dimanche 23 septembre 2018

Princesse Vaillante


Je n'ai pas le temps de m'attarder, mais juste un mot pour vous dire que Valiant Is the Word for Carrie est actuellement visible, et qu'il serait bon d'en profiter parce que ce n'est pas un film qui se trouve à tous les coins de rues.

Ce n'est d'ailleurs pas un grand film: c'est un mélodrame typique de son temps sans avoir l'envergure d'une Stella Dallas, et c'est trop long pour une histoire aussi maigre. Mais on comprend pourquoi Gladys George fut nommée aux Oscars pour ce rôle: elle y est tour à tour pute au grand cœur (!), mère courage (!), accusée de meurtre (!), et apparaît en outre sous un jour peu flatteur pour souligner le temps qui passe sur plusieurs décennies (!).

Gladys George paraît d'ailleurs plus vieille que son âge, ou, plus exactement, elle a tout bonnement l'air de n'avoir jamais vieilli. Sa renaissance cinématographique passés trente ans puis sa mort prématurée y sont sans doute pour quelque chose, mais force est de reconnaître que de Carrie (1936) à Flamingo Road (1949), en passant par Madame X (1937), Marie Antoinette (1938), The Roaring Twenties (1939) ou The Hard Way (1943), elle semble être exactement la même trait pour trait. Ironiquement, ses enfants disent à Carrie qu'elle paraît dix ans de moins que ses 44 ans, (l'actrice avait la trentaine au moment du tournage), mais elle a déjà l'air d'en avoir quarante bien passés dès le début du film. Loin d'être un problème, il s'agit au contraire d'une réussite de casting: quand on la découvre, Carrie est déjà usée par la vie, aussi la maturité de Gladys George et sa voix rauque servent admirablement le personnage. Surtout, son charisme incroyable donne toujours envie de s'intéresser à elle dès qu'elle entre en scène, même dans le plus petit rôle, ce qui a mon sens la classe au rang des plus grandes, et lui permet dans ses premiers rôles d'élever des histoires médiocres vers de plus hautes sphères.

Valiant Is the Word for Carrie est finalement très similaire à Madame X, sorti un an plus tard, où l'actrice joue, tenez-vous bien, une épouse adultère (!), jetée à la rue (!), devenant prostituée (!) et alcoolique (!), puis accusée de meurtre (!), avant de finir défendue par son fils, jeune avocat prometteur qui ignore qui elle est (!). Cette impression est probablement due au fait que les performances de Gladys George sont également similaires d'un film à l'autre, et ce pour le meilleur car elle y est toujours très solide et fabuleusement "marquée par la vie". Je ne me roule cependant par terre pour aucun de ces rôles, peut-être parce que j'ai vu trop de mélodrames des années 1930 pour être encore surpris par ce fond de dignité perçant sous la cuirasse des malheurs, mais c'est aussi cette dignité qui fait le charme de ces performances, à commencer par le premier dialogue avec l'enfant dans Carrie, où le sourire malgré ses gestes rudes séduit grandement dans cette jolie introduction autour d'un puits.

Dans l'absolu, je dirai que l'actrice mérite distinctions autant pour Carrie que pour Madame X, bien que ma préférence aille à sa Panama Smith des Roaring Twenties parmi ses plus grandes réussites, encore qu'on reste dans un registre qui lui fut cher. Mais s'il est difficile de choisir entre Carrie Snyder et Jacqueline Fleuriot, c'est aussi parce que Gladys George fait ces films à elle seule, transcendant à la fois des histoires au misérabilisme éhonté, et des mises en scène pas particulièrement inspirées. Honnêtement, je déteste le cinéma de Wesley Ruggles (Cimarron, I'm No Angel, The Gilded Lily), mais Valiant est son film le plus appréciable, tandis qu'à l'inverse, le cinéma de Sam Wood (Beyond the Rocks, Kings Row, The Pride and the Yankees) me séduit davantage même quand c'est raté (The Barbarian, The Cat and the Fiddle, Stamboul Quest), mais Madame X n'est pas son œuvre la plus mémorable. C'est dont tout à l'honneur de Gladys George d'avoir su rendre ces deux films au moins dignes d'intérêt.

En guise de conclusion, sachez que je classe cette performance troisième dans la sélection officielle des Oscars 1936: le crétinisme démentiel de Carole Lombard et le dévergondage tout en nuances d'Irene Dunne sont deux sommets comiques absolument imbattables, mais dans le drame, Gladys George est cent fois plus moderne (dans une histoire paradoxalement ultra datée) et charismatique que l'épuisante théâtralité de Norma Shearer et l'épouvantable performance de Luise Rainer. Quoi qu'il en soit, 1936 fut une grande année pour les actrices américaines, et il y en a pour tous les goûts: dans le drame, voici Ruth Chatterton dans Dodsworth, Bette Davis dans The Petrified Forest, Gladys George dans Valiant Is the Word for Carrie, Greta Garbo dans Camille, Miriam Hopkins et Merle Oberon dans These Three ou encore Rosalind Russell dans Craig's Wife; et dans la comédie, Jean Arthur dans Mr. Deeds Goes to Town, Marlene Dietrich dans Desire, Irene Dunne dans Theodora Goes Wild, Carole Lombard dans My Man Godfrey et The Princess Comes Across, et Myrna Loy dans Libeled Lady, sont elles aussi dignes de tous les éloges! Il y a l'embarras du choix!