mercredi 8 juillet 2015

Temps d'écran


J'ai l'impression de ne pas avoir parlé cinéma depuis des lustres, la faute à un mois de juin surchargé, à des amis qui préfèrent me traîner voir des choses aussi délicates et raffinées que Jurassic World, à des séjours furtifs dans le Val de Loire, au projet suicidaire d'augmenter ma culture musicale des années 1980, une décennie qui regorge finalement de bonnes surprises; et au projet encore plus suicidaire de calculer le temps d'écran de toutes les performances que j'envisage de nommer aux Orfeoscar.

En effet, étant toujours obsédé par la frontière parfois ténue entre premier et second rôle, ou entre star de premier plan et interprète de genre, j'ai donc pour nouvelle lubie de calculer la durée d'une performance afin de déterminer où la classer dans ma liste.

Ceci dit, le temps d'écran n'est pas l'élément le plus important à prendre en compte, comme le rappellent les exemples contemporains d'Anthony Hopkins dans Le Silence des agneaux et Geraldine Page dans Interiors, dont l'effet produit sur les spectateurs conduit aujourd'hui encore bon nombre d'entre eux à considérer ces performances comme des premiers rôles malgré leur vingt minutes d'apparition. Mais pour moi, il est tout de même rassurant de pouvoir me raccrocher à une durée chiffrée, et voici où j'en suis pour le moment, sachant que les durées ne sont qu'approximatives, à quelques secondes près: je prends en compte tous les plans où apparaît un acteur, même au sein d'une foule, ainsi que les plans où l'on entend sa voix sans le voir; mais j'exclue les gros plans de quelques secondes sur des mains lorsque j'ai un doute et qu'une doublure aurait pu être utilisée.

Mae ClarkeWaterloo Bridge (1931) ≈ 49 minutes, soit 61%.
Claudette ColbertThe Smiling Lieutenant (1931) ≈ 28 minutes, soit 32%.
Miriam HopkinsDr. Jekyll and Mr. Hyde (1931) ≈ 21 minutes, soit 23%.
* Miriam HopkinsThe Smiling Lieutenant (1931) ≈ 24 minutes, soit 27%.
Katharine HepburnAlice Adams (1935) ≈ 65 minutes, soit 65%.
Merle OberonThe Dark Angel (1935) ≈ 44 minutes, soit 42%.
Alice BradyMy Man Godfrey (1936) ≈ 26 minutes, soit 28%.
Carole LombardMy Man Godfrey (1936) ≈ 39 minutes, soit 42%.
Myrna LoyLibeled Lady (1936) ≈ 34 minutes, soit 36%.
Irene DunneThe Awful Truth (1937) ≈ 61 minutes, soit 68%.
Tallulah BankheadLifeboat (1944) ≈ 44 minutes, soit 47%.

Dans l'immédiat, il ressort que les Smiling ladies occupent un temps d'écran vraiment réduit, même si la structure du film ne fonctionnerait pas sans elles; que les apparitions de Merle Oberon sont tellement bien réparties qu'on a vraiment l'impression qu'elle tient un vrai premier rôle malgré un temps d'écran pas si énorme que ça; et que Myrna Loy n'est qu'un membre du quatuor parmi d'autres, bien que là encore, le film ne saurait se passer de son personnage. La plus grande surprise actuellement vient de Carole Lombard, qui a davantage l'air de supporter William Powell au regard de son temps d'écran, même si j'ai du mal à considérer sa performance comme secondaire, bien qu'elle soit en fait un membre de la maisonnée parmi d'autres. Afin d'y voir plus clair, j'attends de comparer avec les autres premiers rôles féminins de la décennie. Mais je pressens que Miriam en 1931, Tallulah en 1944 et bien d'autres encore risquent de passer en supporting. A moins que la vraie question soit qu'un personnage ait un arc narratif propre et qu'il le complète de A à Z (Anna von Flausenthurm), sans seulement être un personnage secondaire gouailleur ou maléfique par rapport au héros. A méditer.

2 commentaires:

  1. Je ne suis pas sûr que c'était absolument nécessaire de compter le temps de Katharine Hepburn dans Alice Adams ou Mae Clarke dans Waterloo Bridge !
    Si tu veux un outil de comparaison pour les films à premiers rôles multiples, il faut comparer avec leurs homologues masculins. Etant donné que plus il y a de stars à l'écran, plus le temps d'écran est partagé, ça ne m'étonnerait pas que William Powell soit autour de 45-50% dans My Man Godfrey. Par contre pour The Smiling Lieutenant, la faiblesse de temps d'écran est logique vu l'histoire coupée en deux arcs narratifs. Pour autant, peut-on dire que Claudette Colbert et Miriam Hopkins sont des personnages secondaires ? Non ! (surtout pour Claudette qui a l'avantage indéniable d'apparaître en première) : ce sont des rôles clés de l'intrigue.

