mardi 13 octobre 2015

La Cité interdite (2006)


Film de Zhang Yimou sorti le 21 décembre 2006 sous le titre original 满城尽带黄金甲, littéralement La Malédiction de la fleur d'or, même si une fois n'est pas coutume, le titre français contient déjà assez de grandeur et de complots supposés pour mettre dans de bonnes dispositions.

L'histoire: Dans une Chine médiévale fantasmée, l'empereur, sa femme et les p'tits princes s'adonnent à une lutte sans merci pour le pouvoir. Quelles en seront les conséquences? Et qui aura le dernier mot?

Pour tout vous dire, j'ai regardé ce film après la découverte des très beaux Héros et Secret des poignards volants, deux wǔxiá piàn que j'avais vraiment adorés sur le coup mais qui ne tiennent pas forcément toutes leurs promesses lorsqu'on y revient avec un regard objectif. Eh bien il en va de même avec La Cité interdite, une oeuvre au départ éblouissante pour son côté "film de sabre impérial sur fond de drame familial", mais dont les défauts ressortent en trop grand nombre dès le deuxième essai. Pourquoi une telle déception?

Tout d'abord parce que la forme est submergée par une surcharge d'effets. La Cité interdite a d'ailleurs la réputation d'être le film le plus cher de l'histoire du cinéma chinois, avec son budget ridicule de 45 millions de dollars, mais à vouloir trop éblouir, Zhang Yimou a fini par noyer son œuvre dans un océan d'effets spéciaux et de décors tous plus criards les uns que les autres, de quoi conduire le spectateur à la nausée passée la première fois, où le grand spectacle fait malgré tout son petit effet. Hélas, tous se passe dans des intérieurs jaune fluo parsemés de touches bleues, rouges ou vertes phosphorescentes, ce qui finit par faire réellement mal aux yeux, et fait vivement regretter les jolies couleurs de Héros et du Secret des poignards volants, où chaque séquence était soutenue par une couleur, au point de mieux rythmer et aérer l'ensemble. Mais ici, tout est trop jaune, même les costumes sont dorés, et si l'on comprend aisément que cette couleur doive dominer le film, afin de rappeler cette atmosphère de complots liés au motif du chrysanthème empoisonnant la cour, cette cascade jaunâtre donne finalement le tournis, au point qu'on regrette que le réalisateur ait succombé à la tentation de vouloir trop émerveiller. A la réflexion, je ne suis même pas convaincu de l'utilité des effets spéciaux, ce mélodrame familial n'appelant pas à mon sens de servir de prétexte à un film de sabre, sauf à la limite lors de l'affrontement final entre les murs du palais. Mais pour le reste? Les duels pour la forme entre le père et son deuxième fils, noyés sous une pluie de bruits métalliques en tous genres, ne font pas du tout avancer l'histoire, et l'attaque de la maison du nouveau gouverneur est finalement rendue caduque par le scénario, alors tant pis pour cette séquence de bataille très bien organisée, dont les tons gris nocturnes des Trois Ponts Naturels font tout de même du bien au milieu de la mer jaune du reste du film. Malgré tout, trop d'effets spéciaux et de couleurs criardes conduisent à l’écœurement, et si l'on peut trouver ça effectivement spectaculaire la première fois, ça ne soutient pas un second visionnage.

Et comme je le disais, cette avalanche d'effets semble souvent en décalage avec une histoire avant tout intimiste, dont les accents lyriques exacerbés étaient déjà très chargés en eux-mêmes sans qu'on ait besoin d'en rajouter une couche formellement. En fait, le scénario est une adaptation de L'Orage, une pièce de Cao Yu créée en 1934 et située dans la Chine contemporaine, à travers le destin d'une famille minée par l'inceste et le poids des traditions. Le succès fut à la hauteur de sa réputation sulfureuse, mais si la transposition est apparemment correcte d'après ce qui est montré à l'écran, force est de reconnaître que cette base dépasse allègrement des limites que même un livret d'opéra n'oserait franchir. Voyons un peu: Monsieur cherche à empoisonner Madame à petit feu par son remède quotidien; Madame couche avec le prince-héritier, son beau-fils mais à qui elle a tout de même servi de modèle maternel toute sa jeunesse, tout en complotant avec le deuxième prince, son propre fils à elle, tandis que le prince-héritier est en parallèle l'amant de la fille du médecin impérial... dont la mère n'est pas étrangère à l'empereur... ni même à l'impératrice. Pour couronner le tout, le troisième prince, le plus jeune, ne sert à rien et revient comme par magie dans le dernier acte avec un gros complot sur les bras. Rien que ça! Bref, tout le monde trompe tout le monde, mais le grand problème du scénario, c'est aussi que tout le monde s'espionne l'un l'autre, si bien que chaque membre de la famille est apte à déjouer les complots de son adversaire, à tel point qu'on se retrouve dans un schéma poussif du type: "Hahaha, ma garde personnelle t'encercle pour te tuer!" "Oui, mais j'avais eu vent de tes projets et ma propre garde encercle la tienne!" "Héhé, mais moi aussi j'étais au courant de ton mouvement, et mes soldats entourent eux-même ta garde!" "Oui, mais moi aussi je savais que tes soldats allaient nous encercler, aussi ai-je demandé à mon propre contingent d'assiéger le palais!" "Huhu, mais moi aussi je sav..." Stop! On tourne en rond! Mais c'est hélas le cas dans tout le film: chaque complot est ainsi déjoué à la dernière minute par une nouvelle garde sortie de n'importe où, si bien que chaque piste amorcée par le texte est trop rapidement abandonnée au profit d'un nouveau rebondissement inattendu. A ce titre, le scénario est finalement caduque. La preuve, c'est la famille du médecin, qui fait un peu pièce rapportée et qui disparaît d'un claquement de doigts, quand les scénaristes ne savent plus quoi en faire.

