samedi 18 février 2017

Immondices nocturnes


Toujours pour rester dans l'actualité, je parlerai également du nouveau film de Tom Ford, apparemment un couturier reconverti en réalisateur. J'avais apprécié A Single Man en 2009, une histoire assez ennuyeuse mais dont le sujet me plaisait, et qui restait de toute façon élégante, à une scène près. Dommage qu'avec Nocturnal Animals, l'élégance ne soit plus du tout de mise...

Bon, je ne vais pas vous mentir: je suis sorti de la séance en détestant. Avec le recul, j'ai pourtant réalisé que l'ensemble est plus intéressant qu'il n'y paraît, parce que si l'on ne comprend rien sur le moment, c'est à cause du point de vue choisi, celui de Susan Morrow, l'artiste incarnée par Amy Adams. Dès lors, si tous les éléments présentés semblent s'enchaîner de façon incohérente, c'est parce que Susan n'a pas vécu les événements dont parle le roman de son ex-mari, et tout n'est que le produit de son imagination. Une fois qu'on admet ça, on comprend donc mieux pourquoi la fin abrupte est en fait une clôture bien trouvée. On finit également par apprécier les jeux de corrélation disséminés ça et là, depuis la goutte de sang dès l'ouverture du livre au canapé cramoisi présent à la fois dans le monde réel et dans l'univers fictif, en passant par la duplication du couple mère-fille et la question de l'avortement. C'est vraiment la réflexion et la recherche qui permet de mieux digérer l'intrigue après le générique de fin, et tout devient à peu près clair une fois qu'on assemble les pièces du puzzle. Mais cela suffit-il à faire de Nocturnal Animals un bon film?

A mon avis non, car la mise en scène de Tom Ford est inutilement laide, vulgaire et violente. Et profondément ennuyeuse par dessus le marché! En effet, alors que les rapports les plus captivants sont ceux entre Susan et son ex Edward, le jeune premier méprisé par sa belle-mère qui le juge trop faible, et dont l'opinion déteindra inévitablement sur l'épouse, le film choisit de se concentrer sur les déboires de Tony, héros du roman d'Edward que Susan imagine avec les traits de son ancien mari, sur une route désertique particulièrement glauque. On passe vraiment les trois-quarts du temps à voir un individu errer dans la poussière à la recherche des assassins de sa femme et de sa fille: c'est essentiel puisque Susan doit bel et bien se sentir coupable d'avoir coupé tout lien pouvant la rattacher à Edward en le quittant et en avortant, mais le réalisateur est hélas incapable de bien doser son histoire. Or, la course-poursuite en voiture semble durer une éternité, de même que les recherches en compagnie d'un personnage de policier cancéreux qui n'apporte pas grand chose à l'affaire. Pendant ce temps, les déboires sentimentaux de Susan, entre culpabilité et sentiment d'être allègrement trompée par son nouvel époux, se réduisent comme peau de chagrin, alors que les tourments de son esprit et le regard qu'elle doit porter sur ses actes par sa lecture du roman sont tout de même le point le plus intéressant à explorer.

Mais non, Tom Ford préfère vraiment passer trois heures sur la laideur du monde sur cette route affreuse, d'où un résultat volontairement laid qui sied évidemment aux lieux décrits, mais qui n'en reste pas moins appuyé avec une lourdeur éléphantesque. On ne nous épargne alors rien, des corps obèses de l'ouverture aux feuilles de papier-toilette sales, soit autant de choses qui ne font jamais avancer la narration, et qui plombent ce qui aurait pu constituer une histoire originale en la transformant en une expérience inutilement désagréable. Sans compter qu'à croire la logique du film, plus l'on pousse les portes du sordide, plus l'intrigue perd en cohérence. Par exemple, l'introduction sur les grosses dames dansantes n'est jamais connectée au récit, sauf peut-être pour explorer vaguement la propre perversité d'une héroïne n'aimant rien tant qu'exposer des corps nus comme s'ils étaient morts, ou afficher des peintures de ces mêmes corps dans son appartement. On notera au passage qu'Amy Adams a vraiment très mauvais goût en matière de mobilier, entre son appartement ténébreux du film qui nous occupe, et sa maison aux teintes glaciales d'Arrival. Pour le reste, montrer un violeur déféquer au téléphone n'a absolument aucun intérêt, de même que cette dernière scène totalement gratuite une fois que Tony parvient à se confronter à sa Némésis: les gestes n'ont aucun sens (que ne tire-t-il quand il peut le faire?), sauf pour expliquer le dernier plan sur Susan, mais la fin romanesque est bien trop bricolée pour être honnête. Révélation: Susan doit imaginer le personnage mort pour réaliser qu'elle se fourvoie totalement sur ses chances de revoir son ex, mais n'y avait-il pas moyen de filmer une bataille plus cohérente entre les derniers survivants du livre? Observer le héros errer sans fin dans un champ sans plus y voir est une fois de plus inutilement pénible, surtout si c'est pour le voir mourir cinq minutes plus tard: pourquoi infliger ça au spectateur? Fin.

Pénible est vraiment l'adjectif adéquat pour décrire le film. Tom Ford aura donc préféré montrer des images laides incapables de faire rebondir le propos, et faire durer beaucoup trop longtemps la partie la moins intéressante de ces deux histoires croisées. J'aurais à l'inverse mieux apprécié si le roman était au service du monde réel, mais la place prépondérante du premier au détriment du deuxième est décevante. Force est pourtant d'admettre que la structure générale fonctionne une fois les pièces assemblées, mais le tout reste mal dosé. Surtout, le film est inexorablement souillé par ses traces de sang et de déjections, de quoi le rendre hautement désagréable quand bien même le traitement m'aurait davantage convaincu. La seule chose d'un tant soit peu plaisante dans tout ça, c'est la musique d'ouverture, mais ça ne suffit pas à rendre le reste appréciable. Même les performances échouent à donner ne serait-ce qu'un rayon de lumière: Amy Adams et Jake Gyllenhaal ne font rien de transcendant, et la divine Laura Linney est éclipsée par sa perruque lors d'un caméo de 110 secondes... Que faire d'un film pareil?

1 commentaire:

  1. Que faire d'un film pareil ? Oh je crois qu'il faut se contenter de la scène à la perruque, c'est déjà à moitié exceptionnel dans son genre. Et puis aussi de "ça ne doit pas être facile d'avoir un mari homosexuel - oh et bien au moins je suis sûr qu'il ne voit aucune autre femme que moi". Et, éventuellement, de la manière dont Ford photographie Hammer, en attendant de le voir dans Call me by your name.

    L'AACF

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