dimanche 5 septembre 2021

Cherchez la bête!


Lorsque j'étais en CM2, la sympathique surveillante de la cour de récréation dut partir à la retraite. Elle fut remplacée par une péronnelle nommée Babeth, une femme rigide qui se croyait obligée de crier après tout le monde pour se faire respecter. Je la surnommais Babeth du Gévaudan! Et j'étais très fier de mon jeu de mots à l'époque! Ça tombe bien, c'est le pays que nous mettons à l'honneur aujourd'hui. En effet, nous en étions restés à Chaudes-Aigues, station thermale que j'ai adorée mais dont on fait vite le tour. Alors, que faire après, alors que le ciel se dégageait de plus en plus en cette belle fin d'après-midi estival? Songeant qu'il serait préférable de visiter Le Puy-en-Velay un dimanche afin d'y mieux circuler, j'ai décidé de m'en rapprocher par les petites routes : avec le soleil dans le dos, le paysage de la Margeride brillait d'un éclat singulier qui m'a tout bonnement enchanté. J'avais toujours rêvé de visiter la Lozère, et je ne suis pas déçu, car même si je n'y ai roulé qu'une heure, j'ai tellement aimé ce que j'en ai vu que je prévois déjà d'y revenir une semaine entière!

Il faut dire que la Margeride a beau être voisine de la Planèze, elle est autrement séduisante : il y a une véritable harmonie entre les pâturages jaunes et les bosquets de conifères, à tel point qu'une vraie douceur se dégage des lieux, douceur soutenue par les murs en vieilles pierres des villages qui s'égrènent le long des routes départementales 989 et 987. Comme j'avais déjà condensé trois semaines de tourisme en trois jours, j'étais trop las pour m'arrêter encore à tous les virages prendre des photos, mais concrètement, le paysage ressemble à ça, ou de manière plus accidentée après la Truyère à ça, et le tout m'a entièrement charmé. Même si les tristes étendues herbeuses sont légion, il y a toujours assez d'arbres à l'horizon pour les égayer : c'est finalement plus vert que la région de Saint-Flour, ce qui pour moi est un plus. On a presque du mal à croire que cette région en apparence si paisible fût le théâtre sinistre des agissements de la fameuse bête du Gévaudan.

Historiquement, seule la région cantalienne de la Margeride faisait partie de l'Auvergne. La majeure partie, qui s'étend de la Lozère à la Haute-Loire, était rattachée au Languedoc, et bien qu'elle soit désormais à cheval sur deux départements, elle formait à l'origine une unité, qui n'était autre que la partie septentrionale du Gévaudan. Dans les grandes lignes, nous dirons que le Gévaudan correspond à la Lozère actuelle et au canton de Saugues en Haute-Loire, territoire sur lequel se superposent des régions naturelles comme l'Aubrac à l'ouest, les Causses et les Cévennes au sud, et dans le cas d'aujourd'hui la Margeride au nord. Politiquement, le Gévaudan était le territoire antique des Gabales, clients du peuple arverne, et religieusement, le pays coïncidait au Moyen Âge avec le diocèse de Mende. Mais c'est principalement au nord, dans la Margeride donc, que sévit la bête dans les années 1760.


En venant de Chaudes-Aigues, on entre en Lozère par le village de Saint-Juéry, où l'église Saint-Maurice flanquée d'une tour veille sur une petite soixantaine d'habitants. N'oublions pas que la Lozère est le département le moins peuplé de France. Ensuite, c'est Fournels qui se distingue, avec son centre-bourg des plus charmants et son château commencé au XVIe siècle. La plus grosse ville des environs est Saint-Chély-d'Apcher, mais je lui ai préféré Saint-Alban-sur-Limagnole, petite bourgade plus chaleureuse. Entre les deux, il faut franchir la Truyère, qui présente déjà des gorges dignes d'intérêt, même s'il me faudra découvrir celles plus connues situées en aval en Aveyron. À cheval entre Lozère et Haute-Loire, l'église puis la fontaine Saint-Roch semblent quant à elles surgir de nulle part, en pleine campagne, mais attirent apparemment de nombreux fidèles en certaines occasions.

Côté ligérien, viennent à leur tour Chanaleilles et surtout Esplantas, dominée par un donjon circulaire qui se découpe joliment sur les collines alentour. Entre ces deux communes, il faut traverser le lieu-dit du Villeret où j'ai pu assister à un spectacle rustique : la route était en effet bloquée par un troupeau de vaches, qu'un couple de fermiers ramenait à l'étable à l'aide de deux chiens enjoués. Sauf qu'entre les ruminants bien déterminés à continuer leur souper dans le fossé, et le taureau qui a trouvé le moment opportun pour monter sa conquête du jour, autant dire que le trafic ne put reprendre qu'au bout d'un certain temps! Je n'ai pas jugé bon d'immortaliser cette scène d'amour, peut-être aurais-je dû... Cette affaire étant réglée, j'ai pu gagner Saugues sans encombres. C'est en quelque sorte le fief de la bête : une statue en bois lui est même dédiée sur les hauteurs, mais je ne l'ai pas distinguée depuis le centre-ville. Je n'ai cependant pas perdu au change, car à la place, j'ai vu la Vierge! Notre-Dame du Gévaudan a été construite après la Seconde Guerre Mondiale, à l'initiative du curé afin de remercier le ciel d'avoir épargné la ville lors des conflits. Plus typique, la collégiale Saint-Médard présente une jolie façade, mais il me faudra explorer la ville plus en détails pour me faire une meilleure opinion dessus. Je ne cache pas qu'avec autant de route dans les jambes, j'avais hâte de gagner Le Puy pour me reposer.


La surprise du jour

Je n'avais absolument pas prémédité ce geste, car je suivais bêtement les panneaux indiquant la préfecture, mais j'ai eu droit à une surprise de taille : pour passer du Gévaudan au Velay depuis Saugues, il faut traverser les gorges de l'Allier! Il était trop tard pour prendre des photos, mais si l'on m'avait parlé de la vue depuis Monistrol et Saint-Privat-d'Allier, j'aurais sûrement fait le détour exprès pour y passer la journée! Cela me fera un bon prétexte pour y revenir. Sachez simplement que c'est vertigineux, que les ravins qui descendent vers Monistrol-d'Allier ressemblent à ça, et que la vue depuis Saint-Privat n'est pas exactement repoussante. C'est très différent de la Margeride, et l'on sent vraiment que l'on vient de passer dans un autre monde. Le crépuscule conférait d'ailleurs à ces lieux une beauté quasi primitive, mais il me faudra y revenir de jour pour en explorer tous les recoins.


Et la bête?


Comme précisé, je ne l'ai pas vue. Et le taureau en rut n'était pas assez effrayant pour soutenir la comparaison, soyons honnêtes! Cela dit, cette incursion impromptue en Gévaudan tombait à point nommé après ma lecture du début de l'été, une étude éthologique de Michel Louis publiée en 1992, La Bête du Gévaudan. J'ai la réédition de 2003 parue dans la collection Tempus, qui brille par une impression catastrophique, avec des marges qui disparaissent de droite à gauche au fil des pages, mais passons. Ce n'est pas une thèse historique et l'auteur est éminemment partisan : son but est de réhabiliter le loup, en démontrant que la bête ne pouvait être, d'après lui, qu'une hybride entre chien de guerre et louve, et qui aurait été dressée par les Chastel, avec l'approbation du comte de Morangiès, pour assouvir des pulsions sadiques. Michel Louis distingue même les crimes commis par la bête elle-même, et ceux d'une perversité épouvantable commis par un être humain, qui aurait mis en scène ses victimes déshabillées d'une façon macabre. C'est encore plus terrifiant que les attaques de l'animal, et mieux vaut ne pas lire cette thèse si vous vous trouvez seuls dans une grande maison de nuit. Que l'on soit d'accord ou non, le livre est tout à fait divertissant, avec une partie zoologique passionnante sur la réaction des animaux dans leur milieu naturel puis face aux hommes, et une partie psychologique séduisante, quoiqu'elle n'ait rien de scientifiquement historique. La démonstration a le mérite d'être convaincante, mais l'auteur tire des extrapolations à partir de non-dits, notamment à travers la réserve obligatoire du curé devant les choses entendues en confession, qui feraient certainement bondir les historiens à proprement parler. Ses raisonnements n'en restent pas moins captivants, car on le sent passionné par son sujet, et toujours prêt à poser des questions sur le moindre détail, même si ses réponses dans le domaine historique ne sont pas toujours étayées par des preuves irréfutables.

Allez, tant qu'on parle du livre, un cadeau! Page 235, l'auteur, puisant dans les récits oraux compilés par l'abbé Pourcher un siècle après les faits, relate l'histoire d'un bûcheron, M. Châteauneuf, qui avait perdu son fils le 2 janvier 1765 et qui le lendemain vit paraître la bête à sa fenêtre. Celle-ci, dressée pour ne pas craindre les hommes, l'épiait lui et sa famille le plus tranquillement du monde, ce qui est encore plus angoissant qu'une attaque frontale. Savez-vous alors ce qu'il demanda à sa fille? Non? Il lui dit : "Marie-Anne, apporte-moi la hache!" Forcément, j'ai pensé à ça :


Finalement, il me faut bien reconnaître une qualité à Saint-Flour : en ne me donnant pas envie d'y passer la soirée, j'ai finalement pu découvrir le Gévaudan alors que j'avais prévu au départ de me cantonner à l'Auvergne. Ce fut une chouette découverte, mais ce ne fut qu'une mise en bouche : j'y reviendrai faire de la randonnée, en explorant plus en détails les environs. Ce que j'ai entrevu vaut déjà son pesant d'or, ce sera donc avec grand plaisir que je consacrerai bientôt une semaine entière à la Lozère. Toup tou bi dou... à la Lozère!


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