Pour couronner le tout, cette histoire qui patine au point de départ affecte les performances d'acteurs, en particulier celle de Chow Yun-fat qui, après avoir joué à l'empereur cruel mais serein dans les trois quarts du film, nous offre un changement de personnalité à la limite de la bipolarité, en se mettant à pleurer comme un gros bébé sur un mort, alors qu'il n'avait montré que mépris frisant le désir d'assassinat jusqu'à présent. L'acteur se rattrape heureusement par la suite en reprenant ses vieilles habitudes malgré la succession de drames, mais certains accents fort mélodramatiques ne suivent pas du tout le parcours du personnage. Comme pour l'éblouissement visuel qui cherche à trop en faire, le texte va lui aussi trop loin par moments, au point de négliger la véritable psychologie de ses personnages. En même temps, que pouvaient faire les acteurs pour se sauver d'un scénario où de nouveaux complots poussent comme des champignons toutes les dix minutes, sans souci d'honnêteté envers les protagonistes? Quoi qu'il en soit, le reste de la distribution reste correct mais sans réellement marquer les esprits, les princes, le médecin et sa fille étant somme toute assez pâlichons, de telle sorte que seule la mystérieuse épouse de l'apothicaire, incarnée par Chen Jin, parvient à mettre le spectateur de son côté de par sa classe, son destin émouvant et ses talents de lutteuse. Néanmoins, d'un point de vue interprétatif, les honneurs reviennent à Gong Li, idéalement distribuée dans ce rôle, et qui détaille à merveille le personnage complexe de l'impératrice, à travers une performance fébrile jamais loin de franchir la ligne de la folie. Disons que l'actrice reste la principale lumière du film, même si je préfère largement ses collaborations antérieures avec Zhang Yimou.

Comme précisé plus haut, le réalisateur semble en fait avoir perdu le sens de la mesure après ses succès précédents dans le registre du film de sabre, mais s'il est constamment tenté de trop en faire afin d'aboutir au spectacle le plus grandiose possible, on reconnaîtra tout de même de réelles qualités dans sa mise en scène, en particulier à travers la photographie de Zhao Xiaoding, lequel utilise parfaitement les détails du décor afin de bien servir le propos, à l'image de ce plan judicieux où l'ombre d'un chrysanthème brodé se reflète sur le visage de l'impératrice, en pleine séance de couture. Les formes géométriques de la terrasse des chrysanthèmes sont également très bien utilisées, ce qui doit être mis au crédit de l'équipe, mais on regrettera tout de même ces nombreuses séquences d'intérieur submergées par cette décoration nauséeuse. A vrai dire, les costumes, pourtant grandioses, ont du mal à se distinguer dans la masse, tant ce qui les entoure part dans des outrances inacceptables. On en revient donc bien au même problème: les ors tuent la grandeur.

Néanmoins, La Cité interdite reste un beau spectacle en phase de découverte, bien que la déception soit rude après coup. Cela n'a pas empêché les Hong Kong Film Awards de nommer le film dans pas moins de quatorze catégories, même si je dois m'insurger contre le prix de la meilleure chanson originale décerné à Jay Chou (le deuxième prince). Non seulement on n'entend pas la chanson dans le film, celle-ci ayant été composée à côté afin de promouvoir son album de l'époque, mais en outre, son espèce de pop sirupeuse ne colle pas du tout au propos! C'est comme si dans La Reine Margot, on avait remplacé Elo Hi par Pull Marine sur le générique de fin! Ça n'aurait eu aucun sens! Deux ans plus tôt, le sublime Lovers des Poignards volants, composé par Shigeru Umebayashi et interprété par Kathleen Battle, était un milliard de fois plus poignant, tout en servant parfaitement l'histoire.

En définitive, j'en resterai à un correct 6/10. J'ai tout de même eu du mal à décrocher du 7 où le film trônait jusqu'alors, mais les imperfections deviennent trop grandes avec le recul pour maintenir cette note. A la réflexion, ça n'a pas grande importance: c'est agréable à découvrir et c'est au moins divertissant. Mais on préférera un Zhang Yimou plus intimiste et avec moins d'effets, quand seules des lanternes rouges apportaient de la couleur à une histoire austère bien plus bouleversante.

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