L'entrée du Vieux-Port
Par bonheur, après avoir longé ce port interminable, la récompense est au rendez-vous, avec cette vue imprenable sur toutes les plus belles tours de la ville. Partant de la maison du chat de style faussement normand, la tour de la Lanterne prête ainsi sa blancheur au ciel comme aux flots, laissant le regard se porter successivement vers le clocher de l'ancienne église Saint-Jean-du-Perrot, seul vestige d'un sanctuaire marin hélas tombé en ruines et démoli au XIXe siècle ; le sommet de la porte de l'Horloge ; le clocher de l'église Saint-Sauveur, dont le style actuel date de la fin du règne de Louis XIV ; et bien entendu les deux tours les plus célèbres du port, les tours de la Chaîne et Saint-Nicolas.
Justice, tout de même, pour la tour de la Lanterne, la plus élégante selon moi, mais hélas grande oubliée de la chanson d'Anne Sylvestre. On l'appelle aussi Tour des Quatre Sergents, en hommage aux soldats bonapartistes qui se soulevèrent contre la Restauration des Bourbons à la tête du pays. La contestation est l'un des grands héritages de La Rochelle : le siège de Richelieu contre les protestants en 1627 en est certainement l'exemple le plus célèbre.
Moins glorieux, le passé esclavagiste du port est aussi une réalité. Les historiens estiment que plus de cent-trente-mille captifs transitèrent par La Rochelle avant d'être déportés en Amérique. Il n'est pas toujours facile d'aimer pleinement le littoral atlantique français… Comme pour faire oublier cette tâche immonde sur l'histoire locale, le parking Saint-Jean-d'Acre, dont le nom évoque tout de même ces épisodes tout aussi embarrassants que furent les croisades, accueille désormais une vie festive les étés avec les célèbres Francofolies, entre les tours de la Chaîne et de la Lanterne. N'étant pas du tout amateur de variété française, je n'y suis jamais allé.
Si la tour de la Lanterne servit d'abord de phare avant d'être une prison, la tour de la Chaîne doit quant à elle son nom à la chaîne que l'on actionnait depuis l'intérieur, et qui reliée à la tour Saint-Nicolas permettait de barrer le port aux navires indésirables. Malgré mon goût pour le raffinement, j'admets avoir un faible pour ces vieilles fortifications médiévales d'aspect imposant : la régularité circulaire de la tour est notoirement agréable à contempler.
La fonction défensive de la tour Saint-Nicolas est également prégnante. C'est un véritable donjon de mer qui fut à l'origine la première tour du Vieux-Port. Autre signe de contestation, elle servit de refuge aux célèbres frondeurs qui discutèrent l'autorité royale lors de la minorité de Louis XIV.
À l'intérieur du Vieux-Port
Les tours gardent jalousement l'entrée d'une rade qui nous paraît aujourd'hui bien paisible. Les mâts des bateaux de plaisance et les clochers forment une verticalité contrastant joliment avec l'horizontalité de belles demeures dont les rez-de-chaussée sont désormais tous dédiés à la restauration. Le tourisme n'est pas la moindre des activités de la ville.
La promenade fut aussi l'occasion d'admirer l'habileté des nouvelles techniques de restauration, mais cette fois-ci des bâtiments. En effet, le clocher de l'église Saint-Sauveur est en ce moment recouvert de filets, mais ce masque est invisible de loin. Le port garde dès lors tout son charme malgré les nombreux travaux en cours ou à venir.
Lieu éminemment fréquenté même hors saison en pleine épidémie, le Vieux-Port se remet à attirer des spectacles de rue. Malheureusement, le programme de la journée n'était guère palpitant. Par chance, les arbres ayant encore des feuilles invitaient à poursuivre la promenade le long des quais, bien qu'il fût déjà grand temps de trouver un endroit où dîner.
À vrai dire, ce sont surtout les animaux qui ont mis de l'animation dans les rues. Un chien, manifestement ravi d'être là, passait notamment tout son temps à se rouler sur les pavés dès qu'il croisait un passant! Mais le clou du spectacle, c'étaient ces deux goélands qui se faisaient la cour, en une cacophonie que seule Florence Foster Jenkins aurait trouvé mélodieuse!
Afin d'oublier ces horribles sons, mieux valait revenir du côté des tours pour entendre le vent. Très bon choix! Ce fut l'occasion de redécouvrir ma rue préférée de la ville, la rue sur les Murs ralliant la Chaîne à la Lanterne au-dessus du parking Saint-Jean-d'Acre. Cette bonne idée venait d'un geste altruiste de mon amie. En effet, ayant repéré un groupe de touristes élégants dont certains n'étaient clairement pas hétéros, elle m'encouragea à emprunter le même itinéraire. Ce qui est bien gentil, mais je ne peux pas aborder quelqu'un comme ça, même si la beauté des lieux invite à la romance! Je me suis contenté de dépasser le plus beau des messieurs sur le trottoir, dont l'étroitesse obligea les manches de nos vestes à se frôler. Ce sera mon activité la plus sensuelle de la semaine, mais chaque chose en son temps!
Dans la vieille ville
Les vieilles rues de La Rochelle valent toutes le détour, mais sachant qu'il fallait compter deux bonnes heures pour le retour à la voiture, il n'était pas possible de tout voir. Il n'empêche, s'éloigner du port par la tour de la Grosse-Horloge me donne un petit frisson à chaque fois. Cette arche unique fut percée en 1672 au regard de la circulation abondante, en remplacement des deux petites baies d'origine.
Mon édifice favori du centre-ville reste assurément l'hôtel de ville, au corps de logis Renaissance ceint d'un mur gothique flamboyant. Soit mes deux styles architecturaux de prédilection réunis en un même bâtiment! Jour férié oblige, les portes étaient malheureusement fermées, de telle sorte que je n'ai pas revu l'intérieur de la cour et sa galerie ornée d'arcades. Ravagée par un incendie en 2013, la mairie est longtemps restée bâchée le temps des travaux. Espérons que ceux-ci n'ont pas trop dénaturé le monument, à l'inverse des restaurations françaises typiquement ratées du XIXe siècle. Avouons toutefois que le curieux beffroi ajouté en 1878 n'est pas ce qui s'est fait de pire en la matière.
Par ailleurs, j'avais complètement oublié cette façade sculptée à la Renaissance, rue des Merciers. Redécouvrir des aspects méconnus d'une ville est toujours un plaisir. Très mémorables, les célèbres arcades étaient quant à elles trop fréquentées pour justifier une photographie, mais les revoir fut émouvant. On s'étonnera tout de même de constater que toutes les boutiques étaient ouvertes en ce jour chômé. Capitalisme ou retard à rattraper suite à l'épidémie? Les rues n'en étaient que plus animées, bien que je reste sceptique devant tous ces commerces de prêt-à-porter où il est impossible de trouver son bonheur.
Témoin du passé protestant de la ville, le temple est aussi marqué du sceau de la répression, puisque son architecture est typique de la Contre-Réforme. Comme bon nombre de lieux de cultes non catholiques, celui-ci fut récupéré par la religion dominante pour effacer les traces de l'idéologie que l'État voulait faire disparaître.
Retour au crépuscule
Le jour tombant vite en cette saison, il était déjà temps de repartir. Cela nous permit de repasser devant le phare du bout du monde qui, je le disais, est encore plus impressionnant à contre-jour, d'autant que les nombreux voiliers ayant pris le large dans l'après-midi formaient tout autour un écrin ravissant. Notez autrement que la promenade en cet endroit des Minimes s'appelle Stella Maris, le nom latin de l'étoile de mer. Hélas! Pour nous autres cinéphiles, cela nous évoque forcément la pire performance de Mary Pickford, dans un film glaçant où elle est éclipsée par son chien. Vite! Voguons vers de nouveaux rivages pour chasser ce vilain souvenir!
Heureusement, ce fut rapidement chose faite grâce à la récolte de jolis coquillages sur la plage du Roux d'Aytré. Le soleil qui se couchait à la vitesse de l'éclair donnait aux lieux une ambiance particulièrement nostalgique.
De manière assez époustouflante, l'horizon était dominé par ces nuages de forme indescriptible, comme si un peintre les avait retouchés avec son pinceau.
Les mouettes avaient fini par quitter les carrelets : il était temps de rentrer. Ce fut en tout une excellente journée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire