dimanche 31 juillet 2022

Downton Abbey


Bon, j'aurai au moins fait une chose « comme tout le monde » dans ma vie, en succombant à la tentation pour finir par voir l'intégralité des six saisons de Downton Abbey, la série de Julian Fellowes diffusée entre 2010 et 2015, à propos d'une lignée d'aristocrates du début du XXe siècle et de la vie non moins trépidante de leurs domestiques. Comme j'étais la dernière personne à ne pas l'avoir vue en Occident, cet article contiendra nombre de révélations, mais il ne se trouvera quiconque pour s'en offusquer puisque si vous me lisez, vous connaissez probablement tous les épisodes par cœur. Pour sûr, je n'essaierai pas de lutter contre mes sentiments : j'ai adoré ! J'étais déjà un grand admirateur de Gosford Park depuis vingt ans, et je n'ai pas été déçu par Downton Abbey, même si le concept n'est pas très original puisqu'inspiré par la série des années 1970 Maîtres et Valets d'Eileen Atkins et Jean Marsh. De cette série-là, je ne connais que les épisodes tardifs des années 2010, mais j'en garde un bon souvenir. Ce n'était donc qu'une question de temps avant que je finisse par découvrir Downton Abbey, et je suis très triste que le visionnage soit déjà terminé. On aurait pu monter jusqu'à huit saisons sans que je boude mon plaisir, même s'il aurait été difficile d'en dire plus après le mariage de toutes les jeunes filles de la maison.

L'expérience fut assurément plaisante. J'ai même dû me forcer à ralentir le rythme pour la dernière saison, après avoir dévoré les quatrième et cinquième en l'espace de quatre jours, lors du long congé du 14 juillet. J'avais tout de même vu la première suite sortie au cinéma il y a trois ans, mais l'avantage, c'est que je ne me souvenais d'aucun personnage, à l'exception de Lady Violet, forcément, Charles Carson pour sa présence gigantesque de facto mémorable, et Anna Bates, la femme de chambre volontaire qui évolue avec aisance dans les beaux couloirs du château d'Highclere. J'ai ainsi pu reprendre l'histoire à zéro et profiter de chaque instant avec un regard neuf, ou presque, puisque pour bien me rappeler des protagonistes après le premier épisode, j'ai eu la très mauvaise idée de regarder la distribution sur Wikipédia où le statut marital de chacun est indiqué à côté du nom de l'interprète. J'ai donc vite compris qu'on allait perdre deux personnages principaux dans la saison 3… Ce qui ne m'a pas empêché de voir la première moitié de la série avec un plaisir extrême.

Ce qui ne veut pas non plus dire que Downton Abbey soit exempt de défauts. Par moments, Julian Fellowes use et abuse de facilités scénaristiques qu'on prédit trop facilement à l'avance. C'est notamment le cas dans la deuxième saison avec ce triangle amoureux qui s'éternise : comme il est clair que Lavinia doit s'éclipser pour laisser le champ libre à Matthew et Mary, je me suis dis dès son entrée en scène qu'ils allaient la faire mourir de la grippe espagnole, ce qui n'a pas manqué d'arriver malgré une pirouette visant à nous faire croire que la jeune femme n'est pas la plus gravement malade dans la maison. Notons d'ailleurs que seules trois personnes sur vingt attrapent cette maladie très contagieuse alors que tout le monde est au contact d'autrui pendant l'épidémie, ce qui n'est guère convaincant. De même, le miracle de Noël voyant Matthew retrouver l'usage de ses jambes après ses blessures relève beaucoup trop du conte de fées pour être crédible. Sans parler des histoires d'héritage du même personnage ! En effet, après être devenu l'héritier de Lord Grantham suite à la mort des deux tenants du titre sur le Titanic, il touche ensuite la fortune des Swire après… le décès accidentel des deux héritiers présomptifs à l'autre bout du monde ! Rien que ça !

Don't fuck with me, Fellowes !



Dans la troisième saison, savoir que plusieurs acteurs voulaient quitter la série a également conduit à une série d'imitations malencontreuses, puisqu'on perd deux personnages coup sur coup, l'un comme l'autre le jour même de la naissance de leur enfant. Du côté des domestiques, l'acharnement policier qui s'abat sur les Bates devient au fur et à mesure de l'intrigue une ficelle un peu grosse, tandis que la relation sororale des deux jeunes femmes Crawley reste franchement manichéenne : Edith et Mary se détestent tant que Joan et Olivia auraient l'air de deux anges complices par comparaison ! En outre, le scénariste ne sait plus trop quoi faire de ces deux personnages au fil du temps : Mary met trois saisons pour se décider à épouser l'homme qu'elle aime, puis… trois saisons pour se décider à se remarier. De son côté, Edith enchaîne les relations sans lendemain avec des vieillards, en une ronde infernale qui propose cet unique ressors narratif pendant quatre saisons. Il est tout de même intéressant de voir que, si Mary reste l'héroïne principale de la série, la très effacée Edith prend de plus en plus de place au fil du temps.

D'une manière générale, on a du mal à croire qu'une maison anglaise de ces années-là ait pu survivre à autant de scandales d'un coup : banqueroute, trois filles sur trois déflorées avant le mariage, un diplomate mort dans le lit de ces dames, la cadette qui épouse son chauffeur, domestiques emprisonnés, valet ouvertement homosexuel, voleuse de bijoux, fille-mère acceptée par tous y compris sa terrifiante belle-mère… Certes, les Années folles étaient tout à fait modernes à l'époque, mais pas de là à rendre la haute société aussi progressiste qu'on voudrait nous le faire croire. La sensibilité moderne qui se dégage de la série est certainement plaisante, mais il reste difficile d'imaginer les Crawley invités à toutes les réceptions après un mariage à la sauvette avec un domestique.

La vision d'une famille d'aristocrates aussi protectrice envers son personnel est aussi quelque peu exagérée. Pour avoir un pied dans les deux mondes, ayant été élevé par ma mère avec un seul salaire d'institutrice, mais tenu d'aller un weekend sur deux dans ma famille paternelle richissime qui ne m'a jamais donné ni affection ni le moindre centime, j'ai assez observé le comportement de la « bonne » société pour avoir compris très vite que tolérance et bienfaisance ont leurs limites, même chez les personnes en apparence les plus charitables. Ma grand-mère a déjà congédié une femme de ménage pour une simple tasse brisée, tout en se mêlant de rompre les fiançailles de sa femme de chambre parce que le futur époux ne lui plaisait pas à elle… Ambiance. Et que dire de ces aristocrates flamands de ses amis, qui ont fait la morale à ma mère parce qu'elle n'a pas souhaité quitter son travail à ma naissance, tout en voulant m'élever par elle-même ? Notez que ces mêmes personnes ont quasiment renié leur fils cadet parce qu'ils n'étaient pas d'accord sur le choix de carrière de celui-ci… Ambiance. Dès lors, si les choses étaient encore ainsi à la fin du XXe siècle, j'ai du mal à croire qu'une très haute lignée britannique des années 1910 et 1920 ait été aussi indulgente envers un homosexuel pris en flagrant délit downstairs, une servante condamnée pour un vol avéré, une femme de chambre ayant massacré un vêtement précieux, un valet ivre en public ou une petite effrontée prête à parler à la maîtresse de maison avec beaucoup d'agressivité.



Mais voilà, Downton Abbey est là pour vendre du rêve aux spectateurs qui regardent ces événements avec un siècle d'écart. Il faut être au goût du jour pour toucher le public, et lui montrer des personnages un peu rigides s'éveiller à de jolies valeurs sous l'impulsion d'Isobel, qui en transcendant les strates sociales conduit la noblesse à adopter le concept de fraternité. Le tout dans un environnement extrêmement beau et aristocratique, bien entendu : Isobel elle-même habite dans une belle maison bourgeoise et finit par prendre goût aux emplois ancillaires à son service. D'ailleurs, tous les personnages moins fortunés qui entrent dans la famille Crawley finissent par adopter les us et coutumes de celle-ci. Ainsi, Tom Branson a beau jeu de se dire fervent révolutionnaire même après son veuvage, toutes ses actions servent de fait le maintien de la richesse de sa belle-famille. De même, Matthew a beau tenter de refuser d'être servi par des domestiques, il finit par s'y plier avec grand plaisir. Le bon goût et les modes de vie bourgeois sont de toute manière l'élément essentiel à la réussite d'une œuvre de fiction : à quelques exceptions près, les grands classiques du cinéma se déroulent tous dans un univers de richesse qui fait rêver, ou suivent à défaut le parcours de misérables héroïnes qui finissent dans un milieu plus élevé que le leur. Culturellement, il doit en outre y avoir un attachement très fort du monde anglo-saxon à la pompe monarchique : les images du dernier jubilé en date de la reine d'Angleterre ont encore fait le tour du monde au printemps, et il s'est trouvé nombre de spectateurs pour suivre cet anniversaire avec une admiration sincère. Ce n'est que de la poudre aux yeux, mais cela fait rêver.

Ainsi, Downton Abbey a beau être difficile à chauffer, ou être cerné d'un parc sans grande recherche esthétique, tout le monde rêve de déambuler dans ces couloirs richement ornés ou ces allées champêtres. La mise en scène montre heureusement les nuances de ce mode de vie, avec une photographie très froide pour les domestiques coincés dans un sous-sol mal éclairé, mais le grand public semble tout de même envieux de leur proximité avec les si belles choses de l'étage au-dessus. Et si toute la maisonnée finit par bien s'entendre et se serrer la main en chantant Auld Lang Syne, l'effet recherché est bel et bien atteint. Cela change assurément de Gosford Park et des odieux employeurs méprisants envers leurs valets, comme Maggie Smith ou Kristin Scott Thomas. À Downton Abbey, Lady Mary a parfois tendance à se montrer cassante envers le personnel lorsqu'elle est de méchante humeur, mais elle revient toujours présenter des excuses après coup, tout en prenant à sa charge les frais médicaux de sa femme de chambre. Lady Sylvia McCordle n'aurait pas fait de même dix ans plus tôt, mais il eût été impossible de suivre les aventures d'un personnage aussi froid durant six ans. Même Maggie Smith, dans un rôle identique, est nettement plus avenante dans la série que dans le film.

Dans tous les cas, grâce à l'extrême bienveillance des maîtres de maison, l'arc narratif de chaque épisode reste à peu près le suivant :

Un problème ? Vite ! Demandons à Lady Cora de faire « le sourire magique qui résout tout ! »



Et hop ! Plus de problème !

Ces facilités d'écriture n'empêchent heureusement pas de se laisser prendre au jeu. Comme je le disais, les images sont très belles à regarder, et la reconstitution historique ne manque pas de faire un bel effet, notamment dans la deuxième saison centrée sur la guerre. Les costumes qui évoluent avec le temps sont également partie intégrante du rêve, à voir les tenues de Lady Mary s'affiner pour suivre la mode des Années folles. L'arrivée de la modernité est également très bien mise en valeur, car elle génère nombre de questionnements en haut comme en bas des escaliers, du comte au majordome parfaitement conservateurs à la cuisinière qui ne veut pas changer ses façons de faire. Ces petites histoires personnelles se mêlant aux grands changements du siècle font de chaque épisode un régal à suivre et, même si le scénario pèche souvent par sa facilité et des rebondissements miraculeux exagérés, on a constamment envie de connaître la suite, tant et si bien qu'il est très difficile de se retenir d'enclencher l'épisode suivant dès qu'arrive le générique de fin. La grande force de Downton Abbey, c'est vraiment sa galerie de personnages tous précis et bien nuancés, qui ont d'ailleurs quasiment tous un temps d'écran similaire sans qu'aucun ne soit laissé pour compte, y compris parmi les personnes extérieures au château à proprement parler, comme M. Mason, dont on suit le développement au fil des ans. Seule Mary pourrait être considérée comme l'héroïne de la série, puisque ce sont ses erreurs et ses hésitations qui font naître les principales évolutions du récit, mais à cette mini-préférence près, l'ensemble de la maisonnée reste sur un pied d'égalité, d'où le bonheur de suivre le parcours de chaque individu. En outre, tout le monde évolue de manière positive de fil en aiguille, ce qui est alléchant.

L'unique contrariété du visionnage, c'est que je n'ai pas spécialement aimé le premier épisode, qui passe tant de personnages en revue, mais de manière superficielle, qu'on a du mal à s'y intéresser, d'autant que la narration tergiverse à n'en plus finir sur ce naufrage ayant emporté les deux héritiers du comté. Mais je suis ravi d'avoir persévéré, car j'ai adoré la série dès le deuxième épisode. Il est simplement dommage que certains arcs narratifs soient abandonnés en cours de route, notamment le scandale entourant le premier amant de Mary, qui ne sera finalement jamais révélé alors que toute la seconde saison repose sur cette épée de Damoclès. Pour finir, le goût du scénariste pour l'ellipse finit par agacer grandement, puisque nombre de scènes poignantes, qui eussent été formidables à jouer pour les comédiens, sont tout bonnement laissées pour compte, qu'on pense à l'annonce du veuvage de Mary ou au courage des confidences d'Edith à sa future belle-mère. Mais cela n'enlève en rien le pouvoir de grand divertissement de la série, grâce à toutes ces intrigues enchevêtrées entre maîtres et valets.

À l'aune de cette galerie de caractères hauts en couleurs, quels sont ceux qui m'ont le plus enthousiasmé ?



Upstairs

Lord Robert Crawley (Hugh Bonneville). Le propriétaire du domaine est en quelque sorte l'âme des lieux : attaché aux traditions mais toujours facile à convaincre des bienfaits du progrès, il est à l'image du château, courtois et distingué, avec juste ce qu'il faut de bienveillance envers ses employés pour se révéler attachant malgré sa hauteur, et malgré l'ennui nécessaire que tout homme hétérosexuel de cet acabit ne manque de susciter. Il est toujours intéressant de le voir admettre ses erreurs et céder du terrain aux autres personnages, mais c'est uniquement parce que les dames de sa famille travaillent de leur côté pour le conduire à s'adapter aux mutations sociales qui s'opèrent après la guerre. Ce n'est pas un héros spectaculaire, mais il a assez de part d'ombres (sa tentation de l'adultère, sa mauvaise gestion financière, son paternalisme le conduisant à vouloir mettre l'avis des dames de côté avant de finir par leur céder) pour incarner à la perfection un aristocrate anglais de cette époque.

