lundi 21 mars 2022

Buffy contre les vampires

D'accord, il y avait sûrement des millions de manières plus intelligentes d'occuper ce début d'année, mais à force d'entendre parler de cette série depuis vingt ans, je voulais voir enfin à quoi ça ressemblait. Il faut dire que j'ai été victime d'un militantisme particulièrement virulent à ce sujet depuis la cinquième : entre les grandes rêveuses qui voulaient mettre du piment dans leur vie, les copines gothiques qui surnommaient leur rat "Willow" et les amies lesbiennes capables de vous pondre une thèse en un souper pour vous expliquer en quoi Buffy contre les vampires a surpassé Le Deuxième Sexe comme texte de référence féministe, autant dire qu'il m'a été difficile de méconnaître l'existence de la tueuse de démons durant mon parcours scolaire et universitaire. Même la nouvelle secrétaire de mon père n'a pu s'empêcher de me laisser entendre qu'il s'agit de sa série préférée, lorsque j'ai dû m'y rendre la boule au ventre pour les inévitables fêtes de Noël. Bref, les adoratrices des héros de Sunnydale sont partout, des grands boulevards bordelais aux petites bourgades du Limousin ! Au secours ! N'y tenant plus, j'ai donc cherché à découvrir la première saison au premier janvier. Ce 15 mars, je viens de finir… la septième !

Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'ensemble est assez divertissant pour donner envie de voir la suite : les scénaristes, dont le désormais très controversé créateur de la série, Joss Whedon, ne nous épargnent aucun cliffhanger, de telle sorte qu'on est toujours tenté d'enclencher l'épisode suivant, même si l'on n'aime pas nécessairement l'univers en question. Après, 33 ans n'est vraiment pas un âge approprié pour découvrir une série qui s'adresse avant tout à un public adolescent :  on me promettait que l'intérêt de l'histoire était de voir les personnages grandir et devenir des adultes responsables au fil du temps, mais ce qui m'aurait sûrement beaucoup diverti à quinze ans me laisse pantois désormais. En effet, en dehors de la fin de la cinquième saison, où l'héroïne doit apprendre à jouer un rôle maternel et faire un choix lourd de conséquences après mûre réflexion, je la trouve tout de même trop futile dans les épisodes précédents, et même dans certains des suivants, pour m'y attacher comme il le faudrait. Le fait qu'elle ne s'intéresse typiquement à aucune matière scolaire hormis le sport n'a clairement pas aidé… Je pense surtout que le problème vient de ce que les acteurs étaient beaucoup trop âgés pour être convaincants dans des rôles de lycéens : par exemple, que fait Cordelia Chase en seconde avec son physique épanoui de quasi trentenaire ?! Même Sarah Michelle Gellar avait déjà 19 ans au moment du tournage, ce qui ajouté à son expérience d'enfant-star ne la rend pas très crédible pour incarner un personnage qui est censé avoir quinze ans dans le premier épisode ! Bref, on est loin de Mary Pickford dans Le Petit Lord Fauntleroy !

Au-delà de ça, ce qui me rend sûrement sceptique, c'est que je n'ai pas aimé les personnages principaux. À mon goût, Buffy manque d'intérêt pour les choses de l'esprit, ce qui est rédhibitoire (sans mentir, elle se plaint de toutes les matières qu'elle étudie, même à la fac!), tandis qu'Angel, Oz et Xander Harris sont quant à eux beaucoup trop lisses, surtout le premier - comment peut-on inventer un personnage de vampire romantique et tourmenté pour le faire jouer par un sous-bellâtre insipide ? De son côté, Cordelia Chase n'évolue jamais est reste une peste jusqu'à son départ pour la grande ville, alors qu'il eût été nettement plus intéressant de la voir changer au contact de ses nouveaux amis. Par exemple, l'épisode où elle crée involontairement un univers parallèle peuplé de démons aurait dû lui être entièrement consacré, et dieu sait si j'attendais de la voir résoudre la situation toute seule pour une fois, mais non ! Le scénario l'élimine à mi-parcours, laissant des personnages très périphériques remettre de l'ordre dans le monde. Cordelia a tout de même un bon moment dans la troisième saison, où elle cumule déception sentimentale, blessure très grave et humiliation par ses camarades, mais elle se renferme à nouveau sous une carapace cynique au lieu de gagner en maturité.

