dimanche 18 avril 2021

Été 85

 



En général, j'aime bien le cinéma de François Ozon : des couleurs éclatantes, des idées de mise en scène dignes d'intérêt, des distributions bien choisies et des histoires troublantes piquent toujours la curiosité, même quand le résultat ne me marque pas outre mesure, tels Jeune et jolie et Dans la maison. À ce jour, je n'ai viscéralement détesté que deux opus : Les Amants criminels et Swimming Pool, tous deux laids et franchement indigestes. Mais j'ai fait une fixation inquiétante sur 8 Femmes toute mon adolescence, malgré un propos toxique qui me dérange à l'âge adulte; j'ai trouvé Sous le sable excellent lors de la revisite, j'ai beaucoup aimé Frantz et Une Nouvelle Amie, et j'adore Potiche, mon film préféré du réalisateur. Je n'en dirais pas tant d'Été 85, qui sans être irregardable comme la piscine provençale est le troisième film d'Ozon que je n'ai vraiment pas aimé.


Il s'agit là d'une adaptation du roman britannique La Danse du coucou d'Aidan Chambers, publié en 1982. On y suit le parcours d'Alexis, un lycéen normand au centre des questionnements propres à son âge lors des vacances d'été, entre interrogations sur les études à venir et découverte des premiers sentiments pour David, le garçon plus âgé qui l'a repêché en mer. Mais! Pour éviter que ces sujets ne paraissent trop banals, François Ozon fait démarrer le film par une séquence choc, où Alexis brise le quatrième mur pour demander aux spectateurs les plus chétifs de ne pas écouter son récit tant celui-ci sera révoltant.


Mouais. On échappe heureusement à l'image d'un metteur en scène démiurge venant annoncer à quel point son film est très important et bouleversant (coucou Cecil!), mais inviter l'acteur principal à jouer un rôle de prophète n'en reste pas moins légèrement pompeux. Tout du moins aurait-il fallu que l'histoire si perturbante promise par Alexis fût à la hauteur du suspense, mais ce n'est pas le cas. En effet, le réalisateur passe tout le film à alterner entre retours en arrière et scènes du temps présent, pour nous tenir en haleine et nous aider à comprendre ce qu'a bien pu faire le héros pour se retrouver en si mauvaise posture, mais dès que l'on soupçonne de quoi il s'agit à mi-parcours, ce montage sous haute tension paraît bien vain.


En soi, l'acte en question aurait pu être traité d'une manière follement poétique, mais le résultat est anodin. Et sans doute conscient du tour convenu que prend son histoire, Ozon cherche à créer le malaise avec des personnages tellement improbables qu'aucun d'entre eux n'est en mesure de rendre la parabole sensationnelle par contraste. Son film va à la fois trop loin dans la banalité, et trop loin dans l'exubérance, de telle sorte que le récit reste écartelé entre deux pôles sans jamais parvenir à trouver un centre de gravité. Hélas, impossible de prendre les adultes au sérieux tant ils s'aventurent loin sur l'océan des clichés. Ainsi, pour bien montrer qu'ils sont pauvres, les parents du jeune homme sont humbles d'une manière insistante; le professeur de littérature qui fume en classe est l'archétype de l'intello perché qui impressionne son élève; l'éducatrice est une présence plus angoissante qu'autre chose; tandis que Valeria Bruni Tedeschi dépasse carrément les bornes dans le rôle de Madame Gorman, la mère de David. Son immaturité est tellement accentuée qu'elle m'a perdu dès son entrée en scène : qu'elle dévête Alexis pour le reluquer sans discrétion, ou qu'elle l'oblige littéralement à devenir l'ami de son fils, elle va tellement loin sur l'échelle du déshonneur que je n'ai pas cru au personnage un seul instant.


Reste alors les deux adolescents et leur histoire d'amour. Ozon s'amuse à filmer celle-ci comme un roman-photo de vacances, où l'on fait de la voile devant les falaises du Tréport, où l'on occupe ses journées dans un magasin de souvenirs marins, et où l'on passe ses nuits à la fête foraine avant de s'étreindre dans l'intimité d'un lit d'une place. C'est agréable, mais il fallait effectivement dire autre chose, ce que ne manque pas de faire le réalisateur en introduisant de nouveaux personnages troubles venant jeter une ombre sur la relation. Ces éléments perturbateurs sont un thème cher à Ozon, que l'on pense à Pierrette dans la maisonnée des 8 Femmes, à la fille de l'éditeur dans la villa provençale, ou au jeune étudiant au sein de la vie d'un couple rangé Dans la maison. C'est ici une Anglaise, qui a appris notre langue en seulement deux jours (!), qui se charge de pousser Alexis dans ses retranchement, en invitant David à jouer un jeu dangereux pendant que l'amant bafoué est supposé tenir la chandelle. À vrai dire, on voyait ce rebondissement arriver à la vitesse de la lumière, étant donné que David était depuis le départ affublé d'un rictus inquiétant qui me donnerait personnellement envie de m'enfuir en courant.


Finalement, les jeunes comédiens sont tout à fait corrects, surtout Félix Lefebvre qui doit explorer des sentiments contradictoires entre amour et jalousie, mais tous deux sont desservis par une mise en scène trop explicative, qui entend bien décrire au spectateur la signification du moindre symbole. J'en veux pour preuve les reproductions du Livre des morts placardées partout dans la chambre d'Alexis : si l'on n'avait pas deviné qu'elles étaient supposées refléter l'obsession du héros pour le morbide, la narration prend soin de préciser qu'il est bel et bien fasciné par l'Égypte parce que fasciné par la mort, et que les baignoires lui ont toujours semblé être des tombeaux. Avait-on besoin d'en dire autant alors que les images parlaient d'elles-mêmes? La séquence en boîte de nuit, toute musicale, donne en revanche plus de substance à l'intrigue sans avoir besoin des mots : David pose un baladeur sur les oreilles d'Alexis, qui se retrouve propulsé dans un autre monde alors que son amoureux danse sur un rythme bien plus endiablé. Tout est dit en une minute, et jamais la relation ne trouve autant de sens qu'en ces instants sonores. La scène est apparemment empruntée à La Boum, le film de référence des adolescents des années 1980, révélant au passage l'extrême nostalgie de François Ozon pour une époque qui commence à s'éloigner...


Conclusion : on trouvera toujours des idées captivantes dans un film de François Ozon, mais les trouvailles les plus inspirées d'Été 85 n'ont pas réussi à me faire aimer le film pour autant. La relation centrale est trop déséquilibrée dès le départ pour me toucher, les personnages secondaires sont totalement allumés, et le mystère qui n'en est pas vraiment un se prend trop au sérieux. Reste tout de même une bande-son sympathique, véritable hommage à la jeunesse du metteur en scène, du mélancolique Sailing de Rod Stewart qui accompagne la scène emblématique du film, à l'admirable In Between Days des géniaux The Cure, un hymne justement empreint de spleen. Tout cela me rend moi-même nostalgique : j'aimerais tant avoir un petit ami cet été, ça fait trop longtemps!

La Chasse aux sorcières

 


Vous arrive-t-il souvent d'avoir très envie de voir un film depuis des années, et de détester l'expérience une fois tentée? C'est ce qui vient de m'arriver avec La Chasse aux sorcières (The Crucible), l'adaptation de la célèbre pièce d'Arthur Miller par lui-même, dans une mise en scène de Nicholas Hytner sortie à l'automne 1996. Le texte reprend, comme vous le savez, le procès des dames de Salem, accusées de sorcellerie sans preuves dans les derniers feux du XVIIe siècle, et condamnées au gibet par une masse ignorante. Ce fiasco humain ne manqua pas de heurter la sensibilité de l'auteur à l'époque de la rédaction (1952), à cause des échos évidents avec le Maccarthysme, alors que nombre de citoyens américains furent dénoncés et empêchés de travailler pour de supposées sympathies communistes, dès les commencements de la Guerre Froide. Au cinéma, je préfère de loin la version de 1957 de Raymond Rouleau, avec Montand et Signoret, mais j'avais quand même très envie de voir celle-ci, pour compléter ma liste des actrices nommées pour l'Oscar du second rôle. Je suis franchement déçu du voyage.

En fait, tout se tient dans la réalisation pachydermique de M. Hytner : la pièce reste captivante sur le papier, mais ses difficultés à lui donner souffle et mouvement la tire inexorablement vers le bas. Visuellement, c'est très lourd, à commencer par Winona Ryder avec du sang de coq sur le visage (j'espère qu'ils n'ont pas tué d'animaux pour les besoins du film), jusqu'à Daniel Day-Lewis qui violente toutes les femmes qu'il rencontre, et qui est dès lors impossible à prendre au sérieux comme point de ralliement pour les esprits éclairés tant il est répugnant. Mais le pire, ce sont les scènes d'hystérie collective, le moteur du film tout de même. Elles sont malheureusement si mal filmées qu'elles tournent très vite au grotesque, prenant l'air de la décadence des Diables de Ken Russell, mais sans le baroque allant avec. Le résultat est d'un sérieux qui se marie fort mal à l'exubérance.

Figurant également sur le banc des accusées, la direction d'acteurs est tout sauf ajustée au cinéma. Deux ans après sa première adaptation théâtrale, La Folie du roi George, qui valait le coup d'œil pour ses interprétations croustillantes mais à l'aise devant une caméra, Nicholas Hytner laisse ses comédiens s'époumoner pour le dernier rang, d'où l'impression de lourdeur déjà palpable dans d'autres aspects du film. Ainsi, Daniel Day-Lewis hurle à n'en plus finir, me confirmant au passage qu'il est loin d'être le plus grand acteur de sa génération comme on l'entendait trop souvent à une époque. De son côté, Jeffrey Jones en fait des tonnes, tandis que Rob Campbell est peu convaincant en révérend calme et posé, qui se met tout à coup à s'exalter comme un possédé quand il se sent contredit. De même, le chemin conduisant Bruce Davison à se laisser berner par sa nièce, en dépit de sa culture et de son bon sens, reste pour le moins épineux. 

Quant à Winona Ryder, elle est carrément mauvaise. Ses visions mystiques sont celles d'une petite peste mal sortie de l'adolescence, mentant comme elle respire, alors difficile d'imaginer que tout un village et une flopée de magistrats puissent la croire sur parole. N'importe quel adulte ayant un tant soi peu vécu, quel que soit son degré d'éducation, aurait la réaction de Martha Corey, la seule capable d'identifier les gamineries de l'accusatrice. Peut-être que la comédienne se sentait en porte-à-faux avec un personnage qui, à l'époque des faits, n'avait que neuf ans, mais le texte en fait bel et bien une femme plus âgée. À sa décharge, on ressent effectivement le côté perturbé d'une jeune femme déflorée par un homme sans scrupules, mais l'imprécision de son jeu hystérique ne donne pas chair aux propos d'Abigail. Il faut également que ses amies soient bien sottes, pour entrer dans le jeu d'une personne aux menaces de pacotille. Mylène Demongeot, plus adulte, semblait bien plus dangereuse et acharnée dans la version de 1957.

Par bonheur, quelques seconds rôles mieux esquissés parviennent à sauver certains meubles. Nous citerons en premier la grandiose Joan Allen, nommée à l'Oscar pour le rôle d'Elizabeth Proctor, la très puritaine épouse qui glacerait de la bière par forte chaleur. Il est fort dommage, mais c'est encore l'un des écueils du film, que son temps d'écran soit largement diminué par rapport à Simone Signoret, quoiqu'elle parvienne sans surprise à marquer les esprits avec le peu à sa disposition. Rigide mais intense, avec de subtils élans passionnés qui contredisent joliment son rigorisme, elle ne doute jamais d'être dans son bon droit, allant même jusqu'à dominer les juges bien qu'elle soit en position de faiblesse. C'est assurément une interprétation très digne d'intérêt, hélas desservie par un maquillage pathétique, mais c'est tout à l'honneur de l'actrice de parvenir à s'élever au-dessus d'un aspect misérable et d'un film pesant. Néanmoins, je ne pense pas qu'elle méritait citation pour un prix cette année-là : elle a fait bien mieux par la suite, notamment dans Pleasantville et La Tempête de glace juste après.

À vrai dire, je ne suis pas sûr qu'elle soit la meilleure de la distribution. En effet, Elizabeth Lawrence est magnifique de retenue dans le rôle de la sage-femme accusée de meurtre; tandis que Mary Pat Gleason apporte une présence terrienne et un bon sens tout fermier à Martha Corey, parmi les villageoises ayant encore un semblant de moralité. Dans l'autre camp, l'hystérie de Charlayne Woodard est plus éloquente que la moyenne, dans le rôle de la servante noire qui doit retourner sa veste pour éviter la pendaison. De même, Frances Conroy est d'une exaltation bien cernée dans la peau d'une femme dévastée, croyant en désespoir de cause que la mort de ses enfants est l'œuvre du diable. Malgré tout, l'interprétation qui m'a le plus touché est donnée par Karron Graves, la bonne des Proctor qui se refuse à mentir pour épargner son employeuse, mais qui n'a pas l'estime de soi nécessaire pour rester infaillible devant le juge. Sa torture mentale est impressionnante alors qu'elle échoue à exécuter un évanouissement sur commande, surpassant en cela, et de loin, les performances mal calculées des premiers rôles à l'affiche. Enfin, un dernier mot sur Paul Scofield. Le pauvre! À chaque fois qu'il paraît dans un film, je m'ennuie royalement. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit mauvais, bien au contraire, mais nous aurons décidément du mal à trouver un terrain d'entente artistique.

Conclusion : une poignée de jolis seconds rôles ne suffit pas à aérer un film lourd et indigeste, desservi par une théâtralité mal à propos et une mise en scène peu inspirée. Il n'y a aucune once de conviction dans le discours des filles, lorsqu'elles prétendent voir des ombres noires ou des oiseaux jaunes prêts à les picorer, ce qui est rageant compte-tenu de la puissance psychique et poétique qu'on pouvait extraire de ces répliques. Je suis donc bel et bien déçu, mais ça me donne envie de revoir la version Signoret dans un joli noir et blanc!

mercredi 14 avril 2021

Liaisons dangereuses



 S'il est une liaison toxique dans le monde du cinéma, c'est bien celle qu'entretien Glenn Close avec les Oscars. Comme un amant qui vous trompe mais qui veut continuer à asseoir son emprise sur vous, ses pairs n'ont de cesse de la nommer sans pour autant vouloir l'embrasser. Gagnera-t-elle enfin pour sa huitième nomination? Non: les Oscars n'aiment rien tant qu'honorer les films bien représentés dans d'autres catégories, ce qui leur laisse l'embarras du choix. La lauréate cette année sera l'actrice coréenne Youn Yuh-jung, en partie grâce à l'effet Parasite de l'an dernier, et surtout parce que les votants voudront récompenser Minari quelque part. Les électeurs vont toujours vers l'humeur du moment: La Favorite est un cas d'école.

À vrai dire, peu importe. Je préfère que Glenn Close, l'une de mes actrices préférées depuis toujours (vous souvenez-vous qu'on en entendait beaucoup parler en Europe dans les années 1990?), rejoigne les rangs glorieux de Peter O'Toole, plutôt que de se voir jeter un os par pitié. La bonne nouvelle, c'est que j'ai enfin vu The Big Chill ce mois-ci, ce qui me permet de classer toutes ses nominations aux Oscars, de celle que j'aime le moins à la plus brillante. On joue?


So Close, yet so far away...

8 ~ Albert Nobbs   (2011)

C'était là le projet de cœur de Glenn Close, qui non contente de reprendre un rôle déjà joué sur les planches dans les années 1980, fut aussi scénariste et productrice de cette adaptation de l'auteur irlandais George Moore (1927). L'histoire est celle d'une femme devant se faire passer pour un homme afin de garder son emploi de majordome d'un hôtel, sujet passionnant s'il en est, mais qui n'intéressa pas grand monde: après quinze ans d'attente, le film avait finalement trouvé preneur sous la direction d'István Szabó, mais la comédienne ne trouva pas les financements nécessaires, d'où une mise en veilleuse d'une dizaine d'années de plus, avant de pouvoir enfin le produire sous la houlette de Rodrigo García. Malheureusement, le résultat reçut de mauvaises critiques, pour tout dire méritées: le thème n'est certes pas guilleret, mais le réalisateur eut la main lourde sur le sinistre et la pesanteur, échouant à donner au film l'énergie et la force de conviction indispensables à tout "projet-passion".

Cela se ressent dans l'interprétation de Glenn Close, étonnamment éteinte, comme si la déception de tourner avec une équipe de seconde main après tant d'espoirs mouchés lui avait ôté tout dynamisme. Le principal écueil, c'est qu'elle n'est absolument pas convaincante en homme, aussi est-il impossible de croire qu'elle puisse duper son monde. Elle est certes très mal à l'aise dans cette apparence qui n'est pas la sienne, mais si l'idée de départ était bonne, elle s'essouffle par une composition d'une raideur trop accentuée, donnant à l'actrice un aspect indéfinissable qui ne sert jamais le propos. Disons qu'il aurait fallu estomper la trop grande maladresse d'un personnage mal dans sa peau, afin de maintenir l'illusion, car les manières extrêmement pataudes d'Albert confèrent à l'ensemble une bizarrerie désagréable. Glenn Close s'y laisse même voler la vedette par Janet McTeer, la seule personne capable de donner du peps à l'histoire tout en entretenant joliment le mystère. Mais au crédit de Glenn, nous mentionnerons la scène de la plage, où la libération du corps et de la poitrine dans un vêtement féminin trouve enfin l'intensité qui lui manquait tant sur son visage expressif. Malgré tout, le personnage reste à nouveau insaisissable: ni à l'aise en homme et ni à l'aise en femme, Glenn met tellement en exergue la perte des repères genrés que l'histoire reste dans un flou dont elle ne se relève pas.

7 ~ Le Meilleur   |   The Natural   (1984)

Attention, Le Meilleur ne porte pas spécialement bien son nom. Ce n'est certainement pas le pire film de l'année, mais c'est loin d'en être le plus marquant, malgré une réalisation ambitieuse de Barry Levinson, prête à traduire visuellement les accents arthuriens du roman d'origine de Bernard Malamud. Le problème, c'est que la légende est ici retranscrite dans un cadre sportif: on y suit le parcours d'un joueur de baseball exceptionnel, dont le talent inné en fait, naturellement, le meilleur de sa profession. Ce qui veut dire que c'est assez peu ma tasse de thé. Le film, tout à la gloire d'un acteur loin d'être le fleuron du métier, Robert Redford, a la main un peu lourde sur le symbolisme: le réalisateur a pris la peine d'attendre que le soleil tombe en un point précis de l'horizon pour en tourner la scène la plus célèbre, afin que Glenn Close soit éclairée comme un ange dans le public, tandis que le héros brise une horloge gigantesque d'un seul coup de batte, son Excalibur personnelle fabriquée à partir d'un chêne frappé par la foudre. Le résultat n'est pas déplaisant à regarder, mais le tout m'intéresse peu.

Glenn Close elle-même a toujours estimé qu'elle ne méritait pas reconnaissance pour ce film, pensant que sa nomination était due à la belle photographie de Caleb Deschanel, qui a effectivement su la mettre en valeur en lui conférant une aura mystique. Il est permis de trouver la comédienne sévère avec elle-même, tout en partageant quelque peu son opinion. Pour sûr, elle ne se contente jamais d'être seulement bien filmée, et réussit à étoffer un rôle assez mince sur le papier par son jeu précis. Dans la peau d'Iris Gaines, une femme terne abandonnée par son amour de jeunesse, avec qui elle renoue amicalement des années plus tard, elle dégage autant de lumière que les projecteurs en laissant apparaître des sourires réellement chaleureux sur son visage, tout en laissant percer une nostalgie assez douloureuse qui émeut, tant on sent qu'elle ne peut obtenir de la rencontre ce qu'elle aurait voulu. Et ce malgré une certaine assurance, à la voir clamer après une interruption qu'elle n'est pas mariée, essayant de paraître plus détachée qu'elle ne l'est véritablement. Cela tient au charisme naturel de la dame, qui parvient toujours à capter la caméra même à son insu. Mais à la fin, réussit-elle à rendre Iris intéressante? Pas vraiment. Une fois les regrets exprimés sans mot dire, elle n'a plus grand chose à faire, à part se montrer sage et rester volontairement dans l'ombre du héros, un comble pour un personnage aussi manifestement éclairé par le directeur de la photographie! Son temps d'écran très limité ne lui permet pas de marquer les esprits autant que Kim Basinger dans le rôle de la nouvelle compagne perturbée, et toute délicate soit-elle, Iris est vraiment trop terne. Glenn Close est capable de tellement mieux que sa nomination paraît quelque peu généreuse. Sa performance, quoique impeccable, passe même pour une anomalie puisqu'elle avait d'abord signé pour le rôle très riche d'Olive Chancellor chez Les Bostoniennes, avant de se retirer du projet pour un personnage bien trop simple, dans le seul but de se blottir cinq secondes sur l'épaule de Redford. Le jeu n'en valait pas vraiment la chandelle.

6 ~ L'Important, c'est Mémé   |   Hillbilly Elegy   (2020)

Ce film de Ron Howard, plus rarement traduit par Une Ode américaine, est adapté des mémoires de l'homme d'affaires James Vance. Le livre est apparemment très controversé pour ses thèmes particulièrement conservateurs: l'auteur est un capitaliste et républicain forcené, ce qui se ressent fortement dans son portrait de la pauvreté provinciale de laquelle il s'est émancipé. Si Amy Adams y joue, avec beaucoup d'emphase, la mère droguée du personnage, Glenn Close y joue sa principale alliée, sa grand-mère truculente qui ne mâche pas ses mots pour le voir sortir de ce milieu. Soyons francs: le film est une purge. Au-delà des idées véhiculées, c'est surtout un parangon d'ennui desservi par un héros lisse, une durée inutilement longue et un montage assommant. On a beaucoup reproché à Amy Adams d'en être le point noir, mais au moins, elle est cent fois plus divertissante que l'ensemble du projet. À l'exception de Glenn Close qui, contrairement à ce que pouvait laisser craindre la bande-annonce, est d'une grande justesse, bien loin de la caricature qu'on soupçonnait.

Certes, sa mise est pour le moins rocambolesque, à l'image de sa mise en plis effrayante mais typique des vieilles dames des années 1990; et certes, elle en fait des tonnes: elle gueule, elle fume en permanence, elle fait des doigts d'honneur et a toujours son mot à dire sur tout, mais tout cela est parfaitement bien joué malgré l'hyperbole. Et outre l'intensité naturelle de Glenn Close, on décèle à nouveau de formidables nuances, comme en témoigne la fierté qu'elle éprouve devant les bons résultats scolaires de son petit-fils, tout en faisant mine de vaquer à autre chose. Et que dire de la gravité qui perce après une conversation animée en voiture, où l'on sent à quel point les espoirs placés en son rejeton sont sérieux? La séquence la plus tragique du film ne manque pas non plus d'éclat: la bouche ouverte devant l'abominable vérité, elle voit tous ses souvenirs se fracasser dans son esprit pour la conduire à envisager un avenir différent. Avec tant de belles trouvailles, c'est vraiment une bonne performance. Je ne l'aurais toutefois pas proposée pour un Oscar pour ce rôle: le film est trop mauvais pour ça, et ces images qui puent la clope ne m'enchantent guère. Mais ça n'a rien à voir avec l'actrice!

5 ~ Les Copains d'abord   |   The Big Chill   (1983)

Ce grand frisson, provoqué par Lawrence Kasdan et coécrit par Barbara Benedek, parle de la réunion d'anciens amis du lycée lors de l'enterrement de l'un des leurs. S'y croisent entre autres une star de la télévision, une avocate en mal d'amour, un vétéran du Vietnam traumatisé, une fiancée immature ou encore Sarah Cooper, la doctoresse parfaitement établie qui nous occupe. C'est une histoire qui s'adresse avant tout à une génération très particulière, celle des personnes nées à la fin des années 1940, ayant passé leur vingtaine dans les années 1970, et faisant face à l'embourgeoisement inéluctable de la trentaine dans les années 1980. Cela dit, les thèmes évoqués sont universels, d'où le succès du film au-delà de son actualité prégnante en 1983: les constats d'échecs et la tentation de renouer avec ses rêves ou fantasmes de jeunesse pour pimenter une vie trop rangée, parlent j'en suis sûr à bien du monde. Mais pas à moi. Je ne rentre dans aucune des cases cochées par le film: je n'ai aucun désir de me faire une situation, la sacro-sainte obsession des baby boomers, à savoir effectuer le même métier pendant quarante ans; je ne suis pas hétéro et ne fonderai probablement pas de famille (snif?), et je n'ai nulle envie d'inviter mes amis en weekend pour coucher avec eux! Parce que, soyons honnêtes, le dimanche à la campagne chez les Cooper se transforme assez vite en club échangiste, ce qui permet à Glenn Close de jouer sur deux tableaux: d'une part, exprimer son vif regret devant des sentiments pas encore éteints pour l'ami décédé, et d'autre part demander à son mari de féconder leur plus proche confidente dans un grand geste altruiste! Et c'est tout à l'honneur de la comédienne d'être tout à fait convaincante dans un tel rebondissement.

Pour tout dire, Glenn Close a le rôle le plus démonstratif du film, d'où la nomination garantie par rapport à ses camarades. Et comme toujours avec elle, le résultat est parfaitement nuancé: la jovialité du repas est contrastée par des larmes discrètes qui ne se peuvent retenir, tandis que la demande singulière faite au mari est jouée avec lumière et sérénité, évitant ainsi de rendre le dialogue pathétique. Ainsi, bravo à l'actrice d'éviter tous les pièges tendus par un scénario autrement ennuyeux: le film m'eût-il davantage captivé, je serais peut-être plus enthousiaste pour l'interprétation, mais tout excellente soit-elle, Glenn Close n'a pas réussi à me faire adhérer au projet. Non que cette réunion soit un mauvais film, mais un rythme assez lent et des personnages dans lesquels je ne me reconnais pas ont eu du mal à susciter l'intérêt tout du long. Les tourments intérieurs de William Hurt, et les désirs secrets de JoBeth Williams m'intéressaient davantage sur le papier, mais le résultat à l'écran n'est guère palpitant, d'autant que les honneurs reviennent de toute manière à Glenn, la plus nuancée de la distribution. Une nomination reste toujours possible étant donné mes connaissances lacunaires du cinéma de 1983, mais la dame a atteint de tels sommets par la suite que sa jolie performance pâlit légèrement par comparaison. Il est en tout cas très appréciable de la voir jouer un personnage sain d'esprit: bien qu'elle se soit fait connaître pour ce type de rôles, ce n'est plus exactement l'image que l'on a d'elle désormais.


4 ~ Liaison fatale   |   Fatal Attraction   (1987)

Comme l'indique son titre, Liaison fatale ne brille pas par sa subtilité, mais ce fut le plus gros succès au box-office de l'année. Ça n'a pourtant pas très bien vieilli, à commencer par cette réunion d'entreprise aux apparences... de leurs temps, sans compter que le genre thriller érotique dont cet opus lança la mode ne compte pas franchement parmi mes favoris au cinéma. Mais ce n'est pas dénué d'intérêt non plus, d'abord grâce à un montage efficace soutenu par une photographie volontairement froide, mais surtout parce qu'avant d'être érotique, le thriller est psychologique. Loin d'être simplement un monstre, Alex Forrest est avant tout une femme perturbée, probablement touchée contre son gré dans l'enfance, qui développe une érotomanie incurable pour son collègue avant de se laisser envahir par son côté psychopathe, à mesure qu'elle craint d'être abandonnée. C'est là un rôle très riche auquel Glenn Close fait parfaitement honneur, bien que le film tente de saper sa performance avec une scène finale ratée, faisant perdre tout humanité à la dame en la robotisant. La fin originelle eût été plus cohérente et, comme dans Un Frisson dans la nuit, je suis toujours un peu gêné par le rétablissement de l'ordre patriarcal après avoir suivi les aventures d'une femme hors normes, qu'il fallait certes mettre hors d'état de nuire, mais pas au point de la faire disparaître des écrans radars. Après tout, pourquoi un type devrait triompher après avoir trompé sa femme qui lui pardonne tout, et rejeté sa maîtresse qui lui pardonne moins (!), alors qu'il reste le personnage le moins intéressant des trois? Mention spéciale aux Baftas qui ont réussi à nommer tout le monde sauf l'actrice principale...

Évidemment, Glenn Close est la star du film. Alex Forrest est même devenu son rôle le plus célèbre, un peu à son détriment car elle a eu toutes les peines du monde à se défaire de ce personnage qui fait peur à l'ordre établi. Peut-être est-ce d'ailleurs la raison pour laquelle Glenn Close ne gagnera jamais d'Oscar: beaucoup de gens voient encore en elle une gorgone manipulatrice ou une folle psychopathe, ce qui les rebute, et quand elle cherche à adoucir son image, on lui reproche de ne pas en faire assez... C'est assurément le signe d'un grand talent que de provoquer des réactions aussi passionnées, dans un sens comme dans l'autre, grâce à une performance iconique jouée avec une belle énergie. Et n'oublions pas qu'à l'époque, c'était un contre-emploi total, étant donné la différence de taille avec Iris Gaines et Sarah Cooper. Ce qui frappe de prime abord, c'est qu'on pressent tout de suite le côté inquiétant de la dame, même en phase de séduction alors qu'elle parvient à passer pour tout à fait charmante en réunion, ou lors d'une promenade au parc. À partir de là, son parcours allant crescendo dans la folie est saisissant: ses pulsions suicidaires sont pathétiques mais émouvantes tant elles révèlent le mal-être de l'héroïne; la force de caractère d'une femme qui ne veut pas être ignorée, et capable de s'immiscer dans l'intimité du couple, donne beaucoup d'éclat à ses motivations dangereuses; tandis que le désespoir qui la conduit au pire reste glaçant d'effroi, malgré les faiblesses du scénario. Je ne classe cette interprétation que quatrième aujourd'hui, parce que tout en surprenant davantage que la suivante, je ne suis pas assez friand de films d'horreur pour être ébloui autant qu'il le faudrait. Mais Glenn Close donne le meilleur d'elle-même bien que le film n'accompagne pas sa performance jusqu'au bout, ce qui reste un exploit inimitable.

3 ~ Le Monde selon Garp   |   The World According to Garp   (1982)

Voilà un film, ou plus exactement un scénario, qui me laisse perplexe. Non que je n'aie pas aimé: j'avais même été plutôt diverti lors de la découverte, mais à la fin, je ne suis pas sûr que ces relations compliquées entre personnages excentriques fassent sens. Et je suis gêné par certains aspects du discours, lorsque la mère raconte sans honte aucune à son fils qu'elle l'a conçu en violant un soldat dans le coma pendant la guerre. Renverser le point de vue traditionnel est intéressant, mais ça reste quand même un viol, et qui plus est avec des relents nécrophiles. Il fallait oser pour traiter ça avec humour, et pourtant, impossible de détester l'infirmière féministe, le personnage le plus mémorable du film qui permit à Glenn Close de faire une entrée fracassante dans le monde du cinéma. À ses côtés, un Robin Williams à peine plus jeune qu'elle incarne son fils adulte dans une performance plus touchante qu'à l'accoutumée, tandis que la trop rare Mary Beth Hurt ne manque pas d'énergie dans un rôle plus en retrait. Les deux actrices sont d'ailleurs très amies à la ville: on aimerait les voir dans un grand duo!

En revanche, elles ne partagent pas vraiment l'écran chez Garp, laissant le héros faire la liaison entre tous les personnages. Mais à coup sûr, quoi que l'on pense des actions de l'infirmière, Glenn est franchement géniale: d'un charisme incroyable, elle parvient à dominer le film alors qu'elle n'est qu'un second rôle. Téméraire, Jenny Fields entend mener sa vie comme elle l'entend, d'abord comme mère célibataire en dépit des conventions, puis comme écrivaine féministe ralliant à sa cause les femmes les plus acharnées du pays, dont certaines se coupent la langue afin de protester contre le patriarcat (vous ai-je dit que l'histoire me mettait mal à l'aise?); et n'hésitant pas entre temps à payer une prostituée comme si ça ne posait aucun problème afin que son fils saute le pas. Et pour bien affirmer sa différence, elle fréquente encore une footballeuse transgenre. Il ne faut certainement pas compter sur la dame pour se couler dans un moule, et l'actrice est d'une précision et d'une nuance infinies pour donner vie à cette existence particulière, traversant le film avec lumière, car toujours désireuse de mieux connaître le monde sans préjugés, sans jamais suggérer une once d'embarras. De ce fait, son interprétation est toujours fascinante, même si l'on ne cautionne pas les motivations de cette mère hors normes. Jamais en proie au doute, et finalement toujours là pour guider son fils entre drame et comédie, la comédienne projette une telle chaleur qu'elle parvient à donner une vraie consistance, ou tout du moins une vraie gravité à cette histoire atypique, et ce alors même que le scénario ne semble jamais savoir quel chemin emprunter. On peut trouver qu'il est plus difficile de donner vie à une personne compliquée telle Alex Forrest, mais éviter de s'égarer dans un projet aussi flou est à mon sens un exploit tout aussi grand. Ce fut en tout cas un excellent début, pour une actrice qui n'a jamais déçu par la suite.

2 ~ The Wife   (2017)

Ce film de Björn Runge, scénarisé par Jane Anderson, a la réputation d'être médiocre et d'avoir coûté son Oscar à Glenn Close. Bien qu'on soit très loin de l'excellence, ça m'a tout à fait diverti, et n'oublions pas que les recettes furent très honorables pour une œuvre indépendante de cette sorte. Certes, en dehors du tandem principal, ses autres aspects n'étaient pas assez mémorables pour attirer les trophées, et La Favorite était un mastodonte trop puissant cette année-là. Mais tout le monde était d'accord pour reconnaître le brillant de la comédienne dans l'un de ses plus beaux rôles. Comme pour ce qui arrivera dans quelques jours avec L'Important, c'est Mémé, l'Oscar ne lui échappa que parce qu'il y avait plus important à récompenser alors. Dommage, car même si L'Épouse est totalement dénuée de style et de vision, j'ai quand même pris davantage de plaisir devant elle que devant la souveraine humiliée, car je n'aime pas les auteurs qui méprisent leurs personnages. Ce qui ne veut pas dire que Joan Castleman, l'artiste de génie restée dans l'ombre d'un mari vaniteux, ne soit pas humiliée elle non plus, mais ses tourments sont traités avec bien plus de finesse, sans que jamais le scénario ne cherche à dégrader son héroïne.

Et comme on s'en doute, Glenn Close est merveilleusement distribuée dans ce grand rôle brossé avec les nuances qu'on lui connaît. L'actrice réalise en fait son rêve de porter à l'écran un projet qui la passionnait, mais cette fois-ci pour un résultat bien meilleur qu'avec Albert Nobbs. Elle marque à nouveau les esprits par son intensité: il n'est pas une scène qu'elle ne sache rendre intéressante même dans les instants les plus calmes, qu'elle écoute un appel téléphonique alors que la réminiscence de sa vie se bouscule devant elle, ou qu'elle résiste à la tentation de montrer des émotions à un journaliste indiscret. Mais sous ce calme apparent sourdent des frustrations qu'on ne ressent que trop, encore et toujours grâce à la précision de son jeu. Par ailleurs, cette interprétation fait la part belle à de subtiles surprises qui lui donnent encore plus de grandeur, car malgré tout son ressentiment qui couve depuis des années, Joan n'en reste pas moins sincèrement attachée à son mari. Lorsque tous deux sautent de joie sur leur lit comme de grands enfants, c'est une fierté et une affection sincère qui se manifeste, malgré le malentendu qui n'ose s'avouer, puisque l'un comme l'autre savent que le "nous avons gagné" employé dans un moment de joie est en fait à conjuguer au singulier. La confrontation après une belle montée en puissance est quant à elle volcanique à souhait et a constitué de facto le clip à Oscar de Glenn, même s'il est permis de trouver sa quiétude intense plus éclatante encore. Dommage que le film se mette à mobiliser de trop nombreux clichés en cours de route, pour finir sur une fausse note, mais Glenn n'en pâtit certainement pas, donnant l'une des plus belles performances de ces dernières années.

1 ~ Les Liaisons dangereuses   |   Dangerous Liaisons   (1988)

Comme vous le savez, Les Liaisons dangereuses sont en état de grâce dans mon inventaire personnel de 1988. Le chef-d'œuvre de Stephen Frears est l'un des films-phares de mon adolescence, et j'en aime sincèrement tous les aspects. La reconstitution historique est à se pâmer, la repartie des dialogues électrisante à souhait, et les portraits complexes des interprètes d'une richesse impressionnante. C'est à la fois le meilleur film tourné par Glenn Close, et le sommet absolu de sa carrière d'actrice: jamais elle n'aura joué une méchante aussi formidable, parvenant à nous mettre de son côté malgré ses actes répréhensibles. Le tout avec un bon mélange de finesse et de théâtralité, la marquise de Merteuil étant passée maîtresse dans l'art de duper le monde et de se mettre en scène en fonction de son auditoire.

La théâtralité est en fait réservée au public: la comédienne n'hésite pas à briser le quatrième mur pour partager le mépris de la société d'une héroïne trop en avance sur son temps, se doutant que les spectateurs contemporains seront à même de goûter sa manière de tirer les ficelles de tous les pantins qu'elle domine de sa connaissance du monde et de son bel esprit. Intellectuelle jusqu'au bout des ongles, ce n'est pas le plaisir charnel qui l'intéresse, mais le pouvoir dont elle peut jouir en tant que femme dans une société patriarcale, d'où les clins d'œil à notre époque. Mais cela passe par des actions odieuses envers les dames qui n'ont pas l'heur d'être aussi brillantes qu'elle: l'émancipation passe par l'abaissement des autres, mais le génie de l'actrice est de faire passer tout cela avec une légèreté qui touche à la drôlerie. Ainsi, regardons-la encore s'amuser de l'inexpérience de sa pupille à la lecture d'une lettre, où se réjouir de faire une entrée en scène remarquée chez les Volanges avant de faire montre d'un accès de pudibonderie peu convaincant pour nous, mais qui berne totalement son amie. Et cependant, malgré l'humour, une gravité réelle apparaît derrière ce comportement dominant, mais seul le vicomte est autorisé à l'entrevoir. Dès lors, quand elle s'amuse à prendre des risques en l'exposant à la vue de l'ennemie, et l'obligeant par-là même à battre en retraite dans les recoins les plus inconfortables d'une antichambre, elle réalise un numéro d'équilibriste car elle sait que la supercherie peut se retourner contre elle d'un moment à l'autre, bien qu'elle se sente assez forte pour savoir que le jeu en vaut la chandelle.

