vendredi 17 avril 2020

Inventaire 1988


Comme je viens d'avoir 32 ans, je suis d'humeur à revenir sur mon année de naissance qui, d'un point de vue cinématographique, réserve de bonnes surprises: tant mieux! Quelques grands titres manquent encore à l'appel, et certains visionnages remontent à trop loin pour que je puisse étoffer tous mes paragraphes, mais voilà où j'en suis aujourd'hui:




Argentine

Le Sud (Sur): film écrit, produit et réalisé par Fernando Solanas, sorti le 5 mars 1988. Avec Miguel Ángel Solá, Susú Pecoraro et Lito Cruz. L'histoire d'un homme libéré à la fin de la dictature et qui ne reconnaît plus sa famille ou son pays. L'un de ses amis revient alors de l'au-delà pour lui révéler ce qui a eu lieu en son absence, de quoi donner vie à une critique intelligente des atrocités du régime précédent, réquisitoire qui vaut surtout par son ambiance. En effet, le héros déambule dans de magnifiques dégradés de bleu dans une nuit qui ne finit pas, où des papiers volent au sol sur des airs de tangos tristes. C'est extrêmement bien filmé et l'on se rend compte dès les premières minutes qu'on est devant du grand cinéma, bien que l'histoire, parfois abstraite, ne soit pas des plus faciles d'accès. Certaines séquences sont même kafkaïennes à voir toutes les œuvres littéraires voler en éclat dans des couloirs administratifs, tandis qu'un chœur en délire crie inlassablement à la subversion. Pour sûr, si vous aimez les films à atmosphères, celui-ci est hautement recommandé.


Verónico Cruz (La deuda interna): film de Miguel Pereira, également scénariste en collaboration avec Eduardo Leiva Muller d'après une histoire de Fortunato Ramos, sorti au festival de Berlin en février 1988, puis en août de la même année dans son pays d'origine. Avec Juan José Camero et Gonzalo Morales. En soi, c'est une jolie histoire, celle d'un instituteur chargé d'enseigner dans la province la plus rurale et reculée d'Argentine, quitte à être en butte à la population locale, notamment la grand-mère du héros qui ne veut pas que son petit-fils soit instruit afin de lui épargner les horreurs du monde réel. Il y a de beaux moments, notamment quand le petit berger découvre une radio pour la première fois, et le scénario est également une critique de la dictature, notamment à travers l'histoire du père tristement disparu. Ce n'est jamais inintéressant, mais je suis assez gêné par le style quasi documentaire de l'image: on a vraiment le sentiment d'un tout petit budget, ce qui rend malheureusement l'ensemble difficile d'accès pour moi.



Australie

Cane Toads: documentaire de Mark Lewis à propos de l'introduction ratée de crapauds buffles en Australie, une espèce qui a dangereusement proliféré au lieu de sauver les plantations de cannes à sucre comme prévu. Bon, c'était quoi, ça? Si Cane Toads a acquis un statut culte dans le monde anglo-saxon, c'est parce que ce qui était supposé être un documentaire très sérieux sur le papier est en fait le rejeton incestueux de Frogs, un film d'horreur anecdotique où Ray Milland se fait manger par des grenouilles, et de Psychose. En effet, le réalisateur nous montre les petits batraciens s'attaquer à un homme dans sa douche à la manière de Norman Bates, avant d'encercler dangereusement un enfant dans le jardin pendant que sa mère fait la cuisine! Avec ces choix là, auxquels on ajoutera des effets pour le moins incongrus comme filmer un homme dans le noir, il est impossible de prendre ce documentaire au sérieux, mais ça ne veut pas dire que c'est hilarant pour autant, étant donné que le reste du film n'est que du blabla scientifique ou sociétal. Bref, c'est un bricolage impossible à noter.


Un Cri dans la nuit (Evil Angels): film écrit et réalisé par Fred Schepisi, coécrit par Robert Caswell d'après un livre de  John Bryson (1985) à propos de la disparition réelle d'un nourrisson dans le bush australien en 1980. Sorti le 3 novembre 1988, avec Meryl Streep et Sam Neill dans le rôle des parents accusés d'infanticide. Un film hautement sordide. On se demande d'ailleurs ce qui a poussé une productrice à adapter une telle histoire si peu de temps après les faits. Sans doute pour redonner de la dignité à un couple traîné dans la boue par la presse locale. Malheureusement, si le thème du lynchage médiatique aurait pu être captivant, le film est si médiocrement réalisé que cette longue affaire ne suscite pas un grand intérêt. De son côté, Meryl Streep reste opaque pour retranscrire le mutisme de son personnage après le drame, mais sans dire que la profondeur fait défaut à sa performance, il manque indéniablement quelque chose. Cela dit, je suis probablement biaisé par ce projet déconcertant qui, par respect pour la victime, n'avait sans doute pas besoin d'être rejoué.


The Everlasting Secret Family: film de Michael Thornhill, écrit par Frank Moorhouse d'après ses propres nouvelles (1980), sorti le 3 mars 1988. Avec Mark Lee, Arthur Dignam et Heather Mitchell. Pardon? Dans cette histoire alambiquée, nous suivons le parcours d'un jeune étudiant dont le corps agite l'esprit d'un sénateur, lui-même membre d'une société secrète gay, qui demande au héros d'assouvir les fantasmes de vieux hommes haut placés faisant également partie de la confrérie. Le jeune homme, se rendant compte qu'il risque de ne rester qu'au bas de l'échelle de cette "famille", à l'instar de son prédécesseur qui, après avoir vieilli, s'est retrouvé employé comme chauffeur de ses anciens amants riches; décide alors de séduire l'ensemble de la famille du sénateur afin de conserver sa place dans les hautes sphères en rendant son fils amoureux de lui. Au passage, il étrangle un juge lors d'une partie de sado-masochisme, ce qui n'a l'air de poser problème à personne. Bref, c'est incompréhensible et pour tout dire homophobe, car le film mobilise les pires clichés possibles sur l'homosexualité et présente tous les personnages comme franchement malsains. Autrement, la musique élégiaque donne une ambiance particulière à l'intrigue, mais ne fait que renforcer son côté perturbant. Au milieu de tout ça débarque... mais oui! Ashka en personne, qui déjà parfaitement autoritaire à seulement trente ans croit judicieux d'amorcer sa conquête du monde en épousant le sénateur, et se trouve fort peu ravie de voir ses ambitions contrariées par un blanc-bec torse-nu. Devant tant de complications inutiles et de poncifs nuisibles, pas étonnant qu'elle se soit sauvée dans un monde parallèle après une brève reconversion en vendeuse de robes de mariées!



Bulgarie

Le Temps de la violence (Време на насилие): film de Ludmil Staikov, écrit par Georgi Danailov d'après un roman d'Anton Donchev (1964), sorti le 28 mars 1988. Avec Yosif Sarchadzhiev, Ivan Krystev et Rousi Chanev. Un film-fleuve de 4h30 dont on ne voit nullement passer le temps: c'est un exploit! J'avais même prévu de regarder les deux parties séparément, mais j'ai tout vu à la suite tant c'était passionnant. Par contre, comme son titre l'indique, c'est très dur. Et pour cause: il s'agit de l'histoire d'un janissaire, ancien chrétien soumis au devchirmé dans son enfance, à savoir enlevé de force à son village pour être élevé comme un fidèle serviteur du sultan, qui revient sur sa terre natale des Rhodopes afin de convertir la population à l'islam. Devant la résistance des villageois, il utilise différentes formes de torture, et c'est là le point faible du film, qui devient trop complaisant envers la brutalité dans son second acte, bien qu'il la dénonce. Néanmoins, force est de s'incliner devant la qualité de la réalisation: les deux premières heures, où il ne se passe pas grand chose, font monter la tension de manière remarquable, et le metteur en scène n'a pas son pareil pour alterner les plans larges sur les bergers dans la montagne, les plans rapprochés d'un mariage dans la brume et les gros plans expressifs sur des comédiens d'une grande justesse. Surtout, les personnages sont tous incroyablement captivants, du janissaire au conflit intérieur palpable du fait de ses origines, au Vénitien lui aussi converti jadis mais bien plus ouvert d'esprit, en passant par le pope qui cherche à protéger ses fidèles quitte à trahir ses croyances, l'ancien ami d'enfance du janissaire prêt à tout pour sauver son fils, la jeune veuve incomprise qui se sacrifie pour son village ou encore l'agha local et son épouse, un couple dépassé par les événements. Tout cela forme une histoire dense dont on a toujours envie de savoir la suite, mais attention tout de même: il ne faut pas oublier que ce film s'inscrit dans le contexte du processus de régénération imposé par la dictature communiste de l'époque pour assimiler par la force la population musulmane du pays. En effet, la doctrine officielle du régime prétendait que tous les Turcs de Bulgarie des années 1980 étaient des Pomaques jadis islamisés de force et qu'il fallait "désislamiser". Alors, même si le scénario présente des personnages complexes dans les deux camps, on sent bien qu'il épouse avant tout la cause orthodoxe pour dénoncer l'islam. Dès lors, bien que le film soit une excellente œuvre d'art, il faut l'appréhender en ayant conscience du contexte politique du temps de sa production.


Canada

Faux-semblants (Dead Ringers): film écrit et réalisé par David Cronenberg, coécrit par Norman Snider d'après un roman de Bari Wood et Jack Geasland (1977) sur le cas réel de gynécologistes jumeaux. Sorti le 8 septembre 1988 au festival de Toronto. Avec Jeremy Irons dans le double rôle et Geneviève Bujold. Je ne suis décidément pas fan de ce film froid et sinistre. Ce n'est pourtant pas le film le plus désagréable d'un réalisateur tétanisant duquel je préfère rester à l'écart, mais ça n'en reste pas moins très glauque malgré tout. Le thème du double y est traité de façon malsaine, les deux frères identiques décidant de tout partager, même leurs maîtresses, et même si le synopsis avait l'air captivant sur le papier, ça n'est clairement pas fait pour moi. C'est néanmoins l'occasion pour Jeremy Irons de livrer une bonne performance à mesure que le duel entre deux personnalités au bord de la folie devient mortifère, tandis que Geneviève Bujold compose un personnage intrigant, malgré un état d'esprit tellement désabusé qu'il est difficile de ressentir quelque chose pour elle: elle reste sèche et cynique, comme si rien ne pouvait l'affecter.