Anya reste pour sa part sur la même note d'ancienne démone qui n'a rien compris à la vie, chose tout à fait incompréhensible puisqu'en un millénaire d'existence, elle ne devrait plus avoir aucune illusion sur la complexité de l'âme humaine. L'actrice est cependant excellente lorsqu'elle se fait abandonner sur l'autel du mariage, avec un jeu d'une retenue de bon aloi, mais si c'est pour la voir revenir dans le groupe la saison suivante comme si de rien n'était, son évolution tombe à l'eau. Enfin, Rupert Giles est de son côté passablement agaçant dans un rôle de père de substitution, mais je suis plutôt agréablement surpris par Dawn, la petite sœur parachutée de la manière la plus chaotique qui soit, et qui reste pour sa part une ado convaincante tout en ayant le bon goût de se mettre en retrait au lieu de toujours chercher à être au centre de l'attention, comme bon nombre de gamines de son âge.

Reste alors Willow Rosenberg qui, elle, a au moins le mérite d'être cultivée et de jouer mieux que les autres de la confusion des sentiments, mais il lui manque tout de même un petit quelque chose qui m'aurait vraiment donné envie de suivre ses aventures avec enthousiasme. Au moins, elle manque de tact, ce qui donne parfois lieu à des répliques amusantes, et puis elle est capable de surprendre tout le monde en passant de première de la classe hyper complexée à sorcière ténébreuse à deux doigts de détruire le monde. Pour le coup, on ne peut pas reprocher au personnage de ne pas évoluer ! Autrement, j'avais au départ très envie d'aimer Spike, le vampire rock 'n' roll passant d'ennemi mortel à allié de choix tout au long des saisons, mais sa relation à Buffy est tellement toxique que j'ai rapidement déchanté : tous deux passent leur temps à se cogner de manière violente, parfois sans raison aucune, puis il finit par l'enchaîner dans une grotte avant de tenter de la violer. Et Buffy lui pardonne toujours tout parce qu'il a une puce dans le cerveau, puis une âme. Entre ça et le tout Hollywood applaudissant l'agression sexuelle d'Halle Berry aux Oscars, il est effrayant de se rendre compte à quel point on voyait les choses autrement il y a seulement vingt ans. Et peut-on aussi parler du point de vue hyper malsain d'Angel qui révèle avoir reluqué l'héroïne à la sortie du collège alors qu'elle avait à peine quinze ans ? Et ce type est censé être le grand amour de sa vie ? Beurk !

La force de la série réside donc dans ses personnages secondaires, généralement des femmes, ce qui est d'ailleurs sa plus grande qualité puisque ce sont toujours des femmes fortes qui sont mises en avant. Pas de chance néanmoins, puisque le créateur s'ingénie à faire tirer leur révérence à tous mes dames préférées au moment où les choses devenaient vraiment intéressantes pour elles. Malheureusement, le scénario préfère surprendre le spectateur avec des morts subites plutôt qu'explorer en profondeur la complexité de leurs tourments. Ainsi, la super cool Jenny Calendar, la Tsigane à la pointe de la modernité, se retrouve mise à l'index avec une rancœur injustifiée pour avoir dissimulé une information à l'héroïne, alors qu'elle mène un combat tout aussi noble de son côté. Drusilla, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à une copine du théâtre, à la fois physiquement et dans son comportement (!!!), s'en va quant à elle explorer le monde sans que ses déceptions et le souvenir de tortures affreuses soient exploités : quel dommage devant le potentiel de ce personnage complètement baroque ! Maggie Walsh, la prof de psycho cheffe de guerre, disparaît de son côté au moment même où sa relation "mentor-élève" avec Buffy commençait enfin à faire sens ; et dans une moindre mesure, Amy Madison, la sorcière affligée d'une mère qui se prend pour Joan Crawford, devient pour sa part méchante sans raison valable et passe la moitié du temps sous forme de rat, alors qu'il y avait tellement mieux à lui faire jouer. Par ailleurs, j'ai également beaucoup aimé Joyce Summers, la mère de l'héroïne, qui a un vrai sens des responsabilités et qui tente de faire au mieux, seule, face à des situations qui la dépassent.


