mardi 6 juin 2023

Guerre écarlate


Je ne prends plus du tout le temps de voir des films en ce moment. Mais histoire de tenir le blog un minimum à jour, je vais quand même donner mes impressions à chaud sur un téléfilm sorti en 1980 retraçant le casting légendaire de l'interprète idéale de l'héroïne d'Autant en emporte le vent : The Scarlett O'Hara War. J'en avais entendu parler depuis toujours puisqu'on y voit défiler une bonne partie des actrices du panthéon gretallulien, malheureusement incarnées par de parfaites inconnues, où tout du moins par des comédiennes dont la célébrité n'a jamais survécu aux soap operas de cette horrible décennie. J'étais surtout très curieux de voir comment était interprétée ma favorite Miriam Hopkins, sachant que pour une fois qu'on en entend parler quelque part, je n'allais pas faire la fine bouche. Le résultat est fatalement décevant, et toutefois plaisant !

Visuellement, il n'y a rien d'intéressant à remarquer : c'est un produit télévisuel pur jus. Les cadrages sont tout à fait corrects, mais ce n'est qu'un enchaînement de vignettes dans des intérieurs de luxe très mal décorés, qui reflètent cependant très bien le mauvais goût de toutes ces stars dont le succès est monté trop vite à la tête. La reconstitution des années 1930, quarante ans après les faits, est néanmoins convaincante, ce qui donne un certain réalisme à ce téléfilm, dont l'intérêt réside avant tout dans son jeu d'imitations.

Le scénario aurait pour sa part gagné à avoir plus d'ambition : on égrène ainsi une liste de noms prestigieux pour captiver le public, mais les enjeux manquent de hauteur. On se croirait en fait davantage dans Femmes, où toutes ces dames se lancent des piques à distance pour parvenir à leurs fins dans une atmosphère particulièrement dérisoire, sans que l'histoire ne s'attarde sur la véritable signification de la recherche de la Scarlett idéale, pour ces multiples actrices trentenaires désireuses de relancer leur carrière. Par exemple, pour Joan Crawford dans sa période « poison du box-office », décrocher le rôle ne semble qu'un caprice de superstar au pouvoir bien établi, sans que jamais sa position subalterne de Norma Shearer à la MGM soit mentionnée. Il suffit d'ailleurs qu'on lui envoie une limousine enrubannée en guise de mot d'excuses pour qu'elle rie aux éclats et passe à autre chose à la vitesse de l'éclair, comme si le nouveau script qu'on lui remet allait continuer à nourrir une carrière pourtant sur le déclin dans son propre studio. Finalement, si même les principales intéressées ont l'air de ne pas faire grand cas de cette guerre en dentelles, c'est que le téléfilm rate légèrement sa cible, faisant état de trop de superficialité sans remettre les carrières d'actrices dans leur contexte. On avait certainement connu Garson Kanin plus inspiré dans ses collaborations scénaristiques avec Ruth Gordon, notamment pour Adam's Rib trente ans plus tôt. En outre, certains anachronismes sont vraiment désastreux, mention spéciale au triomphe théâtral de Tallulah Bankhead dans La Chatte sur un toit brûlant, une pièce évidemment écrite par Tennessee Williams en… 1955 ! N'y avait-il pas moyen d'évoquer Victoire sur la nuit ?

Le scénario est tout de même capable d'humour afin d'asseoir son pouvoir de divertissement, avec en point d'orgue cette réception improbable où toutes les candidates en lice pour le rôle de Scarlett se retrouvent sur la même piste de danse, y compris Jean Arthur ! C'est l'occasion pour Carole Lombard et Tallulah de contracter une alliance afin d'arroser David O. Selznick de soupe en s'exclamant "Frankly my dear, I don't give a damn !" On aurait pu trouver mille moyens de rendre cette séquence vraiment drôle, mais dans le contexte du téléfilm, ça reste un petit moment amusant.

Reste donc l'interprétation. Le name-dropping est d'ailleurs le véritable moteur de cette histoire, puisque c'est en attendant les apparitions des vedettes qu'on parvient à rester éveillé, sans mourir d'ennui lors de dialogues un peu trop plats. Eh bien, force est de reconnaître que je suis plutôt conquis ! Certes, les comédiens ont tous des têtes d'acteurs de seconde zone loin d'avoir le charisme de leurs aînés, mais la plupart font un bel effort vocal pour imiter les stars d'antan, ce qui rend l'ensemble du projet tout à fait viable. Nous ne dirons rien de Tony Curtis, seul grand nom véritable du casting, qui est insignifiant à pleurer dans le rôle du tout puissant Selznick, mais Louis B. Mayer, George Cukor ou encore Chaplin sont portraiturés de manière correcte, tandis que Clark Gable a un phrasé assez bien reproduit pour que l'on croie à son personnage tout du long.

Du côté des actrices, je suis agréablement surpris par Joan Crawford, décidément très star, avec un côté agressif et passionné tempéré par une bonne dose d'autodérision. On est évidemment loin du festival opératique qu'allait offrir Faye Dunaway un an plus tard, mais la problématique est tout autre, et c'est finalement très chouette de voir Crawford pour une fois interprétée comme une diva sans névroses. Certes, elle n'hésite pas à coucher pour accentuer ses chances de succès, et elle reste assez vulgaire pour courtiser Gable sous les yeux de Lombard, mais cela ne surprendra personne dans l'univers impitoyable de l'usine à rêves. Carole Lombard, justement, m'a quant à elle fait un peu peur lors de son entrée en scène particulièrement cynique, à l'occasion de ce repas sous haute tension avec son futur mari où l'on sent une véritable concurrence professionnelle. Après, on imagine sans peine que la dame à la ville n'était pas aussi clownesque que dans les comédies délirantes où son talent s'exprimait au mieux, mais la dureté que l'actrice projette en elle a nécessité un temps d'adaptation. Heureusement qu'elle s'allie à Tallulah pour injecter la dose d'humour dont le téléfilm avait grand besoin. Par bonheur, Tallulah en personne est incarnée par Carrie Nye, une comédienne qui avait une grande expérience de la scène, et qui reproduit sa diction d'une manière entièrement convaincante, avec toute la démesure lyrique dont la dame aimait jouer au quotidien. Par contre, les efforts pour la rajeunir ne parviennent jamais à masquer son âge, ce qui est vraiment problématique : Carrie Nye avait en effet 43 ans au moment du tournage, alors que Tallulah n'en avait que 36 en 1938 ! Sa nomination aux Emmy est méritée, mais impossible de croire un seul moment que cette personne-là ait pu être pressentie pour jouer Scarlett !

Katharine Hepburn n'a quant à elle qu'une apparition très limitée au téléphone, mais l'effort pour retrouver son accent impossible et son allure sans gêne les pieds sur la table est appréciable. Les choses sont en revanche plus en demi-teinte pour Paulette Goddard, qui joue plutôt bien le bout d'essai qui la fait momentanément passer devant toutes ses rivales, mais qui dans les scènes du quotidien est incarnée d'une manière particulièrement idiote qui a dû faire honte à la principale intéressée. La scène où elle apprend que Tallulah vient de la coiffer au poteau, et où elle hurle les bras au ciel dans toutes les pièces de sa maison pendant dix minutes, est vraiment la pire caricature qui se puisse imaginer.

Malheureusement très caricaturale elle aussi, la peinture brossée de Miriam Hopkins n'est clairement pas de celles qui vont redorer son blason auprès des cinéphiles. La pauvre est hélas complètement siphonnée ! Pétrie de superstitions, et dédaignant toutes ses collègues à la réception, elle finit par se mettre à dos tout le monde au point que même George Cukor avoue qu'il préférerait mourir sur le champ plutôt que d'avoir à la diriger dans son film ! Consolons-nous en songeant qu'ils ont au moins pris une comédienne assez jolie pour l'incarner. Ce qui n'est pas le cas de Jean Arthur, tragiquement affublée d'un physique de mémère qui était très loin d'être celui de cette jolie dame en ses plus belles années. En outre, les propos quasi malveillants qu'on lui fait tenir, sous le manteau d'une décontraction assez incongrue au milieu de la foule, sont à mon avis totalement hors sujet. S'invitant également au bal des cyniques, Margaret Sullavan a elle aussi droit à son lot de répliques acerbes, chose moins surprenante de sa part quand on sait la violence dont la dame était capable hors caméras. L'effort de ressemblance physique est également à saluer, même si le personnage n'est quasiment pas exploité. Idem pour une Joan Bennett certainement ravissante mais assez fantomatique. Ces portraits laissent assurément un arrière-goût amer, d'autant que cette séquence gretallulienne où toutes ces actrices sont réunies dans le même jardin fait en réalité mal au cœur, puisqu'on a surtout l'impression que toutes ces femmes se détestent les unes les autres : la brève entente de Carole et Tallulah ne parvient certainement pas à rendre ces interactions plus aimables.

En conclusion, The Scarlett O'Hara War est de facto divertissant pour moi, parce qu'il m'était scientifiquement impossible de ne pas prendre plaisir devant ce défilé de stars tout droit sorties des pellicules en noir et blanc. Malgré la faible épaisseur des dialogues, des enjeux et de la mise en scène, on ne s'ennuie finalement pas car on guette avec impatience les apparitions de chacune. Toutefois, seule la moitié des interprétations sont vraiment agréables. L'apparition finale de Vivien Leigh résume l'œuvre à elle seule : malgré un véritable effort de reconstitution de la mythologie hollywoodienne, ces visages de sitcom n'ont pas un quart de l'aura souhaitée pour donner du cachet à l'ensemble. Le projet reste tout de même plus sain d'esprit et réaliste que les tentations révisionnistes de Ryan Murphy ces dernières années. Malgré tout, mieux vaut revoir les bonus du disque d'Autant en emporte le vent : les commentaires historiques sur la véritable recherche de Scarlett sont autrement palpitants, avec en prime la présence bien réelle des grandes actrices d'antan.