dimanche 12 septembre 2021

Dragon au donjon

 Devinez quel château se niche sur les hauteurs du Puy-en-Velay, lui aussi sur une coulée basaltique qui se découpe sur l'horizon? Il s'agit bien sûr de la forteresse de Polignac, siège historique de la maison éponyme dont les plus célèbres représentants furent le cardinal Melchior, diplomate et poète à ses heures perdues, puis un peu plus tard par alliance Yolande de Polastron, meilleure amie de Marie-Antoinette, et parfaite illustration du concept "Bobin des Rois" : voler aux pauvres pour donner aux riches. Heureusement que la Révolution s'est chargée d'inverser la tendance! Rires. Je confesse avoir réellement ri en traversant le village pour acheter un billet, mais pas par cynisme. Simplement, lorsque l'on écrit sur un blog intitulé Gretallulah, impossible de ne pas penser à l'actrice la plus drôle du nouveau siècle, qui aurait dû, je le maintiens depuis quinze ans, recevoir une première nomination aux Oscars pour sa capacité à s'emparer du chef-d'œuvre de Sofia Coppola en se montrant irrésistible de drôlerie sous le masque de la personne la plus frivole du monde. La seconde nomination aurait dû avoir lieu pour Mes meilleures amies, mais c'est une autre histoire. Vous avez de toute façon compris que nous parlons de Rose Byrne!


La vraie duchesse n'a sûrement jamais mis les pieds en province, sauf pour fuir la France, et n'a sans doute jamais vu les terres de son mari. Et même si l'on aime les divas flamboyantes et les chapeaux à plumes en ces lieux, la dame n'a absolument rien à voir avec l'histoire d'un château dont les grandes heures furent médiévales. Un gigantesque portrait d'elle par Madame Vigée Le Brun trône pourtant au premier étage du donjon, ouvert à tous vents, alors que la notice nous révèle son goût pour la musique : Grétry lui a dédicacé une partition de son Andromaque, et Gluck aurait donné dans ses appartements versaillais une première privée de son Iphigénie en Tauride. On apprend aussi que la duchesse aimait chanter des extraits des Noces de Figaro de Mozart. On est évidemment loin de New Order et Bow Wow Wow, mais encore plus des troubadours qui chantèrent la fin'amor entre les murs de la seigneurie, du temps de leur splendeur.


Cela nous mène à un destin de femme autrement romanesque : dans la seconde moitié du XIIe siècle, la vicomtesse de l'époque, Bélissende d'Auvergne, finit le reste de ses jours enfermée dans une tour d'enceinte dite de la Géhenne, car synonyme d'enfer et de torture. Son amour pour le poète Guilhèm de Sant Leidier eût été plus que courtois, à la grande colère du vicomte. Une autre légende voudrait faire remonter la création du site à l'Antiquité, puisque la famille, qui ne se prend pas pour rien, prétendait descendre de prêtres célébrant le culte d'Apollon, le dieu grec ayant selon eux donné son nom à leur maison par dérivations successives. Il n'en est rien : aucune preuve archéologique n'étaye la thèse antique, et le masque barbu faussement attribué au conducteur des muses serait plutôt l'élément d'une fontaine représentant Neptune.


Les tenants de la légende apollinienne prenaient également à partie deux puits vertigineux creusés dans la roche, qui auraient servi selon eux de porte-voix et de conduits de cheminées pour des prêtres qui auraient fumé la même chose que la Pythie! Il s'agit en réalité de deux réserves d'eau, le puits de l'oracle, haut de 7 mètres, servant pour la vie quotidienne du château, alors que l'infernal puits de l'abîme était prévu pour alimenter la forteresse en eau en cas de siège. D'une hauteur de 83 mètres, ce gouffre béant descend tout droit vers la vallée, vision épouvantable qu'une petite grille ne rend guère plus rassurante. Bien plus qu'un temple d'Apollon, cette cavité m'évoque le royaume d'Hadès : si culte il y avait, il eût fallu que les prêtres fussent sous drogue dure pour avoir envie de faire parler les morts depuis les tréfonds de cette antre sans fin!


Yolande : Mon chéri! Je ne sais pas de quelle drogue vous parlez, mais je veux la même! On se prendra un petit rail avec de vaillants cosaques : ce sera divin!