Mais la crème de la crème, c'est Tara Maclay, l'étudiante délicate, adepte modérée de sorcellerie qui trouble Willow. Lumineuse, élégante, amie fidèle sur qui tout le monde peut compter et toutefois capable de prendre ses distances avec le groupe en cas de désaccord, elle est à mes yeux le meilleur personnage de la série. La comédienne qui l'incarne, Amber Benson, est aussi la seule qui sache chanter correctement (avec Anthony Stewart Head), de quoi nous offrir l'un des plus beaux moments de la série dans l'épisode très original de la saison 6, Once More, with Feeling. Dans un autre épisode, elle semble être la plus à même de résoudre le problème du jour, alors que tout le monde se retrouve enchaîné dans une cave, mais son héroïsme est hélas contrecarré par les scénaristes qui donnent à nouveau le beau rôle à l'exaspérante Buffy. Pour sûr, j'ai tellement aimé le personnage de Tara que j'ai eu beaucoup de mal à avancer dans la dernière saison où elle n'apparaît pas : elle me manquait trop. En son absence, Willow entame une liaison avec une apprentie tueuse nommée Kennedy, l'anti-Tara par excellence et qui, ô surprise, n'est pas du tout désagréable, mais j'aurais tout de même beaucoup aimé que Tara continuât d'intervenir au sein du groupe, même après sa rupture avec Willow. Je déteste les auteurs qui s'ingénient à faire disparaître les personnages secondaires pour toujours favoriser les héros, a fortiori lorsque ces derniers sont moins intéressants. Notons d'ailleurs que Tara aurait dû avoir sa place au générique dans l'intégralité des saisons 5 et 6 : elle reste le membre le plus sain d'esprit dans le groupe, et s'affirme dès lors comme le contrepoint essentiel aux outrances des autres. En tout cas, il va de soi que j'approuve amplement une relation lesbienne traitée avec le plus grand naturel possible, bien que l'intimité des deux amantes soit montrée de façon plus timide que la sexualité franche des couples hétéros.

Ainsi, difficile d'évaluer Buffy contre les vampires, car il y a autant de bon que de mauvais. La série atteint parfois des abysses affligeants de nullité, mais trouve à d'autres moments un ton fort juste sur des questions existentielles. Il arrive que l'on passe d'un extrême à l'autre au sein d'un même épisode, d'où la difficulté à noter l'ensemble des saisons d'une manière satisfaisante. Pour sûr, j'applaudis devant les thèmes féministes et lesbiens, ainsi qu'aux portraits de famille qui sonnent souvent juste. Simplement, je ne suis pas convaincu devant les grands axes de la série : le fait que l'héroïne soit l'unique élue sur Terre, comme s'il n'y avait pas de vampires ailleurs, n'a par exemple aucun sens pour moi. La série se termine précisément sur le partage du pouvoir entre l'élue et ses dauphines : il était temps ! Quant à l'arrivée d'une petite sœur débarquée de n'importe où, alors que Buffy est clairement une fille unique dans sa chair et tout son être, c'est complètement injustifiable, d'autant que Dawn pouvait plus simplement être une protégée que les Summers auraient fini par adopter. Cette obsession de la jeunesse est d'ailleurs assez agaçante : pourquoi remplacer systématiquement les derniers adultes qui restaient par des personnages toujours plus jeunes, qui n'ont pas encore vécu et n'ont donc aucun intérêt ? Et cela vaut aussi pour les méchants : on aurait très bien pu imaginer que la déesse de la cinquième saison fût une femme mûre avec une certaine expérience de la vie, et donner par conséquent le rôle à une grande actrice connue, plutôt qu'en faire une énième jeunette qui n'a pas l'air d'avoir compris grand chose à la marche du monde.

Autrement, le vrai problème de la série, c'est que les scénaristes ne se posent pas toujours les bonnes questions. Certains épisodes font pourtant mouche quant aux responsabilités à assumer lorsqu'on est encore trop jeune, mais dans l'ensemble, Buffy contre les vampires rate le coche à plus d'une reprise. Par exemple, la première saison surprend par le manque total d'empathie des personnages envers leurs camarades de classe. Sans mentir, la moitié du lycée meurt dans d'atroces souffrances sous leurs yeux, et tout ce que le groupe trouve à faire, c'est de l'humour noir sur la situation. Par la suite, aucun personnage ne semble s'émouvoir de quoi que ce soit même dans les pires situations : Amy n'a l'air que vaguement agacée d'avoir passé trois ans de sa vie dans une cage à hamster, sans jamais évoquer le temps perdu ; tandis qu'Alexander éborgné fait immédiatement de l'humour sur sa nouvelle situation, sans jamais se soucier de ce terrible handicap. Et tout ce qui intéresse Anya après avoir perdu son immortalité, ce sont de menus détails futiles du quotidien pour amuser la galerie, mais tout reste encore une fois en surface, sans jamais vouloir entrer dans le vif du sujet. De manière beaucoup plus large, faire sept saisons sur une combattante vouée à sauver l'humanité de méchants démons est complètement caduque : les vampires dédouanent les humains de toute forme de méchanceté (encore que, Buffy qui bute tout ce qui ne rentre pas dans ses codes de valeur me semble hautement répréhensible), ce qui est toujours exaspérant, sauf dans la sixième saison où les antagonistes sont une fois n'est pas coutume foncièrement humains.