Mais les dialogues avec Valmont font la liaison avec son caractère plus profond, son goût pour la cruauté étant plus sérieux que l'on pourrait le croire lors des premiers badinages. C'est alors que la marquise se laisse trahir par sa propre sensibilité, ce qui permet à l'actrice de jouer la carte du subtil et de la profondeur. Le souvenir de son endurcissement laisse entendre l'ampleur des humiliations jadis, de même que sa colère soutenue, parfumée de haine, lorsque la complicité se mue en relation maritale de la pire espèce. La déception et la jalousie, qui s'entremêlent en un très beau plan silencieux, suscitent pour leur part de l'empathie, alors que la marquise ne la mérite pas spécialement, grâce aux multiples couleurs que la comédienne donne à ses émotions. Et ce en ayant toujours l'art de se ressaisir, pour se dissimuler à nouveau sous un air de défi amusé! Quant à la scène finale, tous les fards du monde ne pourraient masquer ce formidable alliage de déchéance et de haute estime de soi qui s'imprime sur son visage merveilleusement expressif. Ce rôle est bel et bien l'apogée de Glenn Close, qui aurait due être adoubée par ses pairs pour cette noble interprétation.


Année où elle méritait nomination

1990, soit pour Le Mystère von Bülow (Reversal of Fortune), soit tout simplement pour Hamlet. Le premier est un film de Barbet Schroeder et interroge la notion de culpabilité, à mesure qu'un avocat tente de comprendre la personnalité de son client accusé d'avoir empoisonné sa femme. C'est tiré d'un fait divers réel, et le metteur en scène pousse le vice à faire de l'épouse dans le coma la narratrice de l'histoire. Comme elle revit mentalement le passé, Glenn Close a le temps de brosser un portrait énergique de la dame pour compenser son état végétatif: elle est tout à fait crédible en héritière fortunée qui a l'habitude d'être prise pour le centre du monde, caressant un tigre sans aucune trace de crainte alors que toute la haute société se met à l'abri, et n'hésitant pas à s'adonner aux jeux dangereux de la séduction avec l'homme qu'elle désire, et qu'elle choisit envers et contre tout puisque, comme elle le rappelle, elle aurait pu s'offrir n'importe qui avec son argent. Mais après ces troublantes prémices, sa déchéance physique est encore saisissante, à la voir sous l'emprise des médicaments, où à l'entendre s'accrocher à une relation qui n'a plus de sens d'une manière franchement pathétique, dans l'espace étouffant d'un manoir mal décoré. Le film est surtout dominé par le personnage plus intrigant de Jeremy Irons, mais Glenn Close est excellente en mondaine vaniteuse tourmentée par de nombreuses fêlures. Dommage que ce ne soit qu'un second rôle.

Autre second rôle, et pas des moindre, elle fut la même année à l'affiche d'Hamlet, jouant la mère du héros, la reine Gertrude, qui s'est empressée d'épouser l'assassin de son défunt mari. En général, le public lui préfère Ophélie, la fiancée tragique ici jouée par Helena Bonham Carter, alors que la reine n'arrive que rarement à capter l'attention. Pas entre les mains de Glenn Close, heureusement, qui en donne une interprétation grandiose, montrant toute la complexité de la souveraine avec l'intensité et la précision qui la caractérisent si bien. Et même si le metteur en scène, Franco Zeffirelli, n'y va pas de main morte pour filmer un complexe d'Œdipe à son paroxysme, Glenn s'en sort avec tous les honneurs même dans les scènes les plus outrageuses. Expressive et charismatique en diable, elle parvient à exprimer tous les tourments de la souveraine même sans mots dire, éclairant par-là même ses contradictions pour mieux faire comprendre ce qui la conduit à agir ainsi. Elle compose de la sorte une figure tragique et lyrique, dont les séquences de joute incestueuse et d'enterrement sont des points d'orgue passionnants. Et que dire de la fierté qui se manifeste jusqu'aux derniers instants, lors d'une scène d'agonie tellement réaliste qu'on ne peut s'empêcher de plaindre la dame en ces instants funestes? Même en admettant que l'on n'aime pas Glenn Close, il est une chose qu'on ne peut lui reprocher: elle est toujours captivante quel que soit le destin qu'il lui faut jouer au grand jour.


Glenn Close: une grande actrice, même quand le jeu n'en vaut pas toujours la chandelle

La Maison aux esprits   |   The House of the Spirits   (1993)

Ce mauvais film de Bille August a la réputation de massacrer le roman d'Isabel Allende, et de blanchir à l'extrême des personnages chiliens, en les remplaçant par des interprètes anglo-américains. Surtout, la réalisation a le mauvais goût d'ennuyer jusqu'au point de non retour, et de faire rouler la tête de Vanessa Redgrave dans un effet spécial du plus mauvais aloi. Que de potentiel gâché! Par bonheur, Glenn Close est la seule à sortir indemne du projet: elle hérite du joli rôle de Férula Trueba, la vieille fille qui se prend d'affection pour sa belle-sœur, Meryl Streep. Elle est comme toujours intense, passionnée sous son air rigide, mais au fond si malheureuse que sa douleur et sa solitude font mal. C'est un bel exploit de parvenir à communiquer autant d'émotions, dans un film qui en manque cruellement.

Paradise Road (1997)

Comme La Maison aux esprits, La Route du paradis fut un four monumental en son temps, la faute peut-être aux répliques insupportables de mièvrerie de Pauline Collins, qui déclare qu'elle ne peut haïr les soldats japonais qui gardent le camp de concentration de Sumatra car la haine n'est pas quelque chose qu'elle peut éprouver... Outre cet écueil et une violence assez crue, j'apprécie le film, qui m'avait beaucoup marqué dans mon adolescence, et qui est surtout un mélodrame à l'ancienne. Bruce Beresford a certainement la main assez lourde sur les violons, et Captives à Bornéo de Negulesco est assurément plus fin dans la relation entre les prisonnières et le colonel, mais ça n'en reste pas moins riche en tension et en émotions. Et puis, avec une telle distribution féminine comprenant certains des plus grands noms du cinéma contemporain, que demander de plus? Même s'il vaut mieux passer sous silence les débuts de Cate Blanchett, et que Frances McDormand fait fourcher sa langue avec un accent étrange... À leurs côtés, Glenn Close est à nouveau fascinante: d'une puissance rare tout intériorisée, elle s'impose naturellement comme la championne du groupe, apportant une vraie lumière au milieu du drame lorsqu'elle dirige l'orchestre, tout en laissant la peur envahir son visage avec le plus grand sérieux dans la séquence la plus troublante avec le gardien. Sa force de caractère lui permet de défier du regard le capitaine qui la nargue, avec toujours cette intensité propre aux grandes comédiennes.

In & Out (1997)

Glenn Close n'est qu'un caméo dans cette histoire divertissante mais terriblement maladroite, où Kevin Kline réalise qu'il est homosexuel après avoir été outé devant des millions d'Américains par l'un de ses anciens élèves, le soir de la cérémonie des Oscars. L'acteur est franchement bon malgré un rôle à clichés (il est gay parce qu'il aime Barbra Streisand et Gloria Gaynor...), mais la performance du film est avant tout donnée par Joan Cusack, démentielle en petite amie désorientée, dans l'une des interprétations comiques les plus drôles de la décennie: elle aurait dû remporter un Oscar elle-même pour ce morceau de bravoure joliment nuancé derrière le rire facile. Glenn Close joue quant à elle son propre rôle, puisque c'est elle qui remet le trophée à l'ancien étudiant devenu acteur, faisant son entrée sur With One Look de Sunset Boulevard, laissant supposer qu'elle avait gagné l'année précédente pour une adaptation qui se fait attendre... Parmi les candidats fictifs se trouve Michael Douglas, à qui elle adresse un baiser psychopathe des plus drôles, preuve que la dame a beaucoup d'humour à la ville!

La Maison biscornue   |   Crooked House   (2017)

Dans cette réunion familiale adaptée d'Agatha Christie, Glenn Close incarne la matriarche, qui ne manque pas de rappeler qu'elle domine son monde en apparaissant un fusil à la main, pour dégommer les êtres indésirables qui empiètent sur son territoire. On frôle la caricature, mais c'est finalement Gillian Anderson qui se vautre dedans sans vergogne: Glenn reste, malgré l'imagerie guerrière dont elle se drape, calme et posée, avec toujours beaucoup d'intensité et d'expressivité dans ses regards froids. La fin, très intéressante à étudier d'un point de vue psychologique, m'avait beaucoup marqué dans le roman, et l'actrice lui fait parfaitement honneur par les nuances qu'elle apporte au drame qui se joue.


Et quelques caricatures...

Nul n'est parfait: avec une carrière de la trempe de Glenn Close, il est permis de se laisser aller à l'occasion.

Maxie (1985)

On comprend tout de suite ce qui a intéressé Glenn dans ce double-rôle: elle y joue d'abord Jan Chaney, la charmante femme sans fantaisie de Mandy Patinkin, qui se retrouve tout à coup possédée par Maxie, l'esprit d'une actrice des années 1920 décédée le matin de l'audition qui devait lui ouvrir la voie d'une grande carrière à Hollywood. Et bien entendu, Maxie n'est autre qu'une diva délurée aux antipodes de Jan, d'où une série de quiproquos embarrassants lorsqu'elle se met à séduire tous les hommes aux réceptions professionnelles de son mari. Dommage que le film soit totalement raté malgré ces prémices alléchantes, et que la comédienne, qui ne manque pas d'énergie, tombe dans la caricature facile, parlant d'une voix ténébreuse particulièrement gênante. Il y avait moyen de s'amuser avec un tel personnage tout en lui donnant un peu d'humanité, mais en l'état, Maxie a tout l'air d'un monstre.

Les 101 Dalmatiens   |   101 Dalmatians   (1996)

Si Maxie pouvait faire penser à Tallulah par certains aspects, bien que lorgnant davantage vers Theda Bara, Cruella est elle aussi une grande diva inspirée par Tallulah elle-même dans le roman d'origine. Mais on n'en trouvera pas vraiment trace dans l'interprétation de Glenn Close, qui se réapproprie le rôle pour en faire l'archétype de la méchante des films pour enfants. On ne peut pas faire plus camp, et certaines scènes sont même devenues iconiques tant c'est exagéré, de l'entrée en scène qui a pavé le chemin pour Le Diable s'habille en Prada, au rire diabolique quelque peu forcé; mais je ne suis pas spécialement friand de ce numéro. Et c'était déjà le cas en 1997: le film m'avait déçu, et ma grand-mère trouvait regrettable qu'une actrice s'humilie au point de se vautrer dans du purin. Admirons tout de même l'abnégation totale de Glenn, mais décidément, la caricature poussée à l'extrême ne me touche pas. Ayant été éduqué avec Sissi impératrice, je préfère les méchantes plus subtiles et plus humaines, comme l'archiduchesse Sophie. Je préfère surtout la Cruella du dessin animé Disney, car la voix mieux posée de Betty Lou Gerson traduit plus finement la vanité du personnage, tout en se payant le luxe de redorer sa superbe.

Mars Attacks! (1996)

Ce film désagréable de Tim Burton n'est pas inintéressant à décortiquer bien que je n'aie aucune envie de le revoir, parce qu'à l'instar d'Ed Wood, c'est un hommage aux séries B de science-fiction d'antan, et aux films catastrophes des années 1970 peuplés de noms très prestigieux. Se bousculent dans cette invasion martienne Jack Nicholson en président des États-Unis, Annette Bening en hippie délurée, et surtout Sylvia Sidney en grand-mère gâteuse dont les goûts musicaux lamentables seront pourtant les seuls capables de sauver le monde! Glenn Close y joue quant à elle la première dame, incarnation ultime de la vanité du genre humain, puisque uniquement obsédée par la décoration de la Maison Blanche alors que tout s'effondre autour d'elle, et sur elle. Elle est parfaitement à l'unisson du propos, mais elle n'incarne pas un personnage digne de ce nom.

Les 102 Dalmatiens   |   102 Dalmatians   (2000)

Même remarque que pour le premier opus, sauf que je n'ai jamais revu celui-là depuis sa sortie en salles, tant ça m'avait paru mauvais. Je me souviens vaguement d'une séquence dans l'Orient-Express, et... ah oui, Depardieu avait trouvé le moyen de débarquer là-dedans. Seigneur!


Des téléfilms

La Nouvelle Vie de Sarah   |   Sarah, Plain and Tall   (1991)

Donnant la réplique à Christopher Walken, Glenn y incarne une vieille fille de la Nouvelle-Angleterre qui se pense peu avenante, et qui part au Kansas rejoindre un homme qu'elle n'a jamais vu pour l'aider à s'occuper de ses enfants. Loin d'appuyer sur les clichés, elle fait de Sarah une femme charmante, prête à se faire adopter par sa nouvelle famille en leur apportant des cadeaux, et se révélant une âme forte et volontaire qui ne rechigne pas à la tâche. L'héroïne en devient fascinante, loin des sentiers battus, malgré les doutes attendus qui viennent la heurter de plein fouet alors qu'elle se trouve en proie au mal du pays. Adaptée d'un livre pour enfant à succès, cette jolie histoire eut deux suites dans la décennie. Il semblerait néanmoins que voir une grande actrice de cinéma s'établir à la télévision fut mal vu par une partie de ses collègues, mais finalement, qu'importe le support si le rôle est magnifique?

Les Galons du silence   |   Serving in Silence   (1995)

Ce téléfilm retrace le parcours de Margarethe Cammermeyer, colonelle de la garde nationale de Washington, limogée en 1992 après avoir révélé son homosexualité, et s'étant battue pour sa réhabilitation. Glenn Close y était de mémoire excellente, avec une jolie scène où l'on sentait son désir et sa fascination pour l'artiste qui devait devenir sa femme. Ce sera à revoir, mais je crois me souvenir avoir encore mieux aimé Judy Davis, joliment excentrique dans un métier moins contraignant, et sublimée par la séquence où sa compagne fait son coming-out publiquement, alors qu'elle-même n'est pas du tout à l'aise avec cela et craint désormais les réactions de sa famille.

Damages (2007)

J'étais impatient de voir cette série lorsque j'avais entendu dire que le projet se tournait, parce que mon idole Glenn Close y donnait la réplique à Rose Byrne, ma nouvelle coqueluche depuis son interprétation délirante de meilleure amie de Marie-Antoinette! Malheureusement, le sujet prête moins à rire que la russophilie de la duchesse, conduisant la jeune comédienne à être un peu trop sérieuse pour intéresser tout du long. D'ailleurs, je ne me souviens que de Glenn, qui ne fait qu'une bouchée de sa collègue dans un grand rôle de gorgone taillé sur mesure pour elle. La première saison était divertissante, mais la deuxième commençait à tourner en rond, si bien que je n'ai pas vu les trois suivantes. Malgré tout, voir Glenn Close en avocate manipulatrice, contournant allègrement la loi quand ça l'arrange, reste totalement jouissif. Sa force de caractère et son charisme naturel servent totalement cette héroïne calculatrice et trop sûre d'elle, qui renferme toutefois des blessures secrètes qui permettent d'entrevoir une autre facette de sa personnalité. À la réflexion, il ne me déplairait pas d'explorer la suite des aventures de Patty Hewes, après l'avoir délaissée jadis.


