dimanche 9 octobre 2022

Nobles pierres, qui êtes à Cieux


L'un des plus beaux endroits de Haute-Vienne se situe au nord-ouest du département : c'est ce que l'on appelle les monts de Blond. Ces petits montagnes constituent l'un des premiers contreforts du Massif central, et forment la partie occidentale de l'ensemble plus vaste des monts de la Marche, du nom de ce comté jadis détaché du Limousin pour servir de zone-tampon, d'abord contre les Normands, puis contre l'Aquitaine anglaise. Les amateurs de légendes y trouveront de quoi se réjouir, car ce joli relief coloré de conifères et châtaigniers est parsemé de mégalithes dont la contemplation stimule l'imagination : certains sont des chaos rocheux naturels, tandis que d'autres sont des élévations humaines de l'époque néolithique. Je diviserai ce parcours en deux parties : le nord, autour de Blond et du prestigieux village de Mortemart, et le sud qui nous occupe aujourd'hui, autour de Cieux et Javerdat, où fourmillent bon nombre des vestiges préhistoriques que je viens d'évoquer. Un sentier de randonnée dans le bois du Rat permet de passer plusieurs heures dans la forêt à la recherche de ces pierres géantes, bien décidées à garder leur part de mystère…

Le menhir de Ceinturat


Il s'agit là du plus grand menhir du département. D'une hauteur de 7 mètres, dont les deux premiers sont enterrés pour le maintenir à la verticale, il est orné en son centre d'une corniche. La tradition veut que les personnes souhaitant se marier dans l'année y lancent une pièce qui doit s'y maintenir. De même, les femmes désirant tomber enceinte sont invitées à y faire ricocher une pièce qui doit retomber sur elles. Je ne sais pas si tout cela marche vraiment. Comme toujours avec les menhirs du Néolithique, il reste difficile de savoir ce que son implantation signifiait pour les gens d'alors. N'en reste pas moins une pierre imposante à l'aura magnétique : j'avais beau m'y trouver seul sous un soleil éclatant, j'ai ressenti une sensation indescriptible qui m'a empêché d'en faire le tour, ou d'y rester trop longtemps.

La pierre à sacrifices du Chiroudi


Ce bloc de granit est sculpté de cavités dues à l'érosion du feldspath qui le recouvrait en partie. Cette morphologie particulière a conduit nombre de témoins à y voir une pierre où se pratiquaient des sacrifices humains, dont le sang aurait pu être recueilli depuis ces sillons débouchant dans le vide. Que cela soit vrai ou non, force est de constater que le visage qui se dessine à gauche n'est guère serein : on le croirait crispé par la douleur, possible symbole des drames qui auraient eu lieu à son sommet.

Le chaos du Cèpe


Cet ensemble spectaculaire vaut le détour pour ces deux blocs de granite superposés qui ne manquent pas d'évoquer la forme d'un champignon. Les géologues qui l'ont étudié confirment qu'il s'agit d'une structure naturelle due à l'érosion, après la disparition du manteau d'arène qui l'enveloppait. Il est toutefois dommage que ce chaos soit situé sous une ligne à haute tension : ce bruit industriel, par essence insupportable, gâche complètement la visite et fait perdre aux lieux toute leur magie.

L'abri des Fées


Les archéologues ayant fouillé le site depuis les années 1920 attestent que ce rocher fut occupé dès l'époque du Magdalénien final, ce qui en fait le site le plus anciennement habité de ce parcours. De nombreux outils y ont été retrouvés, principalement de forme triangulaire, dont des pointes de flèches. Au Néolithique, le site fut utilisé comme nécropole, chose typique de l'époque, avant d'être progressivement abandonné à l'Âge du bronze.


Ce que les anciens considéraient comme les ruines d'un palais de fées offre également un joli panorama sur la forêt environnante, point de chute idéal pour se projeter dans une histoire fantastique peuplées des créatures imaginaires et de rongeurs doués de parole.

Le pas de la Mule


Juste au-dessous du rocher des Fées se trouve une longue pierre inclinée à la verticale, appelée pas de la Mule, du fait d'une cavité circulaire qui passe pour l'empreinte du sabot d'un (très grand) équidé. Plusieurs légendes y sont attachées, principalement celle d'une bergère attirée par un chant plaintif qui n'était qu'un leurre (on t'a reconnue, Sarah Sanderson !), et qui aurait été emprisonnée par les fées dans leur abri. Les nymphes d'un étang voisin auraient alors donné à un jeune homme des environs une mule enchantée, afin que l'équipage vienne sauver la belle au milieu des brumes. C'est dans leur fuite que l'empreinte aurait été laissée par l'animal céleste.


