dimanche 22 janvier 2017

Destruction.

Je n'ai plus la motivation d'écrire ces temps-ci. La raison est simple: comme chaque année, je me suis forcé à rendre visite à ce qu'il faut bien appeler mon père, et comme chaque année, j'en ressors anéanti.

Je n'aime pas me plaindre, et l'on m'a toujours appris à garder sa douleur pour soi, mais je suis dans un tel état d'angoisse à l'idée de retourner le voir sous peu (parce que je ne sais pas dire non), que j'ai besoin d'écrire pour tempérer ma peur, quitte à supprimer ces mots dans quelques heures.

Dans les grandes lignes, mon père est un homme violent, doublé d'un pervers narcissique, et comme si ça ne suffisait pas, il est bien entendu raciste, misogyne, obsédé sexuel, intéressé par son seul profit, méprisant envers les pauvres et plus encore envers les handicapés. A plusieurs reprises dans mon enfance, il m'a attrapé par le col pour me lancer contre des meubles, et malgré le traumatisme, je crois que la douleur physique fut la moindre des souffrances qu'il m'a infligées: il faut également compter le déluge d'humiliations publiques ou privées qui avaient réussi à transformer le garçon souriant et spontané que j'étais en adolescent complexé, ou encore l'absence totale de sentiment d'être aimé, ou ne serait-ce que soutenu, puisqu'il a toujours refusé de partager les frais avec ma mère, qui m'a élevé seule. Quitte à redoubler de cris et de violence contre nous pour nous empêcher de déposer une plainte que nous n'aurions de toute façon jamais pu nous résoudre à porter, puisque nous ne savons pas nous battre pour nos droits.

Et même quand il était d'à peu près bonne humeur avec moi, il m'a fallu endurer de le voir reporter sa violence physique et verbale contre d'autres personnes en ma présence, de quoi rendre infernaux les deux weekends de chaque mois où j'étais tenu d'y aller. J'ai notamment dû supporter de le voir jeter une encyclopédie à la tête de sa sœur, avant de lui donner un coup de poing au sommet du crâne, sachant que ce coup-là était à l'origine réservé à ma grand-mère et que ma tante s'était interposée in extremis pour le prendre à sa place.

Bien sûr, il est difficile de comprendre pourquoi je me sens encore obligé d'aller le voir une fois par an alors que je suis majeur depuis déjà dix années (et dieu sait si j'attendais mes 18 ans avec impatience dans l'idée de couper tout contact avec lui). Mais c'est en fait plus facile à dire qu'à faire. Car à chaque fois que j'ai tenté de couper les ponts, il m'a harcelé, harcelé jusqu'au point de non retour, allant jusqu'à me suivre dans des lieux où il n'aurait jamais dû se rendre, et s'ingéniant à réveiller ma mère ou mes grands-parents maternels en pleine nuit jusqu'à ce que je finisse par céder. Finalement, il était plus tranquille pour tout le monde que j'accepte de le voir un minimum plutôt que subir ce harcèlement.

Ce qui nous mène en ce début d'année 2017. Après avoir enlevé mes chaussures, j'ai marché sur de petits objets désagréables. Il s'agissait de petits éclats de bouteille de verre qu'il avait lancé la veille sur sa femme. La bouteille lui est passée à deux centimètres du visage pour venir se briser contre un mur, se vaporisant en mille morceaux qui n'avaient pas tous disparu bien qu'il ait forcé son épouse à faire le ménage avant mon arrivée. Plus tard, après l'avoir battue à coups de chiffons pour la forcer à nettoyer, il l'a poursuivie dans la rue en lui criant injures racistes et obscénités. Nul dans le quartier n'est intervenu, si bien qu'elle a dû dormir dans sa voiture car elle n'avait pas d'endroit où aller sur place, et parce que mon géniteur a refusé de lui ouvrir avant le matin. Une fois calmé, il s'est excusé de s'être "énervé" et considère que "l'incident" est clos.

En novembre 2015, j'avais réussi à le gifler violemment pour lui reprocher d'avoir passé sa vie à tenter de me détruire. Il était resté glacial et m'avait dit que j'exagérais ses torts avec le recul, concluant qu'il ne se souvenait même pas m'avoir jeté contre des meubles jadis et que ce ne devait donc pas être grave. Comme bien des pervers narcissiques, il avait en fait réussi à retourner la conversation à son avantage, m'obligeant à me sentir coupable moi-même de lui faire ces reproches. En repartant, j'avais pensé à plusieurs reprises jeter ma voiture contre un obstacle tellement je me sentais mal.

Il faut se rendre à l'évidence: ma mère ne s'est jamais remise de son mariage et tremble encore dès qu'elle entend sonner à la porte ou au téléphone (notons d'ailleurs que mes grands-parents paternels ont témoigné en faveur de ma mère lors du divorce). Mon grand-père était tellement sidéré par le comportement de son fils qu'il étouffait de plus en plus, ce qui a fini par l'expédier dans la tombe seulement six mois après avoir pris sa retraite. Ma tante n'a pu commencer à s'épanouir qu'à cinquante ans tant les angoisses causées par son frère l'ont étouffée elle aussi. Au bureau, trois de ses secrétaires ont démissionné après avoir sombré dans la dépression, et la plus résistante fait régulièrement des crises d'eczéma. Et là, je ne parle vraiment que des grandes lignes: je vous laisse imaginer jusqu'où ça peut aller dans le détail.

Alors voilà, pour éviter de nouvelles crises, ou de nouveaux esclandres, j'ai accepté de retourner le voir sous peu, mais même l'idée de la visite la plus furtive du monde m'est insupportable. D'où mon besoin d'en parler aujourd'hui. Je n'aime pas parler de moi, mais j'atteins un état de stress tel qu'il m'est impossible de rester silencieux cet après-midi.

Le plus frustrant: il y a six ans, au moment où je m'y attendais le moins, un médecin m'a appelé juste avant que j'entre dans une salle de cinéma avec ma meilleure amie. Il m'a dit que mon père venait de faire un AVC et qu'il me fallait aller d'urgence à l'hôpital pour le voir, car il y avait de fortes chances pour que ce soit la dernière fois. J'étais sincèrement heureux bien que troublé. Mais voilà: je suis allé à l'hôpital, je l'ai vu parfaitement conscient avant d'entrer en salle d'opération, j'ai vu les médecins me dire de ne pas m'inquiéter car il était entre de bonnes mains, et j'ai parfaitement senti à ce moment-là que rien ne serait fini. J'ai pourtant pleuré de le voir très diminué après coup, car l'image reste terrible même si l'on n'a pas d'estime pour la personne. Mais au bout d'une semaine, il avait déjà retrouvé l'usage de ses bras... pour mieux lancer au visage de ma grand-mère les cadeaux que celle-ci venait de lui apporter. En attendant, deux anciens camarades de classe ont perdu leurs pères cette année: deux hommes très gentils. Le mot injustice ne m'avait jamais autant fait mal que maintenant.

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