mercredi 25 mai 2022

Hiéroglyphes et caméras


Après Gourdon, je me suis dirigé vers la deuxième sous-préfecture du Lot, Figeac, que j'avais déjà vue dans les années 1990 à l'occasion de la visite du musée Champollion, mais dont je n'avais aucun souvenir. Tout fut donc à redécouvrir, et il y a de quoi s'occuper, puisque la ville regorge d'ogives et de colombages témoins d'un riche passé médiéval. Pour ma part, je suis arrivé dans la place en fin d'après-midi : beaucoup de monuments étaient déjà dans la pénombre du soir pour justifier un mitraillage photographique en règle, mais la visite n'en fut pas moins intéressante au gré des rues anciennes. Dommage qu'une odeur persistante d'urine dans de trop nombreux recoins ait franchement gâché la promenade.


En contrepartie, les gens ont l'air vraiment agréable dans ces pays occitans, loin de la mentalité des Agenais et des Girondins. Par exemple, alors que je photographiais cette jolie tour carrée de l'hôtel du Viguier du Roy, ornée d'une tourelle du XIVe siècle, une passante s'est arrêtée pour me laisser le temps d'immortaliser le cliché. Et comme je suis très sociable quand je me sens en confiance, je lui ai retourné son sourire en la priant de ne pas interrompre sa course pour moi, d'autant plus que j'étais en train de zoomer sur le haut du bâtiment. "Il y a peu de chance que j'atteigne le cadre, alors", me répondit-elle d'une manière tout à fait charmante. J'ai fait des rencontres similaires dans les rues de Rodez et d'Albi, preuve que les gens de cette région sont beaucoup plus détendus qu'en Aquitaine, ce qui fait un bien fou quand on a eu le malheur de connaître l'enfer bordelais.


L'hôtel de la Monnaie, le palais Balène, les vieilles maisons de la rue Gambetta : Figeac regorge décidemment d'attraits, qui datent pour la plupart des XIIIe et XIVe siècles, mais qui s'apprécieront mieux encore un peu plus tôt dans l'après-midi. La place Carnot n'est pas en reste : sa halle de la toute fin du XIXe siècle ne masque nullement la beauté médiévale des bâtiments alentour, des façades à colombages sur fond de briques…


… à la tourelle étroite de cette maison qui veille sur l'animation de la place en début de soirée.


Le cœur de la ville reste cependant la place Champollion, où se dressent de merveilleux monuments dentelés d'ogives, dont la maison natale du plus célèbre citoyen de Figeac, la maison du Griffon, considérée comme le plus vieil édifice de la cité, et cette superbe demeure gothique du XIVe siècle. Le héros de la ville, Jean-François Champollion, est considéré comme le père de l'égyptologie moderne et reste le premier à avoir déchiffré avec succès les mystérieux hiéroglyphes du temps des pharaons, malgré des tentatives antérieures remontant au Xe siècle. Il était trop tard pour faire la visite du musée ce soir-là, mais je me souviens avoir été très marqué dans mon enfance par les répliques de la pierre de Rosette qu'on pouvait y voir.


Plus éblouissante encore, la reproduction géante en granite noir disposée sur la place des Écritures se marie finalement très bien aux ogives médiévales et aux pierres blanches du Quercy. Très attaché au pays antique qui le fascinait, Champollion avait déclaré : « Je suis tout à l'Égypte, elle est tout pour moi. » Eh bien de mon côté, j'en connais certaines qui vont encore plus loin et qui prétendent sans détours…


… être l'Égypte ! Assurément une noble ambition.


Claudette Colbert nous rappelle surtout qu'un autre de ses compatriotes, avec qui elle partagea notamment l'affiche dans les décevants Mondes privés et Tovarich, quitta également la France pour mener une brillante carrière cinématographique aux États-Unis. Un festival a visiblement rendu hommage à Charles Boyer l'année dernière, 122 ans après sa naissance à Figeac. J'espère qu'Elle et Lui, L'Étrangère, Par la porte d'or, Hantise et Madame de… ont fait partie de la sélection.


Des remparts médiévaux aux collines verdoyantes de l'autre côté du Célé, en passant par des hôtels particuliers foisonnant dans tout le centre historique, au son des échos lointains d'Amon-Rê et d'Hollywood, Figeac est assurément une ville captivante qui mérite le détour. Je lui ai préféré l'ocre sérénité de Gourdon, mais Figeac n'en reste pas moins, par la richesse de son patrimoine, la plus belle ville du département.

Et maintenant, une question pour toi, cher lecteur amoureux du camp et des divas flamboyantes : qui est ta pharaonne préférée au cinéma ? Anne Baxter ou Claudette Colbert ? 

lundi 23 mai 2022

La tortue jaune


Je vois que c'est aujourd'hui la journée mondiale de la tortue. Or, je suis précisément passé dans une rue qui met cet animal à l'honneur la semaine dernière, sur la route des vacances. La rue tortue se situe dans la jolie commune quercynoise de Gourdon, qui à l'instar de sa voisine du Périgord Sarlat brille par ses murs en vieilles pierres jaunes. Gourdon est nettement moins spectaculaire, mais c'est une étape plus sereine dans laquelle j'ai passé un excellent moment. Le but de ce voyage était de découvrir ces départements alors inconnus pour moi que sont le Tarn et l'Aveyron, aussi me fallait-il traverser le Lot en venant de Dordogne. Deux options s'offraient alors à moi : Souillac ou Gourdon. Pas des toponymes ravissants d'un point de vue poétique. J'ai finalement opté pour Gourdon et je ne regrette pas mon choix. Cette sous-préfecture ne possède pourtant pas de monuments ouvertement gothiques comme à Figeac, ni de pont à tours comme à Cahors, mais je crois que des trois villes, c'est elle qui a ma préférence.


Gourdon est bâtie sur un éperon rocheux qui domine le pays de Bouriane, ce qui offre de jolis points de vue sur les alentours depuis l'esplanade d'un château disparu.


La montée au belvédère est aussi l'occasion d'observer les jolies maisons anciennes qui se pressent autour du chevet de l'église fortifiée Saint-Pierre.


Celle-ci fut édifiée entre les XIVe et XVe siècle, avec une grande période d'interruption due à la guerre de Cent Ans. Bien que située plus au nord des régions anciennement touchées par le catharisme, l'église se rattache au courant architectural gothique dit méridional, d'où son caractère austère et défensif, mâchicoulis à l'appui, destiné à marquer dans la pierre la primauté du catholicisme sur les hérésies.


Sa façade s'observe tout particulièrement bien depuis la place de l'hôtel de ville, si tant est que « bien » soit un mot approprié dans la mesure où, comme bon nombre de petites communes, les voitures sont encore autorisées à se garer devant les monuments historiques. Certes, il faut bien que les habitants puissent rentrer chez eux, mais dans une ville comme Gourdon, il semblerait judicieux de piétonniser l'ensemble du secteur historique, alors qu'il y a largement la place de se garer le long des avenues circulaires qui l'encerclent.



Par bonheur, les voitures n'enlèvent rien au charme des vieilles rues. La plus célèbre d'entre elles, qui était d'ailleurs l'artère principale de la ville jadis, est la rue du Majou, où les rez-de-chaussée sont marqués par de belles ogives.


Il est surtout bon d'errer dans le secteur de la maison du Sénéchal, où l'on a recréé un jardin médiéval dans un labyrinthe de petites ruelles étroites. Entre les pierres jaunes et la verdure des arbustes, la promenade est particulièrement agréable sous le soleil d'un milieu d'après-midi.


À un kilomètre du centre-ville, on atterrit à la campagne, où les eaux du Bléou arrosent la chapelle Notre-Dame-des-Neiges. D'abord lieu de pèlerinage contre la peste, elle fut détruite lors des guerres de Religion, puis reconstruite au XVIIe siècle, ce dont témoigne un grand retable polychrome des sculpteurs Tournié, qui me laisse toutefois indifférent. Je suis plus sensible au joli plafond de bois à poutres qui invite à la méditation. Ces jolis bâtiments font de Gourdon un détour sympathique sur la route du Sud. Il est même permis de trouver que le centre-ville a une forme de tortue, à en juger par sa forme arrondie autour de la butte !


Mademoiselle Mozart


Allez, un article de cinéma, tout de même ! Je disais l'autre jour que j'ai vu pour la première fois la très attendue Mademoiselle Mozart, une comédie loufoque de 1936, le registre de prédilection de la divine Danielle Darrieux. Dans ce film écrit, produit et réalisé par Yvan Noé d'après sa propre pièce, elle y incarne la directrice d'un magasin d'instruments de musique situé avenue Mozart à Paris. Malheureusement, les affaires ne marchent pas fort, car il ne se trouve pas de clients ayant besoin au quotidien de flûtes ou de trombones. Mais c'est sans compter sur Pierre Mingand, un héritier richissime qui, cherchant à échapper à un mariage arrangé, tombe amoureux de la demoiselle et entreprend de se faire employer par elle pour la séduire. Sauf que la dame n'est pas dupe et n'entend pas lui mener la vie facile : confrontations explosives garanties !

Disons-le tout de suite, Mademoiselle Mozart n'est pas un grand film, mais c'est parfaitement divertissant. L'histoire doit surtout à l'alchimie entre Danielle Darrieux, qui n'a jamais froid aux yeux et tance toujours ses soupirants afin d'exister par elle-même, et Pierre Mingand, son partenaire sympathique qui ne craint pas le ridicule tout en conservant son élégance habituelle, et qu'elle croisa dans sa carrière à plusieurs reprises, notamment dans Mauvaise Graine, Abus de confiance et Retour à l'aube. Tous deux adorent se confronter et se piéger l'un l'autre, ce qui donne beaucoup de piquant à un film qui autrement ne décollerait pas du registre "bon enfant". Il faut notamment voir les gros plans sur Danielle, qui essaie toujours de prendre un air revêche afin d'éloigner les hommes trop entreprenants, tout en ne pouvant dissimuler l'esquisse d'un sourire en coin devant des situations qui au fond l'amusent beaucoup. À ce titre, la tête qu'elle fait lorsque son employé tente de vendre, tant bien que mal, un instrument au premier client venu, est impayable.

Le scénario utilise nombre de quiproquos typiques du théâtre de boulevard pour faire rire, notamment dans des histoires de ventes, puisqu'il s'agit de sauver le magasin de la faillite alors que le bourgeois, qui n'a par essence jamais travaillé, se retrouve bien en peine lorsqu'il doit vendre des cors et chasse ou des pianos à queue. Il use alors de stratagèmes bien de sa classe, puisqu'il rachète secrètement la boutique et place l'huissier chargé de la liquidation comme propriétaire de façade, tout en achetant lui-même plusieurs instruments par jour qu'il donne à ses domestiques. Lorsque Danielle est dans la pièce, il fait venir une amie à lui, qui revient constamment déguisée sous un nouvel accoutrement, pour lui vendre des instruments avec l'argent qu'il lui a donné au préalable, mais la patronne finit par voir clair dans son jeu et découvre le pot aux roses en arrivant chez lui à l'improviste : toute la maisonnée est occupée à apprendre le solfège avec les instruments du magasin ! Pour l'obliger à mettre réellement la main à la pâte, et de plus en plus sensible à ce jeu de séduction, elle accepte de sortir avec lui s'il parvient à vendre, sans l'acheter lui-même, un objet au premier client entrant dans le magasin. Cela tombe sur le directeur d'une œuvre de charité qui vient uniquement demander l'aumône, mais le fringant vendeur n'est pas à court de ressources. C'est hélas le dernier grand moment du film : le troisième acte dérivant sur une soirée arrosée, à la suite de laquelle Danielle se retrouve dans le lit de son soupirant qui lui fait croire qu'il ne sait pas comment elle est arrivée là, n'est pas drôle du tout. La fin du film s'enlise dans cet interminable quiproquo jusqu'à un mariage attendu mais peu convaincant.

Au moins, le couple principal se charge d'électriser le tout. On ne peut pas en dire autant des personnages secondaires qui, je le disais, restent dans un esprit "gentillet" mais dont les ressors comiques n'ont pas très bien vieilli. Louis Baron fils campe ainsi un huissier beaucoup trop accommodant pour donner du relief au conflit principal ; Pauline Carton est quant à elle sympathique mais abuse de mimiques qui ne font plus rire grand monde désormais, sans compter qu'on a eu le malheur de lui attribuer un numéro musical horrifiant ; Pierrette Caillol est pour sa part très mal utilisée en comédienne déguisée en aviatrice ou en veuve éplorée, accents à l'appui, d'autant que ses apparition n'aboutissent qu'à faire une blague raciste dont on se serait bien passé ; Christiane Dor, la maîtresse de l'huissier, n'est qu'une silhouette de boulevard qui court après son amant (quel dommage de ne pas lui avoir fourré un rouleau à pâtisserie dans la main !), et enfin, la haute société du film est faussement coincée, mais rien qui arrache un véritable sourire. À vrai dire, même le quiproquo aux chiens qui ouvre le film est loin d'être hilarant en soi, même si l'on s'amusera de voir Pierre Mingand avec un danois au milieu d'hommes d'affaires affublés de fox-terriers. Un certaine franchise de ton est tout de même surprenante pour une comédie de cette époque, puisqu'on y parle de perversion sexuelle sans sourciller, de quoi trancher avec les répliques de boulevard complètement incongrues, à l'image de l'huissier confiant à de parfaits inconnus : "Tiens ! Voilà ma maîtresse !"

La scène la plus célèbre et la plus réussie de Mademoiselle Mozart est le duo "Ça vient tout doucement", une chanson très agréable qui reflète à merveille le caractère des deux héros, lui en amoureux intrépide qui tente maladroitement de se faire aimer, elle en jeune femme de 19 ans parfaitement maîtresse des situations et de ses émotions. Les autres chansons chantées en cours de route sont "You", "Dans la vie" et "Le Bonheur c'est un rien" : j'adore les duos, qui furent enregistrés plus tard sur disque pour un son de meilleure qualité, mais leur effet dans le film est moindre que le duel pianistique. Tous ces airs ont été écrits par Camille François et composés par Wal-Berg et illustrent parfaitement le style de musique que j'adore dans ces années-là. Ces mélodies entraînantes ou langoureuses permettent de passer un bon moment devant ce film sympathique, qui est cependant loin du chef-d'œuvre, malgré l'énergie communicative de Pierre Mingand et Danielle Darrieux. Je craignais que le disque des éditions Gaumont fût cher payé vu l'absence de restauration, mais l'image reste correcte en l'état. À noter également l'une des toutes premières apparitions de Michèle Morgan, parmi les chorus girls du restaurant.

dimanche 22 mai 2022

Mandoline et mandarines


Vendredi, Gretallulah a fêté ses dix ans ! J'aurais voulu célébrer cet anniversaire le jour J, mais à ce moment-là, je sillonnais les routes de l'Albigeois, pour ma croisade annuelle contre les retraités mal habillés. Alors, avec un peu de retard, je voulais simplement dire que je suis content d'écrire encore ici, même si le rythme est devenu de plus en plus changeant au fil des ans. Je me disais que c'était aussi l'occasion de me présenter à ceux qui passent fidèlement vérifier si un nouvel article a été publié, avec ce portrait pris l'été dernier et intitulé « mandoline et mandarines » : un instrument baroque et un arbre chinois, voilà deux emblèmes qui me définissent parfaitement ! Certes, la mandoline attend toujours d'être restaurée, mais cela reflète aussi l'imperfection nécessaire de ma vie et de mes désirs sentimentaux et musicaux. Dans l'absolu, j'aurais préféré avoir un profil méditerranéen, savoir être décontracté en public et mener une grande carrière musicale, mais tel je suis, tel il me fallait être. J'ai finalement décroché un métier de rêve dans un tout autre domaine, alors, au lieu de penser à ce qui aurait pu être, autant profiter de ce qui est.

Surtout, l'évolution de ces dix dernières années est plutôt positive : j'avais créé le blog alors que j'étais au cœur d'une dépression de huit ans, une époque affreuse où j'avais constamment froid, où je passais mon temps à vérifier trois fois que j'avais bien fermé ma porte, et où j'étais tristement isolé dans une grande ville inhospitalière. Entre relations familiales très difficiles et premières amours exécrables, je reviens de loin. L'avantage, c'est que lorsque l'on sort d'une dépression, on devient beaucoup plus serein. La clef, je crois, est l'esprit de découverte : ne jamais rester enfermé au milieu des seules choses que l'on connaît, s'informer sur des sujets méconnus, prendre le premier moyen de transport à sa disposition pour partir visiter de nouveaux lieux, observer la nature et les formes du paysage autour de soi, s'inscrire dans un club de théâtre, voilà autant de choses qui m'ont sauvé, alors que j'étais livré à moi-même et n'avais personne pour m'aider à sortir d'un tunnel dont je ne voyais pas le bout. Il faut savoir ravaler son orgueil, et accepter de tirer un trait sur des amitiés qui n'en sont plus : on ne fait pas les bonnes rencontres tout de suite, et l'on a d'abord l'impression que les nouvelles activités ne sont pas à la hauteur de nos ambitions, mais de fil et aiguille, ces contacts nous ouvrent de plus en plus de portes vers de nouveaux horizons, jusqu'à ce qu'on finisse par se retrouver dans un univers et une compagnie qui nous plaisent. Ne surtout pas avoir peur du temps qui passe : il n'y a aucune honte à accomplir quelque chose qui nous satisfasse à un âge plus avancé qu'on l'eût voulu.

Pour le moment, je suis plutôt d'humeur vagabonde dans un esprit géographique, et moins cinématographique que par le passé : je regarde nettement moins de films qu'il y a dix ans, mais j'apprécie grandement de pouvoir me détacher des écrans et partir à la découverte de lieux insolites à portée de main. Je romps ainsi avec la ligne éditoriale qui était celle du blog à ses débuts, mais à l'époque, je n'avais pas la maturité nécessaire pour réaliser qu'il est illusoire d'attribuer des prix à des actrices, au lieu de profiter des interprétations de chacune d'entre elles sans aucun esprit de compétition. J'ai tout de même envie de continuer à parler de cinéma et de divas égocentriques, alors n'hésitez pas à me suggérer des noms de comédiennes dont la filmographie mériterait d'être explorée. Il y a plus d'un an, j'ai revu la seconde version de Dr. Jekyll & Mr. Hyde, et contre toute attente, j'y ai trouvé Ingrid Bergman épatante. Comme quoi, aucune pensée n'est figée dans le temps, et tout est matière à redécouverte !

J'ai écrit un super paragraphe à ce sujet, mais je suis bloqué sur mon passage en revue des actrices de 1941 depuis cinq saisons désormais… Alors que c'est déjà rédigé aux deux tiers… Je ne sais pas comment débloquer tout ça. Bref, si vous voulez me suggérer un article sur une actrice en particulier, n'hésitez pas à me proposer des idées, ça pourrait peut-être me remotiver à parler davantage de cinéma si je perçois l'écriture comme une commande.


~ Mes articles favoris ~


Je profite de cette célébration pour mettre en lumière quelques articles que j'ai tout particulièrement pris plaisir à rédiger :

* La rétrospective Zhou Xuan : ce répertoire m'a demandé plusieurs années de recherches à la seule aide de sinogrammes, et m'a permis de faire de merveilleuses découvertes hors des sentiers battus.

* Les candidates à l'Oscar 1963 : après une dizaine d'années à tâtonner pour trouver un format satisfaisant, j'ai vraiment pris plaisir à ce passage en revue, à propos d'une année méconnue.

* Les fantasmes slaves d'Édith Jéhanne : deux histoires comparées de Raymond Bernard, dans les palais de glace de la Russie tsariste.

* La piscine de la pharaonne Louisette : parce que c'est profondément stupide, et que rien de tel qu'un bon rire de temps en temps !

* Les grands rôles de Bette Davis : mon actrice préférée de tous les temps en ses très riches heures.



~ Festivités ~

Et pour célébrer cet anniversaire gretallulien en beauté, voici quelques chansons que je prends plaisir à écouter en ce moment :

* Zhou Xuan : "Chùchù wěn". Une chanson joliment rythmée qui invite à l'amour et aux baisers.

* Danielle Darrieux : "J'aime tout ce qu'il aime". Un duo avec Pierre Mingand sur rythme alla Django Reinhardt, pour une chanson entraînante à souhait.

* Deanna Durbin : "My Own". Parce qu'une célébration gretallulienne n'aurait aucun sens sans Deanna !

* Marie Laforêt : "Lettre à un mari". Je suis le plus grand fan au monde de Marie Laforêt, et je n'avais jamais entendu cette chanson avant l'automne dernier ! Je l'écoute en boucle depuis.

* Lata Mangeshkar : "Bhooli hui yaadon". Une jolie reprise d'une chanson de Mukesh, par une artiste de légende malheureusement décédée cette année du covid.

* Jil Caplan : "Natalie Wood". Même si j'avais quinze ans de retard, c'était la chanson de mes années lycée. Je l'ai redécouverte récemment, et j'aime toujours beaucoup.

* Melina Mercouri : "Na me thimase". Une chanson magnifiquement mélancolique, qui m'a accompagné toute cette fin d'hiver.

* Isabelle Aubret : "C'est beau la vie". Je redécouvre les jolies chansons d'Isabelle avec grand plaisir, en ce mois de mai de vacances.

* Ingeborg Hallstein : "Duo de Papageno et Papagena". Et parce que demain sera à nouveau l'anniversaire d'Ingeborg, je reposte ce duo savoureux avec Peter Alexander, qui me met du baume au cœur au quotidien.

À très vite pour de nouveaux articles !


dimanche 15 mai 2022

Le pont de Sénoueix

Histoire de varier un peu les paysages, nous voici ce soir dans la Creuse, un département où je n'avais jamais mis les pieds avant l'été dernier. Voilà longtemps que je rêvais de voir le pont de Sénoueix, sans aucun doute le monument le plus célèbre du plateau de Millevaches, et c'est désormais chose faite, pour avoir fait le détour exprès sur la route de l'Auvergne. Je n'ai pas eu l'occasion de m'arrêter sur ces routes minuscules pour photographier les paysages alentour, mais décidément, j'adore le Limousin ! C'est une région moins spectaculaire que sa voisine volcanique, mais c'est extrêmement beau et paisible : une heureuse alliance de conifères et d'arbres à feuilles caduques, alternant avec des prairies et de jolis reliefs, donne à ce territoire les avantages de la montagne sans les inconvénients. Certes, c'est un peu enclavé, mais il fait bon s'y promener. Je connais surtout la Haute-Vienne, déjà ravissante, et je n'ai pas été déçu par la Creuse : même si le fameux lac artificiel de Vassivière ne m'a jamais attiré, les chemins qui y conduisent sont magnifiques. Mais tout cela n'était qu'un avant-goût : l'objectif estival était l'Auvergne, il me faudra ainsi revenir explorer la Creuse plus en détail.


Situé sur la commune de Gentioux-Pigerolles, la plus vaste du département, le pont de Sénoueix est qualifié à tort de « romain » : s'il est possible qu'un pont antique ait existé sur le Thaurion à l'époque gallo-romaine, il n'en reste plus de traces désormais. Les spécialistes estiment à présent que la construction de cette arche unique, seul vestige d'un élément plus vaste qui soutenait une voie pavée, remonterait au XVIIe siècle. Quel bond dans le temps ! Un cintre aurait pu servir pour l'élaboration de la voûte en granit. Non ! Pas ce cintre-là ! Dormez tranquille, Joan et Christina ! D'ailleurs, c'est un lieu qui invite à la sérénité, et qui se porte mieux sans personnes toxiques dans les parages : il s'y trouvait ce jour-là une horrible femme, qui se croyait sublime, et qui ne voulait pas se détacher du pont tant que son soupirant réduit en esclavage n'avait pas pris d'elle un cliché à sa convenance. Autant dire que je dus m'armer de patience pour avoir le droit de photographier à mon tour l'ouvrage, qui est vraiment plus beau sans cette dame au premier plan. La surprise de la balade, c'est que j'imaginais ce pont perdu au milieu de nulle part dans la campagne, alors qu'il se situe au contraire très près de la route et du parking d'accès. Les jolies couleurs d'un début d'après-midi le rendent d'autant plus charmant, bien que la promenade soit de courte durée.

samedi 14 mai 2022

Randonnée à Montferrand


Je suis terriblement mélancolique depuis quelques jours : j'ai dû faire mes adieux à une personne qui m'est très chère et, même si ce n'est qu'un au revoir et que nous nous reverrons à l'automne, j'ai la sensation d'étouffer après quelques mois de pur bonheur. Pour sûr je n'ai pas la tête à parler de grand art : je voulais rédiger de superbes critiques d'Une Fine Mouche revue il y a peu et de Mademoiselle Mozart découverte dimanche dernier, mais je n'arrive pas à me concentrer dessus. La préparation de tops Joan Crawford et Ingrid Bergman me motive un peu plus, mais il me faudra le temps de les mener à terme. En parallèle, je lis en alternance Le Secrétaire intime de George Sand et Nord et Sud d'Elizabeth Gaskell, deux œuvres qui mériteraient d'être évoquées dans ma nouvelle rubrique littéraire, mais je suis loin d'en avoir terminé la lecture. De toute manière, j'ai besoin d'évasion, alors quoi de mieux que de poster quelques photographies ensoleillées croquées entre l'été dernier et ce nouveau printemps ? Aujourd'hui, partons dans le pays de Donezan, une terre ariégeoise de confins, historiquement rattachée au comté de Foix, mais qui dans les faits regarde davantage vers l'Aude et les Pyrénées-Orientales, plus directement accessibles que le reste de l'Ariège grâce à la haute vallée du célèbre fleuve languedocien.