On pourrait aussi évoquer un grand manque de cohérence sur plein d'autres sujets, mais ce serait trop long à énumérer. On s'étonnera tout de même de savoir que le gang se retrouve dans un lieu public pour parler de choses ultra secrètes, mais à en juger par la détestation de Joss Whedon pour les matières scolaires, la bibliothèque reste visiblement un lieu honni par les lycéens si bien qu'il n'y vient jamais personne. Plus grave, le rapport à la mort passe son temps à changer de direction d'un épisode à l'autre : on peut ainsi ressusciter l'héroïne quand on reçoit le budget pour une saison supplémentaire, sous prétexte qu'elle a été tuée par une énergie mystique, mais cette grâce est refusée à toutes les victimes de vampires ou de mort naturelle, chose déjà contredite dans un épisode ridicule où des étudiants sont ramenés à la vie par leur camarade. Quant aux vampires, on nous dit dès le départ qu'être saigné entraîne une mort instantanée afin qu'un démon prenne possession du corps, mais ce concept n'est jamais très clair puisque la plupart des vampires développés dans la série gardent quand même leur personnalité humaine en eux. Mention spéciale à William, qui reste clairement William après sa métamorphose. Ce n'est pas la morsure, mais le rejet par sa mère qui le fait devenir Spike.

Bon, une fois encore, j'essaie de chercher de la cohérence dans un univers magique qui obéit à d'autres règles. Je pense tout de même que la série eût été plus intéressante sans magie : garder l'idée du vampirisme, oui, mais explorer davantage le passage entre mort et vie aurait eu plus de force que de faire voler des crayons dans les airs. À titre personnel, j'adore les contes de fées, mais c'est pour toute la symbolique qu'on y trouve en filigrane, par pour voir des sorcières faire des étoiles avec leurs mains. La magie "bon enfant" ne m'intéresse pas : je suis sûrement la seule et unique personne au monde à avoir fêté ses 12 ans en l'an 2000 et qui n'a jamais lu ni vu Harry Potter. Et je m'en porte très bien. Alors plutôt que voir Buffy tenter d'imiter le best-seller de l'époque dans sa dernière saison, avec son école d'apprenties tueuses dans le jardin, j'aurais préféré suivre le parcours de vampires adultes dans la Prague romantique : cela nous aurait aussi éloignés des lycéens californiens interchangeables, qui ont tous la chance insolente d'avoir des casiers pour poser leurs affaires entre les cours. En France, à la même époque, nous devions traîner nos cartables chargés de dix gros classeurs et manuels tous les jours. Je suis jaloux.


Allez, je digresse. Je terminerai ce tour d'horizon vampirique par quelques réflexions sur chaque saison de la série :

Saison 1 : on ne va pas se mentir, c'est la plus mauvaise. Elle nous donne certes l'occasion de découvrir quelques personnages sympathiques, principalement Joyce et Willow, mais elle a surtout le malheur d'établir les codes esthétiques de série Z qui seront sa marque de fabrique tout du long : vampires en plastique, mante-religieuse en carton-pâte et pantins de carnaval rivalisent toutes et tous de mauvais goût. Sans parler de l'hydre infernale qui essaie de rentrer dans la bibliothèque ! À mon avis, le seul épisode mémorable est celui impliquant Amy et sa mère psychotique pour leur relation très compliquée (et non pas pour le concours de majorettes qui sert de trame narrative !), tant et si bien que j'ai toujours été déçu de ne pas voir la future sorcière intégrer le groupe après avoir réussi à s'émanciper de sa famille. Pour le reste, rien ne m'a vraiment donné envie de voir la suite (je n'ai enclenché la deuxième saison qu'à cause d'un dimanche pluvieux), avec des abysses de grotesque allant d'une prof de SVT entomique à un grand maître maléfique et son dauphin insignifiants, en passant par un épisode répugnant où des jeunes possédés par des hyènes dévorent des êtres vivants par pur sadisme. L'histoire principale est celle de la naissance des sentiments de Buffy envers Angel, un type mystérieux qui, attention (!) rebondissement qu'on a déjà deviné dès sa première apparition (!), n'est autre qu'un vampire ! Mais comme il est doté d'une âme, tout va bien. Sinon, on en parle de ces lycéens en seconde qui passent toutes leurs soirées au bar sans chaperon ?