Tales from the Gimli Hospital: film écrit et réalisé par Guy Maddin sur des patients dans un hôpital de fortune, sorti le 15 avril 1988. Avec Kyle McCulloch et Michael Gottli. Horrible. J'ai failli aimer dans les premières minutes à cause de son style années 1920, mais après ça, c'est la dégringolade dans l'horreur. On y voit un homme se faire ouvrir la jambe, puis se faire aveugler avec de la cire fondue, tandis que son camarade raconte, après une irritante séance de blackface, comment il a violé le corps d'une femme morte. Le pire, c'est que cette histoire dans l'histoire est racontée par une grand-mère à ses petits-enfants, devant leur mère mourante, ce qui est d'autant plus choquant. La photographie est autrement réussie, mais le tout reste beaucoup trop expérimental et scabreux pour donner envie d'en parler en bien.




Chine

Impression de montagne et d'eau (山水情): court métrage d'animation réalisé par Te Wei, d'après un scénario de Wang Shuchen, sorti le 21 mars 1988. J'ai adoré: c'est magnifique et poétique. On y suit la guérison d'un musicien par une jeune fille dans une maison au bord de l'eau, et chaque image évoque des sensations visuelles et sonores qui émeuvent. La technique du lavis animé nous donne l'impression d'être dans une peinture chinoise aux tons délicieusement contrastés, tandis que les bruits d'eau et de vent, magnifiés par les vibrations d'un guqin et le chant des oiseaux, donnent à l'histoire une ambiance lyrique d'une vraie beauté.


Le Sorgho rouge (紅高梁): film de Zhang Yimou, écrit par Chen Jianyu et Mo Yan d'après Le Clan du sorgho de Mo Yan (1986), sorti en février 1988 au festival de Berlin, puis le 19 mai de la même année en Chine. Avec Gong Li et Jiang Wen. Premier film de Zhang Yimou, premier film de Gong Li, et déjà un chef-d’œuvre tragique et lyrique, porté par une photographie sublime signée Gu Changwei, qui n'a pas son pareil pour magnifier les dégradés de verts des plantations, les ombres et lumières ocres des intérieurs, et les teintes de rouge des liqueurs. En effet, malgré la violence du propos, entre viol, guerre et torture, chaque plan revêt une beauté singulière qui souligne qu'on est bien devant du grand cinéma. Les choix de réalisation sont également parfaits, à la manière dont le metteur en scène fait monter la tension à travers des échanges de regards et des feuilles de sorgho agitées par le vent, tout cela étant au service d'une interprétation exceptionnelle de Gong Li, déjà l'immense tragédienne qui allait dominer la décennie suivante avec au moins un grand rôle par an. Dotée d'un visage expressif absolument fait pour être filmé, elle donne vie au drame avec une retenue qui force l'admiration, tout en sachant se montrer spectaculairement chaleureuse lors des rares instants de bonheur avec son fils. En outre, l'héroïne, bien que victime, n'abandonne jamais sa force de caractère afin de gérer la distillerie avec fermeté, de quoi annoncer sa détermination héroïque à venir devant l'occupant. Évidemment, l'histoire est très triste, mais impossible de faire l'impasse sur une telle œuvre d'art, quoique je préfère Ju Dou et plus encore Épouses et Concubines du même duo.



Espagne

Femmes au bord de la crise de nerfs (Mujeres al borde de un ataque de nervios): film écrit et réalisé par Pedro Almodóvar, sorti le 14 mars 1988. Avec Carmen Maura, Antonio Banderas, Julieta Serrano et Rossy de Palma. J'avais très envie d'aimer, d'autant que l'héroïne a pour profession de doubler Joan Crawford dans Johnny Guitar, dont les répliques évoquent brillamment sa vie privée, mais ce sera à revoir, car je me souviens surtout d'un joyeux bordel modérément amusant. Le style Almodóvar y est pourtant dans toute sa splendeur, entre couleurs bariolées et personnages rocambolesques, mais ce n'est pas pour autant son chef-d’œuvre: disons qu'après avoir découvert La Loi du désir, cet opus s'est vite estompé dans mon esprit. Par contre, j'ai toujours été très enthousiaste quant à la prestation de Carmen Maura, qui apporte, rien que par ses regards, une forme de gravité bienvenue pour nuancer une histoire compliquée où l'on passe plus de temps à se jeter des choses au visage qu'à converser sérieusement. Les autres actrices font tout de même de leur mieux, mais Julieta Serrano est surtout éclipsée par son allure improbable, tandis que Rossy de Palma dort la moitié du temps. A revoir donc, car je ne me souviens plus bien des tenants et aboutissants de l'histoire, mais c'était plutôt drôle, sans m'avoir toutefois transporté.




États-Unis

À bout de course (Running on Empty): film de Sidney Lumet, écrit par Naomi Foner, sorti en septembre 1988. Avec Christine Lahti, Judd Hirsch et River Phoenix. Visuellement, ça ne m'a absolument pas marqué, mais je crois que le film valait surtout pour ses interprètes et son scénario. On y suit en effet l'histoire de parents forcés de fuir perpétuellement la police après un crime politique, ce qui commence à poser problème à leur fils aîné qui rêve d'une vie calme et posée au même endroit afin de commencer à s'accomplir. Les rôles sont effectivement très riches et les comédiens leur font honneur, entre Christine Lahti en mère aimante, Judd Hirsch en plein questionnement de ses motivations, et River Phoenix en incarnation parfaite de la jeunesse de ces années-là. Une revisite est nécessaire et me ferait envie.


Les Accusés (The Accused): film de Jonathan Kaplan, écrit par Tom Topor, sorti le 14 octobre 1988. Avec Jodie Foster dans le rôle d'une victime de viol et Kelly McGillis dans celui de l'avocate chargée de la défendre. Un des mérites de cette histoire, c'est d'avoir tenté de faire évoluer les mentalités, en soulignant à quel point il est difficile pour une victime d'être prise au sérieux, surtout lorsque celle-ci est issue d'un milieu social défavorisé. Cela dit, le film ne fait malheureusement pas honneur à son sujet: c'est visuellement insipide, sans véritable mise en scène, et l'usage d'une musique épouvantable en altère d'autant plus son cachet. C'est donc vraiment le scénario qui suscite l'intérêt, et plus encore un duo d'héroïnes qui apprennent à se soutenir tout du long malgré un début houleux. Dans ce rôle fort de femme déterminée à se battre contre les horreurs qu'elle a subies, Jodie Foster remporta un Oscar, mais si on la trouve de plus en plus juste à mesure qu'avance le procès, son jeu n'est hélas pas très convainquant dans la première partie: sa vulgarité y est constamment forcée, et elle mobilise tous les clichés relatifs à ce sujet sans réellement chercher à les nuancer. De son côté, Kelly McGillis est beaucoup plus consistante tout du long, bien qu'elle soit dotée d'un rôle moins flamboyant. Ayant elle-même été victime d'un viol quelques années plus tôt, elle avait notoirement refusé le rôle de Sarah, car il lui était évidemment impossible de revivre à l'écran le traumatisme subi. On la comprend.


Au fil de la vie (Beaches): film de Garry Marshall, écrit par Mary Agnes Donoghue d'après un roman d'Iris Rainer Dart (1985), sorti le 21 décembre 1988. Avec Bette Midler et Barbara Hershey. C'est en quelque sorte une Old Acquaintance du pauvre, laidement filmée, où Bette Midler incarne avec énergie une chanteuse à forte personnalité, un peu égoïste sur les bords, qui entretient des rapports compliqués avec sa meilleure amie d'enfance, incarnée sans grande conviction par Barbara Hershey, qui l'envie en retour. On se reproche tour à tour d'avoir couché avec le mec de l'autre, ou d'avoir abandonné sa carrière pour un mari abstrait, avec un gros drame surprise dans le second acte. Eût-ce été plus joli à regarder ç'aurait peut-être été davantage divertissant, mais en l'état, difficile de s'intéresser à ce duel. Les chansons permettent à la Bette de scène d'apporter un peu de dynamisme par endroits, mais l'ensemble n'en reste pas moins assez mauvais et oubliable.


Une Autre Femme (Another Woman): film écrit et réalisé par Woody Allen, sorti le 14 octobre 1988. Avec Gena Rowlands dans le rôle d'une philosophe en pleine crise de la cinquantaine, Gene Hackman et Sandy Dennis. Chef-d’œuvre! Sans doute le plus beau portrait de femme sorti de la plume du scénariste: l'histoire est brillantissime, de l'héroïne qui se met à écouter les séances de thérapie de sa voisine, au jeu de rôles de la comédienne revenant jouer la vie de son amie d'enfance; et tous les personnages sont follement complexes, portés par des interprètes exceptionnels. Gena Rowlands y trouve l'un de ses plus grands rôles, ce qui veut dire beaucoup, Gene Hackman en amant rejeté est magnifique, Betty Buckley trouve le moyen d'être fabuleuse dans un caméo des plus brefs, et Sandy Dennis, pour ne citer que les actrices qui m'ont le plus marqué, est extraordinaire autant dans le silence que dans la parole. La mise en scène discrète mais précise, au son de Satie sur des images automnales de lampes décoratives, est de son côté parfaitement au service de la performance de Gena Rowlands, sublime de retenue mais tellement expressive. Vraiment, l'un des meilleurs films du réalisateur, peut-être mon préféré tout court dans l'ensemble de sa filmographie. La rencontre d'une actrice telle que Rowlands avec cette histoire originale est d'une perfection absolue!


Beetlejuice: comédie fantastique de Tim Burton, écrite par Michael McDowell, Warren Skaaren et Larry Wilson, sortie le 29 mars 1988. Avec Michael Keaton, Geena Davis et Catherine O'Hara. Nombreuses sont celles qui vous parleront de cette œuvre comme d'un film culte. A titre personnel, je suis peu réceptif au style de Tim Burton, à l'exception des Noces funèbres, des jardins d'Edward aux mains d'argent et de Béla Lugosi, et j'avoue que les simagrées de Michael Keaton ont bien failli m'achever ici. Ce sera à revoir à l'occasion pour m'en refaire une idée, mais pour sûr, je lui préfère de loin la rafraîchissante Geena Davis, la grande Catherine O'Hara, et l'iconoclaste Sylvia Sidney, malicieusement bien distribuée en attachée administrative de l'au-delà. À la réflexion, j'aurais probablement préféré une histoire sans le personnage grossier de Beetlejuice, recentrée sur les conflits entre les deux familles, avec davantage de temps d'écran pour Juno!


Big: comédie de Penny Marshall écrite par Anne Spielberg et Gary Ross, sortie le 3 juin 1988. Avec Tom Hanks dans le rôle d'un enfant devenu adulte trop vite. Le synopsis avait l'air sympa, mais la réalisatrice en fait quelque chose de parfaitement quelconque. On y voit Tom Hanks enchaîner les pitreries et sauter sur un piano géant tout en étant capable de s'inventer un numéro de sécurité sociale pour louer un appartement, mais il n'y a aucune profondeur derrière tout ça. Personne n'a vraiment l'air de se poser de questions sur ce qui arrive, le scénario enchaîne les raccourcis pour esquiver les vrais problèmes, et le tout ennuie quelque peu, sans être foncièrement mauvais pour autant. On m'avait déjà parlé de ce film jadis, et j'aurais dû le voir à cette époque quand j'étais en âge de mieux l'apprécier.


Crossing Delancey: film de Joan Micklin Silver, écrit par Susan Sandler d'après sa propre pièce, sorti en août 1988. Avec Amy Irving, Peter Riegert et Jeroen Krabbé. J'attendais quelque chose de ce film parce que j'avais beaucoup aimé Hester Street de la même réalisatrice, mais rien ne s'est passé. Il s'agit d'une comédie romantique complètement oubliable, mal défendue par un couple principal lisse à mourir et une héroïne sans aucune personnalité. Jeroen Krabbé est nettement plus intéressant dans un rôle ingrat d'antagoniste, et la pauvre Amy Irving est complètement éclipsée par sa grand-mère à l'écran Reizl Bosyk, qui surjoue beaucoup, et l'entremetteuse jouée par l'inimitable Sylvia Miles, atrocement caricaturale en femme grossière qui rote et parle la bouche pleine. On a connu plus romantique...


La Dernière Tentation du Christ (The Last Temptation of Christ): film de Martin Scorsese, écrit par Paul Schrader d'après un livre de Níkos Kazantzákis (1955), dont la première eut lieu le 12 août 1988. Avec Willem Dafoe, Harvey Keitel et Barbara Hershey. Une œuvre qui fit scandale à sa sortie pour sa démythification du Christ, ici présenté comme un humain à part entière, pétri de contradictions et constamment soumis à la tentation. En soi j'adore le concept, mais à la fin je ne suis pas aussi enthousiaste que je l'aurais voulu, sans doute à cause du choix d'un Willem Dafoe beaucoup trop blanc et allumé pour me convaincre. En tout cas, c'est plastiquement une grande œuvre d'art, soutenue par une photographie magnifique, un montage toujours parfaitement fluide portant la patte de Thelma Schoonmaker, et un syncrétisme musical signé Peter Gabriel. Et pourtant, malgré tout ce savoir-faire, je reste perplexe: la durée interminable ne s'épargne pas quelques longueurs, et j'ai surtout le sentiment de rester sur ma faim. Peut-être aurais-je voulu plus d'audaces, peut-être est-ce tout simplement cette histoire d'évangile qui ne m'a jamais plu quel que soit son traitement, mais alors que j'ambitionnais de beaucoup aimer ce film, je ne suis qu'à moitié séduit. Paradoxalement, je préfère de loin Scorsese dans cet univers-là plutôt que dans le monde de la boxe ou de la mafia.


Duo à trois (Bull Durham): film écrit et réalisé par Ron Shelton, sorti le 15 juin 1988. Avec Susan Sarandon, Kevin Costner et Tim Robbins. Je n'ai vu ce film qu'une fois jadis pour son actrice principale, mais en dehors d'elle, je n'avais pas du tout aimé. Ça parlait de sport et de sexe avec des joueurs de base-ball, ce qui ne m'avait fait ni chaud ni froid étant donné que je ne suis pas attiré par les sportifs, a fortiori par des corps aussi peu séduisant que ceux des acteurs en question. Mais ce n'est pas la faute du film: nous sommes simplement incompatibles. Par rapport à ce que ça veut montrer, c'est réussi, en particulier grâce à une Susan Sarandon pyrique, monstrueusement charismatique et séduisante, et par-là même idéale pour composer un personnage libre qui aime coucher sans choisir et qui n'en a jamais honte. Elle est vraiment incandescente, mais c'est hélas le seul élément que j'ai retenu de ce film. Cela dit, le base-ball n'est vraiment pas mon truc, alors tant pis pour le reste.


Gorilles dans la brume (Gorillas in the Mist): biographie de Dian Fossey, primatologue de renom, réalisée par Michael Apted, écrite par Anna Hamilton Phelan et sortie à l'automne 1988. Avec Sigourney Weaver dans le rôle de la scientifique controversée. Ou si l'on préfère, l'histoire improbable d'Ellen Ripley, reconvertie en psychiatre chargée de retrouver Isabelle Adjani dans la forêt congolaise. En vrai je ne me souviens plus assez du film pour en parler en long et en large ici, mais il me semble que c'était une assez bonne fiction qui n'oubliait pas de montrer le côté sombre de son héroïne. Une certitude tout de même: les passages avec les gorilles constituent certainement la réussite majeure de l’œuvre, même si certaines scènes, tournées avec des figurants costumés, sonnent faux. Surtout, Sigourney Weaver y trouve l'un de ses meilleurs rôles: la lumière qui s'imprime sur son visage alors que se créent des connexions avec les gorilles est une chose magnifique à voir. Ces instants magiques sont en tout cas ceux qui m'avaient le plus impressionné dans sa carrière, après les heures sombres de son héroïne la plus célèbre.


Les Liaisons dangereuses (Dangerous Liaisons): film de Stephen Frears, adapté de la pièce de Christopher Hampton elle-même basée sur le roman épistolaire de Choderlos de Laclos (1782). Sorti en salles le 16 décembre 1988, avec Glenn Close, John Malkovich et Michelle Pfeiffer. Bon, c'était joué d'avance: c'est probablement mon film préféré de la décennie, et par conséquent mon chef-d’œuvre favori de l'année. Vraiment, je ne vois rien à redire: l'histoire de ces relations perverses est excitante de bout en bout, et visuellement, c'est absolument parfait, des costumes à la photographie, en passant par le choix des châteaux et les morceaux baroques qui soutiennent magnifiquement le récit. Surtout, le film est porté par des interprètes exceptionnels. C'est en effet le plus grand rôle de Glenn Close, incroyablement charismatique et délicieusement manipulatrice, avant de nuancer cette apparence trompeuse à mesure que ses blessures apparaissent. Michelle Pfeiffer est de son côté une parfaite dame de l'époque croyant sincèrement à la vertu de fidélité, mais évidemment tentée par une inclination contraire à ses principes, tandis que du côté des seconds rôles, Mildred Natwick est savoureuse dans son chant du cygne qu'on aurait souhaité plus étoffé, quand Peter Capaldi est un parfait valet complice. La seule interrogation désormais, c'est l'interprétation de John Malkovich. Je l'ai longtemps trouvé brillant, mais plus je revois le film, plus quelque chose me dérange. J'ai le sentiment qu'il accentue la perversité de son personnage au point de le rendre presque repoussant, de telle sorte qu'on a parfois du mal à croire qu'il puisse tomber la présidente aussi facilement après une scène de repas dégoûtante dont elle a parfaitement compris le sens, et que la superbe marquise soit secrètement énamourée à ce point. Malgré tout, Malkovich joue très bien les conflits qui assaillent le vicomte dans le second acte, d'où une grande performance malgré tout, même si je ne cautionne pas tous ses choix. Autrement, on aurait simplement pu remplacer les blancs-becs juvéniles par des acteurs plus compétents, et le film aurait été d'une perfection absolue. Mais vraiment, ces duels de chair et d'esprit sont si vigoureux que je peux les regarder au moins une fois par an sans jamais me lasser.


Married to the Mob: comédie de Jonathan Demme à propos d'une femme cherchant à s'émanciper de la mafia, écrit par Mark Burns et Barry Strugatz, sorti le 11 août 1988. Avec Michelle Pfeiffer, Dean Stockwell et Matthew Modine. Comme toujours avec Jonathan Demme, c'est bien réalisé, notamment dans sa façon de fluidifier le mouvement pour mieux faire parler le visage expressif de l'héroïne. Ceci dit, je n'aime pas les films de gangsters, même en parodie, qui ne peuvent bien entendu faire l'impasse sur la violence et la grossièreté, à l'image de Mercedes Ruehl qui tire sur tout ce qui bouge sauf sur les gonades de son mari qu'elle vise pourtant. Le grand atout de cette comédie est en fait la performance de Michelle Pfeiffer, idéalement tourmentée quoique maîtresse d'elle-même et sachant agir avec poigne, insérant un soupçon de gravité dans l'humour, et une touche de légèreté dans le sérieux. En dehors d'elle, le film n'est clairement pas ma tasse de thé, même si ce n'est pas mal fait.


Mississippi Burning: enquête d'Alan Parker écrite par Chris Gerolmo d'après l'affaire des meurtres de la Freedom Summner en 1964, sortie le 2 décembre 1988. Avec Gene Hackman, Willem Dafoe et Frances McDormand. Il me faudrait revoir ce film pour m'en refaire une idée, mais l'enthousiasme n'y est pas: je n'avais pas du tout aimé la première fois, je déteste d'une manière plus générale le cinéma d'Alan Parker, et même Gene Hackman que j'adore à peu près partout avait peiné à me faire entrer dans cette histoire. Frances McDormand y était de mémoire décorative et ne méritait pas sa nomination aux Oscars, mais une revisite serait nécessaire. Malheureusement, l'envie n'y est pas.


Oliver et Compagnie (Oliver & Company): film d'animation des studios Disney, adapté d'Oliver Twist (1837) de Dickens, sorti le 18 novembre 1988. Je n'ai jamais beaucoup aimé cet opus-là de la célèbre maison de production, parce que je suis une princesse qui vit dans un château et qui se réfugie dans la forêt à l'occasion, alors autant dire que cet univers très contemporain situé dans la mégapole américaine est bien trop exotique pour moi! Cela dit, pour l'avoir revu vers 25 ans, ça ne m'avait pas semblé si mauvais que ce qu'on pourrait croire à lire les critiques de l'époque: c'est une jolie histoire oubliable, portée par un chaton volontaire, des chiens délirants et une petite fille sympathique. Et c'est tout ce qu'on demande d'une œuvre sans prétentions destinée à divertir, malgré un dessin un peu vieillot. Le clou du spectacle est sûrement la chanson Why Should I Worry? interprétée par Billy Joel.


Pleine Lune sur Parador (Moon Over Parador): comédie de Paul Mazursky, également scénariste avec Leon Capetanos d'après une nouvelle de Charles Booth, sortie le 9 septembre 1988. Avec Richard Dreyfuss, Sônia Braga et Raúl Juliá. Ou comment choisir la médiocrité à chaque seconde: loin d'avoir une once de finesse, ce film sur un comédien devant jouer le rôle d'un dictateur fraîchement assassiné ne vise que la caricature et l'humour gras. C'est passablement raciste (brownface, sauveur blanc) et misogyne (avalanche de fesses et de poitrines), et c'est extrêmement mal joué: les acteurs se contentent d'enchaîner les rires tonitruants sans jamais composer de vrais personnages, au point qu'on finit par ne même plus différencier le héros à la ville de son rôle de chef d'État. A oublier.


