mercredi 31 juillet 2019

Quinctilis

Quelques réflexions en vrac sur des choses vues et lues en juillet.

Ragtime

J'avais le disque depuis des années, et je me suis enfin décidé à voir Ragtime de Miloš Forman (1981). C'est un bon film, et une longue fresque historique où se croisent différents personnages de milieux sociaux différents, bien entendue située dans l'Amérique des années 1900. Ce n'est pas un chef-d’œuvre, mais c'est très bien pour ce que c'est, et ç'aurait certainement mérité une nomination comme meilleur film aux Oscars, à la place de La Maison du lac. Les deux interprètes que l'Académie distingua sont Howard Rollins Jr., qui incarne avec beaucoup d'énergie un pianiste noir extrêmement arrogant cherchant à défier les codes de la société, et Elizabeth McGovern qui joue sans trop de nuances une Evelyn Nesbit dont l'esprit manque cruellement de profondeur. Cependant, la meilleure performance de la distribution, à laquelle j'aurais décerné le prix du meilleur acteur tout court, est celle donnée par James Olson dans le rôle du père de famille, conservateur par obligation sociale mais plus ouvert d'esprit qu'il n'y paraît, et qui navigue très bien sur la corde raide du chef d'entreprise sans envergure aux accents héroïques insoupçonnés et pas trop appuyés. Le plus grand nom au générique, James Cagney, ne fait en revanche que de la figuration de luxe.

Quoi qu'il en soit, le film aura été l'occasion d'en savoir plus sur deux actrices emblématiques du début des années 1980. En premier lieu Mary Steenburgen, qui était alors au pic de sa popularité puisque son rôle dans Ragtime intervient un an après son oscar pour Melvin et Howard, et un an avant sa collaboration avec Woody Allen dans Comédie érotique d'une nuit d'été. J'ai peu de souvenirs de ce deuxième film, où je l'avais apparemment trouvée plus drôle que ses partenaires encore qu'une révision s'impose, mais j'ai réussi à dénicher l'autre, et je dois dire que coupler l'histoire de l'héritage d'Howard d'Hughes avec Ragtime n'a clairement pas joué en faveur de l'actrice qui est hélas affublée de l'une des pires voix du monde. C'est une voix juvénile qui devient rapidement insupportable et qui serait plus appropriée dans un épisode de Bugs Bunny, que chez des femmes volontaires qui doivent gérer une famille et prendre de sérieuses décisions. Paradoxalement, ce n'est pas trop gênant dans Melvin et Howard, car son personnage, Lynda, est une femme paumée et pas très futée, dont la principale ambition est de se lancer dans des numéros d'effeuillage burlesque, mais cette voix dessert totalement le personnage dans les moments les plus graves, et appuie au contraire sur le peu d'esprit de l'héroïne au lieu d'apporter un contraste bienvenu. Sa mère de famille dans Ragtime est heureusement très différente puisqu'il s'agit d'une femme intelligente, également discrète car elle est bien élevée et respecte les conventions, mais assez forte pour imposer ses points de vue progressistes à son mari et aux autorités de la ville. D'un point de vue physique l'interprétation est réussie car loin de se trémousser avec énergie sur scène, Mary Steenburgen se tient ici toujours bien droite et veille à ne jamais faire aucun geste inapproprié, de telle sorte que le contraste entre les deux performances est saisissant. Mais! Il y a encore cette horrible voix de bébé qui n'est jamais loin de détruire tout l'édifice physique bâti par l'actrice, car il devient difficile au bout d'un moment de prendre cette grande dame au sérieux alors qu'elle parle comme Shirley Temple.

L'autre rôle féminin conséquent dans Ragtime est, nous l'avons vu, Elizabeth McGovern, dont l'interprétation reste correcte mais qui ne me transporte pas avec ce rôle peu profond. Avant Ragtime, je ne la connaissais que pour Il était une fois en Amérique (1984), un film que je n'ai pas spécialement aimé malgré sa réputation de chef-d’œuvre intemporel, et où son personnage ne m'a visiblement pas marqué vu que je ne me souviens d'aucune scène avec elle, bien que ma découverte du film ne remonte qu'à l'année dernière; et Les Ailes de la colombe (1997), où elle est fascinante car mystérieuse à souhait dans le rôle de la dame de compagnie fidèle qu'on ne dupe pas si aisément, bien que je ne sois là encore pas absolument conquis par sa performance, car à la fin, le chaperon reste davantage un mystère insondable qu'un personnage en tant que tel. A moins de penser que ses larmes marquent un attachement ambigu pour l'héritière américaine et qu'il s'agit là de nuances de génie. Mais il reste difficile de savoir que penser de ce personnage fantôme pour le moins indéchiffrable.

En tout cas, avec ses yeux en amande et ses cheveux de jais, Elizabeth McGovern a un physique fascinant auquel la maturité sied mieux qu'une extrême jeunesse un peu trop lisse. J'ai ainsi été ravi de la retrouver cet été dans une adaptation d'Agatha Christie pour la série Hercule Poirot, Rendez-vous avec la mort (2008). Elle y incarne une Américaine devenue lady anglaise et membre au parlement, et comme je le disais, sa présence physique est extraordinaire, d'autant qu'elle hérite d'un bon rôle qui lui permet de révéler des sentiments sous une apparence froide, hautaine et bien entendu... mystérieuse. Dommage que l'adaptation soit en revanche un ratage total. Pour avoir regardé les autres épisodes de la série sortis dans les années 2000, j'en conclus que Poirot est ce qui se fait de mieux en mystères christiens, mais cet épisode-là est malheureusement l'un des plus mauvais de la série. Au lieu de se focaliser sur la famille, les scénaristes ont ajouté de nombreux personnages inutiles dont une religieuse polonaise, des rebondissements sortis de nulle part comme la traite des Blanches, une résolution totalement aberrante et un meurtre d'une violence déplacée. Il n'y a dès lors plus que de jolies images du Maroc pour donner un peu d'éclat au tout, mais il n'en reste pas moins que Rendez-vous avec la mort est l'exemple même de ce qu'il ne faut surtout pas faire dans un travail d'adaptation. Agatha Christie étant une romancière très limitée, très douée avec les détails et les indices mais très inconsistante quant à la profondeur de ses personnages, il est absolument nécessaire de développer ceux-ci d'un point de vue psychologique et sentimental, ce que la série réussit généralement, mais pas au point de les insérer dans des histoires parallèles qui n'ont plus rien à voir avec le sujet et qui finissent par devenir grotesques.

Les travaux d'Hercule

Après ce rendez-vous décevant, je suis allé me divertir avec d'autres épisodes de la série, ce qui a fait remonter pas mal de souvenirs d'il y a bientôt vingt ans à la surface. Il faut dire que malgré son style d'une pauvreté inqualifiable et ses personnages immanquablement décevants, Agatha Christie avait un tel don pour les énigmes que j'avais pris grand plaisir à lire la plupart de ses romans au collège. Au début des années 2000, je regardais également les épisodes avec David Suchet dans le rôle de son détective fétiche, notamment Le Couteau sur la nuque (2000), que j'avais tellement vu et revu à l'époque que je me suis rappelé de toutes les répliques, alors que je ne pense pas y avoir retouché depuis 2003. La meilleure tirade étant bien entendu attribuée à Miss Lemon qui, s'offusquant que l'on demande à Poirot s'il a les réponses aux questions de l'enquête, s'exclame avec hauteur: "Bien sûr que M. Poirot les a, sinon que feriez-vous là?" J'adore ce personnage et je suis content que les scénaristes aient pensé à le développer dans la série, sans compter que l'interprétation pince-sans-rire de Pauline Moran est un délice. Cerise sur le gâteau, je viens de découvrir que l'actrice fut guitariste dans un groupe féminin des années 1960, The She Trinity, ce qui ajoute de la rendre encore plus cool qu'elle ne l'était! Quoi qu'il en soit, Le Couteau sur la nuque est un excellent épisode où de nombreux seconds rôles, y compris la femme de chambre de Carlotta, ont l'occasion d'avoir une petite scène pour briller. L'intrigue est également retorse à souhait malgré un mobile qui nous paraît bien dérisoire aujourd'hui.