Une autre légende évoque un nouvel être fabuleux que le panneau explicatif appelle Mandragore. Celui-ci avait apparemment une queue de serpent, des pattes de lion et une tête d'homme, et adorait ravager le canton. Je ne trouve malheureusement aucune trace de cette créature sur la toile, où tout me renvoie à une herbe chantante. Mon dictionnaire des dragons évoque quant à lui la Manticore, hybride au corps de lion, à la tête d'homme et à la queue de scorpion, mais qui vivait en Perse. Pensez-vous qu'une Manticore soit venue se réfugier en Limousin ?

Le chaos de la Carpe


L'inclinaison du pas de la Mule conduit tout droit à un chaos rocheux recouvrant un ruisseau, que nous nommerons, faute de nom officiel, chaos de la Carpe, à cause de cet impressionnant rocher en forme de poisson.


Joliment recouverts de mousse dans un bois laissant peu de place à la lumière, ces rocs sont mystérieux à souhait, d'autant que leur succession est assez longue pour constituer un merveilleux terrain d'aventures.


Les troncs d'arbres, très sombres, ressemblent quant à eux à des tridents tout droit sortis de terre, comme pour marquer la grandeur de ce lieu majestueux.

L'oratoire de la Basse-Forêt


Ces blocs granitiques furent habités au Néolithique, comme en témoignent les éclats de silex et les fragments de poteries retrouvés lors de fouilles archéologiques en 1946. Malheureusement, les catholiques ne purent s'empêcher de s'emparer des lieux pour y bâtir un oratoire, et ficher une statue de la Vierge dans l'une des fissures. Avec une église dans chaque village et une chapelle dans chaque hameau, ils avaient vraiment besoin d'aller dénaturer ces rocs millénaires et magnifiques…

Le menhir d'Arnac


Haut d'un peu plus de 3 mètres, ce menhir est ce que l'on appelle une pierre à cupules, du nom de ces petits creux circulaires délibérément creusés par l'homme sur une surface rocheuse. On en compte plus d'une centaine sur cette pierre, ainsi qu'une quinzaine de signes en forme de croix. Redressé en 1985, ce mégalithe avait jadis la réputation de faire venir la pluie en cas de sécheresse, à condition d'être retourné sur son autre face.

La pierre branlante de Boscartus


Comme bon nombre de pierres branlantes de la région, celle-ci ne repose sur son socle que par un nombre limité de points de contact, ce qui permet en théorie de la faire vaciller un minimum. Elle n'en pèse pas moins plus de 120 tonnes. La légende en a fait un lieu de justice : si un accusé parvenait à la faire bouger, il était reconnu innocent. J'ai pour ma part échoué misérablement. Cela dit, personne ne m'avait accusé de quoi que ce fût : je n'avais rien à prouver à quiconque !


Sur sa face sud, ce roc présente un visage imposant, qui semble vous surveiller de près bien que faisant mine de dormir.

Le dolmen des Termisseaux


Ce dolmen, malheureusement ruiné, n'impressionne plus guère de nos jours, car il n'en reste que des éclats éparpillés parmi les fougères. Il ne faut cependant pas se fier aux apparences : il s'agissait en son temps du plus grand tumulus de la région. La société archéologique et historique du Limousin y a retrouvé en 1944 un très grand nombre de poteries, prouvant que les lieux furent occupés à des époques différentes, au Néolithique bien entendu, mais encore à l'époque gallo-romaine puisque cette construction se situait à proximité de la voie reliant Augustoritum (Limoges) à Limonum (Poitiers).

Le menhir du Pic


Si tous les sites que nous venons de voir se trouvent sur la commune de Cieux, ce tour d'horizon nous conduit désormais à Javerdat où se situent deux autres curiosités. La première est le menhir du Pic, élevé comme il se doit au Néolithique, mais sur lequel nul ne semble disposer d'informations précises. Même la base Mérimée reste pour le moins laconique à son sujet. Cela n'enlève rien à la majesté de cette pierre, à laquelle une fissure centrale confère une apparence particulièrement sévère. « Je vous juge ! », semble-t-elle soupirer…

Le dolmen de Rouffignac


Terminons cette promenade sur une note plus clémente avec l'élégant dolmen de Rouffignac, qui se présente sous son meilleur jour depuis sa restauration à la fin des années 1960. Les archéologues ont relevé 9 cupules sur ses orthostates, avant de trouver dans les vestiges de la chambre des débris d'ossements et quelques tessons de céramique. Le site est aujourd'hui très bien aménagé, à proximité d'un arbre mort qui donne un certain charme à cet ensemble, malgré sa vocation funéraire d'origine. Au prochain numéro : Mortemart et la partie nord des monts de Blond. Affaire à suivre !

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