Le Prix de la passion (The Good Mother): film de Leonard Nimoy écrit par Michael Bortman d'après un roman de Sue Miller (1986), sorti le 4 novembre 1988. Avec Diane Keaton et Liam Neeson. Un film bien fait et bien interprété qui peine cependant à marquer les esprits, malgré un sujet épouvantablement glauque: Diane Keaton y incarne une jeune divorcée qui ne voit pas le problème, dans un premier temps, d'avoir laissé son amant inviter sa fille de six ans dont elle a la garde à toucher son corps nu. L'ex-mari étant averti, il porte plainte pour retirer la garde de l'enfant à sa mère. Ça m'a mis extrêmement mal à l'aise: je préfère oublier cette histoire.


Qui veut la peau de Roger Rabbit? (Who Framed Roger Rabbit?): film d'animation et prises de vues réelles de Robert Zemeckis et Richard Williams, écrit par Jeffrey Price et Peter Seaman d'après un roman de Gary Wolf (1981), sorti le 22 juin 1988. Avec Bob Hoskins dans le rôle d'un détective chargé d'aider un lapin irresponsable doublé par Charles Fleischer. Une enquête délirante à la manière d'un film noir des années 1940, et qui malgré l'apparition de Donald, Daffy Duck ou Betty Boop n'est pas du tout pour les enfants! J'en veux pour preuve une Jessica Rabbit surdimensionnée qui laisse les hommes pantois, ou cet affreux bébé adulte qui m'a toujours traumatisé. Cela dit, on suit toutes ces péripéties avec grand intérêt, d'abord parce qu'il est toujours très drôle de s'amuser à chercher les toons célèbres, mais surtout parce que Bob Hoskins est fabuleux en enquêteur bourru, fortement exaspéré par les personnages animés qu'il doit protéger et qui ne le lui rendent pas aussi bien qu'il l'aurait voulu. À revoir à l'occasion, ce sera sympa.


Rain Man: film de Barry Levinson écrit par Ronald Bass et Barry Morrow, sorti en décembre 1988. Avec Dustin Hoffman dans le rôle d'un savant autiste et Tom Cruise en requin égoïste qui apprendra à aimer son frère. Blah! Oscar du meilleur film et Ours d'or, ça? J'ai détesté dès les premières minutes: ça a très mal vieilli, la réalisation est impersonnelle, le scénario tire de grosses ficelles à n'en plus finir (les allumettes), Dustin Hoffman est ultra technique mais incapable d'apporter la moindre densité à son personnage, Tom Cruise au volant de sa grosse voiture est insupportable, et Valeria Golino est réduite au rôle misogyne de la fiancée impersonnelle dans l'ombre de son ami. L'autisme est un sujet qui m'intéresse beaucoup, mais ce film est loin d'en être la meilleure illustration.


Rendez-vous avec la mort (Appointment with Death): film écrit et réalisé par Michael Winner, coécrit par Anthony Shaffer et Peter Buckman d'après un roman d'Agatha Christie (1938), sorti le 15 avril 1988. Avec Peter Ustinov, Lauren Bacall et Piper Laurie. Une limonade rafraîchissante qui troque Pétra pour la Terre Sainte, et qui après une nouvelle gorgée se révèle moins mauvaise que la première fois, en particulier pour l'interrogatoire dans la grotte, séquence assez bien photographiée. Ça n'en fait pas un bon film pour autant: en dehors des grandes légendes au générique, la distribution est à pleurer de fadeur, la musique et les débardeurs sont beaucoup trop contemporains pour être crédibles, et les choix de réalisation sont ridiculement camp, à commencer par la scène d'ouverture hautement caricaturale et par-là même à hurler de rire. C'est finalement cette outrance qui rend le film divertissant, quoique nettement moins mémorable que les opus précédents. Le plaisir vient principalement de Lauren Bacall et Piper Laurie qui s'en donnent à cœur joie, surtout la première, à la fois hilarante, exaspérante et touchante tout au long de l'intrigue.


Superstar: The Karen Carpenter Story: court métrage expérimental de Todd Haynes, dont il est également le scénariste aux côtés de Cynthia Schneider, sorti le 30 avril 1988 avant d'être rapidement retiré des écrans, car le réalisateur n'avait pas les droits sur la musique des Carpenters abondamment utilisée tout du long. Malgré tout, c'est une biographie qu'il faut avoir vue : même si l'image est laide faute de moyens, Todd Haynes parvient à brosser un portrait crédible d'une star rongée par son succès à l'aide de poupées Barbies! Il fallait oser, mais le plus curieux dans tout ça, c'est que le drame qui se joue derrière ces apparences frivoles ne perd rien de sa force. La voix chaleureuse de Karen Carpenter, qui porte l'histoire pendant trois quarts d'heure, y est cependant pour beaucoup: on est hypnotisé dès le générique grâce à la chanson qui a donné son titre au métrage, et ce malgré les gros problèmes qu'un budget de quelques dollars pose visuellement. Il faut le voir pour le croire, mais aussi pour découvrir ce qu'un réalisateur de talent peut faire avec trois fois rien.


Voyageur malgré lui (The Accidental Tourist): film écrit et réalisé par Lawrence Kasdan à propos d'un couple qui se désintègre à la mort de son fils, coécrit par Frank Galati, d'après un roman d'Anne Tyler (1985). Avec William Hurt, Geena Davis et Kathleen Turner. J'ai enfin pu voir ce film après l'avoir cherché longtemps, et compléter par-là même la sélection des seconds rôles de l'année, mais si je ne suis pas mécontent de l'avoir vu, ça ne méritait peut-être pas autant d'efforts pour le trouver. C'est pas mal, mais ça passionne difficilement, en grande partie à cause d'une réalisation sans grande saveur. Mais l'interprétation de qualité permet de garder les personnages dignes d'intérêt tout du long. Si Geena Davis fut la révélation du film, avec un Oscar surprise à la clef, c'est néanmoins celle qui m'a le moins captivé dans ce trio: elle y incarne une gardienne de chiens dynamique prête à illuminer le quotidien du héros meurtri, chose qu'elle joue bien, même si je n'ai pas bien vu ce qu'elle apporte par elle-même au rôle. Autrement, William Hurt est bon dans son chagrin, mais c'est Kathleen Turner qui apporte à l'histoire sa véritable densité, en donnant vie à la séquence parisienne des retrouvailles et de la rupture définitive avec une justesse bouleversante.


Working Girl: comédie de Mike Nichols à propos d'une secrétaire forcée de se faire passer pour sa patronne qui lui vole ses idées, scénarisée par Kevin Wade et sortie le 20 décembre 1988. Avec Melanie Griffith, Harrison Ford et Sigourney Weaver. Le grand atout de ce film, c'est la séquence d'ouverture sur l'arrivée à New York au son d'une jolie chanson de Carly Simon, entrée en matière qui met dans de bonnes dispositions. Hélas, à partir de là, c'est la dégringolade. Le film reste médiocre et n'arrache aucun rire, la romance avec le patron tout puissant est convenue à mourir, on montre l'héroïne en sous-vêtements sans aucune raison, et Melanie Griffith n'est jamais drôle par elle-même: tout au plus de contente-t-elle d'arroser un type avec du champagne et de couper son horrible coiffure. Elle se fait complètement voler la vedette par Joan Cusack, qui hérite de la réplique la plus drôle du film, et Sigourney Weaver, impériale en patronne machiavélique, qu'elle fait le bon choix d'interpréter comme un être humain véritable avec ses contradictions, et non comme un monstre caricatural. Malgré tout, ce n'est pas son plus grand rôle, et elle aussi échoue à faire sourire malgré son engagement physique digne d'éloges.



Europe

Une Histoire de vent: documentaire multiculturel de Joris Ivens, également scénariste en collaboration avec Marceline Loridan-Ivens, sorti le 9 septembre 1988 à la mostra de Venise. Voilà un excellent film en son genre qui nous fait voyager de la Terre à la Lune, ou plus exactement de la grande muraille de Chine au désert de Gobi, en passant par le Sichuan. A travers son obsession de filmer le vent, Joris Ivens trouve l'occasion de réfléchir au temps qui passe et de revenir sur sa carrière, et ce au prix d'un remarquable travail sur l'image à mesure qu'il recrée une séquence onirique inspirée de Georges Méliès, ou lorsqu'il anime l'armée de terre cuite de l'empereur Qin. Non moins fabuleuse est la photographie du désert, parfaitement entrecoupée par des discussions philosophiques avec de vieux sages pleins d'expérience, et par des reproductions de fêtes locales. Vraiment, un très beau document qui conclut à merveille une œuvre d'une grande richesse.



Finlande

Ariel: film écrit et réalisé par Aki Kaurismäki, sorti le 21 octobre 1988. Avec Turo Pajala et Susanna Haavisto. Je suis toujours partant pour découvrir des films de contrées méconnues, mais j'ai fait chou blanc ici. Le propos, grinçant, est désespérant, le personnage central hautement désagréable, et les acteurs complètement amorphes. Les scènes de mort et de suicide sont supposées être des sommets d'humour noir qui m'échappent complètement. Au bout d'un moment, je ne prêtais même plus attention à ce qui se passait: j'ai détesté. Je n'ai malheureusement rien à ajouter.




France

Une Affaire de femmes: film écrit et réalisé par Claude Chabrol, coécrit par Colo Tavernier d'après un livre de Francis Szpiner (1986), sorti le 2 septembre 1988 à la mostra de Venise. Avec Isabelle Huppert, François Cluzet et Marie Trintignant. N'ayant pas revu le film depuis, cette critique est toujours d'actualité. Je me rends compte que j'y parle surtout de l'histoire et de la performance principale, et pas tellement des qualités visuelles de l’œuvre, mais je ne crois pas que les images fussent le point fort de l'ensemble.


