jeudi 27 octobre 2022

Aux confins du Poitou


Il faisait très beau ce mercredi, et je suis en vacances ! Comble de bonheur, je me repose dans une région nettement plus rassurante que celle évoquée précédemment. La campagne du Poitou n'est pas à proprement parler spectaculaire, avec son enchaînement assez rébarbatif d'openfields, de bois et d'éoliennes dans des plaines très plates, mais je m'y sens bien depuis toujours. Si l'on remonte à mes grands-parents, le Poitou historique (Vendée incluse) est une terre où je trouve une partie de mes origines, avec les Charentes, le Périgord et le Limousin, le tout mâtiné d'une touche asiatique afin d'ajouter un peu d'exotisme à ce « grand ouest » français. Le plus curieux est qu'un caprice du sort a presque failli me faire naître en Bretagne, mais j'ai échappé de peu à ce surplus d'élégance. Pas de regrets néanmoins : je garde une infime connexion familiale avec l'ancien duché indépendant, et de toutes manières, le Poitou, terre natale des grandes favorites de Louis XIV, me va très bien au teint !


Tout cela pour dire que j'ai profité de ce mercredi ensoleillé pour me promener à l'est de la Vienne, d'abord dans les cités incontournables de Chauvigny et Saint-Savin-sur-Gartempe, avant de monter plus au nord du côté d'Angles-sur-l'Anglin, dont je n'avais que quelques souvenirs grisonnants par temps de pluie, et de La Roche-Posay, inconnue au bataillon. Ce sont ces deux communes que j'évoque ce jour, et le mot « confins » n'est pas trop fort. En effet, toutes deux sont très exactement situées sur la frontière de la Vienne avec l'Indre et l'Indre-et-Loire, ce qui fait de ce territoire une véritable terre de confins entre le Poitou, la Touraine et le Berry. Il suffit d'ailleurs de regarder une carte des anciennes provinces de France pour se rendre compte de ces particularités frontalières, notamment à cause de la forme assez étrange du Berry aux environs du Blanc. D'autre part, bien que donnée à la Vienne lors de la création des départements en 1790, La Roche-Posay relevait de la Touraine sous l'Ancien Régime. Ces paysages paisibles, commençant à jaunir délicatement en ce début d'automne, avaient assurément un air de Val de Loire sous le soleil encore chaud.

Angles-sur-l'Anglin


Faisant partie de l'association Les Plus Beaux Villages de France, Angles-sur-l'Anglin est certainement l'un des plus agréables du département, avec ses petites ruelles verdoyantes et les vestiges de sa forteresse qui se reflètent dans la rivière. La ville basse comme la ville haute offrent des points de vue magnifiques sur les vieux toits et la campagne alentour, pour un ravissement de tous les instants.


La beauté des lieux vient, de manière terrible, d'une suite de destructions et de reconstructions depuis la guerre de Cent Ans à l'époque moderne. Bertrand du Guesclin y causa notamment de nombreux dégâts, conduisant les évêques de Poitiers, propriétaires du château, à reconstruire celui-ci, tandis que les moines de l'abbaye Sainte-Croix, dont il reste une église dans la ville basse, aidèrent à la résurrection des maisons. Durant les guerres de Religion, les protestants menés par Coligny ravagèrent l'abbaye et s'emparèrent du château, qui fut ensuite pillé par les ligueurs lors de la reconquête catholique. Un siècle plus tard, les frondeurs opposés au jeune Louis XIV achevèrent d'endommager la forteresse, qui ne s'est pas relevée de ses ruines depuis.


L'une des célébrités locales, née à proximité de l'église Sainte-Croix comme par écho à sa future carrière ecclésiastique, est le cardinal de la Balue, qui sut assez bien intriguer pour s'attirer les bonnes grâces de Louis XI dans un premier temps. Mais comme toujours avec l'Universelle Aragne, sans doute le souverain le plus fourbe et méfiant de notre histoire, cela se retourna contre lui, si bien que le cardinal passa onze ans de sa vie dans les terribles fillettes du roi au donjon de Loches. Réhabilité sous Charles VIII, il fut nommé légat pontifical et termina ses jours en Italie.


Le village est aussi renommé pour sa production textile nommée « jours d'Angles », une toile ajourée qui faisait fureur dans la bonne société du XIXe siècle, et qui permit à plusieurs centaines d'ouvrières de faire vivre leur ménage par ce travail précis et délicat. Un commerce rend hommage à ce métier sur la place centrale de la ville haute, mais je ne m'y suis pas arrêté : quand je visite un lieu, je préfère rester au grand air et m'imprégner de l'ambiance des rues. Angles-sur-l'Anglin compte justement de nombreuses ruelles convergeant vers cette place, notamment la rue traversière, mais encore la rue de l'Arceau, dont une partie est une galerie creusée sous les maisons, où les hirondelles aiment à faire leur nid.


La rue la plus célèbre du village reste néanmoins celle de la Cueille, qui gravit la colline pour relier le pont sur l'Anglin à l'église Saint-Martin, et qui est aussi directement connectée à la rue de l'Arceau. Mon coup de cœur va tout de même à la rue Saint-Jean, d'abord pour ses jolies maisons autour de la mairie, mais surtout pour le chat noir qui y habite et qui a fêté mon arrivée céans à grand renfort de miaulements et de ronronnements ! La cour de l'hôtel de ville est agrémentée d'un très bel arbre de Judée aux ramifications sinueuses, ce qui ne gâche rien !



Avant de quitter la place, il ne faut pas oublier de gagner la chapelle castrale, qui offre un très beau point de vue sur les ruines du château. Les pillages successifs que nous évoquions plus haut conduisirent les évêques de Poitiers à le délaisser totalement au cours de l'époque moderne, et comme bon nombre de symboles de l'Ancien Régime, la forteresse servit de carrière pendant la Révolution. Les vestiges restent heureusement assez nombreux pour conférer au village cette beauté singulière qui lui vaut son classement mérité.


Un chemin fort escarpé permet ensuite de longer l'éperon rocheux où fut bâti le château, afin de gagner les rives de l'Anglin et la belle campagne environnante. La descente n'est guère aisée si vous avez le vertige, mais la vue justifie amplement la prise de risques.


En résumé, ce fut là une promenade fort agréable. Il est surtout extrêmement plaisant de se trouver dans une contrée où les gens vous répondent quand vous les saluez. Cela devient tellement rare qu'il convient de le relever. Il me faudra de toute façon revenir à Angles-sur-l'Anglin à la belle saison, car je n'ai jamais vu le Roc aux Sorciers, un abri sous roche couvert de sculptures pariétales datant du Magdalénien. Ce sera le prétexte idéal pour y revenir.

La Roche-Posay


Je passerai plus rapidement sur cette bourgade bien davantage peuplée, avant tout connue pour son thermalisme de renommée internationale. La Roche-Posay est même référencée comme l'une des capitales de la dermatologie européenne, ce qui explique pourquoi on ne trouve que des images de tubes de crème si l'on oublie de préciser « ville » dans le moteur de recherche. Pour ce qui est du patrimoine, je ne peux pas dire que la cité vaille absolument le détour, à la différence d'Angles. Une poignée de monuments intéressants agrémenteront votre promenade si vous passez dans les parages, mais il ne faut pas nécessairement faire le crochet exprès. Pour sûr, l'entrée dans le cœur historique est remarquable, grâce à la porte Bourbon, heureux assemblage de deux tours reliées par un mâchicoulis. Ouverte sur l'ouest, cette porte est le dernier vestige des remparts médiévaux, sachant qu'il ne reste plus de traces de ses deux jumelles gardant le nord et le sud de la ville.


Plus imposant, le donjon massif du XIIe siècle en pierre de tuffeau témoigne des riches heures de la cité au Moyen Âge. Haut de 23 mètres depuis une base carrée dont les côtés en mesurent une quinzaine, il se distingue par l'acoustique apparemment exceptionnelle de la salle des échos : si deux personnes se placent chacune dans un angle, face au mur, elles pourront ainsi se faire entendre l'une de l'autre même en chuchotant, sans que des tiers présents dans la salle ne puissent surprendre leur conversation. Ce procédé aurait manifestement servi jadis pour que les prêtres pussent confesser les lépreux, en gardant ainsi une distance de bon aloi. Tout cela est sûrement fort ingénieux, mais comme je voyage toujours seul faute de pouvoir faire autrement, je n'ai pas pu en faire l'expérience, d'où une certaine déception.


Je suis néanmoins content d'avoir pu rentrer dans le donjon. Ce n'était pas du tout prévu à l'origine, mais dès que je m'en suis approché, la gardienne des lieux m'est immédiatement tombée dessus et m'a quasiment tiré par la manche pour me forcer à monter au premier étage. « Bonjour Monsieur ! Il faut absolument que vous alliez voir le vidéo mapping dans la salle ! Votre vie en sera à jamais bouleversée ! Et c'est gratuit ! Il faut appuyer sur le bouton vert ! Vous serez subjugué ! » Visiblement, je n'ai pas dû exprimer l'enthousiasme qu'elle attendait (mais j'ignorais ce qu'était un vidéo mapping…), car elle s'est empressée d'ajouter : « C'est fait par les étudiants du Futuroscope ! C'est dire !!! » Comme je suis courtois et que j'avais surtout très envie de voir l'intérieur de la forteresse, je me suis donc laissé tenter par cette expérience hors du commun, tout cela pour découvrir qu'un vidéo mapping est en fait… une projection d'images virtuelles sur des murs blancs. Ce que toutes les municipalités de France font désormais chaque été sur les façades de leurs monuments. Bon, c'est plutôt joli, mais ça ne dure que cinq minutes. Et certes, la vidéo est travaillée au millimètre afin d'épouser le contour de chaque pierre, mais je n'ai pas franchement l'impression d'avoir eu une révélation d'ordre divin.


En sortant du donjon, j'ai fait un signe de tête à la dame pour la remercier, étant tout de même soulagé de la voir en grande conversation avec d'autres touristes, et ne pas craindre de la sorte de subir un interrogatoire sur les propriétés transcendantales du vidéo mapping de La Roche-Posay ! Plus loin, des habitués des lieux essayaient eux aussi d'y amener leurs hôtes de la semaine, en vantant à leur tour les mérites de ce moment métempirique. Sauf que les invités en question craignaient d'arriver en retard à leur souper, sur quoi il fallut les rassurer sur la brièveté de l'expérience. Ont-ils réussi à atteindre un orgasme extrasensoriel devant cette vidéo suprême ? Nous ne le saurons jamais, car pour moi, il était temps de rentrer. À défaut d'avoir pleuré de bonheur au milieu de ces échos d'antan, j'ai tout de même passé une excellente journée dans ces terres de confins. Mais soyons honnêtes : la contemplation bien réelle des vieilles pierres d'Angles-sur-l'Anglin est nettement supérieure aux images de synthèse de La Roche-Posay !

samedi 22 octobre 2022

Tentative de réconciliation


J'aurais aimé parler de Miriam Hopkins cette semaine, mais je n'ai vraiment pas eu le temps de préparer quoi que ce fût en son honneur. Cela dit, ce n'est pas comme si elle avait l'habitude d'être laissée pour compte ici. Par ailleurs, je dois avouer que je n'allais pas très bien en cet octobre encore chaud : comme s'il fallait me punir de m'être réjoui au printemps d'avoir clamé haut et fort être sorti d'une longue dépression il y a quelques années, voilà que j'ai commencé à ressentir les symptômes de cette époque désagréable au début du mois. C'est une chose qui m'a inquiété, car je n'ai vraiment pas envie de retomber dans cet enfer. J'ai l'impression d'aller mieux cette semaine, mais ce n'était pas la grande forme jusqu'alors. Une sorte de déracinement, du harcèlement téléphonique, un isolement sentimental dû au fait d'être gay dans une région rurale, et un travail passionnant mais sur un tempo presto impossible à soutenir, sont autant de choses qui se sont conjuguées depuis l'été, me pesant dessus avec une telle force que j'ai eu du mal à trouver l'énergie pour rebondir. Avec cela quatorze kilos perdus d'un coup en moins de deux mois : je suis ravi de pouvoir reporter mes anciens vêtements, mais ma coloc pense qu'avoir retiré le sucre de mon alimentation joue sur ma baisse de moral… J'ai touché le fond un mercredi soir, ayant fini par errer comme un fantôme jusqu'à une librairie, où le vendeur m'a demandé si je voulais un sac pour mes articles. Il suffisait simplement de répondre par oui ou non, et j'ai pourtant eu toutes les peines du monde à lui donner la réplique…


En toute logique, comme toujours dans un accès d'abattement, je me suis dirigé vers des choses désagréables, au lieu de chercher du réconfort dans des souvenirs heureux. C'est ainsi que je suis allé passer mon samedi dans le département français qui m'angoisse le plus depuis toujours : le Lot-et-Garonne. C'est sûrement un lieu charmant pour beaucoup de monde, mais pour moi, c'est vraiment une zone de malaise. Cela me rappelle la deuxième moitié des années 1990, où il fallait aller régulièrement dans la famille de ma belle-mère de l'époque, subir un interminable trajet en voiture avec cet odeur immonde de sapin désodorisant, souffrir la conduite de mon père qui me donnait la nausée à chaque virage, endurer l'indifférence d'à peu près toute la société agenaise qu'il fallait fréquenter, mais encore être terrorisé par la découverte d'un cadavre dans le terrain d'en-face, ou par un enlèvement très médiatisé qui m'avait épouvanté et qui continue parfois de me provoquer des cauchemars. Plus tard, quelques années d'études à Bordeaux m'ont obligé à être en contact avec des étudiants originaires de cette ville, et qui étaient les personnes les plus désagréables de la promotion, malgré la rude concurrence des Girondins. Comble de malchance, la proximité du sud Dordogne avec ce département m'oblige actuellement à subir la conduite dangereuse des voitures immatriculées en 47, ce qui ne me met décidément pas d'humeur généreuse envers ces mangeurs de pruneaux. Nous sauverons ici deux personnes fort sympathiques, une étudiante qui parlait naturellement comme une princesse du XVIe siècle mais qui avait le mauvais goût de voter à droite, et une artiste talentueuse vivant dans l'ouest du département.


Pour le reste, le Lot-et-Garonne est synonyme de panique totale. J'y étais repassé deux fois la décennie passée, d'abord pour emmener mes grands-parents à un congrès d'anciens combattants d'Algérie, et trois ans plus tard sur la route de Saint-Bertrand-de-Comminges, où j'avais volontairement décidé de prendre les petites routes dans l'objectif de découvrir Nérac puis le pays d'Armagnac. Il y a certainement de jolies choses à voir dans ce département, mais en ce qui me concerne, ça reste rédhibitoire. Rien que d'avoir vu un panneau indiquant la préfecture depuis une route lointaine m'avait littéralement noué l'estomac il y a cinq ans. Et même lorsque je lis une biographie de la reine Margot, je suis toujours extrêmement nerveux lorsque les auteurs en viennent à la partie aquitaine de son existence, c'est dire ! Alors, pourquoi diable passer la frontière du rassurant Périgord pour y faire du tourisme, alors que j'aurais été bien plus serein dans la campagne du Poitou ? Peut-être parce qu'il était temps de commencer à changer mon regard sur ce terrain honni, afin de m'émanciper des craintes d'antan pour mieux aller de l'avant. L'après-midi très agréable passé à Monflanquin samedi dernier semble apporter quelques éléments de réponse.