En revanche, je suis un peu plus déçu par l'un de mes épisodes préférés jadis, La Maison du péril (1990), qui se contente simplement de donner le nom du coupable sans reprendre un à un les indices de la mise en scène. Mais, on y retrouve Pauline Moran qui doit cette fois-ci improviser une séance de spiritisme, et la très cool Polly Walker, qui devait par la suite interpréter des personnages croustillants dans Avril enchanté et la série érotico-historique Rome! Les autres épisodes visionnés ce mois-ci furent en revanche des découvertes, dont Le Noël d'Hercule Poirot (1995), qui fait bien ressentir l'ambiance de fêtes de fin d'année à l'aide de cantiques, mais aussi Cinq petits cochons (2003), mon intrigue préférée de Christie grâce au personnage d'universitaire borgne et sa relation complexe à sa sœur, cet épisode là bénéficiant en outre d'une Gemma Jones aux sentiments refoulés, et de Rachael Stirling, la fille de Diana Rigg, physiquement sublime et créant un personnage passionnant, le tout dans une ambiance digne de Giverny. Les Indiscrétions d'Hercule Poirot (2006) m'a également beaucoup plu, avec sa galerie de personnages intrigants et la présence d'un coupable fabuleusement interprété, dont la scène finale aurait mérité un prix; tandis que Le Chat et les Pigeons (2008), visuellement trop moderne pour restituer l'esprit de l'époque, a le bon sens d'avoir choisi la toujours fascinante Harriet Walter pour incarner la directrice. Mais dommage que le rôle de l'héroïne, l'une des pensionnaires, soit moins développé que dans le livre, dont c'est toute la force, et que Poirot soit déjà au pensionnat dès le départ.

On peut enfin s'amuser à comparer de récents épisodes avec les films d'antan aux distributions cinq étoiles. A ce titre, Les Vacances d'Hercule Poirot (2001), est sans doute un bon épisode, quoique peut-être un peu trop condensé compte tenu de ses indices en grand nombre, mais si l'ambiance années 1930 fonctionne à merveille grâce à la maison Art déco de Burgh Island, c'est hélas moins fun que Meurtre au soleil car nettement moins camp. Et pour cause! La Méditerranée est ici remplacée la Manche, et les personnages sont beaucoup trop réalistes par contraste, ce qui nous prive de Maggie Smith et Diana Rigg qui se dandinent devant un piano, de Jane Birkin se pensant dans une adaptation de Now, Voyager, d'un maillot de bain pas assez grand et de Sylvia Miles en gorgone à paillettes! Je viens juste d'apprendre la triste nouvelle concernant cette diva flamboyante dont nous avons déjà bien parlé sur Gretallulah, je suis dévasté.

Par contre, si Les Vacances d'Hercule Poirot est techniquement une bonne adaptation, Le Crime de l'Orient-Express (2010) tombe dans les travers des épisodes les plus récents, avec une tonalité sombre et religieuse bien trop appuyée pour rendre tout le piquant de l'intrigue bien connue. Et puis, malgré tous ces grands noms au générique, un épisode dans l'Orient-Express sans une Vanessa Redgrave roussoyante, une Wendy Hiller à plumes, une Rachel Roberts lesbienne, une Lauren Bacall divaesque ou une Ingrid Bergman qui parle à Jésus n'a aucun sens! Un seul avantage, on échappe grâce à David Suchet à la pire créature du cosmos jouée par Albert Finney jadis. Et puis, par comparaison avec le rejeton incestueux de Kenneth Branagh et de la reine des Aliens, cette version télévisée est de haute qualité. J'ai découvert ce film cet hiver et... entre Branagh qui se prend pour James Bond, Penélope Cruz qui pleurniche, Judi Dench qui continue de vampiriser tous les seconds rôles de vieilles dames anglophones, et l'immonde Johnny Depp dans un rôle non moins ignoble, il ne reste guère que Michelle Pfeiffer pour donner un peu de fraîcheur au tout. Dommage pour elle que cette adaptation là soit si mauvaise, cédant aux pires travers contemporains sans rien garder de l'ambiance du roman.

Absence de malice

Hop! Une mention de Michelle Pfeiffer me permet de retomber sur les années 1980. Je viens d'évoquer deux actrices américaines de l'époque, Elizabeth McGovern et Mary Steenburgen, nous leur adjoindrons l'excellente Melinda Dillon et la coolissime Sally Field, découvertes toutes deux dans la très attendue mais simplement pas mal Absence de malice de Sydney Pollack (1981). A l'instar d'un Paul Newman tout en retenue, elles y sont parfaites. Sally Field, qui a le rôle principal d'une journaliste dont l'obsession pour un scoop va détruire des vies, fait preuve comme toujours d'un grand charisme, tout en rendant son personnage sympathique. Je ne connais pas assez sa filmographie pour en être sûr, mais j'ai le sentiment que Sally Field n'a jamais joué de rôles négatifs. Ici, la journaliste Megan Carter fait son travail, et lorsqu'elle se rend compte que les choses sont allées trop loin et que la situation lui échappe, elle fait de son mieux pour aider Paul Newman. La scène ou celui-ci la violente après le plus grand drame de l'histoire est extrêmement bien jouée: elle revient dans son bureau pour réclamer son manteau, avec un mélange de crainte et de repentir, mais aussi d'humilité et de dignité, qui aurait suffi à en faire une candidate aux Oscars cette année-là. D'ailleurs, je ne sais pas qui auraient été mes cinq candidates anglophones de 1981: Faye Dunaway pour Maman très chère, Susan Sarandon pour Atlantic City et Sissy Spacek pour Raggedy Man pour sûr, mais après, j'ai du mal à départager Julie Andrews pour son contre-emploi dans S.O.B., Sally Field pour le rôle qui nous occupe et même Isabelle Huppert pour La Porte du paradis. Sans parler de Meryl Streep et Diane Keaton qui mériteraient révision. Quoi qu'il en soit, si Sally Field est excellente, Melinda Dillon ne l'est pas moins dans le second rôle d'une femme tourmentée par un secret qui lui fait honte. Son dialogue avec la journaliste est lui aussi très bien joué, car l'actrice s'y montre très expressive tout en restant dans la retenue. Et sa panique le lendemain de l'entretien est palpable. Mais, je suis tout de même très déçu que le rôle ne soit pas mieux étoffé. Sydney Pollack nous prive de davantage de réactions sur son visage, et savoir que sa grande scène potentielle n'a lieu que par ellipse est extrêmement frustrant.