Lady Cora Crawley (Elizabeth McGovern). Toujours affable et souriante afin de cacher ses émotions comme toute grande dame qui se respecte, Lady Cora se définit avant tout par sa discrétion, bien qu'elle travaille sans cesse en sous-main pour conserver l'unité de la famille. L'incessant sourire condescendant qu'elle adresse à ses employés finit par devenir un tic de jeu rébarbatif, mais c'est honnêtement criant de vérité, d'autant qu'Elizabeth McGovern n'oublie pas la complexité de son personnage, qui cède naturellement à l'abattement lors des drames, mais qui a aussi assez de volonté pour mener à bien les projets qui lui tiennent à cœur, principalement dans le domaine caritatif puisqu'elle se révèle une directrice d'hôpital particulièrement talentueuse. Et bien qu'à l'écoute des doléances de son personnel, elle ne peut se départir de la haute conscience qu'elle a de son rang, ne supportant pas qu'on lui manque de respect, ou montrant un mécontentement très appuyé à la moindre contrariété. Elle est aussi assez distante avec ses filles, surtout la deuxième, qui ont été naturellement élevées par leurs gouvernantes, mais elle a toujours le courage de se mettre dans des situations dangereuses pour leur venir en aide, avant de faire preuve de ses grands talents diplomatiques pour inviter sa belle-mère et son époux à regarder ces situations embarrassantes avec bienveillance. Comme tous les personnages de nature discrète, Lady Cora n'est pas la plus immédiatement remarquable de la distribution, mais cela n'ôte en rien à son importance capitale dans le clan, puisque sans elle, la famille aurait éclaté depuis belle lurette. Dans un tout autre registre, je viens de découvrir qu'Elizabeth McGovern est la chanteuse principale d'un groupe folk, Sadie and the Hotheads : cette femme est super cool !

Lady Mary Crawley (Michelle Dockery). Aussi exaspérante qu'attachante, Lady Mary est l'archétype de la jeune fille de bonne famille mise sur un piédestal depuis la naissance, et qui s'imagine que tout lui est dû. Les flèches qu'elle décoche lorsqu'elle est contrariée sont toujours enduites de venin, notamment lorsqu'elle s'offusque que le majordome Carson, la personne qui l'admire le plus dans la maison, ose lui faire une remarque jugée impertinente, ou lorsqu'elle rappelle à sa femme de chambre qu'elle la paie pour ses services. Mais une fois le nuage passé, elle a le bon sens de présenter de plates excuses et faire preuve d'humilité, allant jusqu'à venir en aide aux employés en grande difficulté. Michelle Dockery est idéale dans ce rôle, à commencer par son maintien et sa diction remarquables, en passant par son jeu précis dans les larmes alors que de grands drames se chargent de briser un bonheur durement acquis. En revanche, comme le scénario ne sait plus trop quoi faire d'elle après trois saisons, la pauvre Mary se retrouve coincée dans la même problématique dans la deuxième partie de la série, ce qui renforce son insupportable côté de tête-à-claques. Elle met ainsi cinq ans à se décider à épouser l'homme qu'elle aime, puis elle passe autant de temps à se décider à se remarier, le tout en envoyant des remarques acerbes à tous ses prétendants qui selon elle ne sont pas assez bien nés pour qu'elle daigne se rabaisser ! Dixit la dame qui gagne sa vie en gardant des cochons ! Tout cela pour finir par renvoyer dos à dos un superbe aristocrate avec qui elle était fort bien assortie, et un collègue capable de la remettre à sa place pour mieux l'adorer en cachette, pour leur préférer un blanc-bec insipide qui n'a que la peau sur les os et qui se complaît dans la fumée des pots d'échappement. Bref, qu'elle redescende un peu sur terre, même s'il est plaisant de suivre ses démêlés sentimentaux ! Finalement, Lady Mary est à l'image de sa coupe de cheveux à la garçonne : elle présente son meilleur visage en public, mais ses mauvais côtés sont aussi affreux que sa nuque très mal coiffée !

Lady Edith Crawley (Laura Carmichael). Le vilain petit canard de la famille détonne dans les quatre premières saisons par l'impression que le scénariste n'a pas su quoi faire d'elle. Ni proche de ses sœurs ni de ses parents, elle trouve davantage de soutien chez sa tante et sa grand-mère, mais cela ne l'aide guère à avancer dans la vie puisqu'elle passe son temps à s'enticher d'hommes plus âgés qu'elle qui savent que la relation est condamnée avant même d'avoir commencé. À tel point qu'on finit par se demander si elle ne va pas finir abandonnée sur l'autel du mariage… Bingo, c'était tellement prévisible ! L'ennui, c'est qu'on a du mal à la plaindre, car elle est toujours renfrognée et s'empresse de dénoncer les turpitudes de sa sœur en dépit de tout jugement sur les possibles retombées contre elle-même et le reste de la famille. Et bien qu'elle soit plus en avance sur son temps par sa capacité à se passer de domestique, elle reste tout de même trop froide avec eux pour qu'on ait envie d'apprécier le personnage au départ. Cependant, Edith ne manque jamais de surprendre, d'abord en étant la première de la maison à apprendre à conduire, puis par son émancipation par le travail alors qu'elle reprend à son compte la publication d'un magazine à succès. Ses relations avec ses employées du monde de l'édition sont beaucoup plus chaleureuses qu'avec le personnel de maison, tant et si bien qu'elle remonte considérablement dans notre estime, jusqu'à finir comme l'héroïne principale de la fin de la série avec la douloureuse question de Marigold. Après s'être longtemps lamentée sur son sort, Edith pleure enfin pour des raisons vraiment tragiques, ce qui la rend touchante, sans toutefois être autant à plaindre que la mère adoptive dont elle s'est servie.

Lady Sybil Crawley (Jessica Brown Findlay). Le personnage le plus attachant du haut des escaliers détonne lui aussi par son engagement politique fort inhabituel pour une jeune fille noble. Indéfectible soutien des suffragettes, désireuse de s'engager comme infirmière même avant la guerre, n'ayant aucun préjugé de classe puisqu'elle apparaît plus comme une amie de la servante Gwen, avant d'épouser fameusement le chauffeur de la maison, Sybil est presque trop moderne pour être honnête. On se demande vraiment quelle a été son éducation pour qu'elle soit aussi progressiste à un âge si jeune, mais cela ne l'empêche pas d'être absolument géniale. Lorsqu'elle tire sa révérence en une scène d'un graphisme insoutenable, elle laisse un vide considérable derrière elle, tant et si bien que son fantôme continue de hanter le château dans les trois saisons suivantes. Le bonus : elle bouscule les traditions avec un costume turc ravissant !

Lady Violet Crawley (Maggie Smith). Le personnage le plus mythique de la série est sans surprise incarné par l'actrice la plus légendaire de la distribution. Je trouve tout de même que trois Emmy pour la reprise d'un rôle déjà très bien joué il y a vingt ans était quelque peu excessif : certes, Violet est le personnage le plus divertissant toutes saisons confondues, mais elle est bien trop comique pour être une aristocrate absolument convaincante, d'autant que ses états d'âme n'ont pas la même puissance que ceux de la nouvelle génération. Il est assurément drôle de la voir grimacer pour des questions de protocole, même quand la série copie Mrs. Miniver de façon éhontée, mais c'est plus Maggie Smith qu'on vient voir à l'œuvre qu'une douairière réellement engoncée dans ses principes. Cela dit, impossible de ne pas l'adorer : elle reconnaît toujours ses erreurs et ses défaites bien qu'elle prétende systématiquement le contraire, et ses interactions de vieilles dames avec Isobel sont à mourir de rire, ce qui fait beaucoup de bien comparé aux drames qui s'acharnent sur d'autres personnages. Par moments, des nuances plus sérieuses colorent sa palette, ce qui prouve que Maggie Smith n'a certainement pas volé ses prix d'interprétation. On aurait simplement souhaité une meilleure répartition des richesses, vu toutes les magnifiques performances de ses collègues.

