mercredi 8 mai 2019

La Peur du scandale (1938)



Je viens de découvrir un film dont je n'avais jamais entendu parler où Carole Lombard tient le premier rôle: Fools for Scandal, une screwball comedy de Mervyn LeRoy, produite par la Warner et sortie en 1938. Ce qui m'a intrigué, c'est qu'on lit à peu près partout qu'il s'agit du pire film jamais tourné par la star, et que son échec critique et commercial fut la principale raison qui la poussa à chercher des rôles dramatiques les deux années suivantes. Il est vrai que la Warner n'a jamais été connue pour avoir créé les œuvres les plus hilarantes du monde, et pourtant, on ne peut s'empêcher de songer que, même si LeRoy n'est pas Lubitsch, il fut tout à fait capable de réaliser de bonnes comédies (Tonight or Never, Gold Diggers of 1933), et que, sans être William Powell, je savais Fernand Gravey déjà très à l'aise dans ce registre depuis ma découverte de La Nuit fantastique. Quant à Carole Lombard, elle ne fut pas couronnée "Reine de la screwball comedy" pour rien. Alors, faut-il avoir une peur panique du scandale?


Non, pas du tout! Fools for Scandal n'est pas un grand film, mais c'est tout à fait divertissant pendant une heure vingt, sans faute majeure à mon goût. L'histoire a en fait une atmosphère européenne qui m'a conquis dès l'ouverture, et qui nous fait voyager des vieilles fontaines de Paris à de luxueux soupers londoniens, le tout dans de très beaux décors dont un gigantesque sofa circulaire sur lequel des ladies raffinées font des galipettes. Les costumes sont quant à eux loufoques à souhait, entre les tapis que doit revêtir le héros fauché et les masques d'animaux du bal huppé qui reflètent chacun le caractère d'un personnage, de quoi ajouter assez d'énergie au film, au moins visuellement. Mais honnêtement, le texte a beau ne pas voler très haut, avec entre autre un marquis en sous-vêtements une fois qu'on lui a retiré ses tapis, ou encore une sorte de Lubitsch's touch au rabais, avec cet homme-sandwich qui laisse ses panneaux publicitaires devant les volets de la chambre de l'inconnue avec laquelle il vient de s'isoler; le scénario regorge d'assez de surprises et de rebondissements pour que chaque scène soit tout à fait plaisante. C'est pourtant très simple, mais le comique de répétition fonctionne à plein régime, notamment lorsque le marquis, s'improvisant valet de Carole Lombard à son insu, se fait passer pour son amant à chaque appel téléphonique de ses amies; ou lorsqu'il s'entend, à l'aide des autres domestiques, à interrompre le souper romantique qu'elle tente d'avoir avec Ralph Bellamy, inamovible en fiancé ennuyeux qui ne sert qu'à faire ressortir le charme du héros.


Ceci dit, les scènes doivent beaucoup aux réactions de Carole Lombard. Qu'elle se cache derrière son chapeau, qu'elle tente désespérément de prendre un taxi devant une fontaine, qu'elle enchaîne une série de réactions outrées depuis son lit, ou qu'elle prenne plaisir à déguster des crêpes Suzette, elle est constamment drôle, sans toutefois être au pic de son génie comme dans ses films de 1936, mais ça n'en reste pas moins une exquise performance de sa part, qui vaut nettement mieux que sa réputation de n'avoir été que "joliment filmée par la caméra de Ted Tetzlaff". Fernand Gravey s'en tire de son côté très honorablement: on a beau lui reprocher de n'être pas le meilleur partenaire de la reine, je le trouve très franchement bien plus doué pour la comédie que Fred MacMurray, collaborateur plus habituel de la star. Il est en tout cas très énergique et ne démérite nullement. Les seconds rôles sont eux aussi à la hauteur de leur tâche, principalement Isabel Jeans en lady cancanière et Allen Jenkins en ami "bon à tout faire".


En somme, il y a largement de quoi passer un bon moment. Bien sûr, on est à des années-lumière de My Man Godfrey, et la course-poursuite finale ratée ne conclut pas le film sur une bonne note, mais au sein d'une filmographie lombardienne, on est heureusement plus proche de petites pépites ultra mineures mais fort drôles comme The Princess Comes Across, que d'un ratage total comme en souffre encore la réputation de ce "scandale" effrayant. Fût-il sorti un an plus tôt, quand la screwball comedy avait encore les faveurs du public, le film aurait peut-être remporté plus de succès. Quoi qu'il en soit, le vrai scandale de la semaine à mes yeux, c'est la déchéance d'un John Barrymore en roue libre dans True Confession, et le casting pénible de Charles Laughton en viticulteur italien dans They Knew What They Wanted. True Confession, une comédie poussive de Wesley Ruggles, jouit pourtant d'un meilleur statut que Fools for Scandal. Mais j'ai sincèrement préféré le charme européen et la loufoquerie mondaine du film de LeRoy.