Dès lors, je ne sais pas quoi faire avec les seconds rôles de l'année: Melinda Dillon excelle mais est privée de grands moments, Jane Fonda en fait des tonnes et c'est hautement divertissant, Elizabeth McGovern reste correcte mais ne me transcende aucunement, Maureen Stapleton sera à revoir car je garde le souvenir d'un caméo, et Joan Hackett ne m'a pas du tout marqué dans un film détestable (désolé). Alors, sachant que je garde vraisemblablement Dillon et Fonda, qui nommer? Dans Ragtime, Debbie Allen n'a qu'un tout petit rôle et Mary Steenburgen parle comme Shirley Temple, donc non. Dans Quartet, Maggie Smith est très bien, même mieux qu'Adjani, et c'est pourtant loin d'être ma performance smithienne préférée. Et dans They All Laughed, Audrey Hepburn a finalement davantage un second rôle, mais que fait-elle à part être Audrey Hepburn qui se promène avec une peluche? Disons Dillon, Fonda et Smith alors, auxquelles j'ajoute une performance moins traditionnelle, Karen Allen, qui a de l'énergie à revendre pour seconder Harrison Ford dans leurs aventures de l'Arche perdue, à défaut de livrer une grande interprétation; et une actrice dans un film étranger éligible cette année-là aux Etats-Unis, Marília Pêra dans Pixote. Si l'on pose alors l'équation Allen, Dillon, Fonda, Pêra, Smith, la solution est Pêra, de loin.

Pour 1980, ayant détesté Melvin et Howard et n'étant, comme précisé, pas du tout un admirateur inconditionnel de la performance de Mary Steenburgen, qui n'apporte pas assez de force à son personnage par trop léger et qui est en outre un rôle trop conséquent pour être réellement secondaire, qui reste-t-il? Dans la sélection officielle, Eileen Brennan hérite d'un rôle caricatural qui ne fait même pas rire, alors qu'elle méritait tellement une nomination pour La Dernière Séance neuf ans plus tôt; Eva Le Gallienne a une présence lumineuse à défaut d'avoir énormément à faire, Cathy Moriarty ne m'a pas du tout marqué dans un film qui n'est, sans surprise, vraiment pas ma tasse de thé, et je n'ai pas vu Tina Bringmetheaxe, qui était probablement trop occupée à ranger ses vêtements sur des cintres métalliques. En gardant Le Gallienne, mes alternatives seraient Anne Bancroft pour Elephant Man, pour son charisme extraordinaire et son dynamisme de diva, et éventuellement Beverly D'Angelo dans Coal Miner's Daughter, où elle se retrouve dans la même position que Melinda Dillon un an plus tard: elle a un second rôle marquant qui s'avère finalement très peu développé. Toutefois, autant Dillon étoffe le rôle par elle-même, autant je ne suis pas sûr que D'Angelo fasse de même. Mais comme elle chante elle-même et que sa version de Sweet Dreams est encore plus agréable que celle de Pasty Cline, elle est certainement mémorable et mérite pour cette seule raison de figurer dans les annales. Sinon, Wendy Hiller dans Elephant Man? Sous réserve d'une revisite, peut-être, et il me reste de nombreuses découvertes à faire cette année là, de toute manière.

Plus tard ou jamais

Pour conclure ce billet en restant sur les années 1980, j'évoquerai ma lecture de Plus tard ou jamais d'André Aciman, la traduction française de Call Me by Your Name, dont l'action se situe à mots couverts en 1987 et qui reste un livre idéal à découvrir un mois de juillet à la campagne. C'est nettement mieux que l'adaptation de Luca Guadagnino, et je comprends pourquoi après avoir revu le film dans la foulée pour comparer: dans le livre, même si le héros se cherche, il reste constamment obsédé par l'invité de ses parents. Le dernier chapitre, qui ne figure pas dans le film, est d'ailleurs déchirant car on se rend compte que si chacun vit sa vie, nul ne peut oublier le souvenir de cet été là. Or, étant quelqu'un qui gère précisément très mal sa nostalgie, ce dernier chapitre m'a touché droit au cœur. A l'inverse, le film m'a paru encore moins bon que la première fois: on dirait juste une amourette d'été, et la fin hivernale devant la cheminée n'a aucunement la force du quatrième chapitre du livre, car je n'ai jamais ressenti une réelle attirance des personnages l'un pour l'autre jusqu'alors. Sincèrement, on dirait simplement deux potes qui se chatouillent pour passer le temps, mais aucun des gros plans sur Timothée Chalamet ne me fait ressentir la force du désir d'Elio telle qu'elle est décrite dans le livre. Ça semble être une grande performance parce qu'il pleure à la fin, mais dans le reste du film, son interprétation reste surtout opaque, de telle sorte qu'on peut y projeter le degré de profondeur que l'on souhaite. Et comme je suis devenu plus exigeant avec le livre, quelque chose manque à mon goût chez les acteurs.

En revanche, James Ivory a fait un bon travail d'adaptation, mais c'est bien la mise en scène de Luca Guadagnino qui rend le tout un peu fade, et qui transforme un été poignant en simple roman-photo. En effet, on ne ressent décidément pas, dans les choix de réalisation, le même degré de désir et d'obsession que dans le roman. Par exemple, lorsque Elio enfile le maillot de bain d'Oliver comme une cagoule, ce qui tourne à une obsession troublante sur le papier n'a l'air que totalement mécanique et assez mal amené à l'écran. Et lorsque Oliver touche l'épaule d'Elio, on ne sent pas celui-ci prêt à s'abandonner. Le grand défaut du film est donc que ni le metteur en scène ni les acteurs n'arrivent à me faire ressentir la force des émotions du roman. L'avantage du film par rapport au livre, c'est qu'il se passe en Lombardie et non en Ligurie, car je déteste la Ligurie. Et encore, cet avantage n'est qu'éphémère car la mini randonnée en montagne du dernier acte n'a rien à voir avec l'escapade romaine enflammée du troisième chapitre, chapitre le moins intéressant du livre à mon goût car s'attardant trop sur le personnage secondaire du poète, bien que son récit serve la narration; et parce que présentant une soirée mondaine comme un émerveillement pour le héros, ce qui évoque pour moi deux univers tout à fait détestables: les mondanités et les beuveries.

Conclusion

C'est tout pour aujourd'hui. Je ferai le point sur les autres films vus cet été dans un autre article. Mais puisque nous avons évoqué Maggie Smith un peu plus haut et que j'adore parler des actrices à Oscars, j'ajouterai avoir enfin mis la main sur Othello (1965), un film interminable contenant l'une des pires performances de Laurence Olivier, qui s'est probablement cru dans une adaptation du Chanteur de jazz et qui a voulu compenser l'absence de musique en surjouant atrocement. Les actrices sont meilleures, mais je ne suis pas émerveillé: Joyce Redman est charismatique mais reste très théâtrale, et si Maggie Smith semble plus moderne en Desdémone, elle n'a finalement pas réussi à m'intéresser à son film ou à son personnage, quoiqu'il s'agisse d'une bonne performance où l'on sent bien sa crainte et son incompréhension face à des événements qui lui échappent. J'espérais en tout cas qu'elle devînt la meilleure de sa sélection aux Oscars, mais ce n'est pas le cas: Ruth Gordon a ma préférence dans un rôle taillé sur mesure pour elle, puis viennent Maggie Smith, fort bien mais qui ne me transporte pas, et Joyce Redman, puissante mais trop théâtrale, puis Shelley Winters, mauvaise et braillarde sans nuances, et enfin Peggy Wood qui ne fait rien et a du mal avec une simple chanson en play-back. En gardant Gordon et peut-être Smith, imaginez Geraldine Chaplin pour Le Docteur Jivago, Geraldine Fitzgerald pour Le Prêteur sur gages et Eleanor Parker dans La Mélodie du bonheur, et la sélection devient tout de suite bien plus fabuleuse!