samedi 23 juillet 2016

Undercurrent (1946)



Si j'ai autant tardé pour voir ce film, de Vincente Minnelli tout de même, c'est parce qu'Anne m'en avait parlé comme de l'enfant incestueux de Rebecca (la vieille fille vêtue comme un sac épousée à la dernière minute et peu à l'aise dans ses nouvelles robes) et Suspicion (qui soupçonne en outre son mari de vouloir la tuer), génétiquement modifié par un scénario tout droit issu du prestigieux Woman's Home Companion, c'est dire le sérieux de l'affaire! Eh bien, force est de reconnaître qu'on ne m'avait pas menti: c'est exactement ça, un sous-Hitchcock transgénique qui accumule des séquences embarrassantes à plus d'un égard, malgré la présence de noms prestigieux tels Katharine Hepburn, Robert Taylor et Robert Mitchum.


Ainsi donc, l'histoire se veut gothique. Le problème, c'est qu'on ne nage absolument pas dans une atmosphère compatible. En effet, si la folie d'une Ingrid Bergman acquiert une dimension mythique dans Gaslight, c'est parce que le film se déroule dans une demeure victorienne angoissante propice au drame. Si les interrogations d'une Gene Tierney résonnent dans les grandes salles de Dragonwyck, c'est parce qu'elle évolue dans un château du dix-septième siècle dont le passé pèse sur ses frêles épaules. Et si les soupçons d'une Joan Fontaine sont encore chantés de nos jours dans les Hitchcock susnommés, c'est parce que malgré la touche contemporaine, l'aspect effrayant de Manderlay ou des chaises historiques de Suspicion parvient à plonger les scenarii dans l'ambiance recherchée, au lieu de les laisser à l'état brut de petits polars plus ou moins bien ficelés sur le papier. Mais dans Undercurrent, tout se passe dans des intérieurs ultra modernes, depuis la chambre en ville avec vue sur le Capitole à la maison de campagne tout droit sortie de Philadelphia Story, ce qui n'a pour effet que de faire rêver la ménagère par un après-midi pluvieux tout en voulant miser un peu trop sur le récent succès de Katharine Hepburn. Aucune once de gothique n'arrive alors à émerger de ces décorations flambant neuves, de telle sorte qu'on retombe dans la sempiternelle variation vermoulue d'un Barbe-Bleue de série B. En outre, le texte commet l'erreur ultime de nous pousser du coude, l’œil égrillard, tout à sa fierté de nous révéler de subtils indices dès les premières minutes pour s'assurer qu'on va bien comprendre ce qui suit, à l'image du collègue soumis incapable de masquer sa mine déconfite à la caméra pour révéler à l'héroïne qu'elle sera "très très très en sécurité" avec l'homme qu'elle vient d'épouser, et qui écoute précisément leur conversation…


D'autre part, les erreurs de casting sont tellement notoires que l'intrigue s'enfonce un peu plus à chaque minute, passée la sympathique introduction d'une graine de vieille fille refusant les conventions du mariage. Car autant Katharine Hepburn est totalement crédible en garçon manqué qui préfère jouer avec ses chiens et parler chimie avec son père, autant elle n'est pas du tout à sa place en jeune mariée angoissée, qui perd tous ses points de charisme dès qu'on lui passe la bague au doigt, et se met à soupçonner l'élu de son cœur de lui cacher bien des choses. Parce que, soyons honnêtes, Katharine Hepburn est l'essence même du charisme, alors la voir passer les trois quarts du film à s'effrayer de la moindre branche qui craque, ça en devient gênant. C'est comme si à l'inverse, on avait demandé à Joan Fontaine de cabotiner avec joie dans Bringing Up Baby : elle se serait fait dévorer par le léopard en deux secondes! Eh bien là, c'est la même chose: la pauvre Kate manque systématiquement de se faire dévorer par un cheval indompté prêt à tout piétiner sur son passage, et les multiples séquences où elle tente de jouer l'effroi sont des abysses de ridicule franchement embarrassants. On se demande même si elle ne tente pas davantage de se protéger de coups de soleil en baillant à chaque fois qu'elle se porte les mains au visage, terrifiée par la bête fougueuse! Quant à la scène de l'écurie, mieux vaut ne pas trop s'étendre sur la petite chorégraphie improvisée…


Face à Katha-Hari, le même problème revient fouetter le film en plein visage: Robert Taylor manque beaucoup trop de charisme pour incarner un époux suave mais inquiétant, dont on devrait constamment se demander s'il est sincèrement épris de sa femme ou s'il tente au contraire de la tuer. À la limite, il aurait presque fallu intervertir les deux rôles : Kate aurait été nettement plus crédible en épouse dominatrice, tandis que Taylor, armé de sa petite moustache toute lisse, aurait été plus à sa place en vieux garçon terne et angoissé, à des lustres d'un Cary Grant ou d'un Charles Boyer. En outre, alors que tout le suspense du film tient aux liens troubles unissant les deux Robert, Taylor et Mitchum, on devine non seulement leur secret en moins de trois secondes mais, pire, le second est fade au possible au lieu de faire preuve du charme ou du mystère requis. Enfin, du côté des seconds rôles, on ne nous épargne rien : le valet noir idiot qui a peur du diable symbolisé par le cheval, la gouvernante aigrie qui vampirise la maisonnée avec ses œufs pochés, et qui glisse subtilement toutes les vingt secondes qu'il est anormal qu'une femme de plus de trente ans ne soit pas encore mariée (en ce cas, que ne t'es-tu mariée toi-même, dahling?), les aristocrates snobs dénués de tout attrait qui se moquent de l'ex vieille-fille mal fagotée, le papa scientifique trop sympa et le soupirant lisse à mourir.


Le comble, c'est que cette flopée de stars se fait unanimement voler la vedette par le petit chien trop mignon qui disparaît sans laisser de traces après le mariage, la faute, sans doute, au dalmatien taciturne qui n'en aura fait qu'une bouchée. Je monte à 4/10 pour les jolies images des luxueuses demeures de la côte Est et pour le canidé espiègle, mais ma générosité s'arrêtera là : le scénario est trop bas de gamme pour que l'habituelle élégance de Minnelli puisse faire des miracles ici.

2 commentaires:

  1. Je profite des vacances pour me mettre à jour sur tes chroniques... et je m'aperçois que j'ai beaucoup de retard à rattraper. Trêve d'introduction et let's go!

    J'ai dû voir le film il y a quoi... deux ou trois et tout ce dont je me rappelle c'est que Kata-Hari avait participé à la découverte d'un extraordinaire composant chimique qui... faisait de la mousse, qu'il y avait un cheval aux penchants homicides et que la maison de campagne de Mitchum avait été designé par l'architecte d'Ayn Rand. Et aussi que le film était ennuyeux à pleurer.

    Tu mets le doigt sur un des gros problèmes du film à savoir son atmosphère totalement incompatible avec le sujet.

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    1. Sans oublier que le petit chien mange la mousse, et que tout le monde trouve ça absolument normal! Le comble: Katha-Hari martyrisée par Marjorie Main, et qui se force à finir ses œufs pochés de peur de se faire tancer. On y croit!

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