mercredi 8 septembre 2021

Le Puy-en-Velay, une ville colorée


Après avoir assisté à des scènes de la vie paysanne dans les environs de Saugues, auxquelles il ne manquait plus que le pinceau de Rosa Bonheur, et après avoir traversé tant bien que mal les gorges de l'Allier malgré mon vertige, j'arrivai tranquillement dans la capitale de la Haute-Loire, Le Puy-en-Velay, au moment même où le soleil n'éclairait plus que la sainte trinité des tours de la ville : le rocher d'Aiguilhe, la statue de la Vierge, et le clocher de la cathédrale Notre-Dame. Voilà qui donne la mesure : Le Puy-en-Velay est un centre religieux de premier ordre, et le point de départ de la via Podiensis qui mène à Saint-Jacques-de-Compostelle. En d'autres termes, même si vous esquivez les touristes, vous y croiserez des pèlerins. Tant mieux pour les catholiques qui y trouveront leur compte, mais les amateurs d'architecture risquent de rester sur le carreau. En effet, la place prépondérante des bâtiments religieux est disproportionnée! Rien que la nef de la cathédrale est une véritable ville dans la ville, prête à vous aspirer en son ventre ouvert à tous vents, tandis que le reste de la cité épiscopale trône au-dessus de la commune de façon monstrueuse, comme le ferait Černobog sur le mont Chauve pour jeter son ombre inquiétante sur les environs! J'ai pourtant l'habitude des églises, je passe même le plus clair de ma vie artistique à la croisée des transepts, mais je n'avais jamais eu une impression désagréable jusqu'alors : dans la cathédrale, la sensation d'oppression est telle qu'il m'a fallu retrouver l'air libre au plus vite, à tel point que c'est uniquement de retour dans les quartiers civils que j'ai commencé à me sentir mieux. Ceux-ci, parfaitement chamarrés, évoquent pour leur part une ville italienne, avec leurs persiennes et leurs façades aux couleurs ocres. Avec les pitons volcaniques qui accentuent ces contrastes, Le Puy-en-Velay est une préfecture unique en son genre qu'il faut avoir vue au moins une fois dans sa vie. Je n'ai pourtant pas eu le coup de cœur espéré.


Les lumières de la ville


Mon séjour m'a permis de voir la ville sous toutes les coutures, de jour comme tout le monde, mais aussi de nuit, grâce à la cinquième saison de l'événement Puy de Lumières, alors que les monuments se colorent au rythme d'effets spéciaux de dix heures du soir à minuit. D'ailleurs, le spectacle dure encore pour une dernière semaine, si jamais vous passez dans le coin. C'était en tout cas une chouette façon de découvrir la cité, alors que la nuit formait un écrin protecteur : on n'avait pas l'impression que la cathédrale allait tenter de vous dévorer au bout de son interminable escalier. Les ténèbres en couvraient ainsi la porte, cet infâme trou noir qui marque la frontière entre les affaires temporelles et les affaires spirituelles, ce qui m'a permis de profiter du spectacle dans une décontraction totale.

Totale? Hmm... Quand une centaine de spectateurs se regroupent sur le même parvis pour admirer les jeux de lumières, et que certains d'entre eux n'en finissent plus de tousser comme après un marathon, on se doute bien que Delta n'est pas loin. Il n'y a plus qu'à espérer que le vaccin, le masque, l'air libre et ma méthode Garbo "laissez-moi tranquille dans un rayon de 10 mètres" m'ont protégé du virus et... des fumeurs, cette plaie nauséabonde qui ferait mieux d'aller s'empoisonner chez elle au lieu de polluer les lieux publics.


