mardi 5 avril 2016

The Richest Girl in the World (1934)


Ce soir, faisons d'une pierre deux coups en couplant notre rétrospective Miriam Hopkins à notre revisite des films de 1934, au confluent de quoi l'on retrouve La Femme la plus riche du monde, un film de William Seiter (Roberta) scénarisé par Norman Krasna (Hands Across the Table, It Started with Eve).

A ce petit jeu, c'est le second qui l'emporte, car autant la mise en scène du réalisateur manque de souffle et cause certaines longueurs, autant le scénario donne un joli exemple de comédie romantique aux quiproquos assez fins pour piquer l'intérêt. Je suis d'ailleurs ravi d'avoir redonné sa chance au film, l'histoire me plaisant bien mieux à présent, malgré quelques défauts toujours perceptibles, et l'on comprend vraiment pourquoi Miriam Hopkins a préféré s'adonner à ce type de comédies mondaines plutôt qu'à l'insupportable It Happened One Night, beaucoup plus lourd et ennuyeux par comparaison malgré son statut mythique. Les aventures de cette femme richissime sont pourtant loin d'être parfaites, mais pour avoir revu les deux films en peu de temps, je préfère assurément celui qui nous occupe, plus frais, plus adulte, et sans marins ridicules ou de petits garçons geignards pour faire pleurer dans les chaumières!

Le plus gros reproche qu'on pourrait faire au film, c'est que l'intrigue met trop de temps à se mettre en place. En effet, le premier quart d'heure est atrocement plat, puisqu'en cherchant à faire monter la tension jusqu'à l'apparition divine de l'héroïne mystérieuse, le rythme se ralentit volontairement en présentant une ribambelle de journalistes qui s'échangent des renseignements futiles ne donnant pas vraiment envie de se prendre au jeu. Il suffit d'ailleurs de comparer avec les différentes versions de Love Affair: dans les films de Leo McCarey, l'introduction dévoile un lot de chroniqueurs amusants qui révèlent en différents langages des informations quant au personnage exceptionnel qui les émoustille. C'est drôle tout en allant directement au fait, et l'on a dès lors très envie de guetter l'apparition du séducteur en question. Mais dans The Richest Girl in the World, l'ouverture se perd dans un blabla sans relief où même les tentatives d'humour tombent à plat, lorsque l'héroïne est par exemple comparée à une jument... Et comme on ne sait pas encore que Fay Wray joue de supercherie dans la séquence suivante, celle-ci paraît également trop longue à mesure qu'on parle de documents à signer, si bien que l'histoire ne démarre vraiment qu'après ces quinze minutes assez laborieuses.

Par bonheur, une fois qu'on entre dans le vif du sujet, le film prend tout de suite un tour plus charmant. On découvre alors avec joie cette héritière au patrimoine inégalé, une fortune qui lui pèse plus qu'autre chose car elle craint ainsi de n'être courtisée que pour son coffre-fort, d'où sa manie de faire passer sa secrétaire pour elle afin de tester ses soupirants. On notera que le Code n'avait pas dû entrer en vigueur au moment du tournage, car la secrétaire en question est bel et bien mariée, ce qui implique que les scènes romantiques entre Joel McCrea et la fausse Sylvia prennent une coloration toute sulfureuse lorsque celui-ci se couche sans gêne aucune sur ses genoux pour lui conter l'histoire de Moïse. Sans parler des joutes verbales où l'on pointe sans arrêt des queues de billard sur l'adversaire... Dans tous les cas, les personnages réagissent de façon adulte même dans l'humour, en dépit d'un accès final de puérilité de la part d'une héroïne ayant créé, par son obstination, une sorte de "liaison dangereuse" qui risque de se retourner contre elle. Malgré ça, l'héritière est idéale pour être au centre d'une comédie romantique: elle est sympathique, ne cherche jamais à se mettre en valeur malgré sa position à la Balthazar Picsou, tout en étant assez fine mouche pour ne pas en vouloir à son premier soupirant qui rompt leurs fiançailles. C'est dans ce genre d'exemples que le texte me semble vraiment adulte, puisqu'on évite toute émotivité disproportionnée et l'on continue de se parler en toute connaissance de cause. Cerise sur le gâteau: le désarroi de l'héroïne n'est jamais montré sous un jour larmoyant. Il suffit d'un plan sur son visage lavé de toute illusion pour en dire plus long que n'importe quelle discussion inutile.

On reprochera par contre deux choses au scénario. D'une part, le personnage de la secrétaire est vraiment trop effacé: on n'a pas le temps de ressentir son influence alors qu'elle est censée jouer à la maîtresse de maison, et l'on doit s'en tenir aux seules paroles de l'héritière et de Joel McCrea à son sujet. Dès lors, même si l'histoire va à l'essentiel et place toujours Dorothy au centre de l'action, le quiproquos semble parfois un peu vain, contribuant par-là même au léger manque d'humour dont souffre le film. Ce n'est pas trop grave en soi parce qu'il s'agit avant tout d'une comédie romantique et non d'une screwball, mais un peu plus de relief dans la drôlerie n'aurait pas déparé, et aurait pu faire gagner quelques précieuses minutes supplémentaires susceptibles d'enrichir le tout. En l'état, on se contente d'une photo de bébé, d'un naufrage en canoë et d'un concert d'éternuements, mais le sourire ne parvient jamais à perdre son préfixe. Là où le bât blesse en revanche, c'est lorsqu'on en vient au dénouement: ça tombe comme un couperet, on n'a pas tout à fait le temps de comprendre les réactions des personnages, et l'un des protagonistes dont la brutalité soudaine semble plaire perd pourtant le précieux capital sympathie édifié jusqu'alors. C'est dommage, car après l'introduction ennuyeuse qui faisait tendre la note vers un 5, la suite, toujours captivante, avait réussi à frôler le 7, mais cette fin abrupte fait hélas retomber le soufflé sur un 6. Ça reste honorable, et la très jolie ambiance de vacances dans de somptueuses villas au bord d'un lac est heureusement assez plaisante pour donner envie de revenir vers cette histoire sympathique à l'occasion.