Saison 2 : comme tout le monde, c'est celle que j'ai préférée avec la suivante. Les personnages gagnent en complexité et la trame générale est beaucoup plus construite que dans la première saison, sans abandonner toutefois le motif "un démon par semaine". Ainsi, exit le grand maître et le juste des justes insipides, et bienvenue Spike et Drusilla qui apportent baroque et rock 'n' roll à cette ville miteuse de Californie. À vrai dire, même les épisodes qui échappent à l'arc narratif principal ont le mérite d'être prenants, de Cordelia qui manque de devenir la fiancée de Frankenstein à la momie inca à la recherche du grand amour, en passant par un beau-père épouvantable qui m'a donné des pulsions meurtrières, et les rejetons d'un alien qui se fixent sur le dos des honnêtes gens. Bien sûr, tout n'est pas parfait, à l'image de cet épisode complètement raté où les jeunes aliènent leur personnalité au profit des costumes qu'ils ont revêtus pour Halloween, alors qu'il eût été cent fois plus intéressant de les voir rester eux-mêmes, mais avec les comportement de leurs antithèses. La saison s'enrichit surtout dans sa seconde partie lorsque Angel perd son âme. La métaphore du lendemain de la première fois est tout à fait réussie, encore que, définir le bonheur par le prisme d'un strict orgasme soit ridicule puisque l'amour est déjà du bonheur avant le sexe ; et la course contre la montre qui s'ensuit dans les derniers épisodes reste trépidante, avec une mise à mort extrêmement choquante qui m'a chamboulé. Quel dommage, cependant, de s'être privé du personnage en question par la suite ! Dommage, également, que ce soit le dernier grand moment de Drusilla. Elle est tellement perchée qu'elle m'a fait rire lorsque, après avoir appris que le méchant Angel veut torturer Buffy, elle réplique, le sourire aux lèvres : "Comme moi…"

Saison 3 : après Spike et Drusilla, celle-ci bénéficie également d'un antagoniste très mémorable en la personne du maire de la ville, dont le but ultime est de… se transformer en serpent ! Mais un serpent géant, attention ! Lui-même complètement perché et parfaitement maniaque, son caractère amusant et terrifiant à la fois était à la hauteur des enjeux de cette saison. L'autre personnage qui apporte un nouveau souffle à la série, c'est Faith, la nouvelle tueuse prête à succéder à Buffy en cas de mauvais coup du sort. Malheureusement, j'ai détesté ce personnage : rebelle mais vulgaire, elle est certes touchante lorsqu'elle révèle sincèrement à quel point elle se sent seule, mais elle reste trop brute de décoffrage pour moi. Assurément, la voir contracter une alliance surprenante avec un père de substitution était un choix judicieux, afin de pimenter les relations entre les autres personnages dans un grand jeu de dupes. Je regrette toutefois que le scénario ne reste à nouveau qu'en surface la concernant : elle prétend ne pas se soucier d'avoir tué un être humain, mais la ficelle du "monstre psychotique" n'est pas satisfaisante. D'autant que la victime, l'adjoint au maire, avait l'air parfaitement mystérieux et aurait dû être exploité par les scénaristes. Autrement, le dernier épisode est rocambolesque à souhait avec l'union de tous les lycéens contre la municipalité de Sunnydale, le tout au prix d'un grand combat épique dont tout le monde ne sort pas indemne. On se demande tout de même comment des élèves aussi impopulaires que Buffy, Xander et Willow ont réussi à fédérer autant de monde, et comment des personnes aussi futiles qu'Harmony ont décidé d'adhérer à ce projet au lieu de fuir en courant vers une grande ville commerçante.

