samedi 29 mars 2025

Queer

 Je ne vais plus du tout au cinéma ces dernières années, toutefois, quand un synopsis me plaît, je m'arrange tout de même pour faire le déplacement en tâchant d'éviter la foule. Ce dernier point n'était pas un problème pour Queer, le dernier film de Luca Guadagnino, le guichetier et l'ouvreur de billets m'ayant tour à tour dit que cette œuvre avait enregistré très peu d'entrées dans la ville où je réside actuellement. Les deux ont conclu que c'était dommage, l'ouvreur de billets ajoutant tout de même que le sujet n'était pas sa « came », tandis que le guichetier m'a en revanche avoué que le thème le concernait au premier chef. J'aurais pu en prendre note si nous n'avions pas eu une bonne quinzaine d'années d'écart, malheureusement, la quarantaine se rapproche à grand pas, ce qui ne me rassure pas.

La différence d'âge est d'ailleurs bien mise en évidence par le scénario de Justin Kuritzkes, l'histoire racontant les déboires de Lee Williams, un écrivain quinquagénaire exilé au Mexique dans les années 1950, qui tente de tromper l'ennui en passant ses nuits avec des hommes plus jeunes, dont certains attendent sans surprise d'être payés pour leurs services. Chose qui n'est pas le cas du jeune Eugene Allerton, un soldat tout aussi désœuvré qui erre dans la même ville et qui se met à fasciner l'écrivain d'une manière obsédante. Entre distance et rapprochement, les deux hommes partent finalement faire un tour de l'Amérique du Sud à la recherche d'une plante mystérieuse connue pour ses pouvoirs télépathiques, dans l'espoir pour le héros de lire dans les pensées de son inaccessible fantasme.

C'est là où le film m'a perdu. Autant la première partie fonctionne avec ces jeux de chats et de souris qui s'attirent et se repoussent dans les très beaux décors reconstitués dans les célèbres studios Cinecittà, autant le changement d'histoire à mi-parcours m'a profondément ennuyé. En effet, les interminables délires de drogués au beau milieu de la forêt tropicale m'ont tellement laissé de glace que j'ai pris le temps de rechercher une clef égarée quelque part dans mon sac, tout ça pour réaliser, une fois ma trouvaille satisfaite, que les deux junkies en étaient encore à en voir de toutes les couleurs au milieu des plantes, sous l’œil d'une Lesley Manville vraiment pas mise à son avantage, mais dont nous saluerons la performance d'actrice vu l'énorme différence avec les personnages qu'elle avait incarnés par le passé.

Ainsi, non seulement cet acte entier consacré aux hallucinations végétales ne m'a pas convaincu, quoiqu'il me faille avouer être à des lieues de pouvoir comprendre ce qui se passe dans la tête d'un drogué ; mais surtout, le film me semblait déjà bancal dès la première partie à cause de l'interprétation désastreuse de Drew Starkey, un acteur qui ne fait absolument rien pour donner un semblant de vie à son personnage. On pourrait même parler de non interprétation : se contentant de promener son joli minois dans les rues de Mexico, il semble incapable de manifester la moindre émotion, en dehors d'une indifférence générale à tout ce qui lui arrive. Manifestement pas attiré par l'écrivain bien qu'il couche occasionnellement avec lui, il n'a pas l'air plus amoureux de la femme à qui il semble faire un brin de cour, si bien qu'il ne reste qu'un pantin désincarné inapte à pousser le héros dans ses retranchements. La relation est alors si bancale que cela ennuie très vite, au point qu'on aimerait que Lee jette son dévolu sur un amant plus consistant.

Deux autres points qui m'ont semblé hautement détestables sont la violence sous toutes ses formes, qu'il s'agisse de cruauté envers les animaux ou d'homicides révoltants. En effet, les deux hommes se croisent pour la première fois au cours d'un combat de coqs insoutenable, avant que l'écrivain ne tente de séduire le soldat en lui racontant le sort d'un cochon cuisiné vivant, ce qui est quand même le pire plan drague qui se puisse imaginer. Concernant l'homicide avec un verre d'eau, la mise en scène a beau atteindre une perfection formelle dans le symbolisme, l'image n'en reste pas moins extrêmement choquante et irritante. Comme je ne savais rien du roman d'origine avant d'aller voir le film, je me suis empressé de chercher quelques renseignements à son sujet après coup, tout ça pour réaliser que l'auteur de l'autobiographie en question a effectivement tué sa femme de la même manière alors qu'il était sous l'emprise de la drogue. Et comme il fuit le Mexique pour éviter son procès, il se contenta d'être condamné par contumace et ne purgea nullement sa peine. Queer est donc l'adaptation du remords d'un assassin qui mena une longue vie après un acte épouvantable, ce qui rend l'ensemble du projet particulièrement odieux et me fait me demander ce qui a bien pu passer dans l'esprit de Guadagnino et de son scénariste pour choisir une horreur pareille au lieu de millions de projets autrement sains. L'image du film me cause encore des cauchemars un mois plus tard, me faisant regretter d'être aller le voir alors que j'aurais fait l'impasse dessus si je m'étais informé de son sujet plus tôt.

Entre désintérêt total pour les errances de drogués dans un film constamment bancal et répugnance absolue pour un projet haïssable, autant dire que je regrette fortement cette expérience. Du point de vue de la conception du projet, tout n'est pas raté, ce qui permet d'admirer tout de même la belle reconstitution surannée des années 1950, l'ambiance musicale parfois envoûtante à grand renfort de Nirvana, une jolie scène de fellation vraiment réussie, et la performance de Daniel Craig, vraiment très bon dans un rôle de vieux pédé aux multiples addictions. Heureusement qu'il est là pour donner un souffle au film face à un partenaire inanimé. En dehors de Lesley Manville, les personnages secondaires ne sont d'ailleurs pas remarquables, le seul dont on se souvienne étant Jason Schwartzman en homme grossier et dépourvu d'attraits, ce qui n'aide pas à rendre le film plus aimable. Le dernier plan est quant à lui une véritable réussite esthétique, mais reste tout à fait traumatisant, en rappelant que l'on va tous vieillir et finir à bout de forces, ce qui donne envie de se jeter dans la rivière après le meurtre déprimant filmé quelques minutes plus tôt. Finalement, si Luca Guadagnino parvient à sauver quelques meubles avec des images vraiment cinématographiques, Queer n'en reste pas moins un projet extrêmement désagréable que je regrette d'avoir regardé.

jeudi 2 janvier 2025

Conclave

 Ayant emménagé dans une nouvelle ville cet été, j'ai profité de cette fin d'année pour aller en découvrir le cinéma, mon choix s'étant porté sur Conclave, un film américano-britannique sur les coulisses du pouvoir au Vatican réalisé par Edward Berger, un metteur en scène allemand célèbre depuis deux ans pour la nouvelle version d'À l'Ouest, rien de nouveau, que je n'ai pas vue. Conclave était apparemment l'un des films les plus attendus de 2024, avec déjà six nominations pour les Golden Globes qui se tiendront samedi, dont deux pour des interprètes de renom, Ralph Fiennes et Isabella Rossellini. Ces considérations prestigieuses ont-elles donné lieu à un bon film ?

Plus ou moins, mais j'en reste à un petit 6/10 dans ma notation personnelle. J'ai certainement été diverti par l'histoire, qui n'ennuie jamais malgré un rythme assez lent, et qui traduit bien l'austérité que l'on est en droit d'attendre d'une assemblée de cardinaux cloîtrés dans la chapelle Sixtine pour l'élection d'un nouveau pape. Le scénario de Peter Straughan est en fait adapté d'un roman à succès de l'écrivain Robert Harris, visiblement spécialisé dans les thrillers et uchronies politiques. Ne connaissant pas cet auteur, j'ignore si des changements ont été faits lors de la transposition à l'écran, mais on suit assurément l'intrigue avec intérêt. Car sous leurs apparences calmes et introverties, les cardinaux sont prêts à toutes les manipulations pour se faire élire, entre révélation du passé pas propre de tel candidat trop populaire, ou saut à pieds joints dans la simonie, terme que les personnages sont obligés de décrire de manière trop didactique pour les spectateurs pas tous au fait du vocabulaire de l'Église. Ceux qui chutent alors qu'ils étaient à deux doigts d'être élus se retrouvent alors isolés avec leur désarroi par la caméra, tandis que les âmes les plus pures se laissent de plus en plus tenter par la perspective de prendre la place, au prix d'une crise de conscience que l'on ressent très bien dans le jeu de Ralph Fiennes. Dans tous les cas, ces jeux et chats et de souris au sein de l'un des lieux les plus fermés au monde restent parfaitement haletants, à défaut d'être subtils.

Le scénario n'est cependant pas exempt de reproches, à commencer par un manichéisme franchement exaspérant. On suit en effet l'élection du nouveau pape à travers les yeux du cardinal Lawrence, organisateur du conclave et homme de foi du défunt pape. Hors de tout reproche, son rôle est d'écarter les pécheurs dans l'espoir de faire élire un homme dans la lignée de son prédécesseur admiré, à savoir un pape plutôt progressiste, si tant est que cet adjectif ait un sens dans ce milieu. On se retrouve alors avec deux factions au sein du Vatican, d'une part, le clan des très gentils cardinaux nobles et purs qui souhaitent la paix dans le monde, le bien être des femmes et la protection des gays et lesbiennes, parti dont les figures de proue sont les cardinaux Lawrence et Bellini ; et de l'autre, les vils conservateurs homophobes, misogynes et réactionnaires capables des pires malversations pour parvenir à leurs fins. L'histoire perd alors en intérêt car il n'y a aucun caractère contrasté : tout dans le scénario montre que les premiers sont absolument dénués de mauvaises intentions, tandis que les vices des seconds sont constamment surlignés. Mention spéciale au vilain cardinal Tedesco, le seul personnage extraverti du film, qui passe son temps à crier sur tout ce qui bouge pour faire valoir ses positions conservatrices ! La seule subtilité captivante, c'est la tentation qu'éprouve le cardinal Lawrence de voter pour lui-même lorsqu'il comprend que son allié Bellini n'a plus le vent en poupe, et ce alors qu'il se considère réellement indigne de sa position de cardinal et qu'il souhaitait à l'origine démissionner une fois le conclave terminé.

C'est à mon sens le seul rebondissement vraiment réussi, car c'est le seul moment où l'on voit une personnalité un tant soit peu nuancée. Pour le reste, l'histoire reste, comme je le disais, tout à fait divertissante tant que l'on suit l'acharnement du cardinal Lawrence à se dépêtrer des manipulations des méchants candidats pour ramener un peu de pureté dans ce lieu saint. Malheureusement, le scénariste n'ayant pas confiance en son public et craignant que celui-ci soupire d'ennui devant ces vieux hommes lents, il décide dans les vingt dernières minutes d'intégrer à peu près tout ce qui lui tombe sous la main dans son histoire, mixant dans une anxiété sidérante des éléments de films d'action, en l'occurrence une explosion tout droit sortie de James Bond qui fait voler en éclat les vitraux de la chapelle Sixtine (!), et des éléments en accord avec les pensées progressistes de plus en plus en vogue à notre époque, quitte à ressusciter une légende médiévale bien connue, mais totalement fausse, de l'histoire papale ! Mes positions progressistes sont bien connues des lecteurs du blog, mais au sein du film, ces deux rebondissements sortent tellement de nulle part qu'ils jettent un discrédit absolu sur l'ensemble du projet ! En rester dans les manipulations d'un scrutin suffisait amplement à captiver le spectateur, alors quel besoin d'aller inventer tout ça et de faire bousculer tous ces événements dans la dernière ligne droite, le tout dans une frénésie agaçante ?! Quel dommage de ne pas avoir fait intervenir une soucoupe volante pour terminer sur un grand final chanté et dansé en chœur par les cardinaux et les Martiens !

Heureusement que l'interprétation est de qualité pour faire passer la pilule même dans cette fin ubuesque. Et c'est certainement un plaisir de retrouver Ralph Fiennes en grande forme, avec une performance intériorisée et très expressive, qui permet de croire à la sincérité constante de son personnage. Espérons que ce rôle pourra lui rapporter enfin les lauriers qu'il mérite depuis plusieurs décennies. À ses côtés, Stanley Tucci est plutôt bon bien que son personnage soit nettement moins développé que ce qu'on aurait pu croire de prime abord, tandis que John Lithgow est très à son aise dans son rôle habituel de grand homme réservé aux pensées troubles. Pour sa part, Sergio Castellitto a une vraie présence malgré la caricature qui lui permet de marquer les esprits, quand Lucian Msamati donne une interprétation très cohérente de son personnage peu recommandable qui souhaitait devenir le tant attendu premier pape africain. Le très éthéré Carlos Diehz offre quant à lui la touche latine à cette société cosmopolite, mais l'existence même de ce personnage au sein de la narration pose de gros problèmes pour le déroulement de l'intrigue : on comprend totalement le dénouement du conclave dès son introduction, dans un schéma christique au sens Agatha du terme, puisqu'il est la pièce rapportée dans un environnement où tout le monde se connaissait d'avance. Il eût été bien moins suspect d'en faire un cardinal déjà connu par ses pairs au préalable, pour mieux découvrir comment ses secrets déstabilisent ses alliés au fur et à mesure du vote.

Enfin, notons avec plaisir que les femmes ne sont pas écartées de la distribution, puisque les religieuses qui assurent le service en dehors des heures de vote sont dirigées par Isabella Rossellini. Vous savez que je ne suis pas le plus grand admirateur au monde d'Ingrid Bergman, mais c'est toujours un plaisir d'écouter sa fille parler à l'écran, car elle ressuscite vocalement mon époque de prédilection de l'histoire du septième art, l'âge d'or d'Hollywood. Dans le rôle de sœur Agnès, Isabella est à l'unisson de ses collègues avec une interprétation sur la retenue, qui n'oublie pas de montrer la force cachée que cette religieuse dissimule dans cet univers masculin. L'actrice ne m'a pas autant bouleversé que Ralph Fiennes étant donné qu'elle n'a vraiment qu'un second rôle, mais elle reste mémorable à sa manière, au point que je suis content de la voir citée pour un prix.

Sur la forme, Conclave impressionne surtout par la reconstitution du Vatican dans les célèbres studios de Cinecittà. Si la chapelle Sixtine recréée ne peut faire oublier l'originale tant celle-ci est au-delà du célèbre, le choix de faire de la résidence Sainte-Marthe un hôtel moderne aux allures de prison renforce effectivement la tension nécessaire à l'histoire. Dommage que certaines conversations ultra secrètes aient lieu dans des couloirs au vu et au su de tous, car le projet du clan progressiste, porté un cardinal ayant en outre accès à des lieux isolés, abandonne sa légitimité pour un amateurisme de mauvais aloi. De son côté, la costumière a fait le choix de s'inspirer des modèles textiles du XVIIe siècle afin que ceux-ci aient l'air plus beaux que les actuels pour le public, ce qui n'est pas pour me déplaire. La photographie est quant à elle en accord avec le ton recherché par le scénario. Nous n'en dirons malheureusement pas tant de l'horrible partition de Volker Bertelmann, qui à trop se vouloir expérimentale finit par noyer le film dans une overdose de sons stressants, pour bien rappeler toutes les trois secondes que les personnages sont sous tension. Pitié !

En conclusion, Conclave m'a tout à fait diverti, mais les créateurs du film sont parfois beaucoup trop bourrins pour accoucher d'une œuvre remarquable. Une musique constamment irritante, des vues de l'esprit unidimensionnelles et des rebondissements fantastiques totalement hors de propos nuisent considérablement à la réussite d'un film qui aurait gagné à assumer pleinement son aspect d'enquête interne froide et austère répondant à son propre rythme. Faites davantage confiance à votre public la prochaine fois, messieurs ! Heureusement que le divin Ralph Fiennes est là pour mettre tout le monde d'accord.

samedi 30 mars 2024

Dauphin des neiges

Depuis quelques mois, je rédige un inventaire de tout ce que j'ai vu au cinéma pour l'année 2023, mais cela prend du temps, et il me reste encore deux ou trois visionnages avant de conclure ce billet : plus que quelques jours de patience, et l'on parlera à nouveau cinéma sur le blog. En attendant, je vais évoquer une ville dans laquelle j'étais en séminaire toute la semaine, ce qui m'a permis d'y poser le pied pour la toute première fois : la capitale de l'Isère et de l'ancien Dauphiné, mais aussi la plus grande métropole des Alpes tous pays confondus, la bien nommée Grenoble. J'aime tellement la montagne que je rêvais d'y aller depuis toujours, envie renforcée par diverses rencontres au cours de la dernière décennie avec des artistes ou des élus originaires de la ville qui vit naître Stendhal. Évidemment, comme je n'y étais pas en vacances, je n'ai pu en visiter qu'une partie, mais je repars avec l'envie d'y retourner pour approfondir cette première approche. Chose qui était loin d'être gagnée lundi tant le premier contact fut gris.



Il faut dire que l'entrée dans l'agglomération fut assez peu enthousiasmante. En effet, après avoir admiré tout au long du trajet de magnifiques panoramas sur le Sancy, le Puy de Dôme et le Mont Blanc illuminé par le soleil levant, le temps couvert sur la Chartreuse n'a, par contraste, pas su rendre ce massif particulièrement accueillant. Comble de malchance, les premiers bâtiments qui s'offrent au regard sont des usines et des barres d'immeubles à perte de vue, d'où une grosse déception pour qui s'attend à pénétrer dans un paysage montagnard. Certes, aucune banlieue n'est belle, mais voir autant de sommets majestueux partiellement masqués par cette panoplie de bâtiments industriels ne fut guère réjouissant.



Et il en va de même dans le centre historique, encadré par de multiples barres, par les trois tours de l'Île-Verte, ou par les locaux désaffectés de l'Institut de géographie alpine, directement incrustés sur le contrefort de la Bastille et par conséquents immanquables dès qu'on lève les yeux vers la forteresse. Les Grenoblois que j'évoquais à l'instant ne m'avaient jamais parlé de leur cité d'origine comme d'une belle ville, et ce n'est effectivement pas le premier adjectif qui vient à l'esprit lorsque l'on appréhende la morphologie générale des lieux. À vrai dire, même les monuments anciens, qui pourraient être agréables avec leurs façades bleutées ou orangées d'un exotisme spectaculaire pour un Santon, restent dans l'ensemble un peu trop ternes pour séduire autant qu'il le faudrait.


Par bonheur, après une tempête de neige dans la nuit de mardi à mercredi qui a repeint tous les sommets d'un blanc éclatant, le beau temps est revenu les deux derniers soirs de mon séjour, ce qui m'a permis de prendre de la hauteur et de découvrir la ville sous un jour autrement accueillant ! Sous la lumière vespérale, la montée de Chalemont offre ainsi une vue très agréable sur les grands massifs qui entourent l'agglomération : la chaîne de Belledonne tout enneigée à l'est, le Vercors déjà plus asséché à l'ouest en ce début de printemps, le Taillefer tout au sud, et sûrement d'autres montagnes plus loin à l'horizon, plus difficiles à identifier pour un néophyte.


Le soleil déclinant met aussi en valeur le palais du parlement du Dauphiné, ainsi que les clochers de l'église Saint-Louis, de la cathédrale Notre-Dame, et de la collégiale Saint-André, d'un prestige tout autre que les nombreux immeubles caractéristiques des lieux. La vue depuis la Bastille à proprement parler est apparemment spectaculaire, mais je n'ai pas eu le temps d'en faire l'ascension. De même, le quartier Saint-Laurent où se situent ces points de vue méritera une visite en journée quand l'occasion se représentera, car les façades chamarrées qui bordent l'Isère et le musée archéologique étaient déjà dans la pénombre le temps d'y arriver.


Dans ce quartier de la rive nord, le clou du spectacle est à n'en point douter la chapelle baroque de l'ancien couvent de visitandines Sainte-Marie d'en-Haut, qui abrite de nos jours le Musée dauphinois. Les peintures furent réalisées dans les années 1660 par l'artiste local Toussaint Largeot, à l'occasion de la béatification de François de Sales.


Aux côtés du futur saint, l'autre fondatrice de l'ordre de la Visitation fut la baronne Jeanne de Chantal, elle-même canonisée un siècle plus tard, qui dirigea seule pas moins de 13 monastères à la fois, dont celui de Grenoble, et qui fut aussi la grand-mère de la marquise de Sévigné. C'est à l'occasion de sa béatification que l'autel du sculpteur toscan François Tanzi fut installé au début des années 1750, devant un très beau retable en bois doré du XVIIe siècle.


Outre la chapelle, le Musée dauphinois est également très intéressant, car spécialisé dans l'histoire de l'ancienne province aujourd'hui répartie entre l'Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes. De manière chronologique, on peut ainsi y admirer, entre autres, un torque de l'âge de fer ; un trésor composé de 288 deniers romains retrouvés au Noyer ; un bas-relief du IIIe ou IVe siècle de notre ère représentant Persée délivrant Andromède des griffes d'un joli monstre marin ; un fac-similé de la charte des Escartons ayant fixé les règles de la vie locale en Briançonnais de 1343 à la Révolution ; un autre fac-similé, représentant cette fois-ci une vallée en 1422 près de Châteaudauphin, ancienne ville dauphinoise aujourd'hui intégrée au Piémont italien ; un portrait de Philis de La Charce, qui joua un rôle dans la résistance du Dauphiné lors de son invasion en 1692 par le duc de Savoie ; mais aussi des photographies témoignant du logement des ouvriers italiens dans les locaux vétustes de l'ancien couvent au début du XXe siècle.



De nombreux objets mettent également à l'honneur les métiers traditionnels des Alpes, avec par exemple un porte-charge de colporteur en épicéa du XVIIIe siècle, des lithographies de plantes du XIXe siècle dont se servaient justement les colporteurs pour vendre des graines, des colliers d'apparat richement sculptés pour le bétail ou encore la reconstitution d'un habitat traditionnel. Les fantasmes associés à la haute montagne ont aussi leur place dans le musée, comme en témoigne une statue d'homme « sauvage » sculptée dans un noyer au début de l'époque moderne, mais aussi un exemplaire de l'Itinera per Helvetiae alpinas du médecin et naturaliste Johann Jakob Scheuchzer, dont une page relate le témoignage d'habitants des années 1700 certains d'avoir rencontré des dragons dans les Alpes suisses. Un encart rappelle toutefois que la population était bien plus éduquée qu'il n'y paraît, grâce à la diffusion des livres par les colporteurs et à la tradition d'enseignement de la Réforme bien implantée dans les sommets. Dans une autre salle, une exposition est actuellement consacrée aux sports d'hiver : on peut y admirer le flambeau de la flamme olympique des Jeux de Grenoble de 1968, ainsi qu'une collection de skis, dont un spécimen pittoresque construit en Finlande en 1913.



Les fenêtres du musée offrent également une très belle vue sur la chaîne de Belledonne et la vallée du Grésivaudan, toponyme mémorable issu du nom gallo-romain de Grenoble, Gratianopolis.



La ville comporte bien d'autres musées jouissant d'une excellente réputation, dont le musée archéologique Saint-Laurent, que je rêve de visiter pour sa crypte Saint-Oyand du VIe siècle, et le musée de Grenoble, vanté de partout comme la huitième merveille du monde pour ses collections d'art moderne, avec en prime quelques œuvres de Rubens et Zurbarán. Faute de temps, j'ai du me contenter d'admirer la tour de l'Isle, partie du musée, depuis l'extérieur. Construite à la fin du XIVe siècle, elle servit à renforcer l'enceinte de la ville lors de son agrandissement.



De leur côté, les monuments religieux de Grenoble ne m'ont pas marqué outre mesure, ni dans leur aspect extérieur, ni dans leur sobriété intérieure. Je leur ai de loin préféré le bâtiment que j'avais le plus envie de voir avant mon arrivée dans la ville, le célèbre palais du parlement du Dauphiné, superbe ensemble mêlant les styles gothique flamboyant, Renaissance et néo-Renaissance dans un dégradé de blanc et de bleu. Pas de chance, je n'ai pu voir le palais que sous la grisaille ou dans la pénombre du soir, le tout en pleine campagne de travaux de restauration. Je vous laisse donc admirer la photographie officielle de la célèbre encyclopédie en ligne pour le découvrir dans toute sa splendeur.



Créé en 1453, le parlement joua un rôle de premier ordre dans l'administration du Dauphiné, avant d'acquérir un véritable statut de contre-pouvoir à l'aube de la Révolution, en refusant notamment d'enregistrer les édits de 1788 visant à limiter ses prérogatives. L'évacuation par la force des membres du parlement provoqua une émeute dans toute la ville le 7 juin de la même année, événement resté célèbre sous le nom de journée des Tuiles puisqu'une partie des habitants monta sur les toits de Grenoble et jeta des tuiles sur les soldats.



En conséquence, une assemblée composée des notables des trois ordres de la société d'Ancien Régime se réunit sept jours plus tard dans l'hôtel de Lesdiguières, ici photographié, pour redéfinir la vie politique du royaume en commençant par réclamer la réunion des États généraux du Dauphiné, lesquelles se tirent effectivement à Vizille le 21 juillet suivant. Ces événements sont vus par les historiens comme une répétition générale de la Révolution française, ce qui explique pourquoi le musée consacré à ce grand pan de l'histoire est précisément situé à Vizille. Je résume tout cela dans de très grandes lignes qui font honte à l'ancien étudiant d'histoire que je suis, mais assurément, Grenoble et ses environs valent le détour pour découvrir les lieux où tous ces faits se sont déroulés.



La place Saint-André, où se situe le palais du parlement, fait également écho à des événements plus anciens, à travers une statue représentant Pierre Terrail de Bayard, le chevalier « sans peur et sans reproche », natif de Pontcharra au nord de l'Isère, qui s'illustra lors des guerres d'Italie à la jonction du Moyen Âge et de la Renaissance, et qui fut nommé lieutenant général du Dauphiné par François Ier en 1515. En son honneur, une salve de 18 coups de canons fut tirée du haut de la tour de l'Isle dont nous venons de parler, lorsqu'il fit son entrée dans la ville.



Outre le palais du parlement, un autre monument qui m'a ravi à Grenoble est l'hôtel d'Ornacieux, plus connu sous le nom de maison Vaucanson, car l'inventeur d'automates Jacques Vaucanson y logea dans son enfance en 1717. L'édifice date toutefois du XVIIe siècle, et ce n'est qu'en 1760 qu'en fut bâti son élément emblématique, un très bel escalier à loggia d'un esprit très italien.



La couleur orange de la cour intérieure, associée à quelques plantes savamment disposées aux fenêtres, rendent ces quelques instants passés ici absolument enchanteurs, au sein d'une ville qu'on ne saurait pourtant qualifier de charmante.



Je parle ici de la morphologie de Grenoble. La vie sociale y semble de son côté particulièrement agréable, puisqu'il s'agit d'une agglomération jeune et dynamique qui attire de nombreux étudiants de toute l'Europe, preuve d'un avant-gardisme révolutionnaire dont la cité ne cesse de s'enorgueillir. Contrairement à une grande ville d'Aquitaine que je n'aime guère, Grenoble est aussi une ville civilisée : les voitures vous laissent traverser sur les passages piétons, les gens vous disent « Bonjour, pardon, merci » avec le sourire s'ils ont besoin de vous demander quelque chose, et je me suis senti bien accueilli partout où je suis passé. Les commerçants vous remercient même après avoir acheté quelque chose chez eux, ce qui est très inhabituel dans ma région.



Cela semble bien prouver qu'il ne faut pas se fier aux racontars de tous ces gens qui ne sortent jamais de leur trou et qui commençaient à se désoler pour moi en apprenant que je devais me rendre dans une ville qu'ils qualifient de « zone ». Je n'ai pas du tout eu cette impression, et ce même en marchant tard la nuit du côté d'Échirolles où l'on m'avait réservé mon hôtel. Bref, rien à voir avec le fiasco lillois de l'année dernière. D'ailleurs, cette obsession sécuritaire chez de nombreuses personnes pourtant cultivées et saines d'esprit ne cesse de me surprendre. De mon point de vue, le seul danger prégnant à Grenoble vient de cyclistes qui ne respectent pas le code de la route et roulent sur les trottoirs avant de griller des feux rouges, et ce malgré la présence d'espaces bien séparés sur la chaussée entre pistes cyclables et piétonnes.



Décidément à la pointe du progrès, Grenoble est aussi la seconde commune de France à avoir élu un maire écolo, ce qui d'un point de vue touristique est très appréciable car on peut s'y promener sans que la vue soit polluée par des publicités. Je sais que les Grenoblois de gauche de ma connaissance ne sont pas tous satisfaits de cette politique, mais je ne me permettrais pas d'émettre une opinion sur ce sujet que je ne maîtrise nullement. L'urgence est de sortir du capitalisme : les répercussions sur la vie de chaque collectivité s'étudieront après.



Une rencontre très chouette que nous avons pu faire à Grenoble avec mon groupe fut au restaurant l'Atypik, en face de l'ancienne chapelle Sainte-Marie d'en-Bas réaffectée en théâtre. C'est un restaurant tenu par des autistes dans le but de faire évoluer le regard du public sur ce sujet : nous y avons reçu un excellent accueil, et le menu végétarien était vraiment très bon, avec un houmous de betteraves savoureux. J'en ai profité pour remplir la grille de mots croisés sur le set de table, celle-ci étant entièrement consacrée à la Fabrique Opéra de Grenoble. Parmi les réponses attendues, Faust et Turandot figuraient en bonne place.



Conclusion : il est impossible de résumer une si grande agglomération en quelques lignes et quelques images, mais alors que l'entrée en matière fut rude, j'ai finalement appris à aimer la ville dans le courant de la semaine. J'y aurais même volontiers passé le week-end si je n'avais eu d'autres engagements. Une seconde visite s'impose donc : des promenades dans toutes ces montagnes qui font rêver, une exploration des musées dont un grand nombre est gratuit, et des excursions un peu plus loin dans le village de Pont-en-Royans ou dans le massif des Écrins m'enthousiasment rien qu'à les préparer. J'aimerais surtout revoir la ville plus tôt dans la journée quand les monuments sont encore ensoleillés, afin d'en avoir une vision un peu plus lumineuse. Cela dit, un séjour de mars permet aussi de voir les sommets dans un éclat blanc, ce qui reste un spectacle enchanteur pour qui vient d'une région où il n'a pas neigé depuis 30 ans. À voir si une visite estivale confortera la bonne impression que cette ville au départ sans charme a fini par me laisser.

dimanche 18 février 2024

Limoges au pas de course


Je suis finalement beaucoup allé au cinéma ces derniers temps, ce qui m'a permis de visionner de multiples fois la bande-annonce d'All of Us Strangers, portée par une réorchestration hypnotique d'Always on My Mind de Pet Shop Boys. Rarement un film m'avait autant attiré depuis plusieurs années, alors autant dire qu'une fois n'est pas coutume, j'attendais la Saint-Valentin avec impatience pour aller le voir. Mais patatras ! Comme à chaque fois qu'il s'agit d'un sujet gay ou lesbien, le film n'est tout bonnement pas sorti en salles dans ma région (idem pour Carol ou Call Me by Your Name cette dernière décennie). Ainsi, j'ai eu beau éplucher la programmation de tous les cinémas alentour, je n'ai trouvé nulle trace d'All of Us Strangers dans un périmètre abordable : rien en Charente-Maritime, rien en Dordogne, rien dans le Lot ou le Lot-et-Garonne, rien dans la Vienne. Il me restait alors le choix entre Angoulême ou Bordeaux mais, n'étant pas masochiste et n'ayant aucune envie de me faire cracher dessus par tous les passants, j'ai préféré galoper jusqu'à Limoges pour trouver satisfaction. Bien m'en a pris car j'ai passé un excellent après-midi dans la capitale du Limousin, sous un soleil des plus agréables malgré des températures plus qu'inquiétantes.


Limoges n'est pourtant pas une ville qui m'a beaucoup porté chance par le passé, étant donné que ça reste la ville liée aux hospitalisations : mon grand-père y est décédé quand j'avais quatre ans, et j'ai moi-même séjourné au CHU à deux reprises dans mon enfance pour deux opérations conséquentes. C'est d'ailleurs alité là-bas que j'avais découvert Mort sur le Nil à la télévision, ce qui m'avait fait entrer dans l'adolescence d'une manière on ne peut moins hétérosexuelle ! De manière plus heureuse, ma mère m'avait emmené plusieurs fois au parc d'attractions Bellevue à côté de l'aéroport, où je me souviens avoir pris grand plaisir à sauter sur des ballons gonflables géants ! Mais finalement, je ne connaissais pas vraiment le centre historique de Limoges, en dehors d'un bref passage en coup de vent il y a quelques années.

Le quartier du Château


Ce qui frappe de prime abord, c'est le charme suranné de la ville, tout droit sortie du passé avec ses murs gris et les câbles du trolleybus encore apparents, impression renforcée par les rues semi-piétonnes parsemées de boutiques d'antiquaires et de maisons à colombage qui accentuent l'aspect ancien d'une cité qui connut son heure de gloire au Moyen Âge. L'emblème de Limoges était jadis l'abbaye Saint-Martial, malheureusement détruite à la Révolution et désormais remplacée par une place d'aspect hideux malgré son joli nom. Il faut ainsi imaginer le rayonnement culturel de l'abbaye, parfaitement située sur la via Lemovicensis menant à Saint-Jacques-de-Compostelle, à travers la production d'émaux somptueux, mais aussi à travers la diffusion de la polyphonie de l'école de Saint-Martial, dont plusieurs partitions nous sont parvenues. Bien que ce passé prestigieux ne soit plus qu'un lointain souvenir, des vestiges de l'abbaye sont toutefois présents sous la place de la République, grâce à la crypte Saint-Martial qu'il me faudra visiter lors d'un prochain séjour. En attendant, on peut admirer les reliques du premier évêque de Limoges dans la basilique Saint-Michel-des-Lions, où elles furent transférées en compagnie de fragments de saint Loup et sainte Valérie, puis entreposées dans un autel finement ciselé.


Hier, l'église aux lions était visiblement le point de rendez-vous du tout Limoges, puisque plusieurs couples étaient assis dans les vaisseaux pour discuter de la pluie et du beau temps pendant que d'autres priaient sainte Valérie avec beaucoup d'emphase. Il y avait tant de monde qu'on se serait cru dans un hall de gare : il y avait même davantage de passants dans l'église qu'aux Bénédictins ! De très beaux vitraux exposés plein ouest contaient quant à eux la vie de saint Martial, avec un langage pictural merveilleusement coloré autour de son crâne. Vous savez que de mon côté je ne suis pas du tout porté sur le fait religieux, mais tirant une partie de mes origines de Haute-Vienne, je reste imprégné de culture limousine notamment à travers les célèbres ostensions, classées depuis dix ans au patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Si je n'ai jamais assisté aux processions à proprement parler, j'ai toujours été impressionné par les décorations des petites villes comme Rochechouart ou Saint-Junien, dont les rues se parent pour l'occasion de fanions aux multiples couleurs.


En seulement deux heures de temps libre avant ma séance, il n'était vraiment pas possible de tout voir de Limoges hier, mais j'ai tout de même adoré flâner dans la rue de la Boucherie, certainement pas parce que ce métier m'inspire, mais parce ce quartier concentre la plupart des maisons à colombage de la ville, ce qui permet de faire un véritable aller-retour dans le temps. En partant des belles halles construites en 1869, on commence ainsi à traverser les âges en passant devant une librairie spécialisée en ouvrages rares et anciens dont les couvertures dorées et chamarrées font rêver. Dans une rue parallèle, la place de la Barreyrette vaut également le détour pour ses nombreuses maisons à pans de bois, et méritera une visite plus tôt dans la journée afin de bénéficier d'un meilleur ensoleillement.


Le clou du spectacle du quartier de la Boucherie reste toutefois la chapelle Saint-Aurélien, qui contient les reliques du second évêque de Limoges qui avait succédé à Martial. Édifiée au XVe siècle et remaniée au XVIIe, cette chapelle est la propriété d'une confrérie s'inscrivant dans la lignée de la corporation des bouchers sous l'Ancien Régime. La richesse de ce métier se reflète dans le mobilier doré que l'on peut y admirer, à l'instar de ce retable impressionnant. Mais tout ce qui brille n'est pas d'or : mieux que les dorures, c'est vraiment l'odeur de bois qui m'a conquis et m'a fait particulièrement apprécier ces quelques minutes dans ce lieu serein et accueillant.


Les lieux dont nous venons de parler sont tous situés dans le quartier du Château, du nom de la résidence des vicomtes de Limoges qui, à l'instar de l'abbaye Saint-Martial, n'existe plus de nos jours. En continuant d'aller au hasard des rues, j'ai également pu admirer le pavillon du Verdurier, un bel ouvrage Art déco construit en 1919 pour servir d'entrepôt frigorifique afin d'entreposer la viande venue d'Argentine en ces temps de pénurie. On le doit à l'architecte Roger Gonthier, dont nous reparlerons très vite. Après avoir été transformé en marché couvert puis en gare routière, le pavillon du Verdurier est de nos jours une salle d'exposition. À quelques pas de là peuvent s'admirer l'église Saint-Pierre-du-Queyroix et la chapelle du collège des Jésuites, pour sa part intégrée au lycée Gay-Lussac.

Le quartier de la Cité


De là, j'ai traversé les grands boulevards pour me diriger vers le quartier de la Cité, centré sur la cathédrale Saint-Étienne où était concentré le pouvoir épiscopal, par opposition au quartier du Château. La rue de la cité est elle-même assez pittoresque avec ses colombages et fenêtres à meneaux, mais le parvis de la cathédrale en impose encore davantage avec son clocher de 62 mètres bâti sur un plan carré. On admire celui-ci d'autant mieux depuis la cour du palais de l'Évêché, bel édifice classique unique en son genre dans le paysage limougeaud, qui accueille aujourd'hui le musée des Beaux-Arts.


Si l'extérieur de la cathédrale reste un brin austère, l'intérieur est en revanche très coloré grâce aux différentes chapelles disposées autour du chœur. Si quelques peintures du XIVe siècle ont pu être conservées, la plupart datent tout de même du XIXe. Malgré leur jeunesse, elle sont en parfaite harmonie avec l'ensemble des lieux, et se marient élégamment aux vitraux dont beaucoup sont également assez récents.


C'est toutefois dans la pierre que la cathédrale resplendit, d'abord grâce aux tombeaux monumentaux de trois évêques, dont celui de Jean de Langeac est considéré comme l'un des chefs-d'œuvre de la Renaissance. Je lui ai pourtant préféré celui de Raynaud de la Porte, au gisant surmonté d'un dais sculpté au XIVe siècle.


La plus belle des sculptures reste cependant le jubé, qui désormais ne sert plus de clôture entre la nef et le chœur, puisqu'on peut l'admirer sous la tribune soutenant l'orgue à l'entrée de l'édifice. Réalisé dans les années 1530 par le sculpteur Jean Arnaud, un artiste venu de Tours, ce magnifique jubé représente entre autres mythes les travaux d'Hercule.


Autres témoins de l'art de tailler la pierre, de superbes gargouilles manifestent leur grandeur céleste sous de belles apparences reptiliennes. Il est de bon ton de leur rendre hommage avant d'aller flâner dans les jardins de l'Évêché, qui se distinguent par une partie « botanique » devant l'abbaye Sainte-Marie-de-la-Règle et le pavillon de l'orangerie, et une partie « à la française » qui descend le long de la Vienne jusqu'au pont Saint-Étienne datant du XIIIe siècle. Je ne me suis pas aventuré jusque là : malgré le beau temps, les jardins méritent d'être vus à la belle saison, ce qui me donnera l'occasion de revenir.


Je n'ai cependant pas perdu ma journée, car cet hiver, les jardins sont investis par des sculptures d'animaux, à l'image de ces sauterelles et de ces escargots qui occupent le jardin de l'orangerie. Ils ont été installés céans dans le cadre d'un spectacle intitulé L'Odyssée lumineuse, qu'il faut apparemment voir de nuit quand l'ensemble du bestiaire s'illumine. Et devinez qui j'ai croisé parmi toutes ces créatures fabuleuses ?


Un dragon !!!

La gare des Bénédictins


Malgré toutes ces merveilles vues au cours de ma promenade, il me restait encore un peu de temps avant le début de ma séance. Je m'en suis donc allé visiter la gare, monument emblématique de la ville, dont la construction fut supervisée dans les années 1920 par Roger Gonthier, qui s'était déjà illustré avec le pavillon du Verdurier. Bâtiment éclectique au croisement de l'Art nouveau, de l'Art déco et du néo-classicisme, la gare s'admire parfaitement depuis l'esplanade du Champ-de-Juillet. Elle ne passe certainement pas inaperçue dans le paysage urbain avec son campanile haut de 67 mètres, que l'on distingue très bien depuis la très vivante place Denis Dussoubs où se trouve le cinéma.


L'intérieur reste en revanche assez sobre : si la coupole est impressionnante de blancheur, je ne suis tout de même pas un grand admirateur des caryatides nues du sculpteur Henri-Frédéric Varenne, car je ne comprends pas bien pourquoi la Gascogne devait montrer ses fesses aux voyageurs. Bien plus attrayants, les vitraux du verrier Francis Chigot évoquent une nature plus accueillante avec des feuillages ornés de glands et de châtaignes.


Je n'ai pas non plus manqué d'admirer cette carte touristique représentant cinq des plus beaux départements français. L'évocation de la gare des Bénédictins me donne l'occasion de rappeler le passé industriel de Limoges, dont le symbole restera à jamais la porcelaine, art que toutes les familles de la région ont sollicité pour recevoir leurs hôtes à travers des services de toute beauté. Mais au-delà de cet aspect très bourgeois, rappelons que Limoges et le Limousin restent avant tout une terre de gauche, bien que les dernières élections municipales constituent une certaine anomalie dans le paysage politique régional. Nombre de rues de la préfecture portent d'ailleurs le nom de révolutionnaires et de personnes de sensibilité sociale, ce qui permet de garder un brin d'espoir en ces temps d'extrême fascisation des médias et du personnel politique français.

Conclusion


Je n'ai pas pu explorer davantage Limoges faute de temps, mais j'ai adoré ce que j'en ai vu, contrairement à sa réputation de ville pas vraiment touristique. Même si la cité n'est pas nécessairement belle dans son ensemble avec ses grands boulevards gris et ses immeubles modernes, le charme suranné que j'évoquais au départ m'a indéniablement séduit. Au-delà des murs, les paysages alentour ne manquent jamais de m'inspirer, car venant d'une région désespérément plate due à sa proximité avec l'océan, j'ai toujours adoré voir le relief s'accentuer à mesure que l'on s'approche de la préfecture, et admirer les conifères apparaître en grand nombre tout au long du trajet. Cette promenade à Limoges m'a aussi permis de me reconnecter à mes racines limousines, qui ne constituent qu'une petite partie de mes origines, mais dans lesquelles je ne manque pas de me reconnaître.


Pour l'anecdote, ayant entrepris d'approfondir ma généalogie, j'ai réussi à remonter jusqu'au Xe siècle grâce à une branche noble, laquelle m'indique, en admettant qu'il n'y ait pas eu d'infidélités au cours des siècles, que je descends de toutes les grandes familles originelles du Limousin : Comborn, Les Cars, Lostanges, Rochechouart, Turenne, Pompadour, Ventadour… Je ne tire aucune gloire de ce prestige historique, mais je suis ravi que les sources parviennent à m'ancrer dans une région que j'ai toujours beaucoup aimé. Je suppose qu'il n'y a pas de hasard et que je ne m'identifie pas aux paysages du Limousin depuis l'enfance sans raison. Pour sûr, si j'arrive à survivre à l'effondrement climatique, je reviendrai avec grand plaisir à Limoges pour voir les merveilles qui manquent encore à l'appel : le musée Adrien Dubouché pour la porcelaine, la cour du temple pour ses colombages, mais aussi les cryptes, les souterrains et les bords de Vienne dont la vision printanière me fait d'ores et déjà rêver !

mardi 30 janvier 2024

Vesunna : ville antique


J'avais un dîner d'affaires à Périgueux ce vendredi, ce qui me donne l'occasion d'évoquer cette ville particulière que je tâche de contourner autant que faire se peut depuis trois ans que je travaille en Dordogne. Pour tout vous dire, en dehors de deux rendez-vous professionnels, je n'ai visité la préfecture du Périgord qu'à deux reprises : une première fois en 2019, où j'étais resté sur ma faim, et une seconde fois cet automne où… j'ai eu la certitude que je ne voulais surtout pas m'y établir malgré sa position centrale dans le département. D'ailleurs, tous les Périgourdins avec qui j'ai eu l'occasion de discuter ces dernières années me disent la même chose : il vaut bien mieux rester à Bergerac qu'à Périgueux, propos qui ne m'étonnent guère dans la mesure où Bergerac est mieux située par rapport aux points d'intérêt touristiques, où l'on y circule mille fois mieux par comparaison avec sa rivale constamment embouteillée, et où les gens y sont tout de même plus souriants. Toutefois, cela ne veut pas dire que Périgueux manque d'attraits. C'est même tout le contraire, car la ville regorge de monuments antiques et Renaissance de toute beauté. Sur le papier, je devrais donc adorer cette ville, mais le charme n'opère décidément pas.


J'évoque aujourd'hui le quartier de l'antique Vesunna, capitale des Pétrocores nommée en hommage à la déesse gauloise de l'eau et de la fécondité. Riche d'une histoire bimillénaire, cette cité est le quartier le plus agréable de l'agglomération, et mérite son propre développement en raison de son patrimoine incomparable. Sur les vues aériennes, on distingue particulièrement bien la ville antique, à l'ouest de l'affreuse place Francheville, de la cité médiévale Puy-Saint-Front avec son lacis de ruelles étroites resserrées autour de la cathédrale. Les deux bourgs ne s'unirent officiellement qu'en 1240, après plusieurs années d'entente cordiale. En attendant d'évoquer la ville la plus récente, passons en revue les plus belles stations de Vésone, toponyme qui mériterait de redevenir celui de la commune pour la beauté du son.

L'église Saint-Étienne-de-la-Cité


Cette église romane n'est évidemment pas un monument antique puisqu'elle fut construite entre le XIe et le XIIe siècles. Elle occupe toutefois un emplacement déjà consacré au divin aux premiers siècles de notre ère, puisque s'y élevait à l'origine un temple dédié à Mars. C'est l'évêque Chronope II qui fit édifier une première église à la place au début du VIe siècle, avant que l'édifice que nous connaissons de nos jours ne commence à prendre sa forme, 600 ans plus tard. Aujourd'hui, Saint-Étienne a l'air d'un pavé agréable à regarder posé au milieu d'une place, mais il faut imaginer que le bâtiment était bien plus imposant au Moyen Âge puisque, fort de ses quatre coupoles, il faisait office de cathédrale de Périgueux. Malheureusement, un incendie, les guerres de Religion puis la Fronde, le mutilèrent sévèrement, d'où son aspect modeste qu'on lui connaît depuis lors. Redevenue simple église depuis la consécration de Saint-Front en 1669, Saint-Étienne vaut surtout le détour pour ses façades extérieures, qui ont su garder une véritable majesté malgré les drames. À l'intérieur, un joli retable du XVIIe siècle, ainsi que les vestiges du tombeau de l'évêque Jean d'Asside, qui se distinguent par une belle arcade sculptée du XIIe siècle, égayent quelque peu des murs d'une triste pâleur.

L'amphithéâtre romain


À deux pas de l'église, l'amphithéâtre nous ramène aux toutes premières années du premier siècle, puisqu'il fut édifié sous le règne de Tibère, après une commande d'une famille influente de Vesunna, les Pompeia. Ses vastes dimensions de plusieurs centaines de mètres, encore bien visibles de nos jours, en firent l'une des plus grandes arènes de la Gaule aquitaine, pouvant accueillir entre 18 et 20 000 spectateurs. Cet amphithéâtre est par exemple plus grand que celui de Mediolanum Santonum (Saintes), que j'ai déjà évoqué il y a plusieurs mois.


Démoli à partir du IVe siècle, le monument servit en partie à la construction des remparts de la cité ainsi qu'à l'élévation d'un donjon comtal dont il ne reste rien, sans parler de quelques bâtiments alentours qui bénéficièrent des pierres du lieu antique. Il reste heureusement quelques vestiges à admirer au sein d'un jardin public qui m'angoisse quelque peu, sûrement parce que la majeure partie des pierres ayant échappé à la démolition est désormais enterrée de façon assez sinistre.


Des passages voûtés et des vomitoires réussissent tout de même à émerger, comme pour défier l'usure du temps. La partie nord des vestiges reste la plus impressionnante. La végétation chaotique qui l'entoure et la recouvre lui confère en effet un éclat singulier, qui m'inspire autant qu'il me terrifie. L'histoire des arènes doit beaucoup aux fouilles de Wlgrin de Taillefer au début du XIXe siècle, ainsi qu'aux publications de la Société historique et archéologique du Périgord, la bien nommée SHAP, qui sur un autre sujet vient de mettre en ligne toutes les notices du chanoine Brugière, un historien qui écrivit des fiches détaillées sur chaque commune de Dordogne au XIXe siècle, agrémentées de quelques croquis des plus beaux monuments. C'est une vraie mine d'or pour les amateurs d'histoire locale. La notice générale consacrée à Périgueux montre justement le quartier que j'évoque ce soir vu depuis l'amphithéâtre. On y distingue l'église de la cité, la tour de Vésone, mais aussi le château Barrière.

L'enceinte gallo-romaine


Construite au IIIe siècle dans un souci défensif pour faire face aux incursions d'Alamans, l'enceinte entourant la cité antique a laissé de nombreux vestiges, le long de ce qui est aujourd'hui une voie ferrée. L'une des entrées de la citadelle, encore debout à notre époque, est qualifiée de porte normande, car elle aurait servi aux habitants du haut Moyen Âge à se défendre contre les Vikings. Juste à côté se trouve le château Barrière, édifié pour sa part au XIIe siècle en étant intégré aux remparts antiques. Embelli entre la période gothique et la Renaissance, il se para de fenêtres à meneau et d'une belle porte aux ornementations flamboyantes. Mais à l'image de Saint-Étienne, les guerres de Religion lui furent fatales, et le château ne s'est pas relevé de ses ruines depuis lors.


De l'autre côté de la rue, apparaissant derrière une allée de cyprès des plus agréables, s'élève le Centre national de la préhistoire, lui aussi édifié sur l'ancienne muraille défensive. Ce bâtiment se situe dans la continuité du château Barrière, dont on aperçoit le donjon à l'ouest. D'autres restes de l'enceinte, du côté des bien nommées rue Romaine et rue de la Cité, peuvent également s'admirer en certaines occasions.

La tour de Vésone


La promenade des cyprès conduit aussitôt après à un jardin public plus aéré que celui des arènes, où trône en majesté le monument emblématique de Périgueux, la tour de Vésone. Il s'agit de la cella d'un temple dédié à la déesse Vesunna, qui fut édifié aux alentours du IIe siècle de notre ère, et qui était partie intégrante d'un sanctuaire assez vaste qui fut mis à jour au cours de différentes fouilles tout au long du XIXe siècle.


Mise à nu avec la disparition du temple et du péristyle originels, la tour n'en reste pas moins impressionnante avec ses 24 m de haut et ses 19 m de diamètres. La stupéfaction est d'autant plus grande qu'un chemin a été aménagé afin de pouvoir circuler en son centre, pour un séjour aussi