    Mon avis concernant ton dilemme, c'est qu'il ne faut pas regarder le temps d'écran précis, mais l'impact qu'a l'acteur et son personnage sur le film (et sur le spectateur). C'est forcément subjectif, et je vois bien que tu cherches à te raccrocher à des éléments objectifs, mais si tu en venais à généraliser cette règle de temps d'écran, tu devrais sûrement revoir des classements qui te tenaient à coeur !

    Le meilleur exemple, c'est Libeled Lady. Le film refuse de détacher un acteur ou actrice parmi les quatre stars. C'est le spectateur, qui en préférant l'un ou l'autre, va décider que untel ou unetelle est le/la meilleur(e) du film. Pour moi c'est Myrna Loy et William Powell. Pour d'autres ce seront Jean Harlow et/ou Spencer Tracy. C'est donc bien que c'est une impression subjective qui va compter et laisser une empreinte dans l'esprit du public.

    Le temps d'écran peut être amusant à analyser, mais l'utiliser comme critère de sélection aux "orféoscars" risque de frustrer tes préférences originelles, celles là même qui, à mon avis, sont celles que les lecteurs de ton blog (en tout cas moi) attendent.

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    1. Oui: pour Dunne, Hepburn et Clarke, calculer le temps d'écran n'avait aucun intérêt, mais comme j'ai revu les films cette semaine pour faire des captures d'écran (rapport à mon besoin compulsif de collecter les images des films que j'aime pour les regarder à loisir), j'en ai profité pour relever leur temps d'apparition dans la foulée, par pure curiosité, notamment pour estimer à peu près la durée d'un vrai premier rôle des années 1930.

      Quant au dilemme, je te remercie pour ton ressenti. Je me disais justement hier soir que malgré son temps d'écran minime, Hopkins ne peut quand même pas être secondaire dans le Lieutenant, me souvenant avoir écrit quelque part que le changement d'état d'esprit qui la caractérise "fait" justement le film.

      Du coup, je continue quand même de considérer que le Lieutenant est un trio de premiers rôles, Libeled Lady un quatuor, et que Lombard occupe la principale dynamique de Godfrey avec Powell. A chaque fois que je regarde The Dark Angel, Oberon me semble légitimement "leading", d'autant que ses apparitions sont très bien réparties et ses tourments bien exploités (mais j'avoue avoir été tenté de tricher un moment histoire de donner un prix à Oberon, que j'aime beaucoup mais n'arrive jamais à récompenser).

      Reste Tallulah dans Lifeboat: neuf personnages, dont chacun apparaît obligatoirement même en arrière-plan vu l'espace étroit occupé, et tous ne sont pas aussi exploités que d'autres. Disons qu'on la voit davantage que ses collègues mais porte-t-elle réellement le film sur ses épaules? A mon avis, le centre de gravité reste la barque et les diverses relations entre les rescapés, alors ne serait-elle pas plus à sa place en second rôle (aux côtés de Mary Anderson qui est très bien elle aussi)? Je n'arrive pas à trancher. Disons que ça pourrait être une idée intéressante dans la mesure où je n'arrive pas à avoir une préférence pour le second rôle 1944 (Revere? Sondergaard? Sans grande conviction), et où ça m'embête de ne rien donner à Barbara Stanwyck en premier rôle alors que ses deux partenaires sont bien partis pour l'emporter dans les deux catégories d'interprétation masculine.

      En fait, les deux principaux problèmes de mon blog n'ont pas grand chose à voir avec le temps d'écran. Il s'agit en fait d'une part de la futilité de tenir à remettre des prix alors qu'il y a trop d'excellence chaque année (dans l'absolu, il faudrait faire comme le National Board of Review et lister ce qui mérite d'être vu sans se limiter à un certain nombre, sans compter qu'au stade où j'en suis, les Orfeoscar sont plus une histoire de redistribution que de récompense du meilleur de l'année); et d'autre part mon besoin maladif de vouloir sacrer Miriam Hopkins pour un premier rôle. Vu qu'il s'agit de mon actrice préférée j'ai évidemment très envie de la couronner dans la catégorie la plus prestigieuse (ça me brise déjà le cœur de ne pas pouvoir le faire pour Myrna Loy qui doit se contenter d'un prix du second rôle), mais... en 31 il y a Mae Clarke (Hopkins elle-même étant imbattable en second rôle, donc pas question de lui donner un prix dans les deux catégories), en 33 Garbo et en 35 Hepburn... Bref, le problème est bien là! Hepburn et Hopkins n'arrêtent pas de repasser l'une devant l'autre en 35, et certes, Hepburn pourrait gagner en 38 mais j'aime aussi beaucoup Davis, et Loy (!), et Shearer (!), et en 39 je ne peux plus snober Leigh, et en 40 il y a Russell, et... c'est trop compliqué!

      Quoi qu'il en soit merci de ton commentaire qui m'aide à assumer mes choix originels, qui me correspondent effectivement mieux, indépendamment du temps d'écran d'un interprète.

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