Saison 4 : après les vampires et un maire reptilien, cette saison de tous les extrêmes voit Buffy et ses amis débarquer à l'université, même si l'on aura du mal à gober que Willow ait refusé Harvard pour rester auprès de sa copine (Joss Whedon déteste visiblement l'école, mais aussi les études). On se demande en tout cas où étaient tous ces vampires dans les saisons précédentes, puisque Sunnydale, dotée d'une université, semble désormais aussi importante que Los Angeles ! Le principal intérêt de cette saison, c'est le retour de Spike, qui se retrouve lui-même victime d'une armée secrète qui lui implante une puce dans le cerveau pour l'empêcher de mordre. Cela donne du sel à l'ensemble, de même que la prof de psychologie qui se prend pour le docteur Frankenstein et met au monde un cyborg. Hélas, la série fait le très mauvais choix de préférer la créature à la créatrice, alors que celle-ci était mille fois plus intéressante. Le changement d'antagoniste laisse alors sur sa faim : la preuve, c'est que la bataille finale est expédiée dans l'avant-dernier épisode, Joss Whedon essayant de jouer à David Lynch pour la conclusion, sans bien sûr parvenir à égaler son modèle. Autrement, la nouvelle relation de Buffy avec un étudiant aussi fade qu'Angel montre que l'héroïne a vraiment de très mauvais goûts en matière de mecs. Leurs ébats donnent lieux à autant d'épisodes d'une nullité affligeante (les hommes préhistoriques buveurs de bière, la maison hantée où poussent des lianes à mesure que les deux amoureux atteignent l'orgasme), que d'épisodes très originaux (l'ancien souffre-douleur du lycée qui devient momentanément la star de la ville), voire très réussis, avec en point d'orgue l'épisode Hush, qui est esthétiquement et narrativement le chef-d'œuvre de la série tout entière, dans un grand mouvement de cauchemar silencieux. Cet épisode marque aussi la première apparition de Tara, ce qui ajoute grandement à sa qualité !

Saison 5 : une saison qui maintient le cap, mais à mon goût desservie par une méchante de carnaval, qui est supposée être une déesse invincible alors qu'elle a davantage l'air de la DRH d'un groupe financier… La pauvre est même obligée de se cacher derrière un infirmier insipide pour exister, aussi est-il impossible de la prendre au sérieux, quoiqu'elle soit déjà plus convaincante qu'un Dracula de pacotille qui ouvre la saison d'une manière particulièrement consternante. Non mais ! Passe encore qu'Angel soit un vampire aseptisé, mais ne faites pas de Dracula un énième bellâtre lisse à mourir ! Pour le reste, l'intrigue principale, particulièrement alambiquée, est aussi très difficile d'accès pendant un long moment, avec l'apparition d'une petite sœur-clef intégrée à la famille par une pirouette exaspérante, mais les relations familiales entre les femmes Summers deviennent sincèrement touchantes lorsque des événements très naturels les frappent de plein fouet. L'épisode The Body est considéré à juste titre comme l'un des plus réussis pour son évocation très honnête de la mort, mais ma préférence va tout de même à Family, pour sa part centré sur Tara et la famille misogyne dont elle tente de s'émanciper. Avec en prime Amy Adams en méchante ! La conclusion de cette saison, très réussie dans un style à nouveau épique, aurait dû à mon sens clore la série dans son intégralité. Les tours de passe-passe pour enchaîner avec la saison 6 montrent bien que la série était arrivée là où elle devait aller, et jamais Buffy n'a été aussi intéressante qu'en haut de la grande tour avec sa petite sœur.

Saison 6 : une saison qui déçoit de prime abord, avec le rappel laborieux de l'héroïne qui s'étale sans innovation sur plusieurs épisodes, et qui surprend également à cause de ses méchants très différents des précédents. En effet, après des vampires, un maire fou, l'armée, un cyborg et une déesse antique, les antagonistes sont désormais trois puceaux qui se pignolent devant Star Wars. C'est extrêmement décevant dans un premier temps, avant que l'on se rende compte que c'est étonnamment juste et terrifiant, puisque le mal vient cette fois-ci de frustrations humaines, et non plus d'individus surnaturels mal maquillés. C'est aussi la saison la plus sombre, puisque l'humour noir adolescent fait place à de sombres pensées de jeunes adultes, changement radical illustré par Willow, droguée à la magie au point de mettre ses amis en danger, avant de se métamorphoser en sorcière maléfique prête à écorcher des gens par aigreur. La fin est très intéressante, car c'est la personne la plus inattendue au possible qui parvient à sauver le monde pour la deuxième fois (personne ne l'avait su dans l'un des épisodes de la saison 3). Une fois de plus, mon épisode préféré est celui qui fait la part belle à Tara, Once More, with Feeling, intégralement chanté où chaque personnage révèle ses sentiments profonds aux autres. L'autre épisode vraiment marquant, c'est Normal Again, où Buffy se retrouve dans une réalité parallèle où elle est internée dans un hôpital psychiatrique, et où l'on comprend que l'ensemble des épisodes précédents ne sont qu'une hallucination d'une jeune fille banale qui rêvait de gloire. C'est tellement convainquant que j'aurais presque aimé une fin de série sur ce sujet, malgré une ficelle narrative un peu grosse.

