Angles-sur-l'Anglin
La Roche-Posay
Angles-sur-l'Anglin
La Roche-Posay
François Reynaert n'est pas historien, mais journaliste et écrivain. Ce n'est pas une raison pour conspuer ce livre : certaines de mes lectures scientifiques et historiques préférées sont d'ailleurs le fait de personnes non historiennes de formation, à l'instar du Bal des ardents (1977) de Pierre Gascar, ou de la saga des Reines de France (1994-2002) écrite par Simone Bertière. Je m'étais assurément beaucoup diverti à la lecture de Nos ancêtres les Gaulois et autre fadaises (2010), où l'auteur qui nous occupe aujourd'hui s'amusait à donner une autre perspective aux événements bien connus de notre histoire, soulignant par exemple la face très obscure du règne du Roi-Soleil, ou rappelant que le traité de Troyes n'était pas mal vu du tout par une partie de la population. On restait là encore dans de grandes lignes, et le journaliste n'inventait rien qu'on n'ait pas déjà lu chez les spécialistes de ces questions, mais le ton était assez enlevé pour passer un agréable moment, notamment lorsqu'il égratignait les arguments indiscutables de Jeanne d'Arc, qui aurait apparemment déclaré une rivale folle à lier parce que sainte Marguerite le lui avait certifié… À l'époque, je n'avais pas spécialement perçu que l'auteur était homosexuel : c'est parfaitement assumé dans sa biographie de Roger Casement, de telle sorte que je me suis retrouvé dans un cocon rassurant tout au long de ma lecture.
Je dois avouer qu'avant même de m'intéresser au consul irlandais pour ses actes héroïques, j'ai d'abord été attiré par son physique. Et je n'ai aucune honte à l'avouer : je fantasme sur les hommes élégants des générations précédentes, et les photographies de lui que l'on trouve en ligne, hormis celles de sa fin de vie où le poids des épreuves l'avait rattrapé, révèlent un homme brun extrêmement séduisant. C'était apparemment ce que tout le monde pensait à son époque : les artistes (Herbert Ward, Joseph Conrad) ou militants (Alice Stopford Green) cités dans l'ouvrage ont tous laissé de lui le témoignage de ses nombreuses séductions. C'est assurément l'aspect le moins intéressant de sa vie, mais force est de reconnaître que je me suis retrouvé sous le charme dès le début.
Le livre que j'évoque ce soir est découpé en trois parties, celles annoncées dans le titre. Né dans une Irlande elle-même colonisée par l'Angleterre en 1864, Roger Casement fut d'abord un héros britannique, parfaitement au service de la couronne anglaise, et gagna en renommée par ses enquêtes très courageuses au cœur de l'enfer congolais puis amazonien. Sur la question africaine, son expérience de terrain aboutit au rapport Casement (1903), un témoignage précieux mais terrifiant à propos des atrocités commises sur les autochtones dans la colonie de Léopold II de Belgique, ce qui contribua à faire bouger un petit peu les mentalités de l'époque. Il fit de même en Amérique du Sud, pour dénoncer la situation des Indiens du Putumayo, eux aussi tombés dans un esclavage particulièrement abject. Son rapport de 1911 lui valut d'être anobli, chose qui le mit en porte-à-faux avec ses propres opinions, puisqu'il était désormais tout entier acquis à la cause de l'indépendance irlandaise. Après avoir été porté aux nues, il fut donc considéré comme traitre dès que la Première Guerre mondiale éclata, puisqu'il chercha à obtenir l'appui de l'Allemagne dans la lutte irlandaise contre l'Angleterre. La plupart de ses amis se détournèrent de lui à cette occasion, et lorsqu'il revint clandestinement en Irlande dans le but d'enrayer à temps une mission qu'il considérait comme trop risquée, l'insurrection de Pâques, il fut immédiatement arrêté et condamné à mort pour haute trahison, avant d'être pendu en 1916. En outre, comme il était homosexuel et qu'il avait laissé des carnets décrivant de façon très crue l'intimité des hommes qu'il payait pour une nuit, il fut également épinglé comme sodomite, ce qui ne joua pas en sa faveur.