J'avais visité cette bastide une première fois avec mes grands-parents, voilà déjà huit ans. J'avais plutôt apprécié la promenade, mais j'étais tellement angoissé à l'idée de me trouver dans ce département que j'étais mû par le désir d'en partir au plus vite. Cette année, je voulais simplement tenter une infime percée du côté de Castillonnès et Villeréal, mais voyant que je n'étais qu'à douze kilomètres de Monflanquin, j'ai trouvé le courage de descendre encore plus au sud pour revoir cette jolie place. Bien m'en a pris, car j'y ai passé un moment exquis. Un soleil éclatant et l'absence totale de touristes n'ont fait qu'ajouter à la beauté des lieux. Ce qui m'a le plus agréablement surpris, c'est qu'il s'agit d'une bastide verdoyante. La place des Arcades est ainsi bordée d'arbres qui donnent beaucoup d'allure aux pierres blanches des maisons, tandis que certains monuments officiels comme la mairie sont recouverts de vigne vierge, laquelle forme un somptueux rideau que les premiers jaunissements de l'automne ne font qu'embellir. Pour avoir exploré le Périgord pourpre en long et en large depuis la fin de l'été, je commençais à être rassasié de bastides, mais la verdure de Monflanquin m'a totalement charmé. On peut toutefois regretter que les voitures masquent les arcades, mais la place a tellement de séduction qu'on est prêt à tout pardonner, même à l'horrible 2 CV rouillée qui a soudainement débarqué dans un raffut de tous les diables !


Le monument le plus renommé de la place des Arcades, et du village tout entier, est la maison dite du Prince Noir. Superbe édifice du XIVe siècle, aux voûtes d'ogive et fenêtres géminées, ce bâtiment aurait possiblement accueilli Édouard de Woodstock, héritier du roi d'Angleterre Édouard III, connu pour ses terribles chevauchées dans tout le Sud-Ouest de la France pendant la guerre de Cent Ans, et qui fut tardivement surnommé Prince Noir en raison de ses actes douteux. Cependant, aucun document ne prouve qu'il résida à Monflanquin durant son séjour en Aquitaine. La plaque commémorative apposée sous les arcades pense au contraire que la maison servait plus sérieusement de résidence au sénéchal ou au bailli, personnage le plus influent de la cité. Assurément, la Guyenne se vivait davantage comme une possession anglaise en ces temps-là, aussi nous paraît-il logique que nombre de citoyens d'outre-Manche soient venus s'y établir de nos jours. En effet, pour avoir passé l'été à flâner entre Bergerac, Eymet, Duras, Issigeac, Cadouin, Villeréal, Monpazier, Biron et Monflanquin, j'ai entendu parler la langue de Shakespeare à tous les coins de rues, à tel point que j'ai failli tomber des nues lorsque la guichetière d'un monument touristique m'a parlé en français !


Juste derrière, et s'imbriquant parfaitement à la toiture de la maison du Prince Noir par jeu d'illusion d'optique, se trouve l'église fortifiée Saint-André. Bâtie à partir de la fin des années 1250, à l'époque même de la fondation de la bastide sous la houlette d'Alphonse de Poitiers (tiens donc…), cette église fut plus tard transformée en temple alors qu'une grande partie de la population venait d'adhérer à la réforme calviniste. Revenue dans le giron du catholicisme, elle se délabra au fil des ans, malgré plusieurs campagnes de reconstruction. C'est à partir de 1923 que le clocher prit sa forme actuelle, dans une volonté d'imiter l'aspect des clochers de style gothique méridional.


La bastide de Monflanquin est aussi fort célèbre pour ses carrerots, d'étroites ruelles qui coupent les grandes rues convergeant vers la place des Arcades de manière perpendiculaire. Dans certains d'entre eux peuvent s'observer des andrones, ces infimes espaces de quelques centimètres seulement, laissés entre les maisons des bastides pour l'évacuation des eaux, pluviales ou usées. À en juger par les odeurs peu avenantes qui y règnent encore, on n'ose imaginer l'insalubrité qu'il devait y avoir au Moyen Âge. Ces carrerots, que l'on appelle carreyrous côté Dordogne, sont surtout le terrain d'élection des chats, qui adorent s'assoupir sur le carrelage encore chaud.


Le dernier atout de la cité, et pas des moindres, est aussi sa position sur une colline surplombant la plaine, et offrant une vue imprenable sur le château de Biron en Périgord. Les photographies ne donnent rien, mais le point de vue est absolument magnifique. À l'image de la place des Arcades mêlant de la verdure aux pierres blanches, le panorama depuis les anciens remparts offre de jolies couleurs dans des tons verts et bleus, parsemées de touches immaculées. Certains bâtiments industriels au premier plan corrompent quelque peu le paysage, tout de même.


En définitive, cette promenade à Monflanquin m'a beaucoup plu. J'ai bien plus apprécié la ville qu'il y a huit ans, et je suis assez enthousiasmé pour avoir envie d'y revenir un jour. Malheureusement, cela risque d'être compliqué, car je n'ai pas réussi à vaincre ma peur du département pour autant. J'aurais pu profiter de cet arrêt pour aller voir le château de Gavaudun dans la foulée, mais j'ai tout de même éprouvé le besoin de rentrer me mettre à l'abri de l'autre côté de la frontière, comme si la forteresse de Biron était assez imposante pour me protéger des mauvais souvenirs du passé. Ce fut pourtant un mauvais choix stratégique, car il y avait ce jour-là un gigantesque nuage qui recouvrait tout le sud de la Dordogne, alors que le Lot-et-Garonne rayonnait sous un soleil éclatant. Tout cela semblait m'inviter à accepter l'idée d'une réconciliation, mais le besoin d'un refuge en terrain rassurant était trop fort. Pourtant, la campagne se parant d'or était superbe ce jour-là, et les musiques de Bernard Herrmann qui m'accompagnaient tout au long de ce voyage conféraient aux paysages une aura envoûtante. Je reconnais qu'il est ridicule d'être traumatisé à ce point par un territoire, et qu'il y a des choses un milliard de fois plus graves dans le monde, mais impossible de lutter contre ce sentiment de panique qui m'étreint dès que je pense à ce département. J'étais pourtant parfaitement serein lors de ma promenade à Monflanquin, preuve que la bastide a un charme fou qui n'a pas manqué d'opérer. C'est seulement lorsqu'il a fallu repartir que mes angoisses ont repris le dessus. J'ai dès lors échoué à vaincre ces démons, mais au moins, j'aurai essayé. Je ne sais même pas si ça vaut le coup de persévérer, car après tout, il y a tant de lieux en France dans lesquels je me sens bien que je peux bien contourner celui-ci sans aucun état d'âme à l'avenir. J'y aurai au moins passé une bonne journée ce samedi-là : voyons cela comme quelque chose de positif !

lundi 17 octobre 2022

Roger Casement


J'ai entendu parler de Roger Casement pour la première fois il y a quelques années, complètement par hasard, à partir de quelques recherches effectuées sur la question de la partition de l'Afrique par les puissances européennes. L'Occident, toujours centré sur lui-même, puis le cinéma des Mines du roi Salomon, nous ont certainement habitués à voir dans la colonisation un palpitant récit d'aventures, mais c'est oublier trop vite ce que fut la réalité de ce fait horrifiant pour des millions d'individus. Pour sûr, je suis d'accord avec François Reynaert lorsque celui-ci s'étonne que personne en France ne connaisse vraiment la vie de celui qui dénonça les crimes commis contre les habitants du Congo et du Putumayo par les entreprises colonisatrices, avant de lutter avec acharnement pour l'indépendance de son île natale, l'Irlande. Cette biographie intitulée Roger, héros, traître et sodomite (2021) fut une lecture plaisante, qui reste un bon débroussaillage en français, avant de passer aux biographies anglophones plus étoffées que l'auteur ne manque pas de lister à la fin de son ouvrage.

François Reynaert n'est pas historien, mais journaliste et écrivain. Ce n'est pas une raison pour conspuer ce livre : certaines de mes lectures scientifiques et historiques préférées sont d'ailleurs le fait de personnes non historiennes de formation, à l'instar du Bal des ardents (1977) de Pierre Gascar, ou de la saga des Reines de France (1994-2002) écrite par Simone Bertière. Je m'étais assurément beaucoup diverti à la lecture de Nos ancêtres les Gaulois et autre fadaises (2010), où l'auteur qui nous occupe aujourd'hui s'amusait à donner une autre perspective aux événements bien connus de notre histoire, soulignant par exemple la face très obscure du règne du Roi-Soleil, ou rappelant que le traité de Troyes n'était pas mal vu du tout par une partie de la population. On restait là encore dans de grandes lignes, et le journaliste n'inventait rien qu'on n'ait pas déjà lu chez les spécialistes de ces questions, mais le ton était assez enlevé pour passer un agréable moment, notamment lorsqu'il égratignait les arguments indiscutables de Jeanne d'Arc, qui aurait apparemment déclaré une rivale folle à lier parce que sainte Marguerite le lui avait certifié… À l'époque, je n'avais pas spécialement perçu que l'auteur était homosexuel : c'est parfaitement assumé dans sa biographie de Roger Casement, de telle sorte que je me suis retrouvé dans un cocon rassurant tout au long de ma lecture.

Je dois avouer qu'avant même de m'intéresser au consul irlandais pour ses actes héroïques, j'ai d'abord été attiré par son physique. Et je n'ai aucune honte à l'avouer : je fantasme sur les hommes élégants des générations précédentes, et les photographies de lui que l'on trouve en ligne, hormis celles de sa fin de vie où le poids des épreuves l'avait rattrapé, révèlent un homme brun extrêmement séduisant. C'était apparemment ce que tout le monde pensait à son époque : les artistes (Herbert Ward, Joseph Conrad) ou militants (Alice Stopford Green) cités dans l'ouvrage ont tous laissé de lui le témoignage de ses nombreuses séductions. C'est assurément l'aspect le moins intéressant de sa vie, mais force est de reconnaître que je me suis retrouvé sous le charme dès le début.

Le livre que j'évoque ce soir est découpé en trois parties, celles annoncées dans le titre. Né dans une Irlande elle-même colonisée par l'Angleterre en 1864, Roger Casement fut d'abord un héros britannique, parfaitement au service de la couronne anglaise, et gagna en renommée par ses enquêtes très courageuses au cœur de l'enfer congolais puis amazonien. Sur la question africaine, son expérience de terrain aboutit au rapport Casement (1903), un témoignage précieux mais terrifiant à propos des atrocités commises sur les autochtones dans la colonie de Léopold II de Belgique, ce qui contribua à faire bouger un petit peu les mentalités de l'époque. Il fit de même en Amérique du Sud, pour dénoncer la situation des Indiens du Putumayo, eux aussi tombés dans un esclavage particulièrement abject. Son rapport de 1911 lui valut d'être anobli, chose qui le mit en porte-à-faux avec ses propres opinions, puisqu'il était désormais tout entier acquis à la cause de l'indépendance irlandaise. Après avoir été porté aux nues, il fut donc considéré comme traitre dès que la Première Guerre mondiale éclata, puisqu'il chercha à obtenir l'appui de l'Allemagne dans la lutte irlandaise contre l'Angleterre. La plupart de ses amis se détournèrent de lui à cette occasion, et lorsqu'il revint clandestinement en Irlande dans le but d'enrayer à temps une mission qu'il considérait comme trop risquée, l'insurrection de Pâques, il fut immédiatement arrêté et condamné à mort pour haute trahison, avant d'être pendu en 1916. En outre, comme il était homosexuel et qu'il avait laissé des carnets décrivant de façon très crue l'intimité des hommes qu'il payait pour une nuit, il fut également épinglé comme sodomite, ce qui ne joua pas en sa faveur.

François Reynaert brosse le portrait de cet homme complexe, nous montrant comment ce personnage qui n'avait rien contre la marche du monde même dans les pires moments de la guerre des Boers, se montra finalement sensible à la cause des Congolais et des Indiens d'Amérique du Sud ; et comment un consul raffiné aux manières finalement très anglaises se prit de passion pour la cause irlandaise, quitte à y laisser sa santé alors que son séjour en Allemagne fut un fiasco de grande ampleur. Les deux premières parties sont très intéressantes pour en apprendre davantage sur cet homme atypique, la troisième s'écartant un peu plus du sujet principal pour devenir une sorte d'anthologie de l'homosexualité à la charnière des XIXe et XXe siècles (on y croise entre autres Oscar Wilde, puis Rupert Brooke et Siegfried Sassoon). Cela n'empêche nullement ce troisième acte d'être captivant en soi, même si le héros du livre n'y est plus qu'une silhouette parmi d'autres. Honnêtement, ces détours m'ont constamment tenu en éveil, y compris dans la partie africaine qui revient également pas mal sur les débuts de la colonisation européenne avant l'entrée en scène de Casement, mais également dans la partie irlandaise où l'auteur retrace l'histoire des drames vécus par les insulaires tout au long du XIXe siècle, dont la famine épouvantable des années 1840.

Comme je le disais, cet ouvrage est utile pour découvrir la vie de Roger Casement dans les grandes lignes, et à travers lui le récit des drames qui agitèrent son époque sur pas moins de trois continents. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé cette lecture : le livre est bien écrit (à l'exception d'une trop grande occurrence "d'autrement plus" que l'auteur finit par corriger dans la dernière partie), et c'est un ouvrage idéal pour appréhender l'histoire de ces contrées en langue française. J'aurais pourtant voulu passer plus de temps en compagnie du héros, mais tout se tient parfaitement en 300 pages. Comme pour de nombreux livres de vulgarisation, je regrette néanmoins l'absence de notes de bas de page ou de renvois en fin d'ouvrage, car j'aime bien savoir dans quelle archive on peut retrouver telle citation. Cependant, comme l'analyse psychologique reste passionnante, je me suis laissé prendre au jeu, acceptant la mise en perspective des complexités du personnage central, qui nous paraît à notre époque éminemment héroïque pour l'aide apportée à des peuples que la quasi totalité de ses contemporains regardaient de haut, mais qui en pur produit de son époque était aussi capable de remarques racistes à l'occasion, notamment lors de son arrivée au Brésil, et qui, comme quasiment tout le monde alors, ne voyait pas le problème de coucher avec des personnes parfois très jeunes, ce qui pour le coup nous paraît condamnable.

Ses actions héroïques et son courage exemplaire en font malgré tout un modèle gay des plus respectables à nos yeux. François Reynaert, très au fait de la perception négative de l'homosexualité à travers les âges, consacre d'ailleurs tout un chapitre de son livre au débat sur les fameux carnets noirs où Roger Casement compilait les détails de sa vie sexuelle. Il montre ainsi que certains de ses plus fervents partisans parmi les historiens ont soutenu l'idée que ces carnets avaient été écrits par Scotland Yard dans le but de perdre définitivement le héros, mais l'auteur explique en quoi ces théories sont fumeuses, d'autant que le pauvre homme avait été condamné à deux reprises, y compris en appel, de telle sorte qu'il paraîtrait bien fastidieux de la part de la police de produire de faux documents dans la perspective de contrer une déjà fort improbable grâce royale. Comme quoi, l'homosexualité reste considérée comme une tare par encore bien trop de monde, certains étant prêts à tout pour taire ce fait chez les personnes qu'ils admirent. C'est terriblement dommage.

Je ne sais pas trop quoi dire de plus sur cette lecture fort agréable sans trop en révéler, mais le livre vaut réellement la découverte, au moins comme première étape en français avant l'exploration des ouvrages anglophones sur lesquels l'auteur a le bon sens de donner son avis pour nous aiguiller, en fonction des sujets qui nous passionnent le plus. La vie de Roger Casement étant "digne d'un roman", il y en a effectivement pour tous les goûts, de la question coloniale terrifiante au sujet plus immédiatement parlant pour moi de l'homosexualité, en passant par l'histoire de l'Irlande et de son émancipation. J'ai terminé le livre avec l'envie d'en lire plus sur chacun de ces thèmes, ce qui en fait une réussite. Ce n'est pas un récit absolument scientifique dans la mesure où l'auteur donne constamment son ressenti sur les faits qu'il commente, mais c'est aussi ce qui fait son charme.

mercredi 12 octobre 2022

Tale as old as time


Non ! Je viens juste de rentrer, et j'apprends qu'un mois après Marsha Hunt, Angela Lansbury s'en est allée, quelques jours seulement avant son 97e anniversaire. Si comme toutes les personnes nées après 1980 je l'ai découverte pour la première fois dans un programme télé associé au nom d'Arabesque, et si comme toutes les personnes de ma génération elle reste la voix de Madame Samovar de La Belle et la Bête (1991), Angela Lansbury s'est en fait rapidement imposée comme l'une de mes actrices favorites dès que je me suis intéressé au septième art. Je n'ai jamais eu l'occasion de la voir à Broadway pour des raisons évidentes, mais elle était assurément l'une des plus grandes actrices de seconds rôles de l'histoire d'Hollywood, chose qu'on a un peu tendance à oublier de nos jours.

J'écris sur le vif : je souhaitais tellement qu'elle vécût centenaire que je n'imaginais pas rédiger un article en son honneur avant quelques années. Celui-ci sera dès lors un peu décousu, mais je tâcherai de lui rendre hommage au mieux, en bon souvenir du plaisir qu'elle m'a apporté en tant que spectateur.



Un départ fracassant au cinéma

Âgée de seulement 17 ans au début du tournage d'Hantise (1944), Angela se fit immédiatement remarquer dans le rôle d'une soubrette sournoise et retorse, qui n'hésite pas à humilier sa patronne, la frêle Ingrid Bergman, dans l'espoir de coucher avec le maître de maison, Charles Boyer, et d'en tirer quelque profit substantiel. Elle suggère tant de perversité, sans honte aucune, dans sa manière de se déplacer devant son employeuse qu'on n'est absolument pas surpris que l'époux l'ait sciemment recrutée dans le but de la torturer mentalement : la bonne est comme le mari, tous deux sont de petites frappes qui se donnent de grands airs alors qu'ils ne sont mus que par une chose, l'appât du gain. Le personnage est antipathique au possible, mais chapeau à la comédienne d'en avoir brossé un portrait sans concession, alors qu'il s'agissait là de son tout premier rôle au cinéma.

Elle plut tellement que les Oscars la citèrent dans leur palmarès de l'année. Un an plus tard, elle devint la plus jeune actrice à être nommée à deux reprises, grâce à son interprétation très différente de la délicate Sibyl du Portrait de Dorian Gray (1945). Si le film de Cukor était excellent, ce travail d'Albert Lewin est un chef-d'œuvre, à commencer par son atmosphère et sa décoration. Finalement trop raffinée pour la taverne dans laquelle elle chante, Sibyl est à l'image de l'oiseau jaune en cage que dénonce son numéro, puisqu'elle se retrouve prise au piège de ses sentiments pour un homme insaisissable qu'elle ne peut s'empêcher d'aimer. La scène où elle quitte son domicile, d'une démarche fatiguée qui annonce sa mort prochaine, reste l'un des grands moments de sa carrière.

Le milieu des années 1940 vit encore Angela apparaître dans des productions de prestige de la MGM faisant la part belle à la couleur, mais toute délicieuse soit-elle, elle n'est pas nécessairement le point de mire de ces distributions : Les Demoiselles Harvey (1946) reste avant tout un film de Judy Garland, tandis que Le Grand National (1944) reste centré sur la toute jeune Elizabeth Taylor, qui laisse elle-même Anne Revere s'emparer des scènes les plus émouvantes.



Des rôles costumés d'après-guerre

Désormais bien installée dans le paysage des seconds rôles de la MGM, Angela Lansbury fut distribuée dans tout un tas d'histoires diverses et variées, au service de stars bien connues du public. De la fin des années 1940, je n'ai malheureusement vu que ses films en costumes, dont Les Trois Mousquetaires (1948), où elle incarne une Anne d'Autriche plutôt volontaire, qui n'a toutefois pas le temps de faire le poids face à l'ouragan Lana Turner dans le rôle de sa vie, mais encore Samson et Dalila (1949), un énième péplum de Cecil B. DeMille qui mise tout sur la plastique d'Hedy Lamarr, laquelle pouvait néanmoins être bonne comédienne quand elle s'en donnait la peine. Je regrette de n'avoir qu'un souvenir assez flou de Bel Ami (1947), un film d'Albert Lewin un peu décevant après les sommets de Dorian Gray, mais de mémoire, Angela ne s'y reposait jamais sur ses lauriers et n'oubliait pas d'y composer un personnage captivant.

Son grand rôle de cette fin de décennie n'est pas costumé, à moins que l'on considère que l'hypocrisie propre aux élites politiques et médiatiques ne soit qu'un manteau tentant misérablement de masquer leur manque de talent. Il s'agit de L'Enjeu (1948), une nouvelle dissection politique de Frank Capra, où Angela donne la réplique au couple légendaire formé par Spencer Tracy et Katharine Hepburn. Elle y joue la redoutable directrice d'un grand journal républicain, qui tente de faire élire son amant président des États-Unis d'Amérique pour contrôler le pays à sa place ! Elle y est sans surprise magnétique : certes détestable, forcément, mais d'un charisme qui force l'admiration, et d'une aisance scénique tout autant sidérante, alors que ses grands partenaires ne sont pas au meilleur de leur forme.



Les années 1950

Je suis un peu disqualifié pour commenter son parcours cinématographique durant cette décennie, car je n'ai vu que ses films de 1956. Please Murder Me est un film noir de série B, passé complètement inaperçu, mais qui reste intéressant pour voir des interprètes habitués à jouer les seconds couteaux, Angela et Raymond Burr, être enfin en haut de l'affiche. L'actrice y est sans surprise très à l'aise en femme criminelle, menteuse et parjure comme il se doit, dans un rôle que Bette Davis n'aurait pas désavoué en son temps. Dans un tout autre registre, elle fut la même année une hilarante princesse de contes de fées dans Le Bouffon du roi, l'une de mes comédies préférées de la période. Ce n'est ici qu'un petit rôle, mais elle donne beaucoup d'énergie à son personnage qui refuse de se marier avec n'importe qui, laissant tout de même ses partenaires s'emparer du film avec bonheur, notamment Mildred Natwick, impayable en sorcière qui tente d'empoisonner tout le monde, et surtout Danny Kaye, comme toujours fabuleux, et dont c'est peut-être le morceau de bravoure.

C'est malheureusement tout pour le moment. Je rêve de voir The Long, Hot Summer (1958), dont tout le monde me parle en bien depuis toujours, mais je n'en possède qu'une copie révoltante que je n'ai jamais pu me résoudre à visionner. Je note qu'elle fut également à l'affiche d'un Vincente Minnelli, The Reluctant Debutant (1958), aux côtés de Kay Kendall, chose qui me tente évidemment beaucoup. Avez-vous d'autres recommandations à me faire pour cette décennie ?



Les années 1960

J'ai vu un peu plus de films de cette période, mais quelques grands titres manquent encore à l'appel, dont All Fall Down (1962) de John Frankenheimer, et Dear Heart (1964), réalisé par Delbert Mann. Un Scandale à la cour (1960) n'a pas l'air d'avoir très bonne presse, mais l'histoire se déroule dans la Vienne impériale, ce qui en fait de facto un incontournable. Au moins, il me reste plusieurs découvertes à faire, ce qui me réjouit !

Pour sûr, Angela est parfaite dans tous ses autres rôles de la période, sûrement celle de sa consécration en tant que grande actrice de cinéma. Si je n'ai aucun souvenir de Moll Flanders (1965), devant qui je m'étais beaucoup ennuyé, je n'oublie pas, en revanche, qu'elle m'a fait forte impression avec Harlow (1965), la version avec Carroll Baker, un peu plus prestigieuse, mais pas très bonne pour autant, que celle éponyme sortie la même année où Ginger Rogers reprend le rôle de la mère. J'avais aimé les deux interprétations, avec peut-être une préférence pour l'ex-partenaire de Fred Astaire, tout en reconnaissant qu'Angela injecte une grande force de persuasion à son rôle dévorant.

Rien de tout cela n'égale cependant son tour de force dans l'obscur The Dark at the Top of the Stairs (1960), qui est désormais traduit en français par Ombre sur notre amour. J'avais fini par trouver cette rareté dans les méandres d'internet pour ajouter la nomination de Shirley Knight à ma collection des candidates à l'Oscar, mais c'est bel et bien Angela qui aurait dû être nommée pour ce film, car c'est elle qui donne la performance la plus nuancée de la distribution. Elle y incarne une esthéticienne d'une petite ville de province, veuve et tout juste entrée dans la maturité, mais encore très séduisante pour être la cible de rumeurs. La famille principale, qui est en train de se désagréger, croit justement que le père a une liaison avec elle, ce qui n'est pas le cas bien que tous deux soient effectivement attirés l'un par l'autre. L'actrice joue sa partition avec charisme et surtout avec une grande dignité qui émeut, refusant de céder pour ne blesser quiconque, tout en laissant entrevoir ses véritables désirs mâtinés de regret. Il faut vraiment voir ce film rien que pour elle, car elle y est absolument fabuleuse.

Son magnum opus reste néanmoins le célèbre Un Crime dans la tête (1962), dont le titre original me plaît mieux, The Manchurian Candidate. La terrifiante Eleanor Iselin est clairement le rôle qui justifie qu'Angela Lansbury soit devenue une légende du cinéma. En effet, on ne voit qu'elle malgré son temps d'écran limité, sachant que son charisme et son ascendant sont tellement sidérants qu'elle laisse une empreinte indélébile dans l'esprit du spectateur, presque autant que dans l'âme de son fils à l'écran, qu'elle manipule sans aucune vergogne pour asseoir la puissance politique qu'elle construit patiemment. Ce qui est merveilleux avec cette comédienne, c'est qu'elle a su alterner les rôles éminemment sympathiques de victimes (Dorian Gray), de femmes émouvantes (The Dark at the Top of the Stairs) ou de personnalités hilarantes (voir principalement les années suivantes), et qu'elle a tout de même réussi le tour de force d'être exceptionnellement convaincante dans la peau de personnages cyniques et incroyablement glaçants. The Manchurian Candidate est l'aboutissement de ce qui avait été amorcé dès Hantise, puis mis en œuvre dans L'Enjeu, aussi ne sera-t-on guère surpris de se rappeler qu'elle fut l'une des actrices considérées pour le rôle de l'infirmière Ratched dans Vol au-dessus d'un nid de coucou.



Angela Lansbury chez Agatha Christie

Forte de ces grandes interprétations montrant toute l'étendue de sa palette, Angela n'avait pourtant pas dit son dernier mot. Et après une carrière 100 % américaine, elle renoua avec sa Grande-Bretagne natale en se payant le luxe de figurer dans non pas une mais deux adaptations d'Agatha Christie au cinéma, comme la charnière des années 1970 et 1980 les aimait tant. Elle n'est cependant pas la seule à avoir enchaîné ces récits de la reine du crime : Jane Birkin, Maggie Smith ou encore Lauren Bacall ont également deux films au compteur, sans parler de Peter Ustinov dans le rôle du célèbre détective belge que tout le monde connaît bien. Angela peut tout de même se targuer d'avoir égalé son collègue en incarnant de son côté la non moins renommée Miss Marple, dans une version du Miroir se brisa (1980). C'est sûrement le moins bon film des cinq, la faute à un ton abjectement vulgaire (voir l'inénarrable réplique de Kim Novak à Scotland Yard) et à une musique de sitcom du plus mauvais aloi. On en vient même à regretter que l'histoire ne soit pas tout entière consacrée à la dame brune qui tortille ses perles de la main gauche dans un château hanté ! Le vrai problème, c'est que tout le monde est en roue libre là dedans, notamment Elizabeth Taylor qui nous fait son inimitable rire de sorcière après avoir surjoué les victimes… De son côté, Angela a beau se composer une allure de vieille dame de la campagne avec les moyens du bord, rien dans le film ne l'aide à donner chair à sa composition. On l'y voit même fumer en épluchant des légumes, ce qui n'est pas très convaincant.

L'intérêt véritable de ces adaptations d'Agatha Christie est la réunion de grands noms du cinéma au service de films très gay friendly, si l'on peut dire. Les producteurs avaient en tout cas bien compris quel public viser, à commencer par Mort sur le Nil (1978), dont les querelles de divas flamboyantes n'étaient qu'une mise en bouche avant l'apothéose atteinte par Meurtre au soleil quatre ans plus tard. Toujours est-il que le drame égyptien est lui-même un véritable feu d'artifice : le casting nous offre ainsi un bellâtre à la chemise entrouverte (Simon MacCorkindale) au sommet d'une pyramide, entouré d'une épouse hautaine et grimaçante (Lois Chiles), d'une maîtresse psychotique (Mia Farrow), d'une bonne geignarde (Jane Birkin), d'une infirmière dans le placard (Maggie Smith), d'une vieille bique hilarante (Bette Davis) et d'une romancière alcoolique complètement obsédée, à laquelle Angela Lansbury n'a pas eu peur de donner vie avec une abnégation totale ! Qui dit mieux ? Assurément, il reste difficile de savoir qui est la plus mémorable du lot quand des actrices de légendes partagent l'affiche, mais si le duo Smith-Davis est évidemment irrésistible, Angela va tellement plus loin dans le camp le plus pur qu'elle est finalement celle qui aurait mérité un prix d'interprétation. Que l'on pense à son air suffisant à l'heure de faire une révélation capitale, et surtout à son tango incendiaire et pathétique à la fois sur la piste de danse, on est évidemment conquis ! Sans parler de sa manière de draguer des statues de béliers dans un temple antique, après avoir eu son content d'émotions à dos d'âne quelques minutes plus tôt ! Bref, Angela est complètement mythique dans ce rôle, qu'elle parvient à rendre absolument drôle alors que son personnage est, dans le fond, entièrement tragique.



Les années 1980

Après avoir enflammé le Nil et la paisible campagne du Kent de ses interprétations déjantées, Angela a continué sur sa lancée en s'adonnant désormais à la piraterie de haut vol grâce aux Pirates de Penzance (1983), une adaptation hilarante et très colorée de l'opéra comique de Gilbert et Sullivan. Si le film appartient tout entier à Kevin Kline, qui n'a évidemment pas son pareil pour faire du gentil roi des pirates une création hautement dynamique et mémorable, sa partenaire mythique parvient admirablement à tirer son épingle du jeu, avec une énergie communicative encore bien intacte à l'approche de la soixantaine. Ses mimiques clownesques sont à l'unisson du film et, si le costume de cuisinière dont elle est affublée au départ accentue le pathétique de la situation dû à la différence d'âge avec la nouvelle recrue, elle ne se laisse pourtant jamais dénigrer et retrouve une seconde jeunesse dans le deuxième acte, après avoir chaussé ses bottes et revêtu un uniforme rouge vif, pour mieux convaincre son apprenti de rester dans le groupe.

La comédienne tourna peu au cinéma après cela, tout son temps étant à présent occupé par la série qui a fait sa renommée pour les nouvelles générations, Murder, She Wrote, titrée Arabesque en français, et qui s'éternisa pendant douze saisons. Elle y reprend un rôle de Miss Marple contemporaine qui s'amuse à résoudre des énigmes, voire des meurtres sanglants, pour pimenter son quotidien. Je n'ai vu que les cinq premiers épisodes, et doublés qui plus est, donc ça ne compte pas vraiment. Ce qui est certain, c'est que les acteurs inexpérimentés autour d'elle y étaient si mauvais qu'il était difficile de s'intéresser vraiment à tout ça, mention spéciale à la dame qui accuse un type d'avoir tué son père, et qui sourit bêtement en regardant la caméra quand ce n'est pas à son tour de parler ! Il est vraiment dommage que cette série ait éclipsé la brillante carrière cinématographique d'Angela Lansbury, car ces premiers épisodes sont vraiment très en-dessous de son talent. Dans l'un d'entre eux, elle interrogeait un blanc-bec qui prétendait avoir écrit une histoire originale, avant de réaliser que celui-ci avait en fait plagié Les Frères Karamazov. Son expression à ce moment-là était impayable, mais ça ne justifiait pas d'enchaîner avec douze saisons !



Magie de contes de fées

Par bonheur, il est possible de mettre Arabesque de côté, et de se souvenir que les derniers grands succès populaires d'Angela Lansbury eurent lieu dans des films d'animation, principalement de la célèbre maison de production Disney. Le premier remonte à 1971 : calquée sur Mary Poppins, L'Apprentie sorcière fait intervenir des animaux dessinés dans des prises de vue réelles, tandis que l'héroïne enfourche son balais pour vaincre les nazis dans la joie et la bonne humeur. Je n'ai qu'un souvenir très confus de cette œuvre, vue une fois seulement il y a fort longtemps, et qui ne m'avait pas marqué outre mesure.

Il en va autrement de La Belle et la Bête (1991), que j'ai abondamment regardé dans mon enfance, et même encore largement à l'âge adulte. Je ne suis pas d'accord avec le propos de l'histoire, sans surprise peu féministe, mais le résultat visuel et auditif est tellement spectaculaire que je compte ce film parmi mes archi favoris de la décennie. Les premières mesures inquiétantes m'embarquent à chaque fois dès l'ouverture, tandis que la chanson "Belle" reste l'un des grands moments de la comédie musicale contemporaine. Dans le rôle d'un samovar complice et maternel, Angela Lansbury chante quant à elle la chanson-titre, l'instant le plus romantique de l'œuvre.

Six ans plus tard, elle prêta à nouveau sa voix à une histoire de princesse, Anastasia (1997), très librement inspirée de la vie de la célèbre grande-duchesse, dont le sort fut autrement tragique. La comédienne fait résonner le souvenir de Dagmar de Danemark, titrée Marie Fedorovna après son mariage, grand-mère de l'héroïne qui ne veut pas croire qu'une de ses petites-filles ait pu survivre au massacre d'Ekaterinbourg. Elle met dans sa voix tout ce qu'il faut d'émotion pour constituer un personnage complexe et finalement attachant, mais ce n'est clairement pas la performance de sa carrière. Et même si j'adore ce dessin animé et ses chansons, je suis toujours terriblement gêné par sa narration ouvrant le film, où l'on présente la Russie tsariste comme un monde enchanté… Nier ainsi les drames des millions de moujiks et d'ouvriers de cette période justifierait amplement une révolution.

Conclusion

Comme me l'a rappelé ce passage en revue, Angela Lansbury fut une immense actrice de cinéma, une artiste de grand talent qui pouvait tout jouer, d'une frêle victime à une psychopathe dévorée d'ambition, en passant par une sorcière amicale et une pirate hilarante. Elle laisse derrière elle des créations très mémorables dont certaines auraient dû lui valoir l'Oscar, qu'elle finit heureusement par obtenir de manière honorifique il y a quelques années. Ses plus beaux films restent à mon goût Hantise, Le Portrait de Dorian Gray et The Manchurian Candidate, mais elle fut si constamment excellente partout qu'il reste difficile d'établir un florilège de ses plus grandes interprétations. Elle aurait mérité au moins six nominations dans sa carrière cinématographique, ce qui veut dire beaucoup.


Au revoir, Angela, est merci pour tous ces bons moments.

dimanche 9 octobre 2022

Nobles pierres, qui êtes à Cieux


L'un des plus beaux endroits de Haute-Vienne se situe au nord-ouest du département : c'est ce que l'on appelle les monts de Blond. Ces petits montagnes constituent l'un des premiers contreforts du Massif central, et forment la partie occidentale de l'ensemble plus vaste des monts de la Marche, du nom de ce comté jadis détaché du Limousin pour servir de zone-tampon, d'abord contre les Normands, puis contre l'Aquitaine anglaise. Les amateurs de légendes y trouveront de quoi se réjouir, car ce joli relief coloré de conifères et châtaigniers est parsemé de mégalithes dont la contemplation stimule l'imagination : certains sont des chaos rocheux naturels, tandis que d'autres sont des élévations humaines de l'époque néolithique. Je diviserai ce parcours en deux parties : le nord, autour de Blond et du prestigieux village de Mortemart, et le sud qui nous occupe aujourd'hui, autour de Cieux et Javerdat, où fourmillent bon nombre des vestiges préhistoriques que je viens d'évoquer. Un sentier de randonnée dans le bois du Rat permet de passer plusieurs heures dans la forêt à la recherche de ces pierres géantes, bien décidées à garder leur part de mystère…

Le menhir de Ceinturat


Il s'agit là du plus grand menhir du département. D'une hauteur de 7 mètres, dont les deux premiers sont enterrés pour le maintenir à la verticale, il est orné en son centre d'une corniche. La tradition veut que les personnes souhaitant se marier dans l'année y lancent une pièce qui doit s'y maintenir. De même, les femmes désirant tomber enceinte sont invitées à y faire ricocher une pièce qui doit retomber sur elles. Je ne sais pas si tout cela marche vraiment. Comme toujours avec les menhirs du Néolithique, il reste difficile de savoir ce que son implantation signifiait pour les gens d'alors. N'en reste pas moins une pierre imposante à l'aura magnétique : j'avais beau m'y trouver seul sous un soleil éclatant, j'ai ressenti une sensation indescriptible qui m'a empêché d'en faire le tour, ou d'y rester trop longtemps.

La pierre à sacrifices du Chiroudi


Ce bloc de granit est sculpté de cavités dues à l'érosion du feldspath qui le recouvrait en partie. Cette morphologie particulière a conduit nombre de témoins à y voir une pierre où se pratiquaient des sacrifices humains, dont le sang aurait pu être recueilli depuis ces sillons débouchant dans le vide. Que cela soit vrai ou non, force est de constater que le visage qui se dessine à gauche n'est guère serein : on le croirait crispé par la douleur, possible symbole des drames qui auraient eu lieu à son sommet.

Le chaos du Cèpe


Cet ensemble spectaculaire vaut le détour pour ces deux blocs de granite superposés qui ne manquent pas d'évoquer la forme d'un champignon. Les géologues qui l'ont étudié confirment qu'il s'agit d'une structure naturelle due à l'érosion, après la disparition du manteau d'arène qui l'enveloppait. Il est toutefois dommage que ce chaos soit situé sous une ligne à haute tension : ce bruit industriel, par essence insupportable, gâche complètement la visite et fait perdre aux lieux toute leur magie.

L'abri des Fées


Les archéologues ayant fouillé le site depuis les années 1920 attestent que ce rocher fut occupé dès l'époque du Magdalénien final, ce qui en fait le site le plus anciennement habité de ce parcours. De nombreux outils y ont été retrouvés, principalement de forme triangulaire, dont des pointes de flèches. Au Néolithique, le site fut utilisé comme nécropole, chose typique de l'époque, avant d'être progressivement abandonné à l'Âge du bronze.


Ce que les anciens considéraient comme les ruines d'un palais de fées offre également un joli panorama sur la forêt environnante, point de chute idéal pour se projeter dans une histoire fantastique peuplées des créatures imaginaires et de rongeurs doués de parole.

Le pas de la Mule


Juste au-dessous du rocher des Fées se trouve une longue pierre inclinée à la verticale, appelée pas de la Mule, du fait d'une cavité circulaire qui passe pour l'empreinte du sabot d'un (très grand) équidé. Plusieurs légendes y sont attachées, principalement celle d'une bergère attirée par un chant plaintif qui n'était qu'un leurre (on t'a reconnue, Sarah Sanderson !), et qui aurait été emprisonnée par les fées dans leur abri. Les nymphes d'un étang voisin auraient alors donné à un jeune homme des environs une mule enchantée, afin que l'équipage vienne sauver la belle au milieu des brumes. C'est dans leur fuite que l'empreinte aurait été laissée par l'animal céleste.


Une autre légende évoque un nouvel être fabuleux que le panneau explicatif appelle Mandragore. Celui-ci avait apparemment une queue de serpent, des pattes de lion et une tête d'homme, et adorait ravager le canton. Je ne trouve malheureusement aucune trace de cette créature sur la toile, où tout me renvoie à une herbe chantante. Mon dictionnaire des dragons évoque quant à lui la Manticore, hybride au corps de lion, à la tête d'homme et à la queue de scorpion, mais qui vivait en Perse. Pensez-vous qu'une Manticore soit venue se réfugier en Limousin ?

Le chaos de la Carpe


L'inclinaison du pas de la Mule conduit tout droit à un chaos rocheux recouvrant un ruisseau, que nous nommerons, faute de nom officiel, chaos de la Carpe, à cause de cet impressionnant rocher en forme de poisson.


Joliment recouverts de mousse dans un bois laissant peu de place à la lumière, ces rocs sont mystérieux à souhait, d'autant que leur succession est assez longue pour constituer un merveilleux terrain d'aventures.


Les troncs d'arbres, très sombres, ressemblent quant à eux à des tridents tout droit sortis de terre, comme pour marquer la grandeur de ce lieu majestueux.

L'oratoire de la Basse-Forêt


Ces blocs granitiques furent habités au Néolithique, comme en témoignent les éclats de silex et les fragments de poteries retrouvés lors de fouilles archéologiques en 1946. Malheureusement, les catholiques ne purent s'empêcher de s'emparer des lieux pour y bâtir un oratoire, et ficher une statue de la Vierge dans l'une des fissures. Avec une église dans chaque village et une chapelle dans chaque hameau, ils avaient vraiment besoin d'aller dénaturer ces rocs millénaires et magnifiques…

Le menhir d'Arnac


Haut d'un peu plus de 3 mètres, ce menhir est ce que l'on appelle une pierre à cupules, du nom de ces petits creux circulaires délibérément creusés par l'homme sur une surface rocheuse. On en compte plus d'une centaine sur cette pierre, ainsi qu'une quinzaine de signes en forme de croix. Redressé en 1985, ce mégalithe avait jadis la réputation de faire venir la pluie en cas de sécheresse, à condition d'être retourné sur son autre face.

La pierre branlante de Boscartus


Comme bon nombre de pierres branlantes de la région, celle-ci ne repose sur son socle que par un nombre limité de points de contact, ce qui permet en théorie de la faire vaciller un minimum. Elle n'en pèse pas moins plus de 120 tonnes. La légende en a fait un lieu de justice : si un accusé parvenait à la faire bouger, il était reconnu innocent. J'ai pour ma part échoué misérablement. Cela dit, personne ne m'avait accusé de quoi que ce fût : je n'avais rien à prouver à quiconque !


Sur sa face sud, ce roc présente un visage imposant, qui semble vous surveiller de près bien que faisant mine de dormir.

Le dolmen des Termisseaux


Ce dolmen, malheureusement ruiné, n'impressionne plus guère de nos jours, car il n'en reste que des éclats éparpillés parmi les fougères. Il ne faut cependant pas se fier aux apparences : il s'agissait en son temps du plus grand tumulus de la région. La société archéologique et historique du Limousin y a retrouvé en 1944 un très grand nombre de poteries, prouvant que les lieux furent occupés à des époques différentes, au Néolithique bien entendu, mais encore à l'époque gallo-romaine puisque cette construction se situait à proximité de la voie reliant Augustoritum (Limoges) à Limonum (Poitiers).

Le menhir du Pic


Si tous les sites que nous venons de voir se trouvent sur la commune de Cieux, ce tour d'horizon nous conduit désormais à Javerdat où se situent deux autres curiosités. La première est le menhir du Pic, élevé comme il se doit au Néolithique, mais sur lequel nul ne semble disposer d'informations précises. Même la base Mérimée reste pour le moins laconique à son sujet. Cela n'enlève rien à la majesté de cette pierre, à laquelle une fissure centrale confère une apparence particulièrement sévère. « Je vous juge ! », semble-t-elle soupirer…

Le dolmen de Rouffignac


Terminons cette promenade sur une note plus clémente avec l'élégant dolmen de Rouffignac, qui se présente sous son meilleur jour depuis sa restauration à la fin des années 1960. Les archéologues ont relevé 9 cupules sur ses orthostates, avant de trouver dans les vestiges de la chambre des débris d'ossements et quelques tessons de céramique. Le site est aujourd'hui très bien aménagé, à proximité d'un arbre mort qui donne un certain charme à cet ensemble, malgré sa vocation funéraire d'origine. Au prochain numéro : Mortemart et la partie nord des monts de Blond. Affaire à suivre !