La première scénographie devant la cathédrale invitait les spectateurs dans "une autre dimension", en un voyage futuriste et psychédélique sur les flots de vagues colorées, sur lesquelles surfaient un cerf et quelques apôtres. Sur la chapelle Saint-Alexis, un dragon fendait le mur pour parler un peu du siècle des Lumières, avec le marquis de La Fayette et la fameuse bête que j'avais pistée l'après-midi même! Sur l'hôtel de ville, les projecteurs parlaient d'histoire contemporaine à travers les poilus de 1914 et le droit de vote des femmes, avant de laisser la place à un poisson rouge et à des bijoux aux couleurs du drapeau français. Yvette Horner approuve. Les illuminations du théâtre étaient quant à elles consacrées aux arts sous toutes leurs formes, mais le clou du spectacle fut certainement le rocher d'Aiguilhe éclairé au rythme des quatre saisons. Coiffé de l'église Saint-Michel, ce site qui n'appartient même pas au Puy-en-Velay proprement dit est effectivement la vue la plus spectaculaire de l'agglomération, de nuit comme de jour. Je devais en avoir la confirmation le lendemain, malgré un temps voilé.


Messes basses dans la cité épiscopale


J'ai déjà donné ma première impression de la cathédrale, dont l'escalier colossal vous conduit dans une nef gargantuesque plus vaste que la ville elle-même. Sauf qu'à la lueur du matin, la démesure est angoissante : lorsque l'on se retourne, les marches que l'on vient de gravir donnent l'impression de contempler un trou béant, comme si l'on venait de pénétrer dans un univers parallèle qui voudrait vous garder prisonnier. Rares sont les lieux qui m'ont paru d'emblée si désagréables, mais classement à l'Unesco ou pas, j'étais déjà inconsciemment en train de chercher une issue de secours au bout de quelques secondes. La vue de religieuses qui se baladaient sans masque, gardiennes d'un sanctuaire où la raison s'efface, m'a convaincu : je n'ai pas dû rester plus de deux minutes dans ce qu'il faut bien appeler un enfer. Les églises m'ont toujours provoqué une sensation de bien-être, j'allais même réviser mes cours avec grand plaisir en l'église Sainte-Radegonde de Poitiers jadis, mais les hauteurs vertigineuses de Notre-Dame du Puy-en-Velay sont trompeuses, car elles ne conduisent nullement au paradis. Et pour comble de malheur, quitter la place se révèle aussi ardu que sortir du labyrinthe où vous attend le Minotaure! Je me suis de la sorte retrouvé sur la place du For, qui malgré les apparences fourbes d'un joli portique classique fermant l'évêché, n'est rien d'autre qu'une souricière où vous vous sentez à nu devant un clocher titanesque qui vous juge sans vergogne. La rue Saint-Georges vous ramène quant à elle vers les entrailles de la basilique, avant d'en sortir par la rue du cloître, grise et froide, dont la seule issue possible est la statue non moins disproportionnée de la Vierge. Pitié! Les colonnes torsadées de la chapelle des Pénitents, seul signe de vie des dans ce coupe-gorge, finissent heureusement par vous indiquer la sortie vers la chapelle Saint-Alexis, vue la veille au soir grâce aux illuminations. J'arrivai enfin en terrain connu! Ouf!


Une fois sorti de ce traquenard religieux, je m'en suis donc allé contempler le rocher d'Aiguilhe de jour, mais je l'avoue moins pour la chapelle que pour ce neck volcanique qui atteint des hauteurs divines à rester seul dans son coin. Chemin faisant, je déjouai un complot de la pire espèce! En effet, alors que j'avançais vers le point de vue, je passai devant une retraitée vêtue d'une doudoune rose fluo, déjà croisée au hasard des rues auparavant. Elle était en pleine conversation avec un pèlerin efféminé, habillé à l'identique mais en bleu. Combinaison de couleurs qui rappelle les heures les plus sombres des années 2010, mais ce n'était que leur moindre défaut. Car ces deux individus chuchotaient dans le plus grand secret, et lorsque j'arrivai à leur hauteur, la dame s'écria assez fort pour être entendue depuis la ville basse : "Alors là, vous avez la chapelle Saint-Michel! Et derrière vous, c'est la Vierge, mais vous la verrez mieux en revenant vers la cathédrale!" "Ah oui, répondit le pèlerin, parce que là, elle me tourne un peu le dos." Sur ce, je les laissai à leurs affaires pour prendre le temps d'admirer le rocher. Et savez-vous ce qu'il se passa lorsqu'il me fallut revenir sur mes pas quelques minutes plus tard? Les deux avaient repris leurs messes basses, et une fois revenu à leur hauteur, la dame s'époumona: "Alors là, vous avez la chapelle Saint-Michel! Et derrière vous, c'est la Vierge, mais vous la verrez mieux en revenant vers la cathédrale!" Je vous jure! C'était tellement suspect!

Je me demande encore quelle conspiration ces banalités cherchaient à dissimuler, mais cela me convainquit qu'il valait mieux quitter ce quartier épiscopal dans lequel je n'étais décidément pas le bienvenu. Je repassai une dernière fois devant la cathédrale où un groupe de touristes autrichiens écoutait la guide avec le plus grand intérêt. L'une d'entre elles en profita pour me dévisager sans aucune discrétion, ce qui me vexa assez pour me déterminer à lui rendre la pareille, jusqu'à ce que je finisse par céder : la dame était coriace. Il semblait décidément que tout le monde s'était donné rendez-vous au Puy-en-Velay pour me faire comprendre que je n'y étais pas à ma place! J'avais visiblement mal choisi mon jour... Cela m'a au moins permis de réaliser que je n'ai pas tout à fait perdu mon allemand, ce qui me donne envie de me remettre à cette langue à laquelle je donne ma préférence entre toutes. Voyons les choses du bon côté!


On dirait le sud


Les quartiers civils sont heureusement plus accueillants! La rue Pannessac par exemple, marquée par le vestige d'une tour d'enceinte médiévale, a plus de cachet que nombre d'artères commerçantes semi-piétonnes de France grâce aux façades colorées de ses immeubles. Il ne manquait plus que des persiennes et des palmiers pour se croire sur la Côte d'Azur! Pour sûr, les jolis bâtiments y sont nombreux, comme cette curieuse échauguette suspendue dans le vide à l'angle de la rue Philibert, quoiqu'elle ne soutienne pas la comparaison avec le logis des frères Michel et sa façade sculptée des années 1620. Plus haut, les rues Vanneau, cardinal de Polignac et Prat du Loup concentrent des hôtels particuliers du XVe siècle, le plus coloré étant l'hôtel des Laval d'Arlempdes.


J'ai finalement pris plaisir à flâner dans les rues, au gré de mes envies qui m'ont parfois fait passer à côté de monuments recommandés, comme la facétieuse maison des Cornards rue Chamarlenc, où des mascarons se moquent apparemment des cornes portées par certains bourgeois de la ville depuis les années 1680. Qu'elle soit profane ou sacrée, Le Puy-en-Velay a décidément le goût de la démesure... Comme je suis bien élevé, j'ai opté sans le savoir pour des visites plus appropriées, sachant que même les rues non célébrées par les guides touristiques valent le coup d'œil pour leurs couleurs méridionales. Mais l'importance de la religion ne se dément pas même dans les bas quartiers : des pèlerins trouvaient toujours le moyen de quitter leur maison d'hôte quand je passais devant! À croire qu'ils me poursuivaient! Au secours!


Heureusement, je n'allais pas me laisser gâcher mon plaisir par quelques âmes benoîtes. Je suis un dragon, que diable! Il en faut plus pour faire tomber mon enthousiasme! Pour tout dire, même la place des Tables, du nom des étals des orfèvres du temps jadis, m'a paru tout à fait agréable, et ce malgré l'ombre inquiétante de la porte de la cathédrale qui tente de vous happer dans l'obscure dimension de laquelle j'ai pu m'échapper. On ne m'y reprendra pas deux fois! Cela dit, je ne sais pas ce qui est le plus inquiétant : un sanctuaire anthropophage, ou un bar à Bisounours qui veulent devenir vos meilleurs amis? Avoir vue sur les deux à la fois lorsqu'on est au beau milieu de la rue est assez cocasse!


Une bonne raison de revenir au Puy-en-Velay, c'est aussi le goût de la ville pour les beaux tissus. Entre le centre de la dentelle qui vous laisse songeur, et les panneaux publicitaires qui vous rappellent qu'une vente de costumes Renaissance aura lieu à la fin du mois, j'avoue que les artisans locaux savent me parler! En général, je me fournis en dentelle à Bruges, mais en ces temps de réclusion, je tâcherai de faire marcher l'industrie ligérienne la prochaine fois, promis!


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