Saison 7 : si les saisons 2 à 6 m'ont toutes diverti au point de regarder parfois trois épisodes par soir, la saison 7 est vraiment celle qui me fait dire qu'il était temps d'arrêter. Comme je le laissais entendre plus haut, loin de tenter d'approfondir son style propre, cet arc narratif cherche à se calquer sur les gros succès populaires du début des années 2000, dont Harry Potter et son école de sorcières-tueuses, mais aussi Le Seigneur des anneaux avec son armée de vampires surpuissants sortie du fin fond des enfers, chose assez curieuse quand on sait qu'aucun des personnages n'en avait entendu parler auparavant malgré leurs multiples incursions dans le monde souterrain. Et comme j'ai failli m'endormir devant les aventures du bijoutier aux pieds sales, autant dire que cette bataille finale complètement bâclée, qui devait conclure la série en apothéose, m'a prodigieusement ennuyé. Le manque total de compassion d'un personnage devant l'être aimé mort au combat laisse également un goût amer à cette conclusion. Autrement, le méchant intouchable, qui prend la forme des disparus pour semer le trouble chez les vivants, est une idée intéressante qui permet également de retrouver certains personnages des autres saisons, tandis que la délégation de ses pouvoirs à un prêtre misogyne permet de renforcer la puissance de l'union des femmes. Et contre toute attente, devinez qui parvient à sauver cette saison dans son ensemble ? Faith, qui revient prêter main forte après ses errances chaotiques ! Je ne m'y attendais pas, et je suis agréablement surpris.

Finalement, bien que cette conclusion ne me convainque pas vraiment, cette dernière saison nous aura au moins permis de découvrir que l'hymne de Spike n'est autre que la jolie ballade anglaise Early One Morning, ce qui après recherche a abouti à cette brillante association d'idées :


Maintenant, je rêve du spin-off « Nana Mouskouri contre les vampires » : Nana se protège des morts-vivants en s'aspergeant d'aérosol pour toilettes de bureau ! Dracula est déjà en train de trembler !


Voilà à peu près mon ressenti sur cette série culte. Dans l'absolu, chaque thème, chaque personnage et chaque saison mériterait un article qui lui soit entièrement consacré, mais je ne suis pas assez bouleversé pour ce faire. Certes, le côté féministe, l'acceptation des lesbiennes comme la chose la plus normale du monde, et toute la symbolique du passage à l'âge adulte sont généralement très réussies. Mais un univers visuel terriblement kitsch, de nombreuses incohérences et cette manie de ne rester qu'en surface des questionnements et des émotions les plus intéressantes à explorer me laisse sur ma faim. Pire, la violence gratuite devient de plus en plus pénible au gré des saisons. En résumé, Buffy contre les vampires est, comme je le disais, impossible à noter : ça va du très mauvais au très bon parfois au sein d'un même épisode, mais une chose qu'on ne peut enlever à la série, c'est son pouvoir de divertissement. Si même moi, qui déteste habituellement les séries, j'ai réussi à expédier sept saisons en deux mois et demi, c'est plutôt bon signe.

jeudi 17 mars 2022

Kaniv


 Je n'avais plus du tout la motivation d'écrire ces temps-ci : c'est la première fois qu'il y a la guerre dans un pays que je connais bien, de telle sorte que j'ai été tour à tour sidéré, très triste et en colère. En colère contre moi-même, également, Français privilégié que les guerres dans le monde effarent mais n'empêchent pas de dormir. Connaissant cette fois-ci les lieux bombardés et des gens concernés au premier chef, dont mon ancienne belle-mère, l'horreur me semble d'autant plus tangible. J'espère que cet article ne sera pas inapproprié : je peux le rédiger à l'abri dans la campagne, quand tant d'autres souffrent en direct sur le terrain. Simplement, pour avoir eu la chance de séjourner en Ukraine dans les années 2000, il me tenait à cœur de parler des beautés de ce pays. Je choisis aujourd'hui de mettre à l'honneur la ville de Kaniv, située sur les bords du Dniepr au sud de Kyiv, qui reste l'un des hauts lieux de la culture ukrainienne, et l'un de mes plus gros coups de cœur de voyage.


