vendredi 26 janvier 2018

Un centenaire et un enterrement


Le mois dernier, Suzy Delair a fêté ses cent ans. Pour en découvrir davantage sur cette actrice pour moi méconnue, j'ai trouvé le temps pendant l'orgie de films que je fais depuis le nouvel an de regarder L'Assassin habite au 21 d'Henri-Georges Clouzot (1942). Ce n'est pas le meilleur film du maître, et le scénario souffre d'ellipses un peu trop flagrantes (la moitié des personnages sont laissés pour compte lors d'un dénouement sympathique mais peu consistant), et malgré tout, c'est une amusante comédie policière qu'on suit avec intérêt, en particulier grâce à une pléiade d'acteurs très en forme, dont Pierre Fresnay dans un double-rôle irrésistible de détective-prêtre, Jean Tissier en fakir exubérant, Noël Roquevert et sa hauteur de médecin militaire, Maximilienne en vieille fille exaltée, ou encore Marc Natol en valet de chambre aux ordres d'une gérante de pension aussi aimable qu'une matonne. Au milieu de ces personnages caricaturaux croqués dans la joie et la bonne humeur sur fond de scènes macabres, Suzy Delair incarne la fiancée du détective qui, déterminée à devenir célèbre en résolvant l'enquête avant la police, s'incruste dans la pension au grand désespoir de Pierre Fresnay. Elle y chante à tue-tête parce qu'elle rêve de devenir chanteuse d'opérette reconnue, et compose par-là même une héroïne à l'unisson du film, à savoir dynamique et souvent drôle, sans que ce soit l'interprétation comique de l'année.

A ce stade, ce n'est que le troisième film où j'ai pu croiser Suzy Delair (on ne comptera pas sa silhouette de La Crise est finie). Les autres sont bien entendu le chef-d’œuvre de Clouzot, Quai des orfèvres (1947), où elle reprend un rôle de chanteuse de cabaret déterminée à percer. Elle y est cependant moins inspirée que dans le film précédent, la tonalité tragique lui étant peut-être moins favorable, puisqu'on se souvient surtout d'elle pour sa façon de courir après Bernard Blier en criant "Mon biquet! Mon biquet!", alors que ses partenaires héritent de rôles nettement plus juteux avec lesquels ils font des merveilles, en particulier Louis Jouvet en inspecteur sévère et Simone Renant en photographe moderne et charismatique, précisément amoureuse de son amie chanteuse. Une dizaine d'années plus tard, on retrouve Suzy Delair dans Gervaise de René Clément (1956), où elle continue de jouer sur son image prolétarienne mais en bénéficiant cette fois-ci d'un personnage antipathique, puisqu'elle y est la rivale de la superbe Maria Schell dans une performance très attachante. Je n'ai plus un souvenir très précis du film, je crois me rappeler d'une bagarre dans la blanchisserie, mais j'avais à l'époque trouvé l'interprétation de Suzy très intéressante: une redécouverte serait de bon aloi.

De votre côté, auriez-vous des titres à me conseiller pour avancer dans la filmographie de la dame? J'ai récemment acquis Rocco et ses frères, où elle semble n'avoir qu'un rôle minuscule, mais après ça, je suis à court d'idées. J'avouerai que ce n'est pas une actrice qui m'est particulièrement sympathique, vu que ce qu'on m'a confié d'elle sur sa vie privée me refroidit quelque peu, et elle ne m'impressionne pas outre mesure comme comédienne dans les trois films susnommés, quoique je sois tout de même curieux d'avoir d'autres indications de rôles où sa gouaille ferait mouche.


Au même moment, de l'autre côté de l'Atlantique, nous avons perdu la plus grande danseuse de mambo de l'histoire du cinéma, la très excitante Dorothy Malone, dont la fausse blondeur, les yeux globuleux, le charisme incroyable et l'érotisme volcanique sont absolument fascinants à observer. Mon estime pour la dame a commencé avec son apparition incendiaire dans The Big Sleep d'Howard Hawks (1946), où en brune brûlante faussement impeccable, lunettes et ruban à l'appui, elle compose en à peine trois minutes le personnage le plus mémorable du film, tout du moins pour moi, car je n'ai pas aimé l'interprétation du couple mythique Bacall-Bogart dans cet opus là. Quoi qu'il en soit, la manière qu'a Dorothy de fermer un store ou de flirter avec Bogart tout en lui résistant est terriblement stimulante: ce n'est évidemment pas du tout subtil, mais ça reste une performance expressive et mémorable comme les actrices de genre de talent savaient si bien le faire aux Etats-Unis durant l'âge d'or du cinéma hollywoodien. Néanmoins, il est à peu près incontestable que le sommet de Dorothy Malone reste Written on the Wind (1956), le bijoux scintillant de Douglas Sirk où le couple sage formé par Rock Hudson et Lauren Bacall se fait immédiatement éclipser par le couple maudit que forme Dorothy avec Robert Stack. Et franchement, chaque apparition de Marylee Hadley est fabuleusement mémorable, de sa façon de conduire une voiture rouge entre les puits de pétrole du Texas à ses gestes imposants lorsqu'elle a un verre en main, en passant par les caresses érotiques qu'elle adresse à un derrick miniature et surtout par la séquence grandiose où elle tue son père en dansant un mambo endiablé! L'actrice joue bien entendu beaucoup, trop peut-être, mais ses excès portent admirablement ce mélodrame flamboyant, que l'actrice contribue à rendre extraordinairement divertissant.

Comme pour Suzy Delair, j'ai encore beaucoup à découvrir dans sa filmographie. A ce stade, j'ai également vu son minuscule rôle de figuration dans Night and Day (1946), et deux personnages nettement plus consistants lors du pic de sa carrière post-Oscar, The Tarnished Angels, toujours de Douglas Sirk (1957) et Warlock d'Edward Dmytryk (1959), deux films dont j'aurais aimé parler ici mais dont le souvenir s'est trop estompé pour ce faire. Sur le moment, j'étais si entiché de Marylee Hadley que The Tanished Angels avait souffert de la comparaison, l'histoire me plaisant en outre moins que les mélodrames exacerbés de Written on the Wind, mais je redonnerai bien sûr une chance au film dans quelques temps. Il est en revanche dommage que Dorothy Malone ait terminé sa carrière dans le nullissime Basinc Instinct de Paul Verhoeven (1992), un thriller érotique évidemment grotesque et misogyne, comme toujours chez le réalisateur, où Dorothy n'apparaît qu'à peine deux minutes pour dire deux mots de façon inquiétante avant de disparaître sans laisser de traces. Par contre, comme je suis gay et que j'adore les mélodrames des années 1950-60, je suis presque tenté de faire tomber mes réticences face à la télévision afin de découvrir Peyton Place (1964), où Dorothy reprend le rôle créé au cinéma par nulle autre que mon idole Lana Turner, bien que l'actrice fût la première à se plaindre du personnage de Constance MacKenzie, jugeant qu'il lui arrivait plus de choses dans la vraie vie que dans cette petite bourgade de Nouvelle Angleterre. Par contre, si vous avez d'autres rôles de cinéma à me conseiller, je suis preneur!

5 commentaires:

  1. Je ne suis pas gay et j'adore les comédies musicales...
    Pour voir Dorothy M. se dorer au soleil en maillot de bain sur un toit en brique à Manhattan , ou soupirer bouche entrouverte sur une branche de lunettes, comme elle seule sait le faire, je te recommande "Artistes et modèles" de Frank Tashlin.

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  2. J'oubliais: Quand j'étais môme, j'ai suivi à la télé ce thriller insoutenable que sont tous les épisodes de "Peyton Place". J'aimais plutôt. Mais c'était de la télé basique, hein: ça cause, ça cause, champs/contre-champs, primaire, sommaire, rien de bien sophistiqué.
    En outre, ENORME problème : Mia Farrow étant partie se marier avec Sinatra en plein tournage... Hop, elle disparaît au milieu de la série !
    Du coup, ça re-cause et re-re-cause pour savoir ce qu'elle est devenue, où c'est qu'elle est passée, m'enfin où qu'elle est bien partie, etc etc...
    Bref, ça tourne vite en rond et en eau de boudin.
    Quant à notre Dorothy, pardon, mais je l'ai complètement oubliée. Dans mon souvenir, ça focuse surtout sur Ryan O'Neal et Mia Farrow (et la méchante Barbara Parkins).
    A part ça, je suis d'accord avec toi, la Malone est la meilleure danseuse de mambo de tous les temps. Et j'adore "Temptation".

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    1. C'est noté pour Artistes et modèles. Et merci également d'éclairer ma lanterne quant à Peyton Place, pour m'éviter de m'infliger les 514 épisodes de ce petit bijou scénaristique. Entre Mia Farrow qui disparaît en cours de route (j'adore!) et l'histoire davantage centrée sur Ryan O'Neal que sur Dorothy, ç'a effectivement l'air très dispensable.

      Sinon, il faudrait faire un duel pour élire la plus grande danseuse de mambo de cinéma: Grace Chang dans le bien nommé Mambo Girl, ou Dorothy Malone dans Written on the Wind? Evidemment, entre la sage demoiselle chinoise et la torride héritière texane, je gage que Dorothy l'emporterait haut la main!

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    2. ... Et il y a aussi "Oh qué Mambo !" de John Berry (période française post-maccarthysme) avec... Dario Moreno. Assez drôle et très second degré. Je ne sais plus si Magali Noël y dansait. Mais elle, c'est dans le "Rififi" de Jules Dassin (pareil, en France après McCarthy) qu'elle se déhanche plutôt joliment.
      Pas vu Mambo Girl. Je vais tâcher de dénicher ça.

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    3. Du coup, puisqu'on parle de déhanchements, mieux vaut faire l'impasse sur Mambo Girl et passer directement à The Wild, Wild Rose (Ye mei gui zhi lian) (1960), où Grace Chang est absolument phénoménale dans un registre de "séduction musicale"!

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