Mais plus encore que cette atmosphère délicieuse, c'est bel et bien Miriam Hopkins qui touche droit au cœur, et ce avec une performance tout en retenue absolument réussie. En effet, on est en pleine période ante Becky Sharp et sa prestation lorgne davantage du côté de Stranger's Return: pas un sourcil ne dépasse l'autre, le menton ne s'avance jamais pour appuyer une émotion, et tout s'exprime calmement par le regard, un regard toujours pétillant qui illustre une fois de plus l'extraordinaire charisme de la dame. Miriam dynamise donc le film à elle seule, la mise en scène quelconque ne lui faisant aucun cadeau si ce n'est dans une poignée de gros plans qui la mettent en valeur, et elle réussit surtout l'exploit de faire ressentir à la fois le charme et la mélancolie qui se bousculent tour à tour sur son visage: quand elle est triste, elle touche par sa sincérité, et lorsqu'elle est en société, elle ne laisse jamais rien transparaître de ses tourments, au prix de sourires ravageurs qui donnent envie d'en tomber amoureux. A ses côtés, Joel McCrea est sympathique comme à son habitude, mais il reste une fois de plus dans sa zone de confort assez étroite et perd donc en intérêt. Fay Wray est quant à elle trop effacée, Henry Stephenson est égal à lui-même, et Reginal Denny compose indéniablement mon personnage préféré après Miriam, en acceptant de se prêter au jeu de l'héritière sans rechigner.

En somme, la redécouverte est plaisante, et cette Femme la plus riche du monde reste un bon exemple de comédie mondaine typique de l'époque, en présentant un profil charmant qui ne s'épargne cependant pas quelques défauts. C'est loin d'être le film le plus mémorable de l'année, mais j'y reviendrai désormais avec plaisir. La seule contrainte: faire vraiment l'effort de dépasser le premier quart d'heure avant d'en apprécier le suc.

4 commentaires:

  1. Je l'ai vu il n'y a pas longtemps ! A ce moment je parcourais la filmographie de Fay Wray, donc je l'ai regardé pour elle. Ce qui fait que je n'ai pas ressenti comme toi le premier quart d'heure, d'autant que l'attente croissante envers l'entrée en scène de Miriam permet d'apprécier encore plus son arrivée.
    Pour le reste mon ressenti est assez proche du tien. Ce n'est pas un grand film, mais je m'y attendais, et l'atmosphère de comédie mondaine du début des 30s me plait bien. C'est un genre qui a réussi à pas mal de mes actrices.
    Miriam est comme tu l'as mentionné assez posée dans son jeu, et comme toujours elle dynamise son film, sans que ce soit sa meilleure performance.
    J'ai bien aimé Fay Wray, qui n'est effectivement pas assez mise en valeur par le scénario, mais se débrouille très bien dans certaines scènes, où rien que par un regard de travers elle est très drôle.

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    1. J'ai encore du mal à cerner Fay Wray au stade où j'en suis. Elle m'a séduit par un certain dynamisme dans The Wedding March, elle est impeccable ici bien qu'assez effacée, mais autrement? Je n'ai aucun souvenir de ses prestations dans The Most Dangerous Game et Cellini, et elle semble avoir passé le reste de sa carrière à crier (Vampire Bat, Wax Museum)... J'apprécie que son personnage ait un passé dans King Kong, mais une fois l'intrigue lancée, on en revient à la bonne vieille recette horrifique de hurlements en tous genres... Difficile de savoir si je l'aime vraiment ou non avec si peu à se mettre sous la dent. Mais si tu lui connais des rôles plus variés, je suis preneur!

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    2. Ses rôles de "scream queen" ne m'intéressent pas ou peu, encore que King Kong est mythique. Elle est correcte dans The Most Dangerous Game, mais son rôle reste limité à celui de la demoiselle en détresse.
      Pour le reste :
      The Wedding March est son meilleur film, et l'un de ses meilleurs rôles. Le muet lui va aussi bien que le "hurlant"...
      Dans The Affairs of Cellini son rôle est mineur mais elle joue beaucoup plus finement qu'il n'y parait une jeune fille un peu simplette. C'est nominable.
      Dans One Sunday Afternoon, elle joue une vamp qui a séduit un jour Gary Cooper. Pas mal du tout. Le film a un côté désuet, version Amérique des 1900s.
      Elle hausse son niveau de jeu dans "It happened in Hollywood", un prédécesseur de "The Artist" qui traite de la fin du muet et du début du parlant. Elle y a une certaine classe et pas mal d'expressivité.
      Et enfin, Ann Carver's Profession, le film où elle est le plus charismatique. Sentiment très mitigé sur celui là, puisqu'il est assez daté (il décrit une société assez raciste et même sexiste sans le condamner). Mais aucun reproche à Fay, c'est l'un des seuls films qu'elle domine totalement.

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    3. Merci! Ça fait une bonne liste pour la découvrir plus avant. A vrai dire, je n'avais jamais entendu parler des trois derniers films...

      J'essaierai de revoir Cellini cette fin de semaine. Une revisite d'automne à The Wedding March m'avait bien confirmé qu'elle y est parfaite. Je ne me souviens plus de l'importance de son rôle, mais la nomination restait fortement envisageable à l'époque.

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