Matthew Crawley (Dan Stevens). Personnage très intéressant d'héritier malgré lui, dont les valeurs de classe moyenne supérieure se confrontent au snobisme de l'aristocratie, Matthew paraît d'emblée éminemment sympathique face au comportement odieux de sa future épouse. Le public devait trouver en lui un homme en qui s'identifier, ce qui est tout à fait réussi. On apprécie également son intégrité, notamment son sentiment de culpabilité dans l'affaire Lavinia. Sa disparition laisse d'ailleurs un véritable vide à partir de la quatrième saison, même si l'on finit par s'habituer à ne plus le voir. Il est toutefois dommage que l'acteur ait voulu quitter la série, car cela a forcé Mary à revenir à la case départ pour passer trois nouvelles saisons à tergiverser sur le choix du conjoint. Assurément, on aurait aimé que Julian Fellowes innove quelque peu.

Isobel Grey (Penelope Wilton). Autre personnage en qui le public est invité à s'identifier, la mère de Matthew m'a d'abord parue antipathique à trop vouloir mépriser le mode de vie de sa nouvelle famille, tout en étant secrètement ravie de mener désormais grand train. J'ai même été gêné de la voir se piquer de diriger la maison pendant la guerre, quitte à trop empiéter sur le territoire de ceux qui avaient fini par l'accueillir à bras ouverts. Cependant, Isobel est si pétrie de bonnes intentions qu'elle rattrape très vite ces premières maladresses, notamment dans la troisième saison où elle vient en aide à Ethel. Sa tristesse très naturelle suite à la mort de son fils aurait dû lui valoir une nomination, tandis qu'elle devient vraiment attachante après coup, alors que ses confrontations avec la branche noble sont bien plus tempérées que par le passé, sans rien perdre de leur mordant. L'interprétation de Maggie Smith n'aurait pas été aussi mémorable sans la présence hautement bénéfique de Penelope Wilton.

Tom Branson (Allen Leech). Ce personnage de tous les extrêmes, le seul autorisé à passer de l'autre côté des escaliers, n'est malheureusement pas très intéressant, la faute à un comédien assez lisse, qui a le malheur de trop ressembler à Dan Stevens pour se démarquer. D'abord passablement arrogant à se croire sûr des sentiments de Sybil à son égard, il est ensuite naturellement émouvant lors du grand drame de leur vie de couple, mais le scénario ne sait vraiment plus quoi faire de lui après son veuvage. Il évolue comme un fantôme dans le château, bénéficiant des mêmes prérogatives que Mary tout en restant dans son ombre, tout ça pour finir par abandonner ses idéaux de jeunesse afin de se métamorphoser en bourgeois capitaliste de la pire espèce. Il a au moins le mérite d'être compréhensif envers ses belles-sœurs en souffrance, mais il ne trouve jamais vraiment sa place dans la série.

Lady Rose MacClare (Lily James). « Inventée » à la fin de la troisième saison comme remplacement de Lady Sybil, Rose s'impose d'entrée de jeu comme le personnage le plus irritant de la série, la faute à l'interprétation catastrophique de Lily James, qui appuie beaucoup trop sur son côté écervelé d'adolescente. Par bonheur, cette jeune fille rejetée par une mère froide finit par gagner en maturité, quitte à bousculer toutes les conventions en sortant tour à tour avec un homme marié, un chanteur noir et un héritier juif ! C'est impossible à prendre au sérieux vu le milieu social dans lequel elle évolue, mais c'est une bonne dose de progressisme pour le spectateur contemporain. Rose marque surtout des points en sauvant l'honneur de son beau-père lors d'une scène fort embarrassante, preuve que la dame a grandi depuis son introduction cataclysmique. Ah ! Et j'oubliais : le soupirant ouvrier qui la prend pour une domestique est vraiment poignant.

Lady Rosamund Painswick (Samantha Bond). La fille de Violet, qui tient beaucoup trop à son mode de vie urbain pour visiter sa famille à la campagne, est l'archétype de la tante idéale : elle soutient moralement ses nièces bien qu'elle ne soit pas toujours d'accord avec elles, mais elle n'est jamais intrusive et mène sa vie de son côté. Elle ne cherche jamais à leur empoisonner l'existence en essayant de leur faire jouer le rôle d'enfant / meilleure amie / amant qu'elle n'a pas, elle. On aurait tout de même aimé que sa relation conflictuelle avec sa mère soit plus développée, mais on prend plaisir à retrouver Rosamund à chaque apparition, malgré sa hauteur et sa distance.

Martha Levinson (Shirley MacLaine). La mère de Cora est un peu vulgaire et assez fofolle parce qu'Américaine : alerte cliché ! Elle ne mâche pas ses mots et ne se prive pas de remettre ses hôtes britanniques à leur place, mais ce faisant, elle n'a jamais le charme de Violet. Et comme elle n'est qu'un personnage très secondaire, elle a beau être interprétée par Shirley MacLaine, on se soucie peu d'elle à la fin, malgré un dialogue plus introspectif avant son départ.

Dr. Richard Clarkson (David Robb). Je suis agréablement surpris qu'on ait pensé à développer ce personnage, qui reste sympathique sans être nécessairement captivant. On suit ses déceptions sentimentales et professionnelles avec intérêt, et j'ai notamment apprécié le fait qu'il soit modérément tolérant envers les tourments de Barrow : bien qu'il réprouve son homosexualité comme à peu près tout le monde à l'époque, il a au moins l'honnêteté de le sortir de l'enfer d'une thérapie de conversion forcément douloureuse et inutile.

Henry Talbot (Matthew Goode). Le personnage le plus inutile de la série. Il arrive bien trop tard pour qu'on s'y intéresse, et a l'outrecuidance de faire la cour à Mary alors qu'il n'a aucune alchimie avec elle. Quand on pense que celle-ci avait le choix entre un sex toy viril qui lui allait très bien et un « copain comme cochon » qui savait la remettre à sa place, tout ça pour finir avec un pilote dépressif incarné par un comédien qui semble s'ennuyer plus qu'il ne joue ! Ses aventures avec Charles Blake dans la fange, ou son escapade sexuelle avec Lord Gillingham à Liverpool, étaient un milliard de fois plus captivantes en une heure que ces interminables fiançailles de la dernière saison.

Herbert Pelham (Harry Hadden-Paton). Encore un homme qui touche un héritage colossal comme par magie, après la disparition du tenant du titre sous le soleil du Maroc ! Il a au moins le mérite d'être fidèle à ses sentiments et de revenir vers Edith malgré la situation difficile dans laquelle se trouve cette dernière. Tous deux sont finalement bien assortis, mais on ne peut qu'être d'accord avec Mary lorsque celle-ci ne peut s'empêcher de le trouver particulièrement insipide.

Autres personnages. Lavinia Swire (Zoe Boyle) : une jeune femme digne, qui n'arrive pas à déjouer les plans d'un scénario machiavélique à son égard. Sir Richard Carlisle (Iain Glen) : l'antagoniste de la saison 2, qui tente de faire chanter Lady Mary pour finalement ne rien en faire. Tout ça pour ça. Sir Anthony Strallan (Robert Bathurst) : un vieillard insipide qui inspire à Edith le sentiment qu'elle aura enfin quelqu'un à choyer. Un homme aussi respectable que lui n'aurait jamais dû attendre de la retrouver à l'autel pour rompre un engagement qui ne convenait à personne. Michael Gregson (Charles Edwards) : un autre homme insipide, modèle un peu plus jeune du précédent, qui prend le temps d'engrosser Edith avant d'avoir le bon goût de disparaître à l'étranger. N'est-il pas curieux que tous les hommes qui lèguent quelque chose à la famille Crawley partent se faire tuer dans un autre pays ? Un peu plus d'imagination n'eût pas été de trop ! Horace Bryant (Kevin McNally) : l'archétype du patriarche misogyne qui parle très mal à son épouse et à la mère de son petit-fils. C'est criant de vérité, mais on a envie de le baffer. Daphne Bryant (Christine Mackie) : une femme tyrannisée par son mari, que ses sentiments maternels poussent tout de même à une certaine ouverture d'esprit envers Ethel.

Sir Philip Tapsell (Tim Pigott-Smith) : l'officier arrogant du Joyau de la Couronne est ici le gynécologue arrogant de la famille royale. À cause de sa bêtise, on perd le meilleur personnage de la série, ce qui le rend parfaitement détestable. Lord Hugh MacClare (Peter Egan) : un pauvre homme coincé dans un mariage sinistre, mais qui reste assez jovial avec ses cousins pour rester sympathique. Lady Susan MacClare (Phoebe Nicholls) : son dernier dialogue avec Cora lui donne une autre dimension, mais autrement, le personnage est écrit avec tant de misogynie que l'actrice ne parvient pas à en faire autre chose qu'une femme aigrie. Atticus Aldridge (Matt Barber) : un jeune homme sans aucun caractère, qui a l'air d'épouser Rose quinze jour après leur première rencontre, là où Mary met en moyenne cinq à sept ans ! Au moins, c'est un rapide ! Lord Sinderby (James Faulkner) : un horrible personnage imbu de lui-même, qui peut remercier Rose jusqu'à la fin de ses jours pour son tact insoupçonné ! Lady Sinderby (Penny Downie) : on ne la voit pas assez pour se forger une opinion sur elle, mais elle semble sympathique car nettement plus avenante que son époux. Cela dit, même O'Brien aurait l'air d'une farceuse super marrante face à Lord Sinderby, ce qui ne veut pas dire grand chose !

Harold Levinson (Paul Giamatti) : le frère décadent et déluré de Cora. Je me suis demandé s'il n'était pas secrètement refoulé bien qu'il n'apparaisse pas assez pour qu'on s'intéresse à lui. Lord Merton (Douglas Reith) : un aristocrate affable à qui l'on souhaite un dénouement heureux. Par contre, le coup de cette maladie incurable qui n'en est finalement pas une, c'est non ! Assez avec les miracles de Noël, vraiment ! Larry Merton (Charlie Anson) : une ordure abjecte et mal éduquée qu'on aimerait bien voir partir très loin pour ne jamais revenir. Amelia Cruikshank (Phoebe Sparrow) : une horreur calculatrice, fausse et vulgaire sous l'apparence de bonnes manières. On aurait souhaité une septième saison pour la voir s'humilier à jamais devant la haute société.

Lord Anthony Gillingham (Tom Cullen) : je refuse de croire que Mary ne l'a pas épousé ! Ils étaient si bien assortis ! Charles Blake (Julian Ovenden) : je refuse de croire que Mary n'en fasse pas son meilleur ami-confident ! Quand on garde les cochons ensemble, c'est un lien indéfectible qu'on ne peut rompre impunément ! Sarah Bunting (Daisy Lewis) : un personnage censé résonner auprès du grand public, puisque cette institutrice invitée à souper régulièrement au château fait le lien entre le peuple et l'aristocratie. Malheureusement, elle rate le coche en se montrant bien trop agressive envers ses hôtes. Exprimer ses convictions, c'est une bonne chose, mais insulter avec insistance ceux qui ne partagent pas vos idées, c'est par ici la sortie. Le prince Kouraguine (Rade Šerbedžija) : le grand amour de jeunesse de Violet. On les imagine tous deux en traîneau sur la Neva gelée… Il est assurément plus attrayant que son ami réfugié abjectement antisémite, chose hélas criante de vérité dans cette strate sociale. Mrs. Pelham (Patricia Hodge) : une marâtre présentée comme terrifiante, et qui n'est finalement pas plus méchante qu'un ourson en peluche. La comédienne est très charismatique et aurait mérité d'être introduite plus tôt dans la série. La duchesse de Yeovil (Joanna David) : cette grande dame n'affecte en rien la narration, mais elle est incarnée par Joanna David, de telle sorte qu'avec Penelope Wilton, on retrouve au même souper deux Mrs. Gardiner, mon personnage favori d'Orgueil et Préjugés !



Downstairs

Charles Carson (Jim Carter). L'âme de Downton Abbey est certainement incarnée par le physique le plus imposant de l'ensemble de la distribution. Jim Carter est en effet idéal dans ce rôle de majordome dont la vie est réglée comme une horloge, tout cela parce qu'il est dans un contrôle permanent afin d'oublier un passé douloureux. On comprend alors qu'il s'est enfermé dans une carapace ultra conservatrice et peu charitable, mais cela ne l'empêche pas d'être très attachant lorsqu'il décide de laisser entrevoir un côté bien plus humain, notamment envers Mary qu'il affectionne comme la fille qu'il n'a pas eu. Son alchimie avec Mrs. Hughes, empreinte de réserve, est quant à elle parfaite pour apporter des touches de comique bienveillant et de dignité maladroite chez ces personnes qui travaillent d'arrache-pied.

Elsie Hughes (Phyllis Logan). Magnifique et irrésistiblement sympathique, Mrs. Hughes est possiblement mon personnage préféré de l'ensemble des six saisons. En effet, s'il lui arrive d'être dure par moment, elle cherche toujours à rattraper ses erreurs pour venir en aide à son prochain, notamment dans le cas d'Ethel. Ses interactions avec tous les personnages sont en fait un régal, puisqu'elle cherche à être compréhensive avec tout le monde, sans jamais se départir de son autorité, comme lorsqu'elle jette l'instrument de torture de Mr. Bates en un geste libérateur. De toute manière, j'adore les personnages réservés qui ont du mal à exprimer leurs sentiments, de telle sorte que j'ai pris beaucoup de plaisir à suivre ses aventures d'un bout à l'autre de la série, de son ancien soupirant qui la fait grandement hésiter, à sa baignade touchante et amusante avec Mr. Carson au bord de la mer. Il est également délectable qu'elle ose affirmer sa pensée face à ses employeurs, qu'elle respecte, mais dont les grands airs ne l'impressionnent nullement. En outre, elle se révolte contre le patriarcat en forçant le majordome à faire la cuisine et la vaisselle ! Que demander de plus ?!

John Bates (Brendan Coyle). Dans un océan de comédiens ayant « le physique de l'emploi », cet acteur détonne quelque peu par sa mine patibulaire qui dissimule en fait un personnage de victime au grand cœur. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit un peu escroc au fond (voir l'histoire de la lettre du prince de Galles), mais son intégrité et son alchimie avec Anna font plaisir à voir. Ses démêlés avec sa première épouse lui rendent la vie difficile, mais sa ruse pour survivre en prison, ainsi que le drame que subit Anna, lui permettent de révéler une dureté profonde qui contraste avec sa bienveillance au sein de la maison. Après avoir occupé un espace central avec deux histoires carcérales par moments redondantes, les Bates sont plus en retrait à la fin de la série, ce qui n'enlève rien à leur charme. 

Anna Smith (Joanne Froggatt). À égalité avec Mrs. Hughes, mon deuxième personnage préféré de la série brille par sa grande générosité pour son prochain. On s'attache immédiatement à elle, et ce n'est sans doute pas un hasard si Anna est l'une des rares personnes de la distribution dont je me rappelais dans le film. De la naissance de sentiments emplis de grâce dans la première saison, à sa détermination inaltérable pour sortir l'homme qu'elle aime de prison, cette femme de chambre est assurément adorable. Et lorsqu'elle est à son tour victime d'un acte répugnant, la comédienne est si émouvante que son globe d'or fut entièrement mérité. Un défaut tout de même, histoire de nuancer un peu sa perfection : elle se moque des mésaventures de la cuisinière lorsque celle-ci se retrouve à tort accusée de mauvaises mœurs ! Avouons que cela est si incongru qu'il est impossible de ne pas rire : nous pardonnerons Anna volontiers ! De toute manière, comment ne pas adorer une femme complice avec ceux qui ont besoin d'aide, y compris un ennemi tel Barrow, qu'elle cherche à réconforter à plusieurs reprises lorsqu'elle découvre son désarroi ? Le bonus : elle apprend à danser un reel écossais pour impressionner son mari et ses maîtres de maison ! Son sourire en de telles occasions est si lumineux qu'on est constamment sous le charme.

Thomas Barrow (Rob James-Collier). L'antagoniste principal du château est avant tout un homme torturé par son homosexualité refoulée. Se sentant exclu depuis toujours par sa différence, Thomas est devenu aigri trop jeune, et se défie tant du monde qu'il cherche à manipuler ses collègues afin de monter en grade avant eux. D'abord extrêmement retors, allant jusqu'à voler pour faire accuser un innocent, il commence à marquer quelques points dans notre estime lorsqu'il pleure sincèrement la mort d'un soldat dont il s'était entiché pendant la guerre. Mais heureusement qu'il reste fourbe dans les saisons suivantes, afin de constituer une menace bien réelle pour l'ensemble des employés, de quoi rendre la narration d'autant plus palpitante. Il serait inutile de faire la liste de tous ses méfaits, mais chaque fêlure en lui est éminemment touchante, principalement lorsqu'il s'inflige de vraies tortures dans l'espoir de se guérir. Je me suis finalement laissé prendre au jeu et n'avais pas du tout envie de le voir partir bien que ses supérieurs aient tout fait pour le pousser vers la sortie. Notons d'ailleurs que l'acteur s'embellit à mesure que le personnage s'accepte et s'ouvre aux autres : d'abord très lisse et passablement laid, il devient réellement séduisant dans les derniers épisodes.

Sarah O'Brien (Siobhan Finneran). Impossible de ne pas la détester, mais impossible de ne pas avoir envie de la voir à l'écran : c'est là tout le génie des méchants, y compris lorsqu'ils sont aussi opaques et réservés que cette femme de chambre aigrie, et cependant loyale envers les rares personnes qui ont su gagner son estime. On aime autant la voir comploter avec ou contre Barrow par pur sadisme, de même que l'on apprécie ses moments plus doux, si tant est que cet adjectif puisse s'appliquer à une telle personne, notamment avec Mr. Lang, ou encore avec son complice Barrow qui vient de perdre tous ses biens au marché noir. Son grand moment reste toutefois celui de la savonnette de Cora, qu'elle place devant sa baignoire après une série d'humiliations dont la châtelaine n'a jamais eu conscience (même si elle ne cherchait pas à renvoyer O'Brien, elle aurait dû avoir plus de tact et envisager le contresens possible de ses propos), ce qui provoque un drame. C'est de la pure méchanceté de la part de la femme de chambre, qui se livre à une scène d'introspection empreinte de remords pour rattraper son geste, ce qui arrive hélas une seconde trop tard. L'observer devant le miroir se dire qu'elle n'est pas si affreuse est une ficelle narrative un peu grosse, mais c'est follement divertissant, bien que son geste reste trop abject pour qu'on puisse lui pardonner. Plus tard, on prend tout de même un grand plaisir à la voir tirer son épingle du jeu lors d'un séjour en Écosse contre une collègue qui voulait l'évincer, et dont elle prendra finalement la place. Dommage que son terrible secret envers Cora ne se retourne jamais contre elle à cause de ce départ précipité, même s'il est tout de même agréable de la voir déstabilisée par les Bates après toutes ses manigances. Par ailleurs, la sincérité qui émane d'elle lorsqu'elle soigne son employeuse durant une terrible épidémie permet à l'actrice d'apporter des nuances discrètes et bienvenues. J'apprécie certainement ce genre de performances tout en retenue. Je regrette tout de même que personne n'ait songé à reparler d'elle par la suite, lorsque Lady Susan revient des Indes sans domestiques puisqu'elle n'a plus les moyens de les payer. Ainsi, que peut-il être arrivé à O'Brien ? Souhaitons-lui de s'être mise au yoga histoire de se détendre quelque peu !

Beryl Patmore (Lesley Nichol). L'évocation de cette cuisinière truculente me conduit à saluer la réussite de casting, car la comédienne a plus que jamais le physique de l'emploi ! C'est d'ailleurs tout à l'honneur de la série d'avoir donné la plupart des rôles à des acteurs pas vraiment connus du grand public. Quoi qu'il en soit, difficile de résister à Mrs. Patmore, une femme attachante par sa grande simplicité, et qui semble un peu perdue avec l'arrivée de tous ces nouveaux appareils dans sa vie. Ses meilleurs moments sont ceux avec ses supérieurs hiérarchiques, principalement le comte qui lui paie son opération de la cataracte avant de faire tout son possible pour honorer la mémoire de son neveu fusillé pour lâcheté sur le front. Son dialogue avec Mr. Carson pour aider son amie Mrs. Hughes à obtenir une réponse sur un sujet très délicat est quant à lui à mourir de rire devant sa gêne et sa maladresse avérées ! Bref, si elle est souvent assez bourrue envers ses subalternes tant il y a à faire en cuisine, Mrs. Patmore a évidemment trop grand cœur pour qu'on puisse ne pas l'apprécier.

Daisy Robinson (Sophie McShera). À l'inverse, l'aide-cuisinière de Mrs. Patmore est l'un des personnages principaux que j'ai le moins aimés. Certes, Daisy est honnête et refuse de mentir à un homme qu'elle n'aime pas, mais en dehors de ce trait de caractère positif, elle n'est jamais loin d'être hargneuse, parlant très mal aux autres, y compris à son employeuse pour un propos qu'elle avait mal interprété. Ses interventions provoquent toujours un certain degré d'embarras, mais sans jamais une once de comique, ce qui est assez glaçant. Savoir que Daisy fait des efforts pour réussir un certificat d'études redore tout de même son blason, même si le scénario nous prive de la voir à la tâche, ce qui est dommage. Une scène où on la verrait, anxieuse, se présenter à l'examen n'aurait pas été de trop.

Joseph Molesley (Kevin Doyle). L'un des personnages qui évolue le plus au cours de la série, Mr. Molesley met six saisons avant de trouver sa place dans la société, ce qui lui donne pas mal de grain à moudre. Apparaissant d'abord comme un valet hyper coincé que son travail rend impersonnel, ses revers de fortune après la mort de son maître font naître en lui un sérieux désespoir qu'il tente de dissimuler sous la livrée d'une grande dignité, sauf lorsqu'une méchante domestique le piège et qu'il finit ivre sur la piste de danse ! Cela le rend finalement humain et touchant, surtout dans la dernière saison où il trouve enfin sa véritable vocation. L'arrivée de Phyllis Baxter lui permet surtout de révéler sa profonde générosité, preuve qu'il ne faut jamais s'arrêter aux apparences, même si certaines personnes paraissent excessivement ternes au premier regard.

Phyllis Baxter (Raquel Cassidy). La remplaçante d'O'Brien est tellement lumineuse qu'on arrive à ne pas vraiment regretter la grande méchante des trois premières saisons. Baxter est elle-même victime des manigances de Thomas, mais elle a assez d'humanité pour ne pas lui en tenir rigueur et lui venir en aide dès qu'elle peut. La complicité qu'elle crée avec Mr. Molesley est également rafraîchissante, alors que ses fêlures secrètes se rouvrent au grand jour. Son plus grand moment est celui des confessions à Cora, où elle se montre à la fois digne et dévastée, mais j'ai également apprécié les instants plus subtils avec les Bates, dont elle tente de se rapprocher par pure gentillesse, mais qui ne peuvent s'empêcher de se méfier d'elle à cause de ses liens troubles avec Barrow. Ce personnage était décidément une très belle trouvaille pour donner du cachet aux dernières saisons.

Mr. Mason (Paul Coplay). Le père de William n'est pas employé au château, mais on l'entrevoit assez après la guerre pour apprécier cet homme simple et hautement sympathique, qui souffre de la mort de son fils et cherche à se rapprocher de Daisy, dont William était épris. Il est toujours de bon conseil et agréable, apparaissant comme l'un des personnages les plus aimables de la distribution.

William Mason (Thomas Howes). Sa mort à la guerre l'empêche d'être développé autant que les autres, mais il fallait bien que ce drame affecte la série de toute manière. Ce valet de pied un peu naïf est empli d'illusions, ce qui crée toujours des quiproquos un peu gênants, bien qu'il reste un personnage sympathique au demeurant.

Gwen Harding (Rose Leslie). Cette femme de ménage aussi sympathique qu'Anna fait tout son possible pour réaliser son rêve de devenir secrétaire. On suit ses mésaventures avec grand intérêt dans la première saison, d'autant que sa complice dans cette recherche d'emploi est la très progressiste Lady Sybil, avec qui elle rentre de nuit dans la boue suite à un accident de transport. Lorsqu'elle revient dîner avec les Crawley en tant que directrice d'une institution, cette nostalgie embarrassante est criante de vérité, quand on voit le chemin parcouru depuis son émancipation, par rapport à ses anciens amis qui n'ont pas évolué dans leur statut social.

Ethel Parks (Amy Nuttall). D'abord peu sympathique à trop vouloir franchir les limites avec la notion de respectabilité, Ethel devient l'un des personnages les plus tragiques et touchants de la série suite à sa déchéance. Les drames qu'elle vit à cause des Bryant donnent à l'actrice beaucoup de jeu dans le drame, ce qui aurait dû lui valoir une nomination pour la troisième saison. On espère que le dénouement de son histoire, cruel bien que ça reste la meilleure solution en l'état, lui apporte un peu de sérénité.

Andrew Parker (Michael C. Fox). Ce jeune homme timide mais volontaire souffre d'illettrisme, ce qui le rend assez touchant bien qu'il n'intervienne que dans la toute fin de la série. Je m'étonnais d'ailleurs que ce problème n'ait pas encore été abordé, à voir tous les domestiques, même ceux originaires du monde paysan comme Gwen, parfaitement lettrés dès la première saison. Sa méfiance envers Barrow est également digne d'intérêt.

Septimus Spratt (Jeremy Swift). Nous supposerons que Julian Fellowes a choisi d'accorder une place aux domestiques de Lady Violet afin d'apporter un peu d'humour après les drames de la troisième saison, mais je ne crois pas que Spratt et Denker soient un atout de choix pour la série. Leurs interactions emplies de mesquineries tournent très vite à la comédie de boulevard, ce qui emporte la comtesse dans le même mouvement, mais c'est là une chose qui n'a pas sa place dans l'univers racé de Downton Abbey. Que Violet soit aristocratiquement drôle, cela va de soit, mais qu'elle se retrouve à arbitrer les conflits du personnel comme une maîtresse d'école, voilà qui va trop loin. Au moins, Spratt tient sous le sceau du secret la rubrique mode d'un grand magazine, histoire d'ajouter un peu de camp au salon de Violet !

Gladys Denker (Sue Johnston). Même remarque que précédemment. Sauf que Denker n'a même pas le mérite de savoir faire quelque chose de ses dix doigts, à part savoir compter des valises. En dehors de ça, elle ne sait pas cuisiner et passe tout son temps libre à médire sur autrui, faire chanter son prochain, dépenser des sommes folles au casino et rentrer ivre morte au petit matin. Ça change d'O'Brien (!), mais impossible de croire qu'une mégère pareille ait pu réussir un entretien d'embauche !


Autres personnagesVera Bates (Maria Doyle Kennedy) : la jolie Catherine d'Aragon des Tudor est ici transformée en harpie psychotique qui va jusqu'à se suicider pour continuer à pourrir la vie de son mari. Ce n'est clairement pas le personnage le plus subtil ou féministe de la série, bien qu'elle donne beaucoup de jeu à ses partenaires. Henry Lang (Cal MacAninch) : un valet touchant car traumatisé par la guerre, qui permet également de révéler la sensibilité insoupçonnable d'O'Brien. Jane Moorsum (Clare Calbraith) : une femme de ménage très attachante, qui s'efface de bonne grâce malgré la tentation que lui inspire le maître de maison en temps de guerre. May Bird (Christine Lohr) : la cuisinière d'Isobel ne se laisse pas marcher sur les pieds, mais reste intéressante en créant une complicité improbable avec Mrs. Patmore pour la bonne cause. Alfred Nugent (Matt Milne) : un valet de pied qui ressemble trop à William Mason pour se démarquer, malgré ses exploits dans le monde culinaire de luxe. James Kent (Edward Speleers) : un valet de pied très moche, qui passe curieusement pour le plus bel homme du comté alors que son unique exploit est de se taper Caroline Bingley ! Son arrogance n'aide pas à lui faire gagner des points. Ivy Stuart (Cara Theobold) : une jolie aide-cuisinière, trop jeune pour savoir ce qu'elle veut vraiment, et donc trop fade pour captiver. Mais elle sait rester digne face aux grognements de Daisy, ce qui est une bonne chose.

Edna Braithwaite (MyAnna Buring) : une sous-O'Brien méchante et sans charisme, qui tente de coucher avec le patron ou de saboter le travail d'Anna, et qui revient pourrir la série tel le Covid après le creux de la vague ! On attend son départ avec impatience ! Mr. Green (Nigel Harman) : le pire personnage de la série s'en prend à la personne la plus attachante du château. Son assassinat par une ancienne victime n'est que justice. Rita Bevan (Nichola Burley) : une maîtresse-chanteuse sotte comme un panier, qui se pavane tout sourire dans le parc devant Mary, et qui repart avec moitié moins de ce qu'elle avait voulu. Bingo ! Timothy Drewe (Andrew Scarborough) : un homme simple attaché à sa terre, et finalement touchant car à la fois aimant envers sa femme et sa fille adoptive, mais à la fois sensible au désespoir d'Edith. Savoir qu'il finit viré comme un malpropre de sa ferme sur un caprice des Crawley est sûrement le dénouement le plus odieux de la série. Margie Drewe (Emma Lowndes) : même si la douleur d'Edith est émouvante dans l'affaire Marigold, la dévastation de Margie, avec qui les autres personnages jouent un jeu dangereux, est tout simplement tragique.