Vie temporelle ou éternelle, il y avait certainement de l'animation dans la forteresse de Polignac au Moyen Âge. Les ruines herbeuses témoignent en effet d'une activité florissante à travers les ateliers : s'y bousculaient une forge, une boulangerie, une fabrique d'armes et même une fabrique monétaire, puisque les vicomtes étaient en rivalité directe avec l'évêque du Puy-en-Velay. Il fallait alors battre monnaie pour marquer sa puissance.


Cette rivalité s'inscrit même dans le paysage, sachant que le sommet du donjon propose une vue imprenable sur une bonne partie de la Haute-Loire, et notamment le clocher de Notre-Dame du Puy-en-Velay et la statue de la Vierge. Argh! Encore eux! Mais on se sent finalement protégé lorsque l'on contemple les affaires spirituelles de haut. Et pourtant, dieu sait s'il m'en a coûté pour gravir une à une les marches du donjon, cette solide tour restaurée au XIXe siècle d'après des gravures anciennes, d'où son état impressionnant par rapport aux vestiges des autres bâtiments. À vrai dire, j'étais tétanisé pendant toute la montée, avec à ma gauche le vide vers les prairies du Velay, et à ma droite le vide sur l'intérieur du donjon et son unique étage haut d'une trentaine de mètres. Heureusement que j'étais seul, car j'ai dû finir à quatre pattes pour atteindre la terrasse : le vent était tellement fort qu'il me semblait plus rassurant de me raccrocher aux marches plutôt qu'aux murs. Sans commentaires... Mais la fin justifie les moyens : je l'ai fait! Et j'étais si content que je suis resté plus d'une demi-heure à observer le soleil poudroyer et l'herbe verdoyer. La vue est effectivement spectaculaire.


Néanmoins, en bon dragon de terre, je n'étais pas fâché de regagner le sol ferme. Je me suis d'ailleurs précipité vers le jardin médiéval pour humer le parfum des fleurs et admirer de loin ce que je venais d'accomplir. En parlant de végétation, j'ai eu la bonne idée d'arriver dans la commune alors qu'une course à pied s'y déroulait. Aucun rapport, me direz-vous. Sauf que l'un des guides surveillant l'arrivée au château, qui devait s'ennuyer passablement, en profita pour me donner quelques informations complémentaires sur les environs, en m'expliquant que la forêt la plus proche renferme en son cœur les vestiges d'un péage que les vicomtes avaient pris soin d'installer sur la route du Puy. De la sorte, les marchands qui se rendaient en ville devaient laisser aux seigneurs une partie de leurs victuailles pour continuer leur chemin. Le shérif de Nottingham approuve! Je ne suis finalement pas allé explorer les bois, mais ce sera l'occasion d'y revenir. Pour leur part, les dames qui tenaient le buffet pour les coureurs étaient fortement vexées : personne n'avait voulu des chocolats qu'elles avaient pris soin de déposer sur la table en grand nombre.

Yolande : Qu'ils mangent de la brioche! Avec du champagne et des macarons, ça tient mieux l'estomac!


En définitive, j'ai beaucoup aimé cette visite du château de Polignac, où j'ai passé presque toute la matinée. Le seul défaut de la forteresse, encore plus énorme que le puits de l'abîme, c'est que pour s'adresser à tous les publics, la municipalité a eu la bêtise d'organiser une exposition à propos des idées reçues quant au Moyen Âge, avec des illustrations d'une bouse immonde du cinéma français. Vulgariser l'histoire auprès du grand public, c'est bien. Mais insulter le bon goût et l'intelligence des honnêtes gens qui paient leur entrée, c'est le genre d'erreur qui selon moi mérite l'embastillement.


Pour me consoler, je suis allé faire le tour du village, ce qui m'a permis d'admirer à la fois la roche basaltique qui soutient le château, mais aussi l'église Saint-Martin et ses fresques du XVe siècle. C'est un édifice roman, mais son porche est gothique : le syncrétisme n'est pas inintéressant à observer.


À midi, l'ensoleillement parfait permettait aux vitraux d'illuminer le grès de multiples couleurs, ce qui constituait un joli spectacle pour clore mes aventures vellaves. La route du Brivadois devait m'apporter plus de déceptions, mais c'est une autre histoire. Sur ce, je m'en vais dîner! Adieu chéries! Au revoir!


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire