mercredi 30 novembre 2022

Clartés funèbres


J'ai déjà bien parlé de mon attachement à ma région natale, encore très méconnue malgré nombre de paysages variés et de sites pittoresques, mais je n'ai pas encore évoqué le quatrième département la composant. Alors, pourquoi ne pas commencer par le commencement, avec la nécropole néolithique de Bougon ? Ce lieu envoûtant regroupe un ensemble de cinq tumuli : les plus anciens, E et F, furent construits dès le début du Ve millénaire avant notre ère, mais furent utilisés jusqu'au IVe voire IIIe, tandis que les plus récents, A, B et C datent de la fin du Ve millénaire ou du début du IVe. La sixième formation, identifiée par la lettre D, n'est pas un tumulus à proprement parler car elle n'a pas la forme d'un tertre, mais cette ligne n'en conserve pas moins tout son mystère, car on ne sait toujours pas à quoi elle a pu servir. Certains spécialistes imaginent qu'elle faisait figure de ligne de démarcation entre les tumuli les plus anciens et les structures plus récentes, tandis que d'autres se demandent si elle servait au contraire de liaison entre plusieurs monuments. Se pose également la question sociale : matérialisait-elle une frontière entre deux strates d'individus inhumés en des endroits différents du site ? Difficile pour les archéologues d'apporter des réponses à ces interrogations. Cela n'empêche nullement la visite d'être ô combien palpitante ! J'éprouve une fascination irrépressible pour les mégalithes, aussi est-ce une chance de venir d'une région où une nécropole aussi ancienne a pu être si bien conservée.


On pénètre dans la place par le musée, installé dans un joli prieuré cistercien dont une partie est recouverte par la verrière des salles d'exposition, où l'on peut admirer les fragments de poteries et d'outils découverts dans la nécropole lors des fouilles des années 1840 et 1970-1980. Et croyez-le ou non mais, alors que tous mes amis restent persuadés que j'ai vécu à des époques antérieures étant donné ma passion pour les choses anciennes, il n'en a pas été de même pour la guichetière qui m'a demandé… si j'avais la carte étudiant ! L'ironie du sort est que j'avais bel et bien découvert le site avec un tel passeport… onze ans auparavant !


Ayant opté pour la visite libre, je pris donc le chemin de la nécropole sous un soleil éclatant du mois de mai, avec la sensation grisante d'être seul au monde. En vérité, le site a trop accueilli de corps et d'âmes pour qu'on se sente réellement isolé, notamment à l'intérieur des tombes où certaines présences se font clairement ressentir. Mais cette compagnie des temps jadis m'agrée mieux que celle des touristes contemporains, aussi ne m'en plaindrais-je pas. La promenade au-milieu des herbes folles est d'ailleurs des plus relaxantes, tandis que se profilent à l'horizon le village néolithique reconstitué, ainsi que le chemin de bois sur lequel repose une gigantesque dalle de 32 tonnes. Ce parcours fut construit par les scientifiques pour estimer s'il était possible de déplacer les mégalithes de cette manière afin d'établir la base des tumuli. L'expérience la plus récente a prouvé qu'il est possible de déplacer cette dalle à l'aide de seulement quinze personnes, à condition que des leviers soient installés dans les perforations des rondins de bois. Les ancêtres du temps jadis n'avaient pas peur de faire de l'exercice !


Après avoir contourné le village, le sentier conduit au somptueux tumulus A, l'un des plus photogéniques du site. Construit à la fin du Ve millénaire avant J.-C., il présente une forme circulaire de 40 mètres de diamètre et renferme une chambre sépulcrale longue de presque 8 mètres. Les piliers du dolmen sont quant à eux hauts de 2,25 m et soutiennent une dalle pesant pas moins de 90 tonnes.


Les couches successives indiquent que le tumulus fut utilisé à différentes époques du IVe millénaire. Un grand nombre de corps, possiblement 200, y furent retrouvés, dont certains crânes trépanés. Les archéologues y collectèrent de même un matériel abondant, parfois en excellent état de conservation, avec entre autres des céramiques, des parures de coquillages ou de dents d'animaux, des épingles en os, des pointes de flèches en silex et même une hache-marteau. Malgré sa vocation funéraire, le tumulus A n'a rien de lugubre, ni dans la chambre aux piliers parfaitement taillés, ni à l'extérieur. Les coquelicots qui ornaient ses trois parements cet été ajoutaient assurément des couleurs chaleureuses au tertre.


Je passerai plus rapidement sur le tumulus B, très accueillant grâce à sa petite taille, et divisé en deux dolmens où l'on retrouva des calottes crâniennes disposées selon un alignement intrigant. Manière ancienne, peut-être, de pratiquer la réduction de corps pour faire de la place au cours des siècles suivants. Cette structure n'est pas sans évoquer le tumulus E, également construit au Ve millénaire avant J.-C. mais plus vieux que le B, et qui se compose lui aussi de deux dolmens fortement remaniés au fil des ans. La formation E est la plus dégradée du site : la couverture a entièrement disparu, tant et si bien que l'on visite désormais les chambres funéraires à l'air libre. Rien à voir avec le tumulus C, ici photographié, dans lequel on ne peut pas entrer mais qui reste absolument spectaculaire vu de l'extérieur, grâce à un dôme marquant l'aboutissement de trois phases de construction. De forme circulaire, la tombe originelle du IVe millénaire fut ainsi complétée par une forme rectangulaire, ces deux structures ayant fini par être recouvertes par un tertre conique sans parement extérieur. Cette dernière phase aurait servi à la condamnation définitive du tumulus.


Aux côtés de la formation A, le tumulus le plus admirable du site reste le F, qui non content d'être impressionnant à bien des égards a aussi l'insigne honneur d'être le plus ancien de l'ensemble de la nécropole. Long de 72 mètres, il se compose de trois parties : celle d'origine est le tumulus F0, l'une des plus anciennes constructions de la façade atlantique que l'on a pu recenser, et que l'on peut admirer dans toute sa splendeur grâce aux trois parements concentriques qui s'élèvent au-dessus d'une chambre de 2,50 mètres de diamètre.


À partir de là fut bâti le tumulus F1, reconnaissable entre mille par sa forme longue laissant se superposer plusieurs massifs quadrangulaires.


On ajouta au IVe millénaire avant notre ère le tumulus F2, répondant par jeu de symétrie à la structure F0 quoique d'une forme différente.


F2 est sûrement le tumulus le plus angoissant de la nécropole : autant je me suis senti plutôt bien à l'intérieur des autres, autant celui-là dégage quelque chose d'extrêmement néfaste, qui donne vraiment envie de s'enfuir en courant. Surtout lorsque le regard se porte vers le coin le plus à gauche après l'entrée. Un événement déplaisant, autre que de simples funérailles, semble s'y être passé. Dès lors, mieux vaut se tourner vers la sortie au plus vite.


Par bonheur, afin de terminer ce parcours sur une note plus avenante, notons qu'une chose qui n'a pas changé en 7000 ans, c'est l'ardeur des insectes à butiner les fleurs. Le printemps est décidément la période idéale pour visiter des lieux un peu lugubres de prime abord. Tout cela me donne envie d'aller en Bretagne voir les célèbres cairns du Morbihan. Affaire à suivre.

dimanche 27 novembre 2022

Bestia


Pour oublier les navets de notre époque, il est parfois bon de revenir aux origines. Cela tombe bien : j'ai eu la chance d'ajouter deux Pola Negri inédits à ma collection cette semaine. J'ai d'abord sauté sur l'occasion lorsque j'ai réalisé que La Danseuse espagnole (1923), qui n'existe que dans une cinémathèque d'Amsterdam, est actuellement visible en ligne, quoique pas dans une version restaurée. J'évoquerai peut-être ce film plus tard, mais aujourd'hui, je commence avec Bestia (1917), la seule œuvre polonaise de la dame ayant survécu jusqu'à nos jours. Ce film d'Aleksander Hertz fut tourné à Varsovie durant l'année 1916, alors que la jeune actrice n'avait que 19 ans. On y suit l'histoire d'une héroïne également prénommée Pola, et qui lasse du climat délétère régnant chez ses parents, s'enfuit trouver du travail comme danseuse à la capitale. Elle abandonne ce faisant son petit ami de la campagne, avant de s'éprendre sincèrement d'un riche citadin, qui se garde bien de lui dire qu'il est déjà marié…

En polonais, Bestia signifie bête, ou brute, ce qui reflète bien le comportement des hommes du film, entre un père violent et un compagnon qui force la jeune femme à faire des choses contre son gré, sans parler de l'amant qui cause bien du dégât autour de lui quoiqu'il ne soit pas physiquement violent. Le film a également été sous-titré Kochanka apasza, ce qui désigne la danse apache, une valse chaloupée qui faisait fureur à la fin de la Belle Époque, et où les danseurs symbolisant un truand et une prostituée donnaient l'impression de se frapper et de s'humilier mutuellement, généralement en faveur de l'homme qui cherchait à détruire sa partenaire d'une manière chorégraphiée, d'après les mots d'Irene Castle. L'histoire s'inscrit donc dans la violence, ce qu'illustre la scène centrale du film où Pola et son collègue se lancent dans un duo torride armés d'un fouet, ce qui fait sensation dans les cabarets de Varsovie et permet à l'héroïne de gagner de multiples admirateurs.

Cette séquence sulfureuse donne surtout à la comédienne l'occasion de montrer ses talents de danseuse, elle qui avait commencé sa carrière aux ballets impériaux de Varsovie, avant qu'une tuberculose heureusement bien soignée ne l'obligeât à se tourner vers le théâtre. Ce fut un heureux dénouement pour tout le monde, car Pola était faite pour le cinéma : Bestia n'était que son cinquième film, et le premier qu'il nous reste par ordre chronologique, et force est de reconnaître qu'elle crève déjà l'écran comme la star qu'elle allait devenir de l'autre côté de l'Oder. Elle fait son entrée en scène à genoux, à côté d'un chien qui a l'air plus grand qu'elle, et pourtant elle dégage tant d'énergie qu'on ne voit qu'elle, même lorsqu'elle se roule par terre sous la truffe du pauvre animal qui se demande bien comment lui donner la réplique ! Dans la séquence suivante, elle est l'une des invitées d'un pique-nique au bord de l'eau avec ses amis apaches, et là encore, on est subjugué par sa présence alors qu'elle n'est qu'un élément d'un tableau parmi une dizaine de comédiens. Mais voilà : son costume d'étudiante lui va à ravir, et sa joie de vivre qui n'a pas peur de pencher vers une légère vulgarité reste incandescente, surtout lorsqu'elle invite l'assemblée à valser au milieu des herbes folles.

Ainsi, énergie et charisme sont bel et bien au rendez-vous. Mais ce qui est toujours fabuleux avec Pola, c'est qu'elle ne s'est jamais contentée de n'être qu'une vedette : les nuances de jeu sont totalement perceptibles dans son interprétation, le tout sans jamais verser dans le surjeu mélodramatique de certains de ses collègues, à la différence de Maria Dulęba qui incarne la femme trompée, parfois d'une manière retenue et convaincante, mais qui se tortille tout de même sur sa chaise d'une manière inappropriée à l'annonce d'une mauvaise nouvelle. Sans atteindre encore les sommets de Sappho ou de La Comtesse Voranine, Pola nous paraît cependant beaucoup plus moderne, et ce alors que nous n'étions que dans le cinéma muet des années 1910 ! Ses deux petits défauts sont de se passer trop régulièrement la main sur le front quand son personnage doute, et de garder un air d'abattement un peu trop visuel sur son lit devant ses parents, mais en dehors de ça, elle communique à la perfection toutes les émotions qu'on attend d'elle sans en faire trop. La gravité qu'elle conserve devant sa famille, puis le sentiment de se sentir prise dans le piège tendu par son petit ami, sont ainsi joués avec une réserve de bon aloi, ce qu'elle contraste d'ailleurs avec l'énergie qu'on lui connaît en montrant au public que son personnage n'est jamais dupe et a encore plus d'un tour dans son sac. La scène où elle fait boire Dymitr, tout en jetant le contenu de son verre devant la caméra alors qu'elle a dans l'idée de s'échapper, pousse notamment le génie à montrer une incursion dans le comique, alors que la situation n'est vraiment pas drôle pour l'héroïne. On retrouve ces mêmes contrastes très innovants dans le reste de sa performance, puisqu'elle conserve la dignité de la jeune fille bien élevée qu'elle a été, se tenant droite avec un port de tête racé, même lorsqu'elle pose comme modèle et qu'elle s'amuse avec des chapeaux, et surtout lorsqu'elle reçoit dans sa chambre en négligé à la manière d'une grande étoile qui n'est heureusement pas arrogante. La sincérité de son amour envers Aleksy est quant à elle poignante, car même si elle prend plaisir à s'adonner avec lui au jeu de la séduction, elle le croit vraiment sincère et ne tombe donc jamais dans la caricature de la vamp croqueuse de diamants.

Ce qui est très dommage en revanche, c'est que l'histoire s'écarte de l'héroïne à mi-chemin, pour se recentrer sur la famille d'Aleksy en train d'éclater. Il eut été préférable que Pola restât le personnage central jusqu'à la fin, car lorsqu'elle tire sa révérence, on n'a pas assez vu en quoi la tromperie de son amant l'a affectée. Un mot griffonné sur du papier froissé nous apprend bien qu'elle veut mettre fin à sa relation, tandis que l'annonce faite sur la situation matrimoniale de l'être aimé la voit s'effondrer sur son lit, pour le coup avec trop de retenue pour être absolument convaincante, mais il n'en reste pas moins que Pola a déjà quasiment disparu de l'intrigue à ce moment-là. Cela rejoint le déclin amorcé par le scénario à mi-parcours. En effet, pour être un grand admirateur des films suivants tournés par la dame, Pola m'a toujours surpris par sa capacité à incarner des femmes n'hésitant pas à bousculer les conventions pour obtenir ce qu'elles veulent, sans pour autant payer un tribut à la morale bourgeoise en vigueur. Ce n'est pas le cas ici. Bestia pousse même le vice à nous faire croire que le scénario est féministe, à montrer comment une jeune femme qui cherche simplement à profiter de la vie va réussir à s'émanciper d'un père violent et d'un petit ami prêt à tout pour la prendre de force, puis comment elle va parvenir à gagner un bon salaire sans avoir besoin d'être entretenue par les riches hommes de la capitale, avec lesquels elle se sent d'ailleurs à égalité. Elle ne cherche notoirement pas à épouser Aleksy parce qu'il est riche, mais parce qu'elle en est tombée amoureuse, tant et si bien que lorsqu'elle le quitte, c'est qu'elle envisage de continuer à vivre sa vie par elle-même, dans le logement qu'elle peut se payer grâce à ses revenus propres.

Malheureusement, cette liberté nouvellement acquise est rapidement sacrifiée sur l'autel de la morale chrétienne, le film devenant carrément misogyne à la fin puisque seules les femmes paient le prix fort. Les hommes peuvent continuer à mentir, cogner ou tuer, aucun d'entre eux ne connaît un dénouement aussi sinistre que leurs compagnes. Les choses sont tout de même un peu plus complexes que cela avec le personnage de l'épouse, qui se laisse certes mourir de chagrin dans des souffrances très paternalistes, mais qui a toutefois assez d'aplomb et de personnalité pour accorder le divorce à un époux qui l'a toujours trompée. Lorsque Sonya revient vivre chez sa mère, l'image qu'elle forme avec elle et sa fille renvoie peut-être à une sainte trinité virginale assez conservatrice, mais on peut aussi songer qu'il s'agit là d'un trio matriarcal où toutes les générations sont prêtes à s'entraider, ce qui n'est pas le cas des autres relations montrées par l'histoire, qu'elles soient amoureuses ou familiales, puisque la figure violente d'un homme est toujours là pour semer le trouble. Il n'empêche que faire disparaître les deux personnages féminins principaux, même si c'était pour dénoncer la cruauté induite par les hommes, reste profondément misogyne. Il est tout de même assez intéressant de noter que Pola n'est pas une tentatrice venue de loin briser un ménage, et qu'elle est au contraire une femme profondément sincère tout comme l'est Sonya. Ce sont bien les mensonges et les non-dits d'Aleksy qui engendrent de la tristesse chez tout le monde. Et même si Dymitr cherche à punir son ancienne fiancée de l'avoir quitté en lui prenant son argent, le scénario prend quand même le parti de Pola en en faisant une femme intègre qui rembourse ses dettes, et qui s'était de toute manière échappée dans le seul but de se libérer du piège tendu par son ami en premier lieu. Quel dommage, dès lors, de la punir de la sorte alors qu'elle n'a jamais rien fait de mal à personne, comme si être devenue danseuse était déjà trop condamnable pour le public de l'époque, qui n'aurait apparemment pas supporté qu'une héroïne s'étant écartée « du droit chemin » s'en sortît indemne.

J'ai tout de même apprécié de découvrir ce film, ne serait-ce parce qu'il est toujours plaisant de poser les yeux sur des œuvres de plus d'un siècle, surtout lorsqu'il s'agit du moment exact où mon actrice favorite du cinéma muet s'est vue propulsée vers des sommets, d'abord en Allemagne, puis en Amérique. Et même si ce sont d'abord les collaborations à venir avec Ernst Lubitsch qui permirent à Pola Negri de devenir une grande star internationale, c'est aussi parce que ce film fut repéré par un producteur américain, pour une diffusion en 1921 soit l'année où l'actrice fut invitée à émigrer à Hollywood, que des copies de Bestia purent être sauvées de la disparition. Le superbe travail de restauration permet d'admirer de belles images, bien que la mise en scène d'Aleksander Hertz soit loin d'être aussi innovante que l'interprétation de la comédienne principale. Nous mentionnerons tout particulièrement les intertitres magnifiquement dessinés, avec des roses se fanant et des loups hurlant au clair de Lune. À noter également l'apparition de la danseuse Lya Mara, née la même année que Pola et qui devint l'une des grandes stars du cinéma muet allemand. Elle incarne l'artiste qui lance la danse apache en Pologne, et qui donne à l'héroïne, alors simple modiste, la furieuse envie d'en faire sa nouvelle profession. On aurait aimé voir les deux actrices se donner la réplique, mais cela ne m'a pas empêché de prendre plaisir devant ce film, auquel j'aurais tout de même souhaité une meilleure fin !

mardi 8 novembre 2022

Nullité des nullités, tout est nullité


Ce n'est pas bien de tirer sur l'ambulance, mais parfois, il faut aussi savoir abréger certaines souffrances. Cela étant dit, toutes les personnes ayant eu le malheur d'allumer un téléviseur en France ces trente dernières années savent que Josée Dayan est la personne la plus incompétente à s'être approchée d'une caméra, au moins pour le service public. En témoignent sa « somptueuse » adaptation des Rois maudits quand j'étais au lycée, avec ses ciels fluorescents sur un château roumain, et où Jeanne Moreau n'avait jamais été aussi mauvaise, ou encore son  « exceptionnelle » version des Liaisons dangereuses avec Catherine Deneuve qui s'ennuyait. Mais voilà, cette fois-ci, il y avait Isabelle Adjani, que je viens tout juste de découvrir dans un film algérien, Sœurs, où elle est excellente, de telle sorte que j'ai quand même voulu donner une chance à cette biographie de Diane de Poitiers. Sans surprise, ce téléfilm est une catastrophe abyssale, qui n'a même pas le mérite d'être lamentablement drôle : c'est d'une nullité crasse à tous les étages, du cadrage au découpage, en passant par l'écriture et l'interprétation. Et tout le monde est en cause ! Mais qu'attendre d'une réalisatrice qui a quand même réussi l'exploit de rendre laids Blois et Chambord ? Voici quelques cibles faciles sur lesquelles j'ai envie de me défouler, parce que ça fait du bien de se lâcher de temps en temps !

On notera d'abord que l'histoire de la célèbre favorite d'Henri II est introduite par un robot qui a raté le casting de Star Wars… Normal. Après Philippe IV le Bel dans la tour de Saroumane, on ne feindra même plus la surprise.

Plus grave, Isabelle Adjani est chiante comme la pluie. Elle promène pendant tout l'épisode la même mine de chien battu, pleurniche devant tous ses partenaires, et se laisse voler la vedette par chacun d'entre eux. Est-ce vraiment elle, la femme sublime et indépendante qui subjugue tous ses contemporains ? Même Éléonore de Habsbourg parvient à l'éclipser, il fallait le faire ! Ce qui ne manque pas de sel, c'est quand même lorsque François Ier lui avoue l'avoir rappelée à la cour afin qu'elle amuse son fils. Non mais ! À quel moment pense-t-on réellement se divertir avec la femme la plus dépressive et geignarde du royaume ?! Autant demander aux sœurs Brontë de monter une comédie musicale, ou à Greta Garbo d'animer un goûter d'anniversaire avec une classe de maternelle, tant qu'on y est !

De son côté, Julie Depardieu sort d'un trou (!), habillée comme Madame Mim qui aurait volé le scalp de Mylène Farmer ! Pour couronner le tout, elle se prend pour Jeanne d'Arc qui parle à Dieu, et qui prédit un destin fulgurant à la cavalière, en agitant ses mains pour lui poser un diadème fictif sur la tête. "Oh, mais je ne suis pas un ange, je suis une femme", répond mollement l'héroïne visiblement très concernée par la question…

Dans la même famille, notons que Josée Dayan ne sait pas que l'on peut se passer sans état d'âme des services du père, qui nous fait ici un Nostradamus de cirque. Le type a admis avoir participé à un viol, gagne des millions sans pour autant payer ses impôts et reste proche du dictateur russe, et il faudrait en plus souffrir sa présence dès qu'on regarde un film estampillé « français » ? Thank you, next.

Virginie Ledoyen est quant à elle très méchante ! Et pour être sûre qu'on ait bien compris qu'elle est très méchante, elle passe son temps à plisser les yeux en parlant comme une conspiratrice, répétant à toutes les séquences : "Ouh ! Je déteste Diane de Poitiers ! Je la hais ! Je la hais ! Je la hais ! Ouh !" Notez au passage que jamais le scénario ne s'intéresse à Diane elle-même, puisque tout tourne autour de la jalousie de la duchesse d'Étampes. À vrai dire, les femmes n'y sont jamais définies par leurs actes, leur esprit ou leur personnalité, puisqu'elles sont constamment réduites à leur physique. On ne pouvait pas faire plus misogyne. Même la pauvre Catherine de Médicis n'existe que par ses jambes. Pitié !

À ce propos : il n'y a pas d'âge pour être belle. Isabelle Adjani n'aime clairement pas le temps qui passe et il ne nous appartient pas de la juger. Elle reste libre de passer par le botox et la chirurgie si elle le souhaite. En vérité, je n'ai pas de problème avec le fait qu'elle ait trente ans de plus que le personnage : on vieillissait plus vite à la Renaissance, et quarante ans était déjà un âge mûr à cette époque. En outre, comme la dame est restée célèbre pour ses secrets de jouvence, je trouve l'actrice finalement bien distribuée dans ce rôle de femme très belle malgré les années qui s'égrènent. Si seulement elle faisait autre chose que du Isabelle Adjani "dépressive-pas-spécialement-folle-mais-un-peu-perdue-quand-même" ! Surtout que Diane de Poitiers, maîtresse-femme s'il en fût, méritait clairement une autre interprétation. Rendez-nous Lana Turner, vraiment.

Je suis par ailleurs assez surpris, mais Jeanne Balibar fait plutôt honneur à mon idole Marguerite d'Angoulême. Elle garde une certaine prestance malgré la théâtralité exacerbée des dialogues nullissimes qu'on lui fait dire, tant et si bien que j'aurais clairement préféré suivre son histoire à elle, ou à défaut le destin d'Éléonore de Habsbourg, épouse délaissée mais lucide sur sa situation, avec un brin de cynisme à propos de son alliance ratée.

Dommage toutefois que même si deux comédiennes ne sont pas trop mauvaises, on ne parvienne jamais à entendre les fins de phrases de l'ensemble des interprètes. Je n'ai pas réussi à déterminer si c'est dû au traditionnel problème de diction propre au cinéma français ou au montage sonore, mais je crois bien que tout le monde est en cause dans ce marasme.

Du côté des hommes, le chanteur de NTM incarne une petite frappe qui deale du vitriol contre des diams. Merci pour ce glorieux cliché. Pour sa part, Jean-François Balmer est proprement immonde. Si tous ses collègues sont épouvantables autour de lui, il me semble bien n'avoir jamais entendu une interprétation aussi pénible. Et tout en admettant que l'inquisiteur se met volontairement en scène devant Diane, vu qu'il parle un peu plus normalement aux autres personnages, j'ai tout de même fini par enlever mon casque en attendant la séquence suivante tant sa diction était insoutenable.

Quoi qu'il en soit, le rythme général est d'un ennui à mourir. Ce projet est creux de bout en bout et peut être qualifié sans honte aucune de vaste fumisterie. Même les images sont laides à pleurer, en intérieur comme à l'extérieur, de telle sorte qu'il n'y a rien à sauver.

Les costumes de Dominique Borg, qui avait déjà croisé Adjani sur le tournage de Camille Claudel, me laissent quant à eux perplexe. On sait que les femmes du monde se masquaient à l'occasion jadis, mais de là à ressembler à des prostituées vénitiennes aux grandes réceptions… J'imagine que c'est un écho au masque noir de La Reine Margot, avec lequel l'héroïne allait faire le tapin dans les rues de Paris, sauf que Patrice Chéreau avait réussi à faire un chef-d'œuvre baroque il y a trente ans. Josée Dayan, elle, n'a rien appris en un demi siècle et continue à faire les mêmes erreurs d'année en année.

Et puis franchement ! Comment peut-on réduire une femme brillante, capable de transcender son époque, à une héroïne aussi lisse ! Son plus grand trait de caractère, c'est de pleurnicher pour la énième fois quand elle apprend que sa servante est devenue huguenote. Quel charisme, vraiment !

Conclusion : après l'immonde Marquise découverte l'an passé, cette Diane de Poitiers sera le nadir historique de l'année. Tout ce que touche Josée Dayan se transforme en boue, alors pitié, éloignez-la à jamais d'une caméra !!! Si on la laisse faire, elle va finir par pondre une histoire d'Isabeau de Bavière envoyant des gants empoisonnés à Jeanne d'Arc, avec Gérard Depardieu dans le rôle de Pierre Cauchon. Au secours ! Et pourquoi pas une biographie de Raspoutine avec l'inévitable Gégé, tant qu'à faire ? Oups, c'est déjà fait ! En attendant, Diane de Poitiers se voit recevoir un zéro pointé. Elle ne mérite même pas un centième de point. Et l'on fera évidemment l'impasse sur le deuxième épisode prévu la semaine prochaine, en tâchant d'oublier celui-ci au plus vite. Il est quand même grand temps que la bourgeoisie artistique française cesse de s'acheter le talent qu'elle n'a pas avec de l'argent public. Amen !