La ville doit sa renommée au peintre et poète romantique Taras Chevtchenko qui est inhumé sur la colline dite du moineChernecha Hora, par laquelle on accède via un escalier bucolique qui monte par virages successifs au milieu des arbres. Véritable acteur de l'éveil national ukrainien, et condamné pour ce faire par les autorités russes, Taras Chevtchenko était surnommé le kobzar, du nom de ces bardes itinérants qui parcouraient la campagne à l'occasion des baptêmes et des mariages, et qui s'accompagnaient d'un instrument à cordes nommé kobza. Des spectacles folkloriques pour les visiteurs de passage ne manquent pas de raviver ces traditions, à l'image de ce chanteur costumé.


Un musée littéraire consacré au poète a ouvert non loin de sa tombe en 1939, conduisant les architectes à raser la petite maison traditionnelle qui faisait office de musée originel, qu'avaient fondé le pédagogue Vasil Gnilosirov et le gardien du tombeau, Ivan Yadlovski, au tournant des années 1890. La maison fut reconstruite en 1991 à quelques pas de son emplacement d'origine, au milieu des bois. Elle est décorée de tissus rouges et blancs, et agrémentée d'œuvres manuscrites et picturales évoquant Taras Chevtchenko. Quel contraste avec la modernité grandiloquente de la statue à son effigie trônant au-dessus d'un escalier monumental.


Ce qui m'a le plus marqué, je crois, sont ces dames aux mille couleurs, les bras chargés de bouquets pour vous inviter à fleurir la tombe du poète. À en juger par toutes les gerbes chamarrées entourant la stèle, le sentiment d'honneur et de fierté nationale qui émane du site ne fait aucun doute. C'est d'ailleurs cette colline que choisit le dissident Oleksa Hirnyk pour s'immoler en guise de protestation contre la répression soviétique envers la langue, la culture et l'histoire ukrainiennes, en 1978, soixante ans après la création de la République d'Ukraine.


Le site reste de toute manière sensationnel pour le magnifique panorama qu'il offre sur le Dniepr et les forêts alentour.


Les funérailles de Taras Chevtchenko, après le rapatriement de sa dépouille depuis Saint-Pétersbourg en mai 1861, eurent pour leur part lieu au centre-ville de Kaniv, dans la cathédrale Saint-Georges de l'Assomption. Fondée au XIIe siècle, l'église doit son aspect actuel à une campagne de restauration datant des années 1800. Les frères du poète voulaient que celui-ci reposât dans le jardin de la cathédrale, mais ses dernières volontés, nommant très précisément Chernecha Hora comme lieu de sépulture, furent finalement respectées.


En face de l'église se trouve le Musée des arts décoratifs folkloriques de Kaniv, où sont entreposés nombre de vêtements et tissus emblématiques de l'art de vivre ukrainien, provenant des régions centrales du pays, de Kyiv à Poltava, en passant par Tcherkassy. Les couleurs des fleurs des jardins publics environnants, sous les rayons d'un soleil d'été, avaient contribué à rendre cette visite particulièrement délectable. Y revenir en pensées me rend très nostalgique.


Comme toutes les autres villes d'Ukraine, Kaniv est aussi un lieu de mémoire où la commémoration de la Seconde Guerre mondiale reste très forte. En témoigne ce mémorial aux victimes de la guerre, érigé en 1985 par le sculpteur Moroz-Usenko et l'architecte Oleg Stukalov. Élevé au rang des « architectes émérites d'Ukraine » en 1991, et récemment décédé à la fin de l'année 2021, Oleg Stukalov a présidé à la création de nombreux monuments contemporains dans tout le pays.


Cette femme tenant un enfant dans ses bras nous rappelle que la guerre est une chose épouvantable dont aucun civil ne veut. Vivre sa vie au quotidien, c'est tout ce que l'on demande. La grandeur de ceux qui résistent, et de ceux qui militent pour la paix, quelle que soit leur nationalité, est impressionnante et leur vaut toute mon admiration.