Camille Claudel: film écrit et réalisé par Bruno Nuytten, coécrit par Marilyn Goldin, d'après un livre de Reine-Marie Paris, sorti le 7 décembre 1988. Avec Isabelle Adjani et Gérard Depardieu. Visuellement, un superbe film, mais on n'en attendait pas moins d'un directeur de la photographie qui avait déjà sauvé du naufrage un film comme Les Sœurs Brontë. Ceci dit, c'est peut-être trop long, les trois heures auraient pu être raccourcies sans dénaturer la relation extrême unissant Claudel à Rodin, mais à chaque visionnage, je ne m'ennuie jamais. C'est beau, c'est passionné, et c'est sensuel aussi, la sculpture des corps étant sublimée par la caméra. Surtout, Adjani et Depardieu sont magnifiques dans deux rôles des plus intenses. Lui n'a jamais été aussi bon qu'à cette époque de sa carrière; elle, spécialiste des plongées dans la folie, donne chair à cette histoire mortifère avec toute la puissance dont on la sait capable. A revoir pour plus de détails, mais l'image et l'interprétation font de ce portrait un incontournable.


Encore (Once More): film écrit et réalisé par Paul Vecchiali, sorti le 31 août 1988. Avec Jean-Louis Rolland, Florence Giorgetti et Michel Gautier. L'histoire d'un quadragénaire désabusé quittant sa femme et se découvrant au passage d'autres penchants. En général, je ne suis pas du tout porté sur la Nouvelle Vague, mais contre toute attente, j'ai adoré cet opus tardif. Ce qui ne veut pas dire que je cautionne tout (la dimension œdipienne, le dragueur insistant, le cynisme exaspérant du héros, la sonorisation catastrophique), mais chacun de ces longs plans-séquences fait mouche tant le propos, souvent très cru, est toujours juste: on se met à nu sans fausse pudeur, et l'on n'a pas peur d'aborder sans complexes la question du sida. Par ailleurs, la mise en scène théâtrale est follement dynamique au point qu'on ne s'ennuie jamais, d'autant que celle-ci est superbement soutenue par une interprétation de haute qualité qui parvient à rendre chaque personnage captivant, de Jean-Louis Rolland qui porte parfaitement le film et chante bien, à Florence Giorgetti, magnifique femme délaissée, en passant par Nicolas Silberg en mendiant iconoclaste, Séverine Vincent en chanteuse dynamique, Michel Gautier en amoureux sincère, Catherine Becker en amie complice et inquiète, et la légendaire Dora Doll à la main leste. Vraiment, j'ai beaucoup aimé, et ce alors que la vision de la sexualité y est très sombre, en particulier les lieux de rencontre gays et moustachus d'un glauque insondable, bien que la caméra s'y promène de manière extrêmement fluide, à l'instar des autres endroits très bien exploités entre l'appartement, la plage ou le métro. Les chansons ridicules, à la manière des films de Jacques Demy, parviennent même à aérer le propos: c'est un exploit!


Le Grand Bleu: film de Luc Besson inspiré des parcours des plongeurs apnéistes Enzo Maiorca et Jacques Mayol, sorti en mai 1988. Je n'ai rien à dire sur ce film: j'ai trouvé ça très mauvais, et même pas joli à regarder. C'est d'une longueur interminable, on y voit davantage de machines que d'images sous-marines, la scène d'amour qui fait fantasmer toutes les femmes de cette génération est extrêmement mal faite, et le tout est plombé par les "acteurs" les plus inexpressifs du cosmos. La pauvre Rosanna Arquette est la seule qui tente de faire de son mieux, mais elle est éclipsée par un bonnet péruvien... Bref, j'ai arrêté à la moitié, je n'en pouvais plus.




Jane B. par Agnès V. Biographie de Jane Birkin écrite et réalisée par Agnès Varda, sortie le 2 mars 1988. J'aime plutôt bien Jane Birkin, qui n'est ni nécessairement une grande actrice ni une grande chanteuse, encore que j'aime beaucoup son répertoire, mais elle m'a toujours paru sympathique. En tout cas, c'est une icône indéniable dans son pays d'adoption, et elle est ici sublimée par Agnès Varda, dont le regard toujours hautement artistique est un régal. Ce portrait se présente en partie sous forme de vignettes jouées, qui permettent à l'actrice d'incarner les grands rôles qu'elle n'a jamais eu au cinéma, dont Jeanne d'Arc dans une séquence d'un réalisme affreux; et en partie sous forme de dialogues avec la réalisatrice avec reconstitution de tableaux et jeux de miroirs. Jane y raconte sa vie, de son enfance à Londres à ses angoisses d'artiste à l'approche de la quarantaine, en passant par sa légendaire absence de poitrine et bien sûr sa non moins légendaire collaboration avec Gainsbourg. C'est joli à regarder grâce à l’œil inventif d'Agnès Varda, agréable à écouter grâce à Manfredini ou au Moi et le Je, et c'est en somme admirablement bien fait.


Kung-fu Master! ou Le Petit Amour: film écrit et réalisé par Agnès Varda, sorti en février 1988 à la Berlinale. Avec Jane Birkin et Mathieu Demy. C'est Jane Birkin qui a soufflé l'idée de ce film à Agnès Varda lors du tournage du documentaire précédant. A-t-elle bien fait? On l'y voit, vivant mal d'avoir passé le cap de la quarantaine, décidée à s'offrir une nouvelle jeunesse en prenant pour amant un pré-pubère de quatorze ans. C'est extrêmement perturbant, mais comment marquer un dégoût objectif alors que j'ai beaucoup aimé Le Souffle au cœur de Louis Malle? C'est en tout cas filmé avec délicatesse par Agnès Varda, mais le malaise est prégnant de bout en bout: l'adolescent qui a encore l'air d'un enfant? La mère qui accepte de filmer son fils dans une histoire de ce genre? L'absence totale d'alchimie entre les deux comédiens, qui semblent se forcer à aller là où ils n'ont pas envie d'aller? Tout cela est finalement assez désagréable, aussi ne suis-je pas allé jusqu'au bout.


La Lectrice: film de Michel Deville, également scénariste en compagnie de Rosalinde Deville, d'après un roman de Raymon Jean (1986), sorti le 17 août 1988. Avec Miou-Miou, María Casares et Brigitte Catillon. Je n'arrive pas à définir mon sentiment sur ce film, dont j'ai aimé certains aspects tout en étant gêné par d'autres. Disons que sur le papier c'est très intéressant: dans une histoire aux multiples perspectives, l'héroïne se prend de passion pour la lecture et fantasme un avenir de lectrice professionnelle amenée à rencontrer une galerie de personnages rocambolesques. Certains de ces seconds rôles sont immédiatement intrigants, telles Brigitte Catillon en mère inquiète et María Casares en générale marxiste, mais une fois de plus, je n'adhère pas du tout à la dimension sexuelle prégnante dans d'autres scènes, à voir l'héroïne dérider un entrepreneur dépressif en lui faisant l'amour un livre à la main, ou montrer son corps à un adolescent intrigué. Sans compter qu'il y a une dimension paternaliste insupportable, la dame ayant fait des études de lettres mais ne connaissant pas Zola, et devant se faire expliquer les livres qu'elle va lire par son mari ou son ancien professeur, dont on considère comme une grave anomalie qu'elle ne fût pas sa maîtresse jadis. En outre, je ne suis pas un admirateur de Miou-Miou, qui réussit tout de même à porter le film sans défaillir, mais qui reste bien meilleure dans ses regards silencieux que dans sa parole: elle lit passablement, d'une voix monocorde qui ennuie vite.


L'Ours: film de Jean-Jacques Annaud sur un scénario de Gérard Brach, d'après Le Grizzly de James Oliver Curwood (1916), sorti le 19 octobre 1988. Avec Bart et Youk. Je ne suis pas sûr de revoir ce film, car toutes les fictions impliquant des animaux me font pleurer comme un bébé. D'autant que la scène d'ouverture m'a traumatisé au point d'en avoir un souvenir trop précis, alors que le reste s'est estompé de ma mémoire plus d'une vingtaine d'années après. Il m'est alors difficile de juger de cette œuvre après tout ce temps, mais il me revient en tête de belles images panoramiques de la montagne, et le sentiment que c'était un bon film, tout du moins selon mes critères d'enfance. Pour sûr, avoir dirigé des animaux pour aboutir à un joli résultat visuel est un exploit. Et comme je ne suis plus en mesure d'ajouter quoi que ce soit, je me contenterai de vous livrer une anecdote: lorsque le film avait été diffusé à la télévision jadis, tout le monde m'avait appelé plus tôt dans la journée pour m'inciter à le regarder. Ma passion des animaux était connue de tous, de telle sorte que regarder L'Ours ce soir-là me semblait tomber sous le sens.


Un Petit Monastère en Toscane: documentaire d'Otar Iosseliani à propos des moines et paysans de l'abbaye de Sant'Antimo près de Sienne. Rien à signaler: le titre me faisait rêver et j'étais fort enthousiaste de découvrir un nouvel Otar Iosseliani après avoir adoré son chef-d’œuvre de 1970, Il était un merle chanteur, mais on est loin du compte avec ce documentaire sans aucune importance, qui allie mal la vie des moines à celles des paysans, le tout au sein d'images qui ont mal vieilli et où l'on ne peut s'empêcher de montrer des cadavres d'animaux comme si de rien n'était.


La Table tournante: film d'animation écrit et réalisé par Paul Grimault et Jacques Demy sorti le 21 décembre 1988. C'est un florilège des courts métrages d'animation de Paul Grimault, qui nous invite à les redécouvrir en faisant parler les personnages de ses contes sur sa propre table de montage. Sachant que je suis un admirateur éperdu de son chef-d’œuvre, Le Roi et l'Oiseau, depuis un quart de siècle, j'étais impatient de voir ces autres pépites fort prometteuses. J'avouerai simplement que je n'ai qu'un vague souvenir de chacune d'entre elles, alors que j'ai vu La Table tournante assez récemment, comme si Le Roi et l'Oiseau continuait de tout éclipser par comparaison. Pour sûr, je préfère les dessins des années 1940, beaucoup plus à mon goût que ceux des années 1970, dont les histoires de vol de diamant ou de vibrations nucléaires sont assez sinistres. Ma préférence irait de mémoire au Voleur de paratonnerres ou à La Flûte magique, mais une révision s'impose, car aucun de ces métrages ne m'a transporté.


La Vie est un long fleuve tranquille: film d'Étienne Chatiliez, coécrit par Florence Quentin, sorti le 3 février 1988. Avec Hélène Vincent. Quelle horreur. Après avoir entendu toutes mes anciennes copines de lycée me citer des répliques de ce truc jadis, j'ai fini par le regarder l'année dernière, également parce que j'aime beaucoup Hélène Vincent. Mais j'ai détesté. C'est extrêmement désagréable: le réalisateur se place au-dessus de ses personnages pour mieux les mépriser, laissant la famille pauvre vomir une grossièreté crasse affreusement caricaturale tout du long, éclaboussant au passage le seul personnage sympathique de la distribution. Pourquoi tant d'acharnement? Dans cette satire sociale dénuée de toute forme d'intelligence, Hélène Vincent fait de son mieux, mais ça fait mal au cœur de voir la seule personne de l'histoire faisant preuve d'humanité se faire broyer de la sorte dans l'allégresse générale, y compris par sa propre famille non moins épouvantable.




Géorgie

Achik Kérib, conte d'un poète amoureux (აშიკ-ქერიბი): film de Sergueï Paradjanov et Dodo Abachidze, sur un scénario de Gia Badridze d'après la nouvelle Achik Kérib de Mikhaïl Lermontov (1837). Sorti conjointement le 3 juillet 1988 à Tbilissi et au festival de Munich. Avec Iouri Mgoian et Sofiko Tchiaoureli. Autant je suis passé à côté des Chevaux de feu jadis, autant j'ai une grande affection pour le cinéma caucasien de Sergueï Paradjanov. Les histoires ont beau ne pas être tout à fait accessibles, les images sont tellement poétiques qu'il est impossible d'en détacher son regard avant la fin. Achik Kérib n'échappe pas à cette règle merveilleuse, puisqu'il suffit au metteur en scène de filmer des peintures ou des objets du quotidien pour donner une puissance évocatrice très forte au parcours de son personnage: une jarre sous une cascade, deux colombes sur un plateau de pétales de roses, le tout dans une avalanche de costumes traditionnels au mille couleurs, et le chef-d’œuvre est au rendez-vous. Avec en prime un acteur synophride atrocement séduisant, et une quête de la richesse des plus excitantes, pour que le héros puisse prétendre à la main de sa bien aimée. En somme, un très beau film inspiré d'un dastan oriental qui vous semblera furieusement exotique, auquel il aurait simplement fallu retrancher une ligne à haute tension au-dessus d'un pont!



Grèce

Paysage dans le brouillard (Τοπίο στην Ομίχλη): film écrit et réalisé par Theódoros Angelópoulos, coécrit par Tonino Guerra et Thanassis Valtinos, sorti en août 1988 à la mostra de Venise. Avec Michális Zéke et Tánia Palaiológou. On y suit le voyage initiatique de deux enfants à le recherche de leur père, amenés à faire de nombreuses rencontres improbables d'un lieu à l'autre. Alors, je suis désolé, mais autant j'avais apprécié Le Voyage à Cythère, autant je suis passé complètement à côté de ce film-là. C'est atrocement répétitif: les enfants s'arrangent toujours pour débarquer dans des endroits reculés dont la photographie a plutôt mal vieilli, et quelle que soit la personne qu'ils rencontrent, qu'il s'agisse d'un chauffeur de poids lourds ou d'une troupe de théâtre, il ne se passe rien. C'est un comble pour un parcours de cette sorte, mais tout m'a paru désespérément vide au point de m'ennuyer dès les premières minutes. C'est pourtant la marque de fabrique du réalisateur, mais autant d'autres de ses films parviennent à être saisissants malgré l'absence réelle d'action, autant celui-là est par trop monotone pour m'intéresser.



Hong Kong

Visages peints (七小福): un film d'Alex Law, également scénariste en compagnie de Mabel Cheung à propos de l'école d'étude du théâtre chinois, sorti le 16 septembre 1988 au festival de Toronto, puis le 10 novembre suivant dans son pays d'origine. Avec Sammo Hung et Cheng Pei-pei. Où l'on découvre que Jackie Chan fut l'élève d'un aficionado de Joan Crawford! Le titre cantonais signifie en effet les Sept Petites Fortunes, désignant par-là même un groupe d'étudiants en arts martiaux dans les années 1960, devenus des stars du cinéma d'action par la suite, certains des jeunes acteurs du film incarnant par exemple les futurs Jackie Chan et Sammo Hung. Ce dernier joue lui-même le rôle de son ancien professeur, maître Yu, livrant au passage une fort bonne interprétation tout en nuances, dévoilant le côté autoritaire et cruel de l'enseignant, sans oublier de révéler en contrepartie sa générosité, ses élans sentimentaux envers une lumineuse Cheng Pei-pei, et son désarroi de voir le cinéma l'emporter sur le théâtre traditionnel, ses brillants élèves ne servant dans un premier temps que de doublures à des stars moins talentueuses. On peut reprocher deux choses en tout et pour tout: les images très crues des châtiments corporels infligés aux enfants, et l'utilisation ignominieuse d'une tortue vivante pour caler un lit. Il semble heureusement que celle-ci ait terminé le film en bonne santé, le scénario montrant sa libération comme la fin d'une époque, mais il est précisé qu'elle est restée coincée sept ans sous le lit: j'espère que ce ne fut pas le cas en vrai. On sacrifie également un poisson aux loisirs des enfants, ce que je n'aime pas. Autrement, Visages peints est un excellent film. Vraiment. Ça m'a captivé de bout en bout, les images sont extrêmement belles, l'histoire touchante à souhait et les personnages attachants, surtout dans le second acte qui fait la part belle à leurs émois amoureux avec l'école de danseuses. Le tout est porté par une musique mélancolique qui ajoute au charme de l'ensemble.



Hongrie

Damnation (Kárhozat): film écrit et réalisé par Béla Tarr, coécrit par László Krasznahorkai, sorti le 16 février 1988 à la Berlinale, et le 20 octobre de la même année dans les cinémas hongrois. Avec Miklós Székely, Vali Kerekes et György Cserhalmi. Après Le Cheval de Turin vu l'année dernière, il est désormais acquis que je déteste le cinéma de Béla Tarr. En effet, si l'objectif est de filmer des plans fixes de dix minutes où il ne se passe rien, il est un art qui remplit parfaitement cet office et qu'on appelle photographie. C'est dommage, parce qu'il y a en réalité plein de choses intéressantes à décortiquer, l'environnement apocalyptique où seule une ligne à haute tension apporte quelque mouvement reflétant admirablement l'état d'esprit des personnages, sans compter que la photographie en noir et blanc et la composition du cadre sont tout à fait artistiques. Mais voilà, c'est malgré tout cela le vide intersidéral. Et même quand le héros parvient enfin à avoir une liaison avec la chanteuse qui l'attire, c'est un nouveau plan fixe où rien ne bouge et où aucun comédien ne met une once d'émotion, ce qui finit par agacer prodigieusement. En revanche, Damnation a un atout incomparable: la musique hypnotique de Mihály Víg. Mais ça ne suffit pas à sauver le film à mon goût: même quand cette partition emporte les personnages dans un tourbillon, c'est une nouvelle séquence d'une lenteur extrême dénuée d'émotions. Ça sert magnifiquement le propos mais il n'en reste pas moins impossible de ressentir quelque chose devant rien.




Inde

Salaam Bombay! (सलाम बॉम्बे!): film de Mira Nair, également scénariste du film en collaboration avec Sooni Taraporevala, sorti en mai 1988 à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, puis en septembre 1988 dans son pays d'origine. Avec Shafiq Syed et Nana Patekar. La première fiction d'une réalisatrice dont j'ai très envie de découvrir le reste de la filmographie. Je ne suis pourtant pas autant saisi que ce que j'avais espéré, mais ça n'en reste pas moins du bel ouvrage, quoique ce soit éprouvant. On y suit le parcours d'un petit garçon livré à lui-même qui doit gagner de l'argent dans la grande ville afin de pouvoir rentrer chez lui. Ce faisant, il se lie d'amitié avec d'autres personnes à problèmes, le tout dans un univers très sombre malgré la débauche de couleurs en intérieur comme en extérieur. Y sont évoqués successivement les thèmes de la drogue, de la prostitution et de la corruption, au milieu de quoi Krishna doit apprendre à grandir. Le sujet est fort, et la réalisatrice a un grand talent pour faire ressortir la densité psychologique de ses personnages en filmant les visages très expressifs de ses interprètes. Un gros bémol cependant: le massacre d'un poulet. C'est épouvantable, et ce sont là des choses qui ne devraient pas être tolérées.



Italie

Cinéma Paradiso (Nuovo cinema Paradiso): film écrit et réalisé par Giuseppe Tornatore, coécrit par Vanna Paoli, sorti en septembre 1988 au festival de Bari. Avec Philippe Noiret, Salvatore Cascio et Marco Leonardi. Un film qui fit beaucoup parler de lui à sa sortie, et qui reste aujourd'hui considéré comme l'une des plus belles déclarations d'amour au cinéma, grâce à de multiples références et extraits de films insérés dans l'histoire, celle d'un enfant passionné par l'image et par conséquent très ami avec le projectionniste. Ce n'est vraiment pas mal, mais je ne peux pas dire que ça m'ait transporté. Je me souviens de plans vraiment bien travaillés, d'un gamin trop exubérant pour être attachant, et d'une forme d'humour maladroitement amenée, à l'image des adolescents qui se caressent devant Bardot, avant de se faire réprimander par le prêtre qui entre lui-même en érection en regardant l'écran. C'est en tout cas un film qui plaît à beaucoup. Pour moi, j'ai le sentiment d'être resté sur ma faim: marteler des références à n'en plus finir ne suffit pas à soutenir l'intérêt.


La Légende du saint buveur (La Leggenda del santo bevitore): film franco-italien écrit et réalisé par Ermanno Olmi, coécrit par Tullio Kezich d'après La Légende du saint buveur de Joseph Roth (1939), sorti en septembre 1988 à la mostra de Venise. Avec Rutger Hauer, Anthony Quayle et Sandrine Dumas. Heureusement que j'ai lancé le film sans prêter attention au nom du metteur en scène, car je ne l'aurais probablement pas regardé autrement, à cause d'un traumatisme subi dès les premières minutes de son film le plus connu. Par bonheur, pas de massacre d'animaux ici, mais les tribulations parisiennes d'un clochard qui gagne une petite fortune après une rencontre mystérieuse, et qui s'engage à tout rembourser dans un mois, à condition que son démon de l'alcoolisme ne reprenne pas le dessus. Cette histoire est très bien modulée: toutes les interactions du héros avec les gens de son quartier sont toujours très dignes d'intérêt, et les retours en arrière sur son amour perdu sont empreints d'une nostalgie qui sied bien à l'atmosphère souhaitée par le réalisateur. Celle-ci est d'ailleurs remarquable de précision: dès le générique, une simple descente d'escalier suffit à nous faire entrer dans du grand cinéma, et la photographie reste superbe de bout en bout. Par ailleurs, Rutger Hauer est excellent dans le rôle principal, avec son visage ravagé merveilleusement expressif. Tout cela forme un bon film que j'aurais voulu aimer davantage: des longueurs finissent par apparaître ça et là.




Japon

Mon voisin Totoro (となりのトトロ): film d'animation écrit et réalisé par Hayao Miyazaki sorti le 16 avril 1988. L'histoire de deux petites filles qui déménagent à la campagne et découvrent un monde enchanté. Pour être tout à fait honnête, et quitte à laisser frémir tous les gens de ma génération, je ne suis pas un fan inconditionnel de Miyazaki. Je lui reconnais un immense chef-d’œuvre, Porco Rosso, mais tous ses autres films me font peur, même Ponyo sur la falaise, c'est dire! Par bonheur, Totoro est une charmante exception: c'est mignon et chaleureux sans jamais être effrayant, mais c'est aussi plus complexe que ça, puisque l'inquiétude liée à la mère à l'hôpital, ou le thème de l'adaptation à un milieu inconnu, contiennent une gravité réelle qui nuance parfaitement le propos. Après, il me faudrait revoir le film pour analyser les multiples symboles qui le composent, mais ce premier visionnage m'avait déjà bien plu, sans pour autant me donner envie de crier au chef-d’œuvre. Quoi qu'il en soit, j'aimerais bien à mon tour jouer avec des ours aux grandes oreilles, et voyager en chat-bus!


Le Tombeau des lucioles (火垂るの墓): film d'animation écrit et réalisé par Isao Takahata, adapté de la nouvelle La Tombe des lucioles d'Akiyuki Nosaka (1967), sorti le 16 avril 1988. L'histoire d'un adolescent et de sa petite sœur qui tentent de survivre dans Kōbe en ruines pendant la seconde guerre mondiale. Ouh. Comparé au film précédent sorti le même jour, celui-là est très dur. Mais très bon, également, preuve que l'année du dragon fut absolument faste pour l'animation japonaise. Pour sûr, les personnages sont extrêmement attachants, et la relation frère-sœur est l'une des plus émouvantes de l'histoire du cinéma. Les images au lyrisme magnifique rendent cette histoire d'autant plus belle, mais le réalisme très cru de certaines scènes fait mal au cœur. Cependant, malgré son propos désespérant, Le Tombeau des lucioles me plaît mieux que Totoro.



Nouvelle-Zélande

Le Navigateur: une odyssée médiévale (The Navigator: a Mediaeval Odyssey): film australo-néo-zélandais écrit et réalisé par Vincent Ward, coécrit par Kely Lyons et Geoff Chapple, sorti le 16 septembre 1988 au festival de Toronto. Avec Hamish McFarlane et Bruce Lyons. Un film tristement d'actualité: afin d'empêcher la peste noire d'arriver dans leur village reculé d'Angleterre, un groupe de paysans, aidés d'un jeune garçon visionnaire, décide de creuser un tunnel qui les conduit contre toute attente à Auckland dans les années 1980. Le but du réalisateur était de montrer comment l'on réagit face à un univers inconnu, et il est intéressant de noter que les villageois n'ont pas conscience d'avoir changé d'époque: ils s'imaginent que la modernité est l'apanage des grandes villes médiévales qu'ils n'avaient jamais visitées. Le sujet est bien traité, bien que ces aventures soient assez glauques, et que les effets soient de leurs temps. Les teintes de bleu de la nuit zélandaise sont apparemment inspirées des enluminures des frères Limbourg, mais si certains reflets sont jolis, tel l'embarquement du cheval, l'image ne transporte pas pour autant le spectateur dans un monde dépaysant. Le film fait surtout la part belle aux gros plans sur les visages des aventuriers, dont les expressions soutiennent bien les péripéties. Ce n'est pas mal en l'état, mais je n'ai pas vraiment aimé: le ton y est sans doute trop sinistre.



Pays-Bas

L'Homme qui voulait savoir (Spoorloos): film franco-néerlandais écrit et réalisé par George Sluizer, coécrit par Tim Krabbé d'après son propre roman L'Œuf d'or (1984), sorti en août 1988 au festival de Montréal. Avec Bernard-Pierre Donnadieu, Gene Bervoets et Johanna ter Steege. Croyez-le ou non, mais j'ai regardé ce film pour la seule et unique raison que son titre rimait avec spéculoos. Ce qui n'a pourtant rien à voir, car on peut difficilement faire moins délectable qu'une histoire de disparition sur une aire d'autoroute allant crescendo dans l'épouvante. Ce n'est pas ma tasse de thé et le rythme ne m'a pas follement emballé, bien que la résolution de l'énigme tienne en haleine et que le duel psychologique reste digne intérêt, grâce à la performance d'un Bernard-Pierre Donnadieu complexe et inquiétant. Malgré tout, l'avalanche de louanges pour un film qui reste à mes yeux anecdotique me laisse pantois.



Pologne

Tu ne tueras point (Krótki film o zabijaniu): film écrit et réalisé par Krzysztof Kieślowski, coécrit par Krzysztof Piesiewicz et constituant une adaptation de la cinquième partie du Décalogue du même réalisateur, sorti le 11 mars 1988. Avec Mirosław Baka et Krzysztof Globisz. Ça se veut peut-être psychologiquement intéressant, mais c'est affreux. L'image est extrêmement laide, et le réalisateur a manifestement tué des animaux pour les besoins de son film. C'est irregardable, et ça me confirme que je déteste le cinéma de ce type, avec les insupportables Double vie de Véronique et Bleu.




Portugal

Les Cannibales (Os Canibais): opéra de Manoel de Oliveira sur une musique et un livret de João Paes, adapté d'une nouvelle d'Álvaro do Carvalhal, sorti en mai 1988 au festival de Cannes, puis en novembre dans son pays d'origine. Avec Luís Miguel Cintra, Leonor Silveira et Diogo Dória. Une satire de l'aristocratie au siècle romantique, entièrement chantée et illuminée à la bougie, où l'on s'entre tue pour la main d'une jeune fille de bonne famille. Forcément, j'ai bien aimé: c'est tout à fait à mon goût et c'est intensément cinématographique. On n'en attendait pas moins d'un metteur en scène de cette trempe, même si ça ne veut pas dire que je cautionne tout: c'est assez glauque par moments, et la conclusion peu subtile n'est pas ce qu'il y a de plus réussi, mais ça n'en reste pas moins absolument fascinant à regarder et à écouter.



Royaume-Uni

Brûlant Secret (Burning Secret): film écrit et réalisé par Andrew Birkin d'après une nouvelle de Stefan Zweig (1911), sorti en septembre 1988 à la Mostra de Venise. Avec Klaus Maria Brandauer, David Eberts et Faye Dunaway. Une jolie adaptation, dans laquelle le réalisateur pose une ambiance envoûtante avec les décors naturels de la Forêt de l'empereur en Bohême, et l'intérieur chic mais oppressant d'une station thermale propre à déchaîner toutes les passions. C'est ici que le héros, excellemment interprété par un jeune comédien dont ce fut le seul rôle, fait la rencontre d'un baron faussement jovial, auquel Klaus Maria Brandauer sait aisément donner un aspect inquiétant, car prêt à se servir du fils pour atteindre la mère. Tiraillée entre l'affection qu'elle porte à son fils et sa flamme naissante pour l'inconnu qu'elle rejette de prime abord, Faye Dunaway prouve à nouveau qu'elle est d'une perfection absolue dans chacun de ses rôles. Il est d'ailleurs délirant de la voir si maternelle avec un enfant après sa mère bien connue du début de la décennie, bien qu'elle ne puisse retenir une gifle plutôt méritée à un moment donné. Au cœur de toutes ces tensions que la neige ne semble pouvoir apaiser, la perte de l'innocence est filmée avec une grande délicatesse: c'est tout à l'honneur de ce film qui m'a beaucoup plu, à défaut d'être un chef-d’œuvre.




Le Château de Barbe-Bleue (Duke Bluebeard's Castle): téléfilm musical de Leslie Megahey d'après l'opéra hongrois éponyme de Béla Bartók, au livret de Béla Balázs (1918). Avec Elizabeth Laurence et Robert Lloyd. Qui l'eût cru? L'un des plus beaux films de l'année est en fait une production télévisée. Oui, mais l'atmosphère est si ensorcelante qu'on ne peut que s'incliner. Nous y suivons le parcours de la quatrième femme de Barbe-Bleue (plus que la moitié avant Nicole de Loiselle!), qui accepte de plein gré la proposition de son mari mais décide, au grand désespoir de celui-ci, de percer à jour tous ses secrets afin de le mieux connaître. Ce faisant, elle ouvre sept portes secrètes et découvre des choses stupéfiantes... Franchement, chaque découverte est passionnante. La première porte interroge par exemple la psyché de Judith, qui croit voir une chambre de torture là où le spectateur ne voit qu'une pièce vide, dont les carreaux se souillent pourtant de sang à mesure qu'elle la parcourt. La salle du trésor noie quant à elle l'héroïne sous des flots d'ors et de vermeils dont l'éclat reste trompeur, la porte s'ouvrant sur le royaume offre pour sa part une vue vertigineuse, avant que le lac des larmes ne vienne annoncer un dénouement funeste. Celui-ci est d'ailleurs si terrifiant qu'il faut avoir du nerf pour le soutenir, ce qui conclut néanmoins l'opéra sur une apothéose. La mise en scène est quant à elle dynamique, à la manière dont les deux personnages se tournent autour dans de gigantesques décors, tandis que les interprètes sont de fort bonne qualité. C'est hautement recommandé!


La Dernière Danse de Salomé (Salome's Last Dance): film écrit et réalisé par Ken Russell d'après Salomé d'Oscar Wilde (1891), sorti au printemps 1988. Avec Glenda Jackson, Stratford Johns et Nickolas Grace. Mon avis d'il y a trois ans, qui n'a pas pris une ride: "J'avais hâte de découvrir la dernière collaboration de Glenda avec Ken Russell, mais hélas, autant Women in Love et Tchaïkovski revêtaient un aspect intensément cinématographique et novateur, autant ce projet à la base captivant de théâtre dans le théâtre (Oscar Wilde est invité dans une maison close pour voir une représentation de Salomé par les résidents des lieux) lorgne davantage vers le théâtre filmé d'Hedda ou des Bonnes, malgré une débauche de costumes baroques à souhait. Maquillée en souveraine antique, Glenda livre sans surprise une performance très théâtrale, franchissant allègrement la ligne de la caricature dans l'expression de sentiments exacerbés, si bien qu'il est difficile de se prendre au jeu de son Hérodias, encore que son interprétation fonctionne puisque avant d'être une reine aigrie et cruelle, le personnage est surtout une grande dame délurée qui vient brûler les planches le temps d'une visite au bordel. On comprend bien la démesure calculée, mais il n'empêche que c'est Imogen Millais-Scott dans le rôle-titre qui marque le plus les esprits."