Conclusion


Après ce passage en revue, je réalise que la série doit vraiment son succès à cet habile mélange de caractères variés et affirmés, des domestiques terriens et sympathiques aux aristocrates hautains mais amusants. Les valeurs d'entraide et de fraternité partagées par nombre d'entre eux donnent beaucoup de chaleur à ce petit monde malgré les drames qui se jouent en arrière-plan, d'où l'impression très positive qui se dégage de cette première découverte malgré un scénario parfois exaspérant de facilité. Downton Abbey n'est pas une série très réaliste par rapport à la tolérance dont font preuve les héros à propos de sujets tabous, mais sous le manteau du siècle passé, elle nous parle évidemment beaucoup à notre époque. Impossible de ne pas aimer, donc. Le coffret de disques me tend les bras, je sens que je ne vais pas résister longtemps !

dimanche 10 juillet 2022

Peyrusse-le-Roc


Comme je le disais en mai, j'ai eu l'occasion d'aller pour la première fois en Aveyron ce printemps. Et j'ai tellement adoré ce voyage que j'ai eu la chance d'avoir au moins un coup de cœur par jour, chose qui ne m'était pas encore arrivé, pas même en Auvergne l'année dernière. Je suis notamment ravi d'avoir découvert la cité médiévale de Peyrusse-le-Roc dans le nord du département, d'autant que celle-ci n'était pas du tout prévue au programme : mon guide ne faisait que l'évoquer en un unique paragraphe sans illustration, tant et si bien que j'aurais pu totalement passer à côté, si un panneau salvateur ne m'avait invité à m'y rendre alors que je n'étais qu'à moins d'une dizaine de kilomètres.



Bien m'en a pris, car c'est à mes yeux le site le plus exceptionnel de cette partie du Rouergue, devant les bastides de Villefranche et Villeneuve, et devant les villages de Conques et Belcastel. Le plus surprenant est que ces ruines qui s'étagent le long d'une colline fort boisée se visitent gratuitement ! Je suis contre le capitalisme, mais quand une municipalité se retrouve avec autant de pierres historiques, d'eau et de verdure concentrées au même endroit, il est incroyable qu'elle ne cherche pas à en profiter financièrement. Cela dit, tant mieux pour nous et notre porte-monnaie, et surtout, tant mieux pour ces lieux magiques qui semblent encore épargnés par l'affluence de touristes, mais il faut dire que je les ai vus hors saison, d'où cette impression d'émerveillement total. Moi qui regrettais d'avoir dû annuler ma visite des Tours de Merle en avril, j'ai l'impression d'en avoir trouvé l'équivalent en Aveyron, et ce par le plus grand des hasards!


Si le village de Peyrusse-le-Roc se découvre plaisamment avec sa vieille porte fortifiée et sa maison à colombages faisant face à l'église, ce sont bien les ruines de la cité médiévale à flanc de colline qui en font un site d'exception, à commencer par le château inférieur que j'ai choisi en guise d'illustration. Édifiées sur le roc del Thaluc, ces deux tours de guet des XIIe et XIIIe siècles témoignent de la richesse de la cité, qui non contente d'être le chef-lieu du plus grand baillage du Rouergue, était surtout le centre d'exploitation de mines d'argent et de plomb. J'aurais bien aimé m'approcher davantage de ces ruines, mais ce fut impossible : les escaliers sont tellement à la verticale qu'ils ressemblent avant tout à une échelle, tant et si bien que j'ai commencé à avoir le vertige dès la troisième marche. À la place, je me suis rattrapé avec le beffroi, directement situé sur le chemin au cœur de la forêt, et bâti dans le même style que ses jumelles rocheuses. La promenade conduit ensuite à un mausolée du XIVe siècle dit « tombeau du roi », avant d'aboutir aux lieux de culte, dont l'église Notre-Dame-de-Laval, ici photographiée.


Remarquable par ses chapelles survivant au milieu des herbes folles, cette église reste un lieu envoûtant, à la fois baignée par la lumière d'un soleil matinal tout en restant dans l'ombre du roc del Thaluc. La communauté catholique, évidemment majoritaire à l'époque médiévale, n'était cependant pas la seule qui s'exprimait dans la place, puisqu'une tour très sombre en contrebas aurait, d'après les archéologues, servi de synagogue à une minorité juive. J'y ai brièvement passé la tête pour tenter de l'admirer, mais la montagne fait tellement d'ombrage à cet édifice que je m'y suis senti mal à l'aise. Avec ses fougères peinant à capter la lueur du jour, on a le sentiment que quelque chose d'assez sinistre s'est déroulé dans cette tour, ce qui n'invite pas à y séjourner longtemps quand on y est seul.


Plus lumineux au petit jour, mais offrant un visage tout aussi terrifiant, l'hôpital des Anglais se distingue quant à lui par sa cheminée du deuxième étage encore intacte et son conduit cylindrique s'élevant en pleine nature. Un acte notarié heureusement conservé démontre que l'hôpital était en service dès le XIIIe siècle. Le chemin contourne le monument pour en permettre l'accès par le bas : l'ambiance au milieu de ces très hautes ruines recouvertes de lierre est indéniablement magique. Reste à savoir s'il convient mieux d'y faire de la magie blanche ou de la magie noire : les deux sont tout à fait possibles vu l'aura mystique qui se dégage de cette cheminée perdue au milieu des arbres. Les bonnes âmes pourront de toute manière conjurer le mauvais sort en se réfugiant dans la chapelle Notre-Dame-de-Pitié juste à côté, mais qui n'a pour sa part rien de médiéval puisqu'elle date du XIXe siècle.


Cela nous conduit tout en bas de la colline, sur les rives de l'Audierne, un joli ruisseau qui nous plonge lui aussi dans un univers fantastique grâce à son chaos de pierre d'où jaillissent de petites cascades. En enjambant celles-ci, on finit par arriver au pont du Parayre, une construction romane qui permet de connecter la rivière à la ville haute en passant par la maison du meunier. Le son de l'eau autour de cette belle arche cernée par le feuillage ajoute une fois encore à la féérie des lieux.


Un oiseau mystique se cache sur cette photo. Sauras-tu le retrouver ?


Après une longue remontée au milieu des arbres, on revient au village actuel qui contient lui aussi les vestiges de bâtiments anciens. C'est le cas de la porte de la Barbacane, une belle porte fortifiée évoquant celle du château sur la place principale, et qui servait pour sa part à contrôler les entrées et sorties des habitants du temps jadis, avec en prime un assommoir pour limiter les risques d'invasion.


Comme on l'a vu, Peyrusse-le-Roc était une riche cité argentifère qui n'a pas manqué d'attiser la convoitise, et qui était bien entendu une place d'échanges commerciaux de la plus haute importance. C'est ce dont témoignent les arcades du marché couvert, à proximité de la porte de la Barbacane, où se tenaient les nombreuses foires annuelles et les deux marchés hebdomadaires. La concurrence avec les riches minerais du Nouveau Monde finit par entraîner le déclin de la ville médiévale, qui fut totalement abandonnée au cours du XVIIIe siècle. Les merveilleux vestiges qui subsistent rappellent heureusement les très riches heures de Peyrusse-le-Roc, tout en lui conférant une aura glaçante et envoûtante à la fois. Ce détour vaut nettement mieux que ce qu'en disent les guides : c'est un lieu touristique exceptionnel qui se doit absolument d'être vu, et ce au ralenti afin de bien s'imprégner de son atmosphère unique en son genre. Prévoir une matinée entière pour flâner le long des vieilles pierres et des cascatelles perdues dans la verdure n'est pas de trop.