François Reynaert brosse le portrait de cet homme complexe, nous montrant comment ce personnage qui n'avait rien contre la marche du monde même dans les pires moments de la guerre des Boers, se montra finalement sensible à la cause des Congolais et des Indiens d'Amérique du Sud ; et comment un consul raffiné aux manières finalement très anglaises se prit de passion pour la cause irlandaise, quitte à y laisser sa santé alors que son séjour en Allemagne fut un fiasco de grande ampleur. Les deux premières parties sont très intéressantes pour en apprendre davantage sur cet homme atypique, la troisième s'écartant un peu plus du sujet principal pour devenir une sorte d'anthologie de l'homosexualité à la charnière des XIXe et XXe siècles (on y croise entre autres Oscar Wilde, puis Rupert Brooke et Siegfried Sassoon). Cela n'empêche nullement ce troisième acte d'être captivant en soi, même si le héros du livre n'y est plus qu'une silhouette parmi d'autres. Honnêtement, ces détours m'ont constamment tenu en éveil, y compris dans la partie africaine qui revient également pas mal sur les débuts de la colonisation européenne avant l'entrée en scène de Casement, mais également dans la partie irlandaise où l'auteur retrace l'histoire des drames vécus par les insulaires tout au long du XIXe siècle, dont la famine épouvantable des années 1840.
Comme je le disais, cet ouvrage est utile pour découvrir la vie de Roger Casement dans les grandes lignes, et à travers lui le récit des drames qui agitèrent son époque sur pas moins de trois continents. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé cette lecture : le livre est bien écrit (à l'exception d'une trop grande occurrence "d'autrement plus" que l'auteur finit par corriger dans la dernière partie), et c'est un ouvrage idéal pour appréhender l'histoire de ces contrées en langue française. J'aurais pourtant voulu passer plus de temps en compagnie du héros, mais tout se tient parfaitement en 300 pages. Comme pour de nombreux livres de vulgarisation, je regrette néanmoins l'absence de notes de bas de page ou de renvois en fin d'ouvrage, car j'aime bien savoir dans quelle archive on peut retrouver telle citation. Cependant, comme l'analyse psychologique reste passionnante, je me suis laissé prendre au jeu, acceptant la mise en perspective des complexités du personnage central, qui nous paraît à notre époque éminemment héroïque pour l'aide apportée à des peuples que la quasi totalité de ses contemporains regardaient de haut, mais qui en pur produit de son époque était aussi capable de remarques racistes à l'occasion, notamment lors de son arrivée au Brésil, et qui, comme quasiment tout le monde alors, ne voyait pas le problème de coucher avec des personnes parfois très jeunes, ce qui pour le coup nous paraît condamnable.
Ses actions héroïques et son courage exemplaire en font malgré tout un modèle gay des plus respectables à nos yeux. François Reynaert, très au fait de la perception négative de l'homosexualité à travers les âges, consacre d'ailleurs tout un chapitre de son livre au débat sur les fameux carnets noirs où Roger Casement compilait les détails de sa vie sexuelle. Il montre ainsi que certains de ses plus fervents partisans parmi les historiens ont soutenu l'idée que ces carnets avaient été écrits par Scotland Yard dans le but de perdre définitivement le héros, mais l'auteur explique en quoi ces théories sont fumeuses, d'autant que le pauvre homme avait été condamné à deux reprises, y compris en appel, de telle sorte qu'il paraîtrait bien fastidieux de la part de la police de produire de faux documents dans la perspective de contrer une déjà fort improbable grâce royale. Comme quoi, l'homosexualité reste considérée comme une tare par encore bien trop de monde, certains étant prêts à tout pour taire ce fait chez les personnes qu'ils admirent. C'est terriblement dommage.
Je ne sais pas trop quoi dire de plus sur cette lecture fort agréable sans trop en révéler, mais le livre vaut réellement la découverte, au moins comme première étape en français avant l'exploration des ouvrages anglophones sur lesquels l'auteur a le bon sens de donner son avis pour nous aiguiller, en fonction des sujets qui nous passionnent le plus. La vie de Roger Casement étant "digne d'un roman", il y en a effectivement pour tous les goûts, de la question coloniale terrifiante au sujet plus immédiatement parlant pour moi de l'homosexualité, en passant par l'histoire de l'Irlande et de son émancipation. J'ai terminé le livre avec l'envie d'en lire plus sur chacun de ces thèmes, ce qui en fait une réussite. Ce n'est pas un récit absolument scientifique dans la mesure où l'auteur donne constamment son ressenti sur les faits qu'il commente, mais c'est aussi ce qui fait son charme.
J'écris sur le vif : je souhaitais tellement qu'elle vécût centenaire que je n'imaginais pas rédiger un article en son honneur avant quelques années. Celui-ci sera dès lors un peu décousu, mais je tâcherai de lui rendre hommage au mieux, en bon souvenir du plaisir qu'elle m'a apporté en tant que spectateur.
Âgée de seulement 17 ans au début du tournage d'Hantise (1944), Angela se fit immédiatement remarquer dans le rôle d'une soubrette sournoise et retorse, qui n'hésite pas à humilier sa patronne, la frêle Ingrid Bergman, dans l'espoir de coucher avec le maître de maison, Charles Boyer, et d'en tirer quelque profit substantiel. Elle suggère tant de perversité, sans honte aucune, dans sa manière de se déplacer devant son employeuse qu'on n'est absolument pas surpris que l'époux l'ait sciemment recrutée dans le but de la torturer mentalement : la bonne est comme le mari, tous deux sont de petites frappes qui se donnent de grands airs alors qu'ils ne sont mus que par une chose, l'appât du gain. Le personnage est antipathique au possible, mais chapeau à la comédienne d'en avoir brossé un portrait sans concession, alors qu'il s'agissait là de son tout premier rôle au cinéma.
Elle plut tellement que les Oscars la citèrent dans leur palmarès de l'année. Un an plus tard, elle devint la plus jeune actrice à être nommée à deux reprises, grâce à son interprétation très différente de la délicate Sibyl du Portrait de Dorian Gray (1945). Si le film de Cukor était excellent, ce travail d'Albert Lewin est un chef-d'œuvre, à commencer par son atmosphère et sa décoration. Finalement trop raffinée pour la taverne dans laquelle elle chante, Sibyl est à l'image de l'oiseau jaune en cage que dénonce son numéro, puisqu'elle se retrouve prise au piège de ses sentiments pour un homme insaisissable qu'elle ne peut s'empêcher d'aimer. La scène où elle quitte son domicile, d'une démarche fatiguée qui annonce sa mort prochaine, reste l'un des grands moments de sa carrière.
Le milieu des années 1940 vit encore Angela apparaître dans des productions de prestige de la MGM faisant la part belle à la couleur, mais toute délicieuse soit-elle, elle n'est pas nécessairement le point de mire de ces distributions : Les Demoiselles Harvey (1946) reste avant tout un film de Judy Garland, tandis que Le Grand National (1944) reste centré sur la toute jeune Elizabeth Taylor, qui laisse elle-même Anne Revere s'emparer des scènes les plus émouvantes.
Désormais bien installée dans le paysage des seconds rôles de la MGM, Angela Lansbury fut distribuée dans tout un tas d'histoires diverses et variées, au service de stars bien connues du public. De la fin des années 1940, je n'ai malheureusement vu que ses films en costumes, dont Les Trois Mousquetaires (1948), où elle incarne une Anne d'Autriche plutôt volontaire, qui n'a toutefois pas le temps de faire le poids face à l'ouragan Lana Turner dans le rôle de sa vie, mais encore Samson et Dalila (1949), un énième péplum de Cecil B. DeMille qui mise tout sur la plastique d'Hedy Lamarr, laquelle pouvait néanmoins être bonne comédienne quand elle s'en donnait la peine. Je regrette de n'avoir qu'un souvenir assez flou de Bel Ami (1947), un film d'Albert Lewin un peu décevant après les sommets de Dorian Gray, mais de mémoire, Angela ne s'y reposait jamais sur ses lauriers et n'oubliait pas d'y composer un personnage captivant.
Son grand rôle de cette fin de décennie n'est pas costumé, à moins que l'on considère que l'hypocrisie propre aux élites politiques et médiatiques ne soit qu'un manteau tentant misérablement de masquer leur manque de talent. Il s'agit de L'Enjeu (1948), une nouvelle dissection politique de Frank Capra, où Angela donne la réplique au couple légendaire formé par Spencer Tracy et Katharine Hepburn. Elle y joue la redoutable directrice d'un grand journal républicain, qui tente de faire élire son amant président des États-Unis d'Amérique pour contrôler le pays à sa place ! Elle y est sans surprise magnétique : certes détestable, forcément, mais d'un charisme qui force l'admiration, et d'une aisance scénique tout autant sidérante, alors que ses grands partenaires ne sont pas au meilleur de leur forme.
Je suis un peu disqualifié pour commenter son parcours cinématographique durant cette décennie, car je n'ai vu que ses films de 1956. Please Murder Me est un film noir de série B, passé complètement inaperçu, mais qui reste intéressant pour voir des interprètes habitués à jouer les seconds couteaux, Angela et Raymond Burr, être enfin en haut de l'affiche. L'actrice y est sans surprise très à l'aise en femme criminelle, menteuse et parjure comme il se doit, dans un rôle que Bette Davis n'aurait pas désavoué en son temps. Dans un tout autre registre, elle fut la même année une hilarante princesse de contes de fées dans Le Bouffon du roi, l'une de mes comédies préférées de la période. Ce n'est ici qu'un petit rôle, mais elle donne beaucoup d'énergie à son personnage qui refuse de se marier avec n'importe qui, laissant tout de même ses partenaires s'emparer du film avec bonheur, notamment Mildred Natwick, impayable en sorcière qui tente d'empoisonner tout le monde, et surtout Danny Kaye, comme toujours fabuleux, et dont c'est peut-être le morceau de bravoure.
C'est malheureusement tout pour le moment. Je rêve de voir The Long, Hot Summer (1958), dont tout le monde me parle en bien depuis toujours, mais je n'en possède qu'une copie révoltante que je n'ai jamais pu me résoudre à visionner. Je note qu'elle fut également à l'affiche d'un Vincente Minnelli, The Reluctant Debutant (1958), aux côtés de Kay Kendall, chose qui me tente évidemment beaucoup. Avez-vous d'autres recommandations à me faire pour cette décennie ?
J'ai vu un peu plus de films de cette période, mais quelques grands titres manquent encore à l'appel, dont All Fall Down (1962) de John Frankenheimer, et Dear Heart (1964), réalisé par Delbert Mann. Un Scandale à la cour (1960) n'a pas l'air d'avoir très bonne presse, mais l'histoire se déroule dans la Vienne impériale, ce qui en fait de facto un incontournable. Au moins, il me reste plusieurs découvertes à faire, ce qui me réjouit !
Pour sûr, Angela est parfaite dans tous ses autres rôles de la période, sûrement celle de sa consécration en tant que grande actrice de cinéma. Si je n'ai aucun souvenir de Moll Flanders (1965), devant qui je m'étais beaucoup ennuyé, je n'oublie pas, en revanche, qu'elle m'a fait forte impression avec Harlow (1965), la version avec Carroll Baker, un peu plus prestigieuse, mais pas très bonne pour autant, que celle éponyme sortie la même année où Ginger Rogers reprend le rôle de la mère. J'avais aimé les deux interprétations, avec peut-être une préférence pour l'ex-partenaire de Fred Astaire, tout en reconnaissant qu'Angela injecte une grande force de persuasion à son rôle dévorant.
Rien de tout cela n'égale cependant son tour de force dans l'obscur The Dark at the Top of the Stairs (1960), qui est désormais traduit en français par Ombre sur notre amour. J'avais fini par trouver cette rareté dans les méandres d'internet pour ajouter la nomination de Shirley Knight à ma collection des candidates à l'Oscar, mais c'est bel et bien Angela qui aurait dû être nommée pour ce film, car c'est elle qui donne la performance la plus nuancée de la distribution. Elle y incarne une esthéticienne d'une petite ville de province, veuve et tout juste entrée dans la maturité, mais encore très séduisante pour être la cible de rumeurs. La famille principale, qui est en train de se désagréger, croit justement que le père a une liaison avec elle, ce qui n'est pas le cas bien que tous deux soient effectivement attirés l'un par l'autre. L'actrice joue sa partition avec charisme et surtout avec une grande dignité qui émeut, refusant de céder pour ne blesser quiconque, tout en laissant entrevoir ses véritables désirs mâtinés de regret. Il faut vraiment voir ce film rien que pour elle, car elle y est absolument fabuleuse.
Son magnum opus reste néanmoins le célèbre Un Crime dans la tête (1962), dont le titre original me plaît mieux, The Manchurian Candidate. La terrifiante Eleanor Iselin est clairement le rôle qui justifie qu'Angela Lansbury soit devenue une légende du cinéma. En effet, on ne voit qu'elle malgré son temps d'écran limité, sachant que son charisme et son ascendant sont tellement sidérants qu'elle laisse une empreinte indélébile dans l'esprit du spectateur, presque autant que dans l'âme de son fils à l'écran, qu'elle manipule sans aucune vergogne pour asseoir la puissance politique qu'elle construit patiemment. Ce qui est merveilleux avec cette comédienne, c'est qu'elle a su alterner les rôles éminemment sympathiques de victimes (Dorian Gray), de femmes émouvantes (The Dark at the Top of the Stairs) ou de personnalités hilarantes (voir principalement les années suivantes), et qu'elle a tout de même réussi le tour de force d'être exceptionnellement convaincante dans la peau de personnages cyniques et incroyablement glaçants. The Manchurian Candidate est l'aboutissement de ce qui avait été amorcé dès Hantise, puis mis en œuvre dans L'Enjeu, aussi ne sera-t-on guère surpris de se rappeler qu'elle fut l'une des actrices considérées pour le rôle de l'infirmière Ratched dans Vol au-dessus d'un nid de coucou.
Forte de ces grandes interprétations montrant toute l'étendue de sa palette, Angela n'avait pourtant pas dit son dernier mot. Et après une carrière 100 % américaine, elle renoua avec sa Grande-Bretagne natale en se payant le luxe de figurer dans non pas une mais deux adaptations d'Agatha Christie au cinéma, comme la charnière des années 1970 et 1980 les aimait tant. Elle n'est cependant pas la seule à avoir enchaîné ces récits de la reine du crime : Jane Birkin, Maggie Smith ou encore Lauren Bacall ont également deux films au compteur, sans parler de Peter Ustinov dans le rôle du célèbre détective belge que tout le monde connaît bien. Angela peut tout de même se targuer d'avoir égalé son collègue en incarnant de son côté la non moins renommée Miss Marple, dans une version du Miroir se brisa (1980). C'est sûrement le moins bon film des cinq, la faute à un ton abjectement vulgaire (voir l'inénarrable réplique de Kim Novak à Scotland Yard) et à une musique de sitcom du plus mauvais aloi. On en vient même à regretter que l'histoire ne soit pas tout entière consacrée à la dame brune qui tortille ses perles de la main gauche dans un château hanté ! Le vrai problème, c'est que tout le monde est en roue libre là dedans, notamment Elizabeth Taylor qui nous fait son inimitable rire de sorcière après avoir surjoué les victimes… De son côté, Angela a beau se composer une allure de vieille dame de la campagne avec les moyens du bord, rien dans le film ne l'aide à donner chair à sa composition. On l'y voit même fumer en épluchant des légumes, ce qui n'est pas très convaincant.
L'intérêt véritable de ces adaptations d'Agatha Christie est la réunion de grands noms du cinéma au service de films très gay friendly, si l'on peut dire. Les producteurs avaient en tout cas bien compris quel public viser, à commencer par Mort sur le Nil (1978), dont les querelles de divas flamboyantes n'étaient qu'une mise en bouche avant l'apothéose atteinte par Meurtre au soleil quatre ans plus tard. Toujours est-il que le drame égyptien est lui-même un véritable feu d'artifice : le casting nous offre ainsi un bellâtre à la chemise entrouverte (Simon MacCorkindale) au sommet d'une pyramide, entouré d'une épouse hautaine et grimaçante (Lois Chiles), d'une maîtresse psychotique (Mia Farrow), d'une bonne geignarde (Jane Birkin), d'une infirmière dans le placard (Maggie Smith), d'une vieille bique hilarante (Bette Davis) et d'une romancière alcoolique complètement obsédée, à laquelle Angela Lansbury n'a pas eu peur de donner vie avec une abnégation totale ! Qui dit mieux ? Assurément, il reste difficile de savoir qui est la plus mémorable du lot quand des actrices de légendes partagent l'affiche, mais si le duo Smith-Davis est évidemment irrésistible, Angela va tellement plus loin dans le camp le plus pur qu'elle est finalement celle qui aurait mérité un prix d'interprétation. Que l'on pense à son air suffisant à l'heure de faire une révélation capitale, et surtout à son tango incendiaire et pathétique à la fois sur la piste de danse, on est évidemment conquis ! Sans parler de sa manière de draguer des statues de béliers dans un temple antique, après avoir eu son content d'émotions à dos d'âne quelques minutes plus tôt ! Bref, Angela est complètement mythique dans ce rôle, qu'elle parvient à rendre absolument drôle alors que son personnage est, dans le fond, entièrement tragique.
Après avoir enflammé le Nil et la paisible campagne du Kent de ses interprétations déjantées, Angela a continué sur sa lancée en s'adonnant désormais à la piraterie de haut vol grâce aux Pirates de Penzance (1983), une adaptation hilarante et très colorée de l'opéra comique de Gilbert et Sullivan. Si le film appartient tout entier à Kevin Kline, qui n'a évidemment pas son pareil pour faire du gentil roi des pirates une création hautement dynamique et mémorable, sa partenaire mythique parvient admirablement à tirer son épingle du jeu, avec une énergie communicative encore bien intacte à l'approche de la soixantaine. Ses mimiques clownesques sont à l'unisson du film et, si le costume de cuisinière dont elle est affublée au départ accentue le pathétique de la situation dû à la différence d'âge avec la nouvelle recrue, elle ne se laisse pourtant jamais dénigrer et retrouve une seconde jeunesse dans le deuxième acte, après avoir chaussé ses bottes et revêtu un uniforme rouge vif, pour mieux convaincre son apprenti de rester dans le groupe.
La comédienne tourna peu au cinéma après cela, tout son temps étant à présent occupé par la série qui a fait sa renommée pour les nouvelles générations, Murder, She Wrote, titrée Arabesque en français, et qui s'éternisa pendant douze saisons. Elle y reprend un rôle de Miss Marple contemporaine qui s'amuse à résoudre des énigmes, voire des meurtres sanglants, pour pimenter son quotidien. Je n'ai vu que les cinq premiers épisodes, et doublés qui plus est, donc ça ne compte pas vraiment. Ce qui est certain, c'est que les acteurs inexpérimentés autour d'elle y étaient si mauvais qu'il était difficile de s'intéresser vraiment à tout ça, mention spéciale à la dame qui accuse un type d'avoir tué son père, et qui sourit bêtement en regardant la caméra quand ce n'est pas à son tour de parler ! Il est vraiment dommage que cette série ait éclipsé la brillante carrière cinématographique d'Angela Lansbury, car ces premiers épisodes sont vraiment très en-dessous de son talent. Dans l'un d'entre eux, elle interrogeait un blanc-bec qui prétendait avoir écrit une histoire originale, avant de réaliser que celui-ci avait en fait plagié Les Frères Karamazov. Son expression à ce moment-là était impayable, mais ça ne justifiait pas d'enchaîner avec douze saisons !
Par bonheur, il est possible de mettre Arabesque de côté, et de se souvenir que les derniers grands succès populaires d'Angela Lansbury eurent lieu dans des films d'animation, principalement de la célèbre maison de production Disney. Le premier remonte à 1971 : calquée sur Mary Poppins, L'Apprentie sorcière fait intervenir des animaux dessinés dans des prises de vue réelles, tandis que l'héroïne enfourche son balais pour vaincre les nazis dans la joie et la bonne humeur. Je n'ai qu'un souvenir très confus de cette œuvre, vue une fois seulement il y a fort longtemps, et qui ne m'avait pas marqué outre mesure.
Il en va autrement de La Belle et la Bête (1991), que j'ai abondamment regardé dans mon enfance, et même encore largement à l'âge adulte. Je ne suis pas d'accord avec le propos de l'histoire, sans surprise peu féministe, mais le résultat visuel et auditif est tellement spectaculaire que je compte ce film parmi mes archi favoris de la décennie. Les premières mesures inquiétantes m'embarquent à chaque fois dès l'ouverture, tandis que la chanson "Belle" reste l'un des grands moments de la comédie musicale contemporaine. Dans le rôle d'un samovar complice et maternel, Angela Lansbury chante quant à elle la chanson-titre, l'instant le plus romantique de l'œuvre.
Six ans plus tard, elle prêta à nouveau sa voix à une histoire de princesse, Anastasia (1997), très librement inspirée de la vie de la célèbre grande-duchesse, dont le sort fut autrement tragique. La comédienne fait résonner le souvenir de Dagmar de Danemark, titrée Marie Fedorovna après son mariage, grand-mère de l'héroïne qui ne veut pas croire qu'une de ses petites-filles ait pu survivre au massacre d'Ekaterinbourg. Elle met dans sa voix tout ce qu'il faut d'émotion pour constituer un personnage complexe et finalement attachant, mais ce n'est clairement pas la performance de sa carrière. Et même si j'adore ce dessin animé et ses chansons, je suis toujours terriblement gêné par sa narration ouvrant le film, où l'on présente la Russie tsariste comme un monde enchanté… Nier ainsi les drames des millions de moujiks et d'ouvriers de cette période justifierait amplement une révolution.
Conclusion
Comme me l'a rappelé ce passage en revue, Angela Lansbury fut une immense actrice de cinéma, une artiste de grand talent qui pouvait tout jouer, d'une frêle victime à une psychopathe dévorée d'ambition, en passant par une sorcière amicale et une pirate hilarante. Elle laisse derrière elle des créations très mémorables dont certaines auraient dû lui valoir l'Oscar, qu'elle finit heureusement par obtenir de manière honorifique il y a quelques années. Ses plus beaux films restent à mon goût Hantise, Le Portrait de Dorian Gray et The Manchurian Candidate, mais elle fut si constamment excellente partout qu'il reste difficile d'établir un florilège de ses plus grandes interprétations. Elle aurait mérité au moins six nominations dans sa carrière cinématographique, ce qui veut dire beaucoup.
Au revoir, Angela, est merci pour tous ces bons moments.
Le menhir de Ceinturat
La pierre à sacrifices du Chiroudi
Le chaos du Cèpe
L'abri des Fées
Le pas de la Mule
Le chaos de la Carpe
L'oratoire de la Basse-Forêt
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La pierre branlante de Boscartus
Le dolmen des Termisseaux
Le menhir du Pic
Le dolmen de Rouffignac