Distant Voices, Still Lives: drame musical écrit et réalisé par Terence Davies, sorti en mai 1988 au festival de Cannes. Avec Lorraine Ashbourne, Angela Walsh et Pete Postlethwaite. Chef-d’œuvre! J'ai absolument adoré! J'ai été envoûté dès les premières minutes et même si je meurs d'envie de le revoir pour en parler plus en détail, je certifie que tout m'avait plu dans cette histoire familiale constamment passionnante. Le rapport à la musique y est sûrement pour beaucoup, à voir les personnages chanter pour oublier la tristesse quotidienne ou célébrer la vie dans les moments heureux, mais ce n'est pas que ça: les relations entre frères et sœurs sont magnifiquement développées, le rapport au père violent me parle d'autant plus personnellement, et l'interprétation de très haute qualité est à ravir. Vraiment. Angela Walsh, qui pourrait passer pour le premier rôle secret du film, est une merveilleuse actrice dont la caméra tombe amoureuse à chaque plan; Lorraine Ashbourne est elle aussi discrètement nuancée, tandis que Debi Jones est excellente en cousine à forte personnalité, et que Freda Dowie est superbe dans le rôle de la mère. J'ai découvert cette perle l'année dernière et, promis juré, dès que les choses reviennent à la normale cette année, je me l'achète pour la revoir au plus vite!


L'Île de Pascali (Pascali's Island): film écrit et réalisé par James Dearden, d'après un roman de Barry Unsworth (1980), sorti en mai 1988 au festival de Cannes. Avec Ben Kingsley, Charles Dance et Helen Mirren. Il y a de bonnes choses, mais je suis tout de même un peu déçu par cette histoire d'espionnage et de trahison, sans doute à cause d'un léger problème de rythme, qui ne nuit cependant pas à l'intérêt que suscite constamment l'intrigue, grâce à un trio d'interprètes en grande forme. Ben Kingsley domine notamment la distribution dans le rôle d'un espion à la solde d'un pouvoir central ottoman qui vit ses dernières années, et il joue excellemment de toutes les frustrations qui l'assaillent, de son inquiétude de savoir que ses rapports ne sont jamais lus, à son dégoût de voir la femme qu'il aime, et à qui il n'a jamais osé avouer ses sentiments, partir se baigner nue avec un archéologue mystérieux. Helen Mirren est quant à elle parfaitement distribuée dans le rôle d'une artiste bohème bien décidée à vivre sa vie librement, et Charles Dance ajoute superbement une dose d'inquiétude à sa personnalité sans doute trop joviale pour être honnête. Cet acteur est également un homme fort séduisant, mais je n'arrive pas à désirer son corps, bien qu'Helen Mirren et lui soient érotisés à souhait dans cette atmosphère passionnée aux embruns de la mer Égée.


Madame Sousatzka: film de John Schlesinger, écrit par Ruth Prawer Jhabvala d'après un roman de Bernice Rubens, sorti en septembre 1988 au festival de Toronto. Avec Shirley MacLaine, Shabana Azmi et Peggy Ashcroft. Il me faudrait le revoir car j'avais trouvé plutôt sympathique la dernière fois. Et puis, c'est une histoire de musique portée par plein d'actrices fabuleuses. Shirley MacLaine n'y laissait pourtant pas beaucoup de places aux autres, si je m'en souviens bien, car toujours prête à en faire des tonnes avec un accent slave et des manières de diva. A revoir pour plus de détails, donc.


Un Monde à part (A World Appart): film britannico-zimbabwéen de Chris Menges, écrit par Shawn Slovo d'après la vie de ses propres parents, sorti en mai 1988 au festival de Cannes. Avec Jodhi May et Barbara Hershey. Comme pour le précédent, une révision s'impose d'urgence. Ça évoque la lutte contre l'apartheid et Barbara Hershey y a un rôle juteux, mais sept plus tard, trop peu d'éléments me reviennent à l'esprit pour en parler concrètement.


Un Poisson nommé Wanda (A Fish Called Wanda): comédie de Charles Crichton sur des écrocs qui se dupent les uns les autres, écrite et interprétée par John Cleese, sortie en juillet 1988 aux États-Unis. Avec Jamie Lee Curtis, Kevin Kline et Michael Palin. Visuellement, ça n'a pas très bien vieilli, mais c'est surtout que la réalisation préfère s'effacer devant une interprétation brillante et survoltée qui ne laisse jamais le soufflé retomber. Pour être honnête, ce n'est pas du tout un genre d'humour que j'affectionne, entre torture à base de frites dans le nez, massacre de (faux, heureusement) poissons et funérailles involontaires de caniches; et certains rebondissements sont trop gras pour mes goûts de princesse, de l'avocat nu surpris pas ses locataires à une éjaculation grimaçante qui ne m'amuse pas spécialement; mais il y a malgré tout assez de bonnes choses pour passer un bon moment. C'est principalement dû aux performances de Jamie Lee Curtis, hilarante en voleuse faussement énamourée mais réellement manipulatrice, Michael Palin, touchant dans un rôle de gentil malfrat ami des bêtes, et de Maria Aitken, délirante en bourgeoise complètement dépassée par les événements sans pour autant rien perdre de son caractère! John Cleese est bon dans son registre mais me fait moins rire, et si Kevin Kline en fait des tonnes pour mieux électriser l'histoire en idiot qui se vexe facilement, il est tout de même permis de le trouver trop caricatural, et par conséquent moins inspiré que dans Les Pirates de Penzance cinq ans plus tôt.




Russie

Le Moine noir (Чёрный монах): film écrit et réalisé par Ivan Dykhovitchny, coécrit par Sergueï Solovev d'après la nouvelle fantastique Le Moine noir d'Anton Tchekhov (1894), sorti en octobre 1988. Avec Stanislav Lioubchine, Tatiana Droubitch et Piotr Fomenko. Amateurs d'ambiances, ce film est fait pour vous. Tourné au château de Serednikovo, le récit nous transporte dans un univers tout de brume assombri par des arbres centenaires, éclairci à l'occasion par un gigantesque lilas nimbant la fiancée d'un écrin rassurant à mesure que la psyché du héros se délite. Le film a surtout le bon sens de ne pas chercher à montrer les visions d'Andreï, parvenant au contraire à les faire ressentir à l'aide d'un travelling contrarié tout hitchcockien, de quoi renforcer la beauté singulière des paysages. L'interprétation est à la hauteur des enjeux, mais on retiendra surtout l'atmosphère, qui plus encore que les excellents comédiens constitue un tour de force. Je n'ai certes pas lu la nouvelle de Tchekhov, mais j'ai le sentiment sincère que cette adaptation lui fait honneur. Elle me donne de toute manière très envie de la lire désormais.


La Petite Véra (Ма́ленькая Ве́ра): film de Vassili Pitchoul, écrit par Maria Khmelik, sorti en octobre 1988 dans les cinémas soviétiques. Avec Natalia Negoda. Une œuvre qui fit l'effet d'une bombe à l'heure où l'union soviétique vivait ses derniers instants: on y voyait pour la première fois un rapport sexuel à l'écran. Nettement plus dense que ça, le film se veut surtout à l'opposé des canons artistiques du régime: ici, point de travailleurs héroïques ou de guerrières accomplies, mais des chômeurs alcooliques dans une banlieue désaffectée, des mères colériques qui hurlent leurs frustrations sur leur progéniture, et une jeunesse désœuvrée qui passe le temps sur des épaves à quai. C'est bien fait, dans un style quasi documentaire la caméra à l'épaule, mais aussi très triste et déprimant. L'interprétation est également de qualité: même la mère insupportable sait se calmer et sourire lorsqu'elle reçoit des invités. On lui préférera néanmoins les plus jeunes acteurs, qui sans être bouleversants traduisent bien l'inaction à laquelle ils sont soumis, et les questionnements sur un avenir qui ne semble pas se décider à s'éclaircir. Il est par conséquent difficile d'aimer cette ambiance, mais c'est tout à l'honneur du film d'avoir abordé ce sujet criant de vérité.



Sénégal

Camp de Thiaroye: film écrit et réalisé par Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow, sorti en septembre 1988 à la Mostra de Venise, et évoquant le massacre de Thiaroye perpétré par l'armée française sur les tirailleurs sénégalais en 1944. Avec Ibrahim Sane et Jean-Daniel Simon. Bien qu'ayant remporté le prix spécial du jury à Venise, le film fut censuré pendant dix ans en France, car le sujet faisait encore polémique à l'époque. Ça n'en reste pas moins un très bon film, malheureusement plombé par un meurtre de mouton extrêmement traumatisant et qui ne semble avoir posé problème à personne sur le tournage. En dehors de ça, l'histoire reste hautement captivante malgré sa longueur, grâce à une tension palpable qui ne s'essouffle jamais, et à des personnages fouillés qui rendent le tout particulièrement digne d'intérêt. Il faudrait me rafraîchir la mémoire après quelques années, mais Ibrahim Sane composait je crois bien un héros fascinant.



Tchécoslovaquie

Alice (Něco z Alenky): film d'animation en stop motion écrit et réalisé par Jan Švankmajer, d'après Les Aventures d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll (1865), sorti le 3 août 1988 aux États-Unis puis en novembre 1990 dans les cinémas tchèques. C'est follement inventif mais épouvantablement cauchemardesque! C'est le but recherché, et bien heureux ceux qui ne trembleront pas d'effroi devant un lapin empaillé qui s'éventre avant de décapiter toute l'armée de la reine avec des ciseaux, ou devant un vers à soie monstrueux fabriqué à partir d'une chaussette. Le réalisateur réussit l'exploit de créer un monde imaginaire avec de simples objets du quotidien, le tout dans une chambre fermée, d'où le succès du film, mais avouons tout de même que l'histoire finit par accuser quelques longueurs au bout d'un moment. On souhaite surtout que la petite fille grandisse vite pour échapper à ces visions infernales qui l'ont probablement empêchée de dormir toute son enfance! En somme, un film magnifiquement créatif mais extrêmement perturbant et parfois trop long. Je reconnais ses hautes qualités mais je ne prétendrai pas avoir aimé.




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Japon: Akira, futurisme et télékinésie en dessins animés; Espoir et Douleur, des étudiants en butte aux traditions; Onimaru, Les Hauts de Hurlevent dans le Japon médiéval; Lady Camellia, La traviata dans le Japon contemporain.

Nicaragua: Le Fantôme de la guerre, danse et conflit armé dans les Caraïbes.

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