dimanche 10 avril 2022

Marie-Thérèse d'Autriche

 


Marie-Thérèse d'Autriche et le Grand Dauphin (Charles et Henri Beaubrun, c. 1665)


Après Buffy contre les vampires, parlons tout naturellement de… Marie-Thérèse d'Autriche, l'infante d'Espagne devenue reine de France par son mariage avec Louis XIV. Je plaisante : ces deux femmes n'ont sans surprise absolument rien en commun, mais c'était plutôt amusant de partager certains dimanches entre des épisodes de la tueuse de vampires et quelques chapitres de la biographie de Joëlle Chevé consacrée à la reine, parue en 2008. Il y avait largement de quoi être dépaysé de l'une à l'autre sans jamais s'ennuyer ! Vous noterez au passage que j'ai bien fait mes devoirs, ayant lu cette analyse historique sur la recommandation de Francesco, qui m'encourageait à travers la relecture des sources par l'historienne périgourdine, à redécouvrir une personnalité méconnue, qui fut loin d'être la femme "incapable" tant décriée par les chercheurs d'antan.

Joëlle Chevé commence d'ailleurs son livre par un passage en revue des chroniqueurs et historiens qui l'ont précédée, et qui tous se sont ingéniés à brosser le portrait d'une femme-enfant passablement sotte, laquelle n'aurait pas su apprécier à sa juste valeur la grandeur de son mari. La dame démonte avec brio ces théories fort erronées, en particulier celle de Simone Bertière dans son ouvrage consacré aux Femmes du Roi-Soleil, publié dix ans plus tôt. Joëlle Chevé n'attaque pas frontalement l'enseignante bordelaise et s'incline volontiers devant son style effectivement brillant, mais elle souligne en quoi sa collègue, non historienne de formation, a surtout cherché à plaquer son propre ressenti sur les écrits de Madame de Sévigné à propos de la souveraine. C'est notamment manifeste dans le dernier chapitre, où elle révèle que l'épistolière de légende était surtout flattée d'avoir eu l'honneur de s'entretenir avec la reine, là où Simone Bertière voulait à tout prix voir la marquise exaspérée de cet entretien, ce que rien n'indique dans la lettre à Madame de Grignan. Joëlle Chevé rappelle également avec tact que l'historien n'est pas là pour juger la personne dont il retrace le parcours, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une infante ayant grandi dans un contexte bien différent de notre époque : on ne saurait attendre d'une femme croyante, ayant une très haute conscience de sa naissance, qu'elle s'érige en icône féministe prompte à renverser le patriarcat ! Et ce encore moins si la dame était sincèrement éprise de son époux. Mais Simone Bertière voue une haine mortelle aux femmes amoureuses de leur mari, ce qui n'a pas aidé Marie-Thérèse, ou plus tard Marie Leszczyńska, à trouver grâce à ses yeux.

Les femmes ayant constitué la cour de Louis XIV obéissaient clairement à d'autres règles que les nôtres. La très spirituelle marquise de Montespan elle-même, que nombre d'historiens auraient jugée plus apte à exercer le métier de reine (je n'ose imaginer le ménage hystérique qu'elle eût formé avec Louis XIV si elle avait eu accès au trône !), était pétrie de religion et de superstition. Comme le rappelle très bien Joëlle Chevé dans sa conclusion, le plus gros reproche que l'on fait habituellement à Marie-Thérèse, outre une piété qui lui était pourtant consubstantielle, est son manque d'intelligence, associé dans la coutume curiale du XVIIe siècle à un manque d'esprit. Les méchantes saillies de Madame de Montespan passaient pour brillantes, mais la discrétion et la retenue de la reine, qui a d'ailleurs sciemment brimé la vivacité, ou tout du moins l'enthousiasme pour la vie qu'on lui connaissait en Espagne dans sa jeunesse, passaient en revanche pour un énorme défaut, à quoi s'ajoutait dans son cas la barrière linguistique puisqu'il lui fallut apprendre le Français après son mariage seulement.

Je suis finalement content d'avoir été amené à lire cette biographie, car non seulement on y découvre le portrait d'une femme digne, ce qui me plaît, mais aussi des témoignages surprenants de la part de ses contemporains, à travers lesquels on apprend que Marie-Thérèse, loin d'être aussi effacée qu'on l'a dit, se préparait de fait à régner sur l'Espagne avant la naissance d'un demi-frère qui l'a un peu contrariée ; qu'elle impressionna les ambassadeurs en assurant avec succès la régence de 1672 pendant la guerre de Hollande, et qu'elle tint son rôle de représentation à la perfection. Elle n'était ni brillante ni intellectuelle, Louis XIV non plus (!), et n'a pas eu la vie facile en raison d'un mari qui institutionnalisa autour d'elle un véritable ménage à trois, et ce au détriment de tout ce à quoi son éducation espagnole l'avait préparée. Qu'on lui témoigne un peu de compassion alors qu'elle n'a pas fait d'éclat envers les favorites et s'est contentée de se plaindre d'une manière assez timide, n'est que justice étant donné la violence des humiliations subies. La Palatine, qui l'estimait, a dit qu'après sa mort, la joie fut ôtée de la cour. Sa haine de Madame de Maintenon explique en partie ce ressenti, mais comme le rappelle Joëlle Chevé, elle n'aurait peut-être pas associé les années "Marie-Thérèse" à un âge d'or d'insouciance si celle-ci avait été aussi empotée qu'on l'a dit.

Surtout, Marie-Thérèse était l'une des très rares à la cour à ne pouvoir en aucun cas agir comme une particulière. Il est facile d'être fasciné par la fraîcheur de Louise de La Vallière, incarnation du renouveau quand tout les protagonistes étaient jeunes et beaux, par l'esprit mordant et le goût très sûr, quoique pompeux, d'Athénaïs, ou par le destin hors normes mais dénué de sincérité de Françoise d'Aubigné. Mais toutes ces dames restaient libres de leurs mouvements, et aucune d'entre elles n'avait à brimer sa liberté de ton pour accomplir un devoir de représentation très contraignant, auquel Marie-Thérèse s'est assignée avec une dignité et une abnégation qui force le respect.

Moralité : Joëlle Chevé, malgré un goût douteux pour les boucles d'oreilles dorées, a écrit un livre vraiment captivant, puisqu'elle met en lumière des aspects insoupçonnés de la personnalité de la reine, et ce en analysant les sources mot pour mot, sans chercher à plaquer des idées préconçues ou anachroniques dessus. L'écriture, sans égaler le brio stylistique de Simone Bertière, est fluide et se lit agréablement, même si je reproche quelques titres de chapitres un peu trop vulgaires, d'un french kiss racoleur à une histoire de basse-cour qui, si elle est tirée d'un écrit de l'époque, ne fait pas honneur à la dignité de la souveraine dans un sommaire. Néanmoins, parvenir à rendre celle-ci tout à fait intéressante (nous n'irons pas jusqu'à la trouver passionnante) en plus de 500 pages témoigne d'un travail sérieux et recherché.

Au-delà de Marie-Thérèse, on y redécouvre également des femmes dont on parle assez peu dans les études d'histoire, telles Élisabeth de France, mère de l'intéressée qui fut également considérée comme une grande souveraine dans son pays d'adoption ; Marie-Anne d'Autriche, deuxième épouse de Philippe IV et finalement plus dépressive que vraiment méchante, ou encore Sophie de Hanovre, qui n'a pas fait que parler des problèmes intestinaux de sa nièce ! En définitive, bien que l'on ressente la préférence de l'historienne pour son personnage principal, elle s'abstient dans la mesure du possible de la mettre en lumière en dénigrant ses rivales, ce qui est un choix rafraîchissant alors que nombre de biographies se croient obligées de comparer sans cesse Montespan à Maintenon pour mettre leur sujet en valeur. Plutôt pro-Montespan pour ma part pour des raisons géographiques, tout en trouvant la marquise exaspérante de mesquinerie par moments, j'ai en tout cas apprécié de redécouvrir cette reine restée dans l'ombre des favorites, alors que sa dignité la rend tout autant appréciable pour la postérité. Et bien qu'absolument pas porté sur la religion en ce qui me concerne, malgré un sang en partie vendéen (!), je suis agréablement surpris et impressionné par le portrait de la souveraine en sainte Hélène, peint par Louis-Ferdinand Elle : elle y dégage un charisme et un sens du devoir qu'on ne lui connaît pas habituellement sur les autres tableaux. Rien que pour cela, le livre vaut la lecture.


4 commentaires:

  1. Je n'avais pas saisi à quel point l'aspect géographique pouvait avoir d'importance dans le duel Montespan/Maintenon à tes yeux (la biographie récente des deux "Duel pour un roi" malgré le titre facile est écrite pour une historienne et universitaire très reconnue, qui a fait aussi une excellente biographie de la marquise de Brinviller)

    Bref, je suis content de lire ton article. J'avais trouvé le livre très bien, très éclairant, très sérieux aussi, avec une véritable thèse à défendre.