À voir: À double tranchant (Jagged Edge), un film judiciaire de 1985; Immediate Family, un drame sur l'adoption de 1989; Skylark (1993) et Winter's End (1999), les suites de Sarah, Plain et Tall; Mary Reilly (1996), Le Divorce (2003), et surtout, Un Lion en hiver (The Lion in Winter) (2003), un téléfilm qui n'existe qu'en version française dans ma médiathèque, ce qui me fait enrager car j'ai une folle envie de voir Glenn Close dans le rôle d'Aliénor d'Aquitaine! Sachant que Glenn avait été adoubée par Kate Hepburn en début de carrière, je suis vraiment curieux de voir le résultat.


jeudi 8 avril 2021

Le temple de l'amour

 Même principe que la semaine dernière, mais cette fois-ci avec neuf jolis messieurs dont la beauté vous aidera à faire de doux rêves... À moins que vous ne préfériez Miriam Hopkins sous la couverture du Dr. Jekyll!


Aujourd'hui, nous jouerons avec Brian Aherne, Massimo Girotti, Lars Hanson, Fredric March, Masayuki Mori, Vincent Price, Basil Rathbone, Michael Redgrave et Anton Walbrook.

Et voici le plateau de jeu:


Je vous souhaite une bonne journée!

vendredi 2 avril 2021

Deux


J'adore Barbara Sukowa, et je suis ravi d'avoir (re)découvert la bien nommée Martine Chevallier dans le film Deux, réalisé par Filippo Meneghetti et sorti en salles l'année dernière in extremis avant l'épidémie, après une brève exploitation en festivals en 2019. C'est une belle histoire sur deux amantes qui doivent taire leur amour de trente ans à la famille de l'une, mais qui se retrouvent séparées par un accident de la vie, alors qu'elles habitent pourtant sur le même pallier.

Cette situation intolérable, être si proches et pourtant si loin, est particulièrement bien suggérée par le metteur en scène, qui filme les deux appartements comme des êtres vivants à part entière: Nina, l'émigrée berlinoise, habite en réalité chez Madeleine, dans un logement où les teintes sombres ne manquent pas de chaleur, où tout sent le vécu à deux, des brosses à dents qui se tiennent compagnie dans la salle de bain, aux tableaux et photos sur les murs. Quel contraste avec l'appartement vide de la belle Allemande, qu'il faut apprendre à se réapproprier alors que la tapisserie d'un orange pâle est particulièrement lugubre! Et que dire de ce couloir où l'on s'espionne par une lucarne comme dans un film d'horreur? D'ailleurs, l'appartement de Madeleine ne devient-il pas sinistre lui-même, lorsque Nina s'en voit refuser l'accès? En vérité, tout s'illumine lors des rares instants où l'on peut être ensemble, la solitude seule conduisant à l'obscurité. Ce jeu sur les couleurs et les espaces est vraiment remarquable, d'autant que l'immeuble en question est situé dans une rue languedocienne loin d'être aussi ensoleillée que voudraient nous le faire croire les images d'Épinal de cette province. Assurément, le film ne manque pas de contrastes, ce qui est tout à son honneur.

Le clair-obscur est encore renforcé par le jeu des deux actrices d'exception qui se donnent la réplique, l'une calme et discrète qui intériorise ses tourments, l'autre laissant toujours éclater sa rage et sa colère malgré son élégance innée. Et la plus râleuse n'est pas la Française! Disons que je suis plus attiré par la personnalité de Madeleine, qui a du mal à dire les choses et reste lumineuse malgré tout ce qu'elle subit, alors que l'agressivité latente de Nina m'étonne quelque peu. Malgré tout, les deux se complètent à merveille, chacune éclairant l'autre de ses qualités, l'une apprenant le courage et la détermination malgré l'apathie, la seconde apprenant, mais le chemin reste long, à devenir un peu plus sociable. La séparation permet en tout cas de révéler une personnalité entière, dont la richesse et la complexité sont un régal pour une comédienne. Il serait d'ailleurs dérisoire de décider qui de Martine Chevallier ou Barbara Sukowa mériterait un prix d'interprétation: l'une est d'une énergie sidérante dans ses interactions sociales mâtinées d'un acharnement toujours juste, tandis que l'autre est d'une intensité magnifique même quand la situation lui échappe.

Incontestablement, les deux complices sont le plus bel argument du film, en compagnie d'une mise en scène inspirée. Dommage que je n'aie pas aimé l'ensemble autant que je l'eusse voulu. Je reprocherai principalement deux choses. D'abord, l'usage d'une musique d'un glauque insondable, qui appuie trop fortement sur le drame au lieu d'apporter un peu de légèreté. Certes, le contraste avec la reprise italienne de Chariot souligne à quel point les clartés italiennes restent à l'état de fantasme malgré le fort désir des héroïnes de tout quitter pour s'installer à Rome, la ville de leur première rencontre, mais les accents ostensiblement tragique de la bande-son enfoncent l'histoire plus qu'ils ne la portent. Le deuxième point noir, c'est l'histoire parallèle de l'aide-soignante: le personnage est tellement pathétique que toutes ses apparitions sont chagrinantes, alors qu'une infirmière plus ferme, sans tomber dans l'excès d'une nurse Ratched, eût constitué une menace plus convaincante pour le couple. Heureusement, les scènes de la vie familiale de Madeleine, centrées sur Léa Drucker, sont très maîtrisées et donnent à l'histoire tout son sel, et toute sa profondeur. Un regret néanmoins: l'impossibilité de communiquer n'empêchait pas d'instiller un peu plus de raison dans ces rapports compliqués. La fin, mélange de ruines et d'espoir dans un formidable jeu d'espace, est peut-être un peu trop abrupte dans sa manière d'évacuer un personnage alors que le dialogue était finalement possible.


Il y aurait sûrement beaucoup plus à dire, mais voilà mon ressenti à chaud. Et je ne veux pas trop en révéler pour vous laisser le plaisir de la découverte, Deux méritant parfaitement le détour, au-delà de ses actrices sur lesquelles personne ne songerait à faire l'impasse de toute manière. Sinon, saurez-vous deviner le métier qu'exerçait Nina, qui lui permet de payer une taxe d'habitation pour un logement qu'elle n'occupe pas? Certes, la passion la rend prête à tout, même à jeter de l'argent par les fenêtres pour tenter de reconquérir sa propre existence, mais où trouve-t-elle toutes ces ressources alors qu'elle en est réduite à vendre une horloge pour se payer un voyage? Que cela ne vous empêche pas de voir le film!


jeudi 1 avril 2021

Le pavillon des étoiles

 Le 1er avril étant propice aux jeux de toutes sortes, en voici un qui, je l'espère, vous amusera. C'est le même principe que le sudoku, sauf que, si comme moi le langage des mathématiques vous laisse perplexes, les chiffres ont été remplacés par neuf icônes du septième art! Comble d'audace, elles doivent laisser leurs différends de côté pour apprendre à cohabiter sur une même ligne, une même colonne et un même carré, sans qu'aucune d'entre elles ne cherche à voler la vedette aux autres!

Voici les participantes du jour:

L'épicurienne (Tallulah), la sainte (Joan), la pécheresse (Bette), la démone (Marlene), la déesse (Greta), la majestueuse (Kate), la lumière (Miriam), la présidente (Norma), et la diva (Gloria). Hallelujah!


Et voici le plateau de jeu:

Cliquez sur les images pour les agrandir, et téléchargez-les pour jouer sur PhotoFiltre ou autres logiciels d'images à votre disposition. Vous obtiendrez ainsi le plus joli des damiers. Bonus: la dernière case trouvée sera votre actrice fétiche de l'année!