samedi 28 décembre 2019

The House of the Seven Gables



J'ai enfin découvert un film que je cherchais depuis longtemps: The House of the Seven Gables (La Maison aux sept pignons), un film gothique de la Universal réalisé en 1940 par un metteur en scène autrichien, Joe May, adapté d'un roman des années 1850 de Nathaniel Hawthorne, et soutenu par des interprètes de haute qualité: l'exquise Margaret Lindsay, ayant enfin l'occasion de sortir de l'ombre de Bette Davis, et les atrocement séduisants Vincent Price et George Sanders. En d'autres termes, j'aurais dû beaucoup aimer.

Et j'ai aimé! Néanmoins, The House of the Seven Gables n'est pas un grand film. On peut même dire que c'est décevant sur bien des points. Et pour cause! C'est un film de série B, tourné en un mois, et produit avec un budget dérisoire, loin du petit million accordé, ces années là, à chaque production de la star du studio: Deanna Durbin. A dire vrai, ayant vu Vincent Price au générique associé au mot "gothique", je m'attendais à une ambiance préfigurant le superbe Château du dragon de Mankiewicz, mais clairement, l'Universal et la Fox ne jouaient pas dans la même cour dans les années 1940. J'ai donc assez rapidement déchanté en réalisant qu'on ne verrait presque jamais la fameuse maison terrifiante, qui aurait dû être l'héroïne du film, et qu'il faudrait se contenter d'une décoration d'intérieur plus que sommaire et de quelques volets battus par les vents, ou par la bien nommée Hepzibah Pyncheon.

Ceci dit, une fois admis que le budget ne permettait pas d'aboutir à du grand cinéma, il est tout de même permis de passer un bon moment devant cette histoire de condamnations à tort, de malédictions et d'escaliers cachés. Je n'ai cependant pas lu le roman de Nathaniel Hawthorne, mais l'on sent bien que le film ne retranscrit pas l'ambiance attendue: quelques plans à la bougie, ou à l'ombre des persiennes, ne suffisent pas à donner corps à la fameuse malédiction détaillée tout au long de l'ouverture, de telle sorte qu'on ne tremble jamais et qu'on se doute dès le départ qu'il n'y aura finalement rien de bien méchant entre ces murs. Malgré tout, quelque chose fonctionne: on se prend totalement au jeu de ce trio fratricide, et l'on a constamment envie de connaître la suite de ses aventures. Les amateurs du livre regrettent néanmoins que les scénaristes, Harold Greene et Lester Cole, aient dû faire des coupes pour parvenir à la durée maximale d'une heure trente, et les conservateurs leur reprochent quant à eux d'avoir injecté un sous-texte trop libéral à leur goût, en faisant de l'antagoniste principal un capitaliste tyrannique s'enrichissant grâce à l'esclavage, et symbolisant par-là même les gouvernements fascistes alors en vigueur en Europe, par opposition aux héros abolitionnistes et non cupides. A titre personnel, j'ai aimé cette histoire, mais c'est aussi qu'elle est incarnée avec vigueur par les comédiens sus-cités.

En effet, les frères ennemis Price et Sanders sont charismatiques en diable et se chargent de donner toute la tension qui faisait défaut à la fameuse maison où les drames se jouent, et aucun n'arrive à voler la vedette à l'autre, d'où un bon équilibre entre ces forts caractères diamétralement opposés. Tous deux surjouent un peu à l'occasion, avec un rire machiavélique par-ci (et pas chez le plus méchant de la fratrie!), ou une scène de panique très appuyée par-là, mais les acteurs se renvoient la balle avec beaucoup d'énergie, et leur jeu autrement toujours juste rend chaque scène tout à fait captivante: même lorsqu'ils sont séparés par le destin et ne partagent plus l'écran, le balancement d'un parcours à l'autre n'en reste pas moins savoureux grâce à leur forte personnalité. Prise entre deux feux, Margaret Lindsay est quant à elle trop mielleuse, ou trop fâcheusement souriante avant les drames, mais dès lors que la fortune la transforme en Miss Havisham avant l'heure, et qu'elle se cloître dans sa maison aux volets clos pendant vingt ans, l'actrice devient proprement saisissante et nous prend à la gorge dans un grand rôle de vieille fille sèche mais aimante malgré tout, et dont les touches de regret savamment distillées, en dépit de l'image austère qu'elle cherche à donner d'elle, apportent des nuances dignes des plus grandes comédiennes.

En dehors de l'interprétation de qualité, The House of the Seven Gables est, comme je le disais, un film décevant: les velléités expressionnistes de Joe May ne donnent rien à cause d'un budget trop limité; l'édifice, supposément pesant et mystérieux, n'est finalement guère plus angoissant que la petite maison dans la prairie; toute correcte soit-elle, la musique de Frank Skinner n'est pas remarquable au point de mériter une nomination à l'Oscar; et les infarctus à répétition sont loin de révolutionner l'histoire du jeu d'acteur, mais une intrigue malgré tout passionnante, deux comédiens en grande forme et une performance surprenante de Margaret Lindsay parviennent à faire passer un bon moment sans que jamais l'ennuie ne poigne, sans réussir, néanmoins, à combler l'énorme manque d'ambiance qu'on espérait y trouver.

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Bette: C'est gentil de citer mon nom dès le préambule, mais je me serais bien passée de votre photo-montage affligeant! Oui, je suis toujours aussi aimable, je le vis bien.