samedi 23 juillet 2016

A Matter of Life and Death (1946)


S'il est des réalisateurs absolument incontournables dans la deuxième moitié des années 1940, Emeric Pressburger et Michael Powell en font bien partie, comme en témoigne A Matter of Life and Death, idéalement situé entre leurs chefs-d’œuvre ultimes I Know Where I'm Going!, Black Narcissus et The Red Shoes. Si ces trois films là forment à mes yeux la triade indépassable du tandem, leur opus de 1946 se classe pour le moment bon quatrième dans leur filmographie, tant il y a de merveilles à admirer.

Sa plus grande force? Un scénario inventif qui nous fait voyager entre Terre, mer et paradis, à travers les aventures de ce pilote ayant échappé à la mort par erreur, erreur que les anges veulent réparer alors que le héros, tombé amoureux, veut bien entendu rester en vie le plus longtemps possible. Quoique originale et fantastique, cette histoire n'est pourtant pas absolument novatrice, car le thème n'est pas sans évoquer un film comme Here Comes Mr. Jordan, où à l'inverse les anges ont l'étourderie d'appeler trop tôt au ciel un mortel qui n'avait rien demandé. Cependant, A Matter of Life and Death est cent fois plus intéressant, parce qu'autant dans Mr. Jordan le changement de vie constituait une rupture très nette qui faisait perdre tous ses enjeux à l'intrigue, autant le film britannique nous offre quant à lui de véritables réflexions sous le couvert de la comédie, à l'image du long procès final où se jouent les notions d'amour, de culture et de nationalité, devant une assemblée composée de tous les morts depuis la nuit des temps, entre comtes guillotinés à la Révolution, G.I.'s tombés au combat etc. Mais tous ces sujets sont traités avec fraîcheur, sans rien de pesant, comme le souligne la drôlerie de multiples séquences, tels les G.I.'s se jetant sur un distributeur de Coca-Cola dès leur arrivée au paradis!*

Cette originalité permet aux équipes techniques de s'en donner à cœur joie au niveau des costumes, des décors et de la photographie. On appréciera ainsi la différence de teintes entre les séquences au ciel tournées en sépia et les séquences terrestres filmées en couleurs, de quoi servir l'humour du scénario en faisant dire à un marquis plus moderne qu'on ne le croit: "One is starved for Technicolor up there." J'apprécie également le jeu sur les couleurs, entre le bleu relaxant de l'espace et le magenta des fleurs d'un jardin propice à la romance, mais le morceau de bravoure de Jack Cardiff (Le Narcisse noir, Les Chaussons rouges) reste indéniablement les nombreuses prises de vue sur la foule du procès. Les décors d'Alfred Junge annoncent quant à eux le brillant de Black Narcissus dès l'année suivante, avec ses peintures très réussies de la voie lactée, l'escalier monumental aux statues des héros historiques ou le tribunal céleste, sans oublier la décoration terrestre, plus prosaïque mais tout autant réussie, avec notamment la maison de repos dans un pavillon Renaissance. Vraiment, c'est parfait, de même que les costumes d'Hein Heckroth qui s'amuse à diversifier les vêtements de soldats, les atours de marquis et les tenues austères des protestants, entre autres petites merveilles.

Finalement, la seule petite déception vient pour moi de l'interprétation. David Niven fait par exemple une très belle entrée dans le film, plein de panache et d'un humour anglais typique alors que son avion est en chute libre, mais il perd hélas ce piquant dans le reste d'une œuvre où il devient quasiment secondaire à partir du procès. Kim Hunter est quant à elle assez insipide en amoureuse transie, et Marius Goring devient particulièrement agaçant avec ses manières d'aristocrate poudré, bien que son personnage ne demande pas autre chose. Je n'ai pas non plus grand chose à dire sur Raymond Massey incarnant l'accusation lors du procès, mais les bonnes surprises viennent de Robert Coote en pilote jovial à la bouille d'enfant, de Kathleen Byron en figure angélique (qui l'eût cru?!) un peu dépassée par les événements, et surtout de Roger Livesey qui vole la vedette à tout le monde dans le rôle du médecin charismatique en diable déterminé à assurer la défense de son patient. Il n'a pourtant pas de grande scène expressive à jouer, mais son aura emporte tout sur son passage au point qu'on ne retient que lui. Je me demande simplement s'il n'est pas le vrai premier rôle du film, car malgré son entrée en scène tardive, il domine tellement la deuxième partie qu'on en oublie entièrement le héros à partir de son apparition.

Pour finir, il ne me reste plus qu'à mentionner deux ou trois longueurs de ci de là lors de certaines séquences terrestres, mais il y a tant de bonnes choses à admirer que le 8/10 est assuré. Je n'aime pourtant pas autant que Les Chaussons rouges auxquels j'ai mis la même note, mais quand on atteint ce niveau d'originalité et d'enchantement, une bonne note est plus que méritée.

___

*Joan: Parce qu'évidemment, ils ne pouvaient pas boire du Pepsi, comme tout le monde! Ah ces ignares, il y a des gifles qui se perdent!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire