Je ne vais plus du tout au cinéma ces dernières années, toutefois, quand un synopsis me plaît, je m'arrange tout de même pour faire le déplacement en tâchant d'éviter la foule. Ce dernier point n'était pas un problème pour Queer, le dernier film de Luca Guadagnino, le guichetier et l'ouvreur de billets m'ayant tour à tour dit que cette œuvre avait enregistré très peu d'entrées dans la ville où je réside actuellement. Les deux ont conclu que c'était dommage, l'ouvreur de billets ajoutant tout de même que le sujet n'était pas sa « came », tandis que le guichetier m'a en revanche avoué que le thème le concernait au premier chef. J'aurais pu en prendre note si nous n'avions pas eu une bonne quinzaine d'années d'écart, malheureusement, la quarantaine se rapproche à grand pas, ce qui ne me rassure pas.
La différence d'âge est d'ailleurs bien mise en évidence par le scénario de Justin Kuritzkes, l'histoire racontant les déboires de Lee Williams, un écrivain quinquagénaire exilé au Mexique dans les années 1950, qui tente de tromper l'ennui en passant ses nuits avec des hommes plus jeunes, dont certains attendent sans surprise d'être payés pour leurs services. Chose qui n'est pas le cas du jeune Eugene Allerton, un soldat tout aussi désœuvré qui erre dans la même ville et qui se met à fasciner l'écrivain d'une manière obsédante. Entre distance et rapprochement, les deux hommes partent finalement faire un tour de l'Amérique du Sud à la recherche d'une plante mystérieuse connue pour ses pouvoirs télépathiques, dans l'espoir pour le héros de lire dans les pensées de son inaccessible fantasme.
C'est là où le film m'a perdu. Autant la première partie fonctionne avec ces jeux de chats et de souris qui s'attirent et se repoussent dans les très beaux décors reconstitués dans les célèbres studios Cinecittà, autant le changement d'histoire à mi-parcours m'a profondément ennuyé. En effet, les interminables délires de drogués au beau milieu de la forêt tropicale m'ont tellement laissé de glace que j'ai pris le temps de rechercher une clef égarée quelque part dans mon sac, tout ça pour réaliser, une fois ma trouvaille satisfaite, que les deux junkies en étaient encore à en voir de toutes les couleurs au milieu des plantes, sous l’œil d'une Lesley Manville vraiment pas mise à son avantage, mais dont nous saluerons la performance d'actrice vu l'énorme différence avec les personnages qu'elle avait incarnés par le passé.
Ainsi, non seulement cet acte entier consacré aux hallucinations végétales ne m'a pas convaincu, quoiqu'il me faille avouer être à des lieues de pouvoir comprendre ce qui se passe dans la tête d'un drogué ; mais surtout, le film me semblait déjà bancal dès la première partie à cause de l'interprétation désastreuse de Drew Starkey, un acteur qui ne fait absolument rien pour donner un semblant de vie à son personnage. On pourrait même parler de non interprétation : se contentant de promener son joli minois dans les rues de Mexico, il semble incapable de manifester la moindre émotion, en dehors d'une indifférence générale à tout ce qui lui arrive. Manifestement pas attiré par l'écrivain bien qu'il couche occasionnellement avec lui, il n'a pas l'air plus amoureux de la femme à qui il semble faire un brin de cour, si bien qu'il ne reste qu'un pantin désincarné inapte à pousser le héros dans ses retranchements. La relation est alors si bancale que cela ennuie très vite, au point qu'on aimerait que Lee jette son dévolu sur un amant plus consistant.
Deux autres points qui m'ont semblé hautement détestables sont la violence sous toutes ses formes, qu'il s'agisse de cruauté envers les animaux ou d'homicides révoltants. En effet, les deux hommes se croisent pour la première fois au cours d'un combat de coqs insoutenable, avant que l'écrivain ne tente de séduire le soldat en lui racontant le sort d'un cochon cuisiné vivant, ce qui est quand même le pire plan drague qui se puisse imaginer. Concernant l'homicide avec un verre d'eau, la mise en scène a beau atteindre une perfection formelle dans le symbolisme, l'image n'en reste pas moins extrêmement choquante et irritante. Comme je ne savais rien du roman d'origine avant d'aller voir le film, je me suis empressé de chercher quelques renseignements à son sujet après coup, tout ça pour réaliser que l'auteur de l'autobiographie en question a effectivement tué sa femme de la même manière alors qu'il était sous l'emprise de la drogue. Et comme il fuit le Mexique pour éviter son procès, il se contenta d'être condamné par contumace et ne purgea nullement sa peine. Queer est donc l'adaptation du remords d'un assassin qui mena une longue vie après un acte épouvantable, ce qui rend l'ensemble du projet particulièrement odieux et me fait me demander ce qui a bien pu passer dans l'esprit de Guadagnino et de son scénariste pour choisir une horreur pareille au lieu de millions de projets autrement sains. L'image du film me cause encore des cauchemars un mois plus tard, me faisant regretter d'être aller le voir alors que j'aurais fait l'impasse dessus si je m'étais informé de son sujet plus tôt.
Entre désintérêt total pour les errances de drogués dans un film constamment bancal et répugnance absolue pour un projet haïssable, autant dire que je regrette fortement cette expérience. Du point de vue de la conception du projet, tout n'est pas raté, ce qui permet d'admirer tout de même la belle reconstitution surannée des années 1950, l'ambiance musicale parfois envoûtante à grand renfort de Nirvana, une jolie scène de fellation vraiment réussie, et la performance de Daniel Craig, vraiment très bon dans un rôle de vieux pédé aux multiples addictions. Heureusement qu'il est là pour donner un souffle au film face à un partenaire inanimé. En dehors de Lesley Manville, les personnages secondaires ne sont d'ailleurs pas remarquables, le seul dont on se souvienne étant Jason Schwartzman en homme grossier et dépourvu d'attraits, ce qui n'aide pas à rendre le film plus aimable. Le dernier plan est quant à lui une véritable réussite esthétique, mais reste tout à fait traumatisant, en rappelant que l'on va tous vieillir et finir à bout de forces, ce qui donne envie de se jeter dans la rivière après le meurtre déprimant filmé quelques minutes plus tôt. Finalement, si Luca Guadagnino parvient à sauver quelques meubles avec des images vraiment cinématographiques, Queer n'en reste pas moins un projet extrêmement désagréable que je regrette d'avoir regardé.
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