L'Aude borde justement la commune du Puch, sur laquelle se situe le point de vue que j'évoque ce soir : le sommet de Montferrand. Rien à voir avec l'Auvergne, malgré la toponymie que cette petite montagne partage avec la capitale du Massif central. Cette butte est d'ailleurs complètement méconnue car très peu évoquée, à juste titre sans doute, étant donné qu'elle est loin d'être le sommet le plus spectaculaire de la région. On en fait l'ascension en trois minutes depuis la plaine et le tout ne constitue qu'une étape agréable sur des randonnées plus étoffées. Pourtant, j'ai beaucoup d'affection pour ce lieu, où je reviens toujours avec plaisir lorsque je séjourne dans les parages. D'une part parce que sous le soleil estival, la promenade depuis les « grands » villages du canton, Rouze et Quérigut, reste tout à fait agréable entre sapins et rochers qui bordent le chemin, mais aussi parce que le point de vue qui se dévoile à sa cime est assez joli pour mériter le coup d'œil. En effet, malgré sa petite taille, la roche de Montferrand jouit d'une position centrale dans la plaine, sans subir l'ombre des montagnes situées bien plus loin sur l'horizon : la vue est ainsi totalement dégagée pour mieux inviter à la contemplation.


Je ne vous mentais pas ! Un ciel bleu éclatant et de la verdure à perte de vue, voilà qui agrémente à merveille un bel après-midi d'été. Le village que l'on aperçoit au second plan est la capitale du Donezan, Quérigut, dominée par les ruines d'un château répondant à celui d'Usson à Rouze : la butte de Montferrand se situe quasiment à mi-chemin entre ces deux tours, dont nous reparlerons.


En compagnie de l'Aude, le symbole de la frontière entre les trois départements pyrénéens évoqués reste l'imposant massif du Madrès, que le balcon de Montferrand permet d'admirer sans modération. Ce massif doit son nom au pic de Madrès, le point culminant de l'Aude.


En face, le regard se porte sur les montagnes qui séparent le Donezan du reste de l'Ariège, notamment le port de Pailhères, ici caché par l'arbre mais qui aura droit à son propre article. Ce col n'est ouvert qu'en été : il faut passer par l'Aude le reste de l'année pour pénétrer dans ce pays-ci. Sur la gauche, la jolie montagne qui se découpe à contre-jour est le pic de la Camisette, situé comme le port de Pailhères sur le territoire de Mijanès, une commune pas avare en sommets majestueux. Rien que pour toutes ces vues réunies, Montferrand vaut vraiment le détour !

dimanche 1 mai 2022

Églises troglodytiques du Sud Charente


Rassurez-vous : ce blog n'a pas été piraté par Ségolène Royal, et n'a pas pour objectif de se muer en annexe de l'office du tourisme de la région Poitou-Charentes. Simplement, comme je reviens visiter ma famille tous les samedis, ce sont ces coins que j'explore actuellement, pour en découvrir, ou redécouvrir, les beautés cachées. Ce jour, nous partons dans la Charente des terres, à la frontière de la Dordogne, avec deux bourgades réputées pour leurs églises creusées dans la roche : Gurat et Aubeterre-sur-Dronne. Pour moi qui aime chanter dans les lieux sacrés, je suis servi : ces églises offrent une excellente acoustique, et celle de Gurat est assez secrète pour s'y retirer le plus tranquillement du monde.

La chapelle Saint-Georges de Gurat


Cette chapelle rupestre a l'insigne honneur d'être parfaitement monolithe, à savoir sculptée dans un unique bloc de pierre. Il s'agit à l'origine d'une grotte naturelle, qui fut aménagée en sanctuaire au tournant des XIe et XIIe siècles. Comme aucun document écrit ne l'évoque avant le XVIIIe siècle, les archéologues estiment qu'il s'agissait principalement d'une chapelle privée, qui accueillit probablement des pèlerins en route pour Saint-Jacques-de-Compostelle, et qui servit peut-être de cachette durant les guerres de Religion, suite à quoi le site fut visiblement abandonné avant d'être utilisé comme grange.


Ces piliers centraux sont remarquables.


Ces cavités creusées à l'extérieur seraient d'anciennes tombes. Au-dessous, des cavités creusées le long du chemin montant à la chapelle pourraient avoir servi de cellules à d'anciens ermites.


Bien que de dimensions assez modiques, l'ensemble impressionne malgré tout avec sa nef qui s'étend sous les habitations modernes. Le chemin qui conduit au site est pour sa part très élégant en été, alors que la consoude verdoie le long du canal des Moulins, qui se jette dans la Lizonne.

L'église Saint-Jean d'Aubeterre


Nettement plus élaborée que sa consœur, l'église souterraine d'Aubeterre est qualifiée à tort de monolithe, mais cela n'enlève rien à son caractère grandiose.


Occupée dès le VIIIe siècle, où l'on y pratiquait déjà des baptêmes, l'église fut surtout agrandie au XIIe siècle, dès le retour de croisade du vicomte Pierre de Castillon. Impressionné par les techniques de creusement des roches du Levant, il fit notamment sculpter ce joli reliquaire inspiré du Saint-Sépulcre de Jérusalem, dans lequel les archéologues de l'époque romantique retrouvèrent effectivement des ossements.


Mais l'élément le plus impressionnant de l'église reste cette galerie à l'étage.


On y accède par un escalier assez glissant, du fait de l'humidité ambiante. Cette galerie était à l'origine reliée au château-fort surplombant le site.


Cet étage offre surtout une vue imprenable sur le reliquaire.


Vertigineuse, cette église d'abord dédiée à Saint-Sauveur à l'occasion de l'implantation d'une communauté bénédictine, mais dont le culte finit par être dédié à Saint-Jean lors des guerres de Religion, s'étage sur plusieurs degrés. Au sous-sol, c'est une crypte paléochrétienne qui s'offre au regard.

