samedi 18 septembre 2021

La marquise du silence




Quoi? Gardant des chats cette fin de semaine, j'ai tâché d'occuper mon vendredi soir le plus aimablement du monde, en regardant les multiples offres disponibles sur les chaînes "+" du téléviseur. Et je suis tombé sur... un western spaghetti français (!), avec... Angélique marquise des Anges et Joffreyyy dans les rôles principaux!! Quelle combinaison étrange!!! Comment un tel film a-t-il pu un jour exister? C'est Robert Hossein lui-même qui l'a écrit et réalisé, en hommage à Sergio Leone qui venait d'enchaîner une série de francs succès, dont Il était une fois dans l'Ouest sorti en Italie un mois plus tôt en décembre 1968. Sans surprise, Une Corde... un Colt est très loin de soutenir la comparaison, mais son existence est tellement improbable que je trouvais amusant d'en parler aujourd'hui. Le maître italien aurait même réalisé la séquence du souper chez les Rogers, alors que le héros solitaire nouvellement engagé se retrouve fort perplexe devant... un pot de moutarde!

Pour être honnête, je trouve le film intéressant et tout à fait divertissant, malgré ses incontestables défauts. Aidé par les décors arides de l'Andalousie, Robert Hossein donne l'illusion d'un vrai petit western avec son saloon enfumé et son village fantôme ouvert à tous vents, quitte à abuser du cliché avec ses santiags à éperons et cette galerie de personnages silencieux qui mâchent leur clope en une succession de gros plans. Le scénario tient sur un timbre-poste, mais c'est rarement pour son aspect littéraire qu'on regarde un western : Maria Caine voit son mari abattu sous ses yeux par les Rogers, une famille de riches propriétaires terriens qui terrorise le pays, et engage un chasseur solitaire qu'elle connaît bien, Manuel, pour l'aider à se venger. On est certainement en terrain connu. Mais là où la vendetta devient intéressante, c'est que les héros sont loin d'être blancs. Ils cautionnent sans vergogne le viol d'une innocente, tant et si bien que le point de vue change à mi-parcours : les Caine deviennent aussi pourris que les Rogers, voire plus, ce qui amène le spectateur en un lieu inattendu. Je connais trop mal le genre western pour savoir si cela avait déjà été fait auparavant, mais j'apprécie la franchise de l'histoire qui dévoile le côté obscur de ses héros, et à l'inverse la part de sympathie des antagonistes, au lieu de se complaire dans l'opposition simpliste "gentils et méchants".

Nettement moins réussie par contre, la manière qu'ont les personnages de se duper les uns et les autres est assez affligeante. On parle de gros durs capables d'abattre tout un régiment en l'espace de cinq secondes, et pourtant, à aucun moment ces messieurs ne pensent à vérifier qu'un otage enfermé dans un bâtiment en ruines n'a pas les moyens de s'échapper! De leur côté, les Rogers ont beau avoir une vingtaine d'hommes de main à leur service, aucun d'entre eux ne songe à en lancer deux ou trois à la poursuite de la mystérieuse personne qui a libéré les chevaux! À croire que personne dans le village n'a de plomb dans la cervelle... Ah, en fait, si, mais pour ça, il faut que la surprenante jeune fille de bonne famille aux faux airs de Boucles d'Or prenne les choses en main. Ces gamineries n'empêchent heureusement pas le film de se suivre sans déplaisir, mais je ne suis pas sûr que la parodie soit assumée jusqu'au bout. Ce qui est assumé en revanche, c'est la musique d'un kitsch insondable composée par le père du réalisateur, André Hossein, avec son thème d'ouverture tout à fait dans l'air du temps. Cette mélodie insupportable revient hanter chaque rebondissement, mais reconnaissons qu'elle se marie finalement bien aux images, dont certaines sont d'ailleurs assez spectaculaires depuis les gros plans ténébreux jusques aux grands espaces qui isolent d'autant plus les personnages dans leur tragédie. Finalement, Robert Hossein se fend d'un western plus qu'imparfait, mais qui a tout de même un certain style sous ses airs de pastiche. Cela en ferait oublier l'interprétation monolithique dont la marquise des anges émerge, une fois n'est pas coutume, triomphante.

C'est facile de se moquer, mais Michèle Mercier peut être bonne actrice quand elle est bien dirigée et qu'elle ne parle pas. Son plus grand défaut, c'est la façon qu'elle a de mouvoir ses lèvres qui la rend grimaçante jusqu'aux abîmes du grotesque, et son grand malheur, c'est d'avoir été très mal mise en scène dans une saga minable et misogyne qui lui collera à la peau jusqu'à la fin des jours. Mais contrairement à une Brigitte Bardot qui ne s'intéressait pas à son métier bien qu'ayant la notoriété suffisante pour être employée à bon escient par de grands réalisateurs comme Louis Malle et Henri-Georges Clouzot, Michèle Mercier a au moins toujours eu envie de faire de son mieux devant une caméra. Cela n'en fait pas une grande actrice, mais je la trouve sincèrement convaincante dans le registre de la "souffrance sans paroles". On aurait même pu envisager un prix pour son rôle de victime terrorisée dans Les Trois Visages de la peur en 1963. Son interprétation de Maria Caine dans Une Corde... un Colt est à sa modeste échelle l'un de ses sommets, principalement parce qu'habile, Robert Hossein a limité ses répliques autant que possible. C'est d'ailleurs son point faible : la nostalgie qu'elle tente de faire passer vocalement lors des retrouvailles avec Manuel manque de vigueur, vigueur qui résonnera davantage lors du défi lancé aux Rogers sous leur propre toit. Autrement, aidée par un costume de veuve noire qui lui donne beaucoup d'allure, Michèle Mercier domine à sa manière ce film viril, grâce à un visage sépulcral où percent une souffrance et un abattement sincères. Sa scène la plus expressive est son introduction, et force est de reconnaître que sa terreur sonne très juste : on soutient de facto l'héroïne, avant que ses actes futurs ne la noircissent quelque peu.

Moralité : malgré une histoire de vengeance particulièrement glaçante, je suis finalement amusé d'avoir découvert ce film improbable, dont on a du mal à soupçonner l'existence. Pour les amateurs du genre, je suis sûr que c'est un western mineur justement tombé aux oubliettes, mais je ne suis pas mécontent que ce petit film ait vu le jour. Ses défauts et sa distribution lunaire le rendent complètement atypique, ce qui m'a diverti au plus haut point. Pas sûr que cet argument suffise à convaincre d'autres personnes de le voir, mais ça m'a fait plaisir d'en parler, c'est l'essentiel!


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