    Sinon, donc :
    Jeanne Moreau : Marguerite de Valois
    Melina Mercouri : Marie de Médicis
    Anne d'Autriche : Angela Lansbury
    Marie-Thérèse d'Autriche : Joan Bennett
    Marie Leszczyńska avec laquelle quand même Bertière est moins sévère qu'avec Marie Thérèse d'Autriche, dans mon souvenir n'a été incarnée par aucune légende du cinéma en revanche
    Marie-Antoinette : Michelle Morgan et Norma Shearer


    Ca fait une jolie brochette (pas sûr que d'autres pays soient aussi gâté) surtout si on ajoute par exemple Josephine de Beauharnais : Morgan, encore, Micheline Presle et Merle Oberon, Marie-Louise : Maria Schell, Eugénie de Montijo ... Gale Sondergaard (!).

    Francesco

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    1. En fait, je me rends compte que l'aspect géographique tombe à l'eau car je connais aussi très bien La Rochelle, j'ai séjourné à plusieurs reprises, et brièvement travaillé, à Niort, et j'adore le Marais (pour les hôtels particuliers, pas pour la communauté gay qui ne m'a hélas jamais inclus en son sein) : je pourrais donc également être pro-Maintenon selon cet argument. Sauf que la vertu calculée et les leçons de morale de la belle Indienne, surtout après son remariage, me déplaisent. Montespan était imbuvable durant son "règne", mais sa chute tempère mieux ses excès. Cela dit, impossible de juger deux femmes d'un autre temps qui n'avaient pas du tout les mêmes armes à leur disposition : Maintenon n'avait d'autre choix que le calcul pour s'en sortir, alors que Montespan avait tout sur un plateau depuis sa naissance. Mais pour en revenir à la géographie, les origines pictones-limousines et l'éducation saintongeaise de la sultane-reine me la rendent de facto sympathique : cela me donne l'illusion que mes régions de cœur ont été à l'honneur à une époque !

      Mais trêve de plaisanterie : je ne connais pas le "duel" biographique dont tu parles. Je le lirai à l'occasion.

      Pour les actrices, même si elle fut davantage une légende du théâtre, on peut également citer Lise Delamare en Marie de Médicis, bien qu'elle ne fasse que de la figuration dans Le Capitan. Autrement, j'adore Maria Schell, il me faudra voir sa Marie-Louise, et je viens de passer le mois de mars à écouter la discographie de Melina Mercouri (pas une grande voix, mais un véritable talent d'interprétation), ce qui me donne envie de revoir ses films.

      En attendant Marion Cotillard dans "Partie de cavagnole avec Marie Leszczyńska : sueurs froides garanties !"

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  2. Alors, autant le dire tout de suite : j'adore Melina Mercouri ... mais Vive Henri IV, Vive L'amour est vraiment une calamité. Je ne t'imagine pas supporter ça plus de 10 minutes.

    Si on remonte un peu, Catherine de Médicis par Françoise Rosay et Isa Miranda.

    Et beaucoup plus haut, Katharine Hepburn en Aliénor d'Aquitaine, évidemment (jouée aussi par Pamela Brown, qui est un peu connue quand même, même si pas légendaire). Je crois qu'on n'aperçoit jamais Isabeau de Bavière ni Marie d'Anjou dans les versions de Jeanne d'Arc de Fleming ou Preminger.

    Côté Maintenon, j'ai été trop marqué par le roman de Chandernagor puis par l'adaptation TV avc Dominique Blanc pour ne pas être un fan inconditionnel dès l'adolescence :lol:

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    1. Mon fantasme secret : Faye Dunaway dans le rôle de Marie de Médicis ! Entre l'ego surdimensionné de la dame immortalisée par Rubens, son caractère buté et sa relation tellement toxique avec son fils aîné, son histoire m'envoie de vifs échos d'une Maman très chère du Grand Siècle. L'actrice aurait pu s'y donner à cœur joie ! Imaginons un peu : "Que ne pouvez-vous me donner le respect que vous me devez ?!" "Léonora, apportez-moi la hache !" ou encore après la journée des Dupes "N'essayez point de m'embabouiner, ce n'est pas mon premier tour de manège !" Je ris sous cape devant ce film imaginaire ! Avec en prime un côté touchant à trouver dès le départ devant les humiliations perpétrées par la marquise de Verneuil, ou à la fin du film où la reine se fait éjecter de chaque cour d'Europe jusqu'à finir dans la maison d'un peintre tout en croyant fermement effectuer un retour triomphal illusoire à Paris.

      Concernant Madame de Maintenon, je n'ai pas lu L'Allée du roi, mais j'ai vu le téléfilm suite à ta recommandation en direct il y a cinq ans : c'était un peu trop linéaire mais vraiment magnifique, et très bien joué. Dominique Blanc s'impose de plus en plus comme l'une de mes actrices préférées. Je crois que je la préfère même à Huppert, dans le rôle de la marquise et… dans l'absolu !

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