Le bourg d'Aubeterre


Si l'église rupestre est le monument emblématique du village, ses vieilles rues baignées par le soleil offrent un joli contraste avec la fraîcheur obscure de la crypte. On peut admirer ce joli point de vue sur l'ensemble du bourg depuis la rue Saint-Jacques, du nom de la deuxième église de la cité.


Depuis les vieilles ruelles restaurées qui descendent vers la Dronne, de jolies façades se révèlent au détour des escaliers, à l'image de l'ancien hôpital Saint-François.


Commencé au XIe siècle à l'époque des grands travaux d'agrandissement de l'église souterraine, et d'ailleurs édifié à l'aide de pierres extraites de la roche, le château fut achevé au XVIe siècle. Ce châtelet d'entrée, avec ses mâchicoulis témoins d'un caractère encore défensif, en constitue le principal vestige.


D'influence méridionale, la place Merkès-Merval nommée en l'honneur des vedettes de l'opérette Marcel Merkès et Paulette Merval, se distingue quant à elle avec son joli lavoir ceint de pierres blanches et ses maisons aux balcons de bois « à l'espagnole ». Le tout forme un cadre tout à fait charmant qui mérite le détour, même si le paysage alentour, très défriché, n'est pas à proprement parler spectaculaire. Aubeterre n'en demeure pas moins une jolie continuité touristique le long de la Dronne, après Bourdeilles et Brantôme en Périgord.

Walk on the Wild Side


Cette semaine, j'ai redécouvert Walk on the Wild Side, un film d'Edward Dmytryk sorti durant l'hiver 1962, et adapté d'un roman de Nelson Algren. L'histoire nous emmène dans le Sud profond des États-Unis, des terrains vagues du Texas aux bas quartiers de La Nouvelle-Orléans, à l'époque de la Grande Dépression : un jeune homme désœuvré, Dove Linkhorn (Laurence Harvey), erre sur les routes à la recherche de sa fiancée, Hallie Gerard (Capucine), qui a pour sa part atterri dans une maison close tenue par la redoutable Jo Courtney (Barbara Stanwyck), une maquerelle lesbienne qui n'a guère envie de voir partir sa nouvelle recrue. Chemin faisant, Dove fait la recontre de Kitty Tristram (Jane Fonda), une vagabonde spécialisée dans le vol à la tire et qui finit à son tour chez Jo, après avoir tenté de cambrioler la patronne d'un café routier, Teresina Vidaverri (Anne Baxter), une femme isolée qui aimerait voir Dove rester auprès d'elle. Spécialisé dans le portrait des désaxés en tous genres, Nelson Algren voulait mettre en lumière la part d'humanité des êtres paumés, qu'il estimait plus grande chez eux que chez ceux qui n'ont jamais connu de difficultés dans la vie.

Je ne sais pas ce qu'il en est dans le livre, mais à coup sûr, le scénario adapté par Edmund Morris et John Fante n'y va pas de main morte pour opposer la pourriture du gang de Jo, véritable mafia n'hésitant pas à cogner ou vendre des femmes au plus offrant, à la dignité de leurs victimes, du naïf Dove aux prostituées repenties. Dans cette ambiance de chair et de sang alourdie par la moiteur méridionale, la personne qui inspire le plus d'empathie est aussi la seule qui exerce un métier « honnête », Teresina, seul personnage qui marche « du bon côté de la rue ». Avec cette galerie de femmes aux caractères contrastés, le film se suit assurément sans déplaisir, d'autant que la distribution est particulièrement alléchante : deux légendes de l'âge d'or d'Hollywood y côtoient l'icône de la nouvelle vague américaine, sans oublier Juanita Moore qui ne fait malheureusement que de la figuration. Impossible d'y résister quand on est gay !

Ces rencontres constituent aussi un véritable choc des générations : le tournage fut particulièrement chaotique, mais pas à cause des tenantes de la vieille garde, qui étaient toujours ponctuelles et connaissaient leur texte par cœur. On sait à quel point Barbara Stanwyck était une grande professionnelle, tandis qu'Anne Baxter était généralement adorée par ses metteurs en scène pour son sérieux et sa conscience du travail à accomplir. Enceinte de six mois au moment de la production, cette dernière vécut d'autant plus mal les caprices de ses jeunes collègues. Qu'on juge un peu : Jane Fonda fit apparemment des pieds et des mains pour modifier ses répliques, tout en se plaignant que Laurence Harvey ne savait pas jouer, reproche que lui-même adressait à Capucine… Ambiance ! Barbara Stanwyck, qui n'était pas dupe, avait quant à elle fait savoir à Laurence Harvey qu'il serait de bon ton qu'il cesse de faire sa prima donna et se « bouge le cul » pour les besoins du film : cela fit rire l'acteur qui s'entendit dès lors très bien avec elle, preuve que la dame avait décidément l'art de sympathiser avec tout le monde, comme l'affirmaient toutes les équipes techniques avec qui elle avait travaillé depuis les années 1930.

