mercredi 27 juillet 2016

Night and Day (1946)


Ajoutant encore de l'eau au moulin des imitations de 1946, Night and Day se veut la redite de Yankee Doodle Dandy, l'autre biographie musicale de Michael Curtiz sortie quatre ans plus tôt. Hélas, autant la vie de George M. Cohan surprenait par son inventivité, autant ce biopic de Cole Porter sent pour sa part le réchauffé, malgré un indéniable pouvoir de séduction auquel participe pleinement la couleur.

Cependant, biopic est-il un mot approprié? Apparemment, le film est un tissu de mensonges: Cole Porter ne fut pas plus soldat qu'hétéro, bien que tout le film relate sa grande histoire d'amour avec son épouse, relation mise à mal par son départ pour la guerre de 14/18... La prochaine fois, je propose une biographie de Tallulah Bankhead sur son vœu de rester vierge jusqu'au mariage, et un biopic de Greta Garbo qui n'aimerait rien tant que donner des interviews à tous les médias! Pour en revenir à ce bon Cole Porter, on admirera surtout le résumé sur la jaquette du DVD: "Ainsi, sa vie sexuelle décrite dans le film n'a aucun rapport avec la réalité (il était homosexuel et avait organisé un mariage de convenance avec une amie divorcée). De même, sa femme Monty Woolley avait le même âge que lui." Alors là, bravo! Si c'est ça que vous appelez mariage de convenance, c'est effectivement d'une discrétion à toute épreuve!

Ceci dit, le grand défaut du film n'est pas tant la réinvention complète de l'existence de son héros que l'ennui profond qui se dégage de cette intrigue sans enjeux. Il est notamment aberrant de voir à quel point les choses arrivent facilement à Cole: il monte un premier spectacle sans aucun problème et, alors que la guerre le fait rester dans l'anonymat et qu'il semble galérer pour percer, il lui suffit un jour de décréter qu'il en a assez des petits bastringues pour devenir immédiatement la coqueluche de Broadway. Il n'y a aucun enjeu dramatique: tout lui arrive sur un plateau, et les (minuscules) difficultés de l'anonymat sont complètement plaquées pour donner un peu d'épaisseur au tout. Dès lors, l'intrigue n'a d'autre choix que de se recentrer sur une relation hétérosexuelle des plus classiques, avec femme délaissée compréhensive et artiste très demandé qui ne se rend pas compte de ses erreurs. Si la rencontre des futurs époux est très prometteuse, avec ce quiproquo sur fond d'images de Noël à la Meet Me in St. Louis, le soufflé retombe inexorablement à partir du torpillage du Lusitania: Cole s'embarque pour la guerre au lieu de se marier, se blesse à la jambe et... retrouve Linda dans une infirmerie... veut l'épouser pour de bon mais en fait non parce qu'elle a voulu lui rendre service sans lui en parler d'abord... d'où son retour aux Etats-Unis qui lui vaut un franc succès d'un claquement de doigts... avant d'aller travailler sur un nouveau projet à Londres où... il retrouve Linda par hasard dans un parc et lui passe enfin (!!!) la bague au doigt de peur qu'elle ne fasse cinquante enfants avec son médecin! Tout lui arrive donc aussi facilement dans sa vie amoureuse que dans sa vie professionnelle, et une fois les bases posées, il faut encore passer une bonne heure de film devant une succession de spectacles et de grimaces d'épouse déçue de ne pas avoir son mari auprès d'elle plus souvent. Et c'est tout.

L'objectif du film est surtout de nous proposer de la belle musique, mais on regrette que ça ne raconte pas grand chose. On ne décroche pas pour autant: Night and Day contient de bons moments de grâce qui viennent piquer l'intérêt de temps à autres, à l'image du Noël en Indiana, cliché mais rassurant avec sa neige de studios, et des amusantes retrouvailles londoniennes avec tous ces petits enfants qui poussent comme des champignons. On s'étonnera en revanche que le parcours des personnages ne soit pas toujours très clair, car si Cole joue à Gontran Bonheur de son côté, Linda n'explique jamais pourquoi la jeune femme richissime, qui n'a d'autres soucis dans la vie que de se choisir des villas sur la Côte d'Azur ou des objets en or massif à faire graver, se retrouve subitement à gagner sa vie comme infirmière pour orphelins après la guerre. C'est tout à son honneur mais ce n'est jamais justifié par le scénario. En revanche, l'histoire fait un bon usage de la récurrence des coffrets à cigarettes, dont chaque inscription illustre l'évolution de la vie du couple. Dommage que les numéros musicaux ne soient pas mieux agencés pour suivre à leur tour un arc narratif: on colle des chansons de ci de là sans faire coïncider les paroles avec l'intrigue, et pour couronner le tout, on ne s'embarrasse pas de réalisme chronologique. I've Got You Under My Skin (1936) est ainsi introduit bien avant Anything Goes (1934)... Ces numéros sont tout de même agréables et l'on passe un bon moment avec les chanteuses et danseurs agiles, mais ça ne suffit pas à faire de Night and Day un récit digne de ce nom. 

Du côté des interprètes, Cary Grant en couleur atteint des pics de séduction, mais il ne fait rien de spécial: Cary Grant fait du Cary Grant, il est charmant comme tout mais n'a même pas le mérite d'être drôle. Pour sa part, Alexis Smith joue bien mais sa présence ne résonne pas dans le film: elle est non seulement coincée dans un rôle d'épouse dévouée à clichés, mais elle manque d'un peu de charisme pour contourner l'absence d'enjeux dramatiques et parvenir à nous attacher réellement à Linda. En revanche, Jane Wyman surprend en diva de la scène qui multiplie les amants, Monty Woolley reste à l'inverse en terrain connu en jouant... son propre rôle, sans aucun génie, et Eve Arden réussit quant à elle à énerver avec une seule minute de figuration tant elle surjoue, grimaces et accent français à l'appui. En fait, la palme de la coolerie revient à Ginny Simms, fascinante avec son visage arrondi, ses lèvres de sang et sa voix d'or. Par contre, je n'avais pas reconnu Dorothy Malone avant de lire son nom en rangeant le film sur mes étagères: je la préfère visiblement en danseuse de mambo éblouissante plutôt qu'en cousine modèle à peine espiègle...

Moralité: Night and Day est bel et bien un tissu de mensonges! Le mariage de convenance commet l'affront de remplacer Monty Woolley par Alexis Smith et c'est bien moins drôle que ce qu'annonçait la jaquette! Autrement, les jolis décors et costumes, portés par d'admirables couleurs désuètes, me charment absolument, de même que la musique, sans que ce soit les reprises que je préfère du célèbre artiste. La séduction est bien au rendez-vous mais l'intrigue est dérisoire: 5/10.

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