Au-delà de ces querelles d'ego, la fracture est très nettement marquée du côté de l'interprétation : Anne Baxter et Barbara Stanwyck sont nettement meilleures que toute la nouvelle génération réunie. Ce n'est pourtant pas le plus grand rôle de l'étoile d'Un Coeur pris au piège et d'Assurance sur la mort. Barbara est certainement vigoureuse dans les bottes d'une dure à cuire dont l'élégance acquise ne masque pas l'origine populaire, et elle a le courage d'interpréter un personnage ouvertement lesbien. On lit d'ailleurs un peu partout que c'était la première fois qu'on voyait une vraie lesbienne au cinéma, à quoi je répondrai : n'oublions pas Joan Blondell et Lilyan Tashman dans Millie, trente ans plus tôt ! Ou ne serait-ce que Shirley MacLaine dans La Rumeur un an auparavant. Même si en l'occurrence, Jo Courtney est à ranger dans la catégorie des Mrs. Danvers obsédées par la fourrure de leurs fantasmes, puisque son homosexualité est une fois de plus perçue comme quelque chose de prédateur et donc d'hyper négatif. Il est même suggéré que Jo est devenue lesbienne par ennui, parce que son mari a perdu ses jambes, comme s'il s'agissait d'une déviance non naturelle. Le message est clair. Pour sûr, Barbara appuie assez fort sur la dureté du personnage, quitte à être un peu moins subtile qu'à l'accoutumée, quoique toujours juste et nuancée, en laissant entrevoir une certaine crainte de voir Hallie lui échapper. Dans le fond, je n'ai rien à lui reprocher d'un point de vue interprétatif, mais ce n'est pas la performance que je préfère dans sa carrière.

La lumière de la distribution est donc Anne Baxter, malgré une grosse erreur de casting, puisque sa patronne de café est censée être mexicaine. D'où son nom fort exotique et cette perruque très sombre qui ne lui sied guère, et qui fait regretter qu'on n'ait pas donné le rôle à Katy Jurado, ou à d'autres vraies Mexicaines hélas très invisibilisées dans le cinéma américain d'alors et d'aujourd'hui. Malgré tout, force est de reconnaître qu'Anne Baxter est, malgré un grimage peu convaincant, franchement excellente. Elle hérite certes du personnage le plus touchant du scénario, mais elle montre bien sa souffrance de la solitude et les blessures du passé, avec assez de dignité pour pardonner à ceux qui tentent de lui dérober le seul objet de valeur qu'elle possède, ou pour ne pas se faire d'illusions sur les sentiments qu'elle peut inspirer à Dove. En tout cas, on est loin des outrances de Néfertari : Anne est beaucoup plus mesurée dans la poussière texane que sous le soleil d'Égypte, ce qui lui permet d'être émouvante sans jamais tomber dans le piège du mélodrame malgré la teneur du texte.

À côté, ses partenaires qui la firent tourner en bourrique tout au long du tournage sont moins convaincants, à commencer par Jane Fonda. Tellement soucieuse de se faire un prénom et être enfin reconnue pour autre chose que sa filiation, elle use de toutes les ficelles horrifiantes sorties de la fabrique de farces et attrapes plus connue sous le nom d'Actors Studio, au point d'être vraiment mauvaise dès son entrée en scène, à s'agiter dans tous les sens pour essayer de se mettre dans la peau d'une petite fugueuse dont elle ne reste qu'à la surface. Elle parvient à captiver davantage dans le second acte, puisque Kitty devient héroïque à sa manière, et réussit même à être plutôt pas mal lorsqu'elle tient tête à son maquereau, mais en début de carrière, Jane Fonda n'avait pas encore le talent qu'elle déploya plus tard dans les années 1970. Au moins, elle reste une actrice essayant de jouer. Il est difficile de retourner le compliment à Capucine, qui sans démériter pour autant, reste avant tout une mannequin superbement photographiée. Les critiques de l'époque lui reprochaient d'être la maîtresse du producteur du film, qui avait insisté pour qu'elle soit habillée à la mode de luxe des années 1960 afin de rayonner à l'écran, et ce alors qu'elle jouait une prostituée des années 1930. Pour le coup, ce décalage aide la dame à ne pas se sentir dans son élément dans la maison close, ce qui est justement la problématique d'une héroïne avant tout façonnée par son talent de sculptrice. Néanmoins, cela ne fait pas de Capucine une comédienne très expressive : elle brille d'élégance dans chaque plan mais ne montre pas assez quelle est sa véritable activité rémunérée. Et même si ses sentiments pour Dove paraissent sincères, elle choisit tout de même la voie facile du désabusement pour éviter de montrer ses limites. Il faut dire que son absence d'alchimie avec Laurence Harvey n'aide pas, lui-même n'étant pas mauvais quoique échouant à donner beaucoup d'épaisseur à son personnage.

Le film ne fut pas très bien accueilli par la critique lors de sa sortie, ses détracteurs reprochant notamment à Edward Dmytryk d'avoir accouché d'un mélodrame sordide, peut-être à cause des sujets sulfureux abordés, ou à cause des actions passées du metteur en scène qui fut vivement décrié pour avoir dénoncé ses collègues communistes lors de la chasse aux sorcières. À titre personnel, j'ai trouvé Walk on the Wild Side tout à fait divertissant, malgré des personnages manquant de subtilité, notamment la clique Courtney. Edward Dmytryk n'était certes pas le réalisateur le plus inspiré de sa génération, mais jusqu'à présent, je suis plutôt favorable à son œuvre, notamment grâce à Ouragan sur le Caine et Le Bal des maudits. Mais comme tout le monde, y compris Dmytryk, je pense aussi que Walk on the Wild Side est finalement éclipsé par son générique conçu avec brio par Saul Bass : ce chat noir qui contrôle son territoire avec sérénité au son d'Elmer Bernstein est la promesse d'un chef-d'œuvre, ce que le film n'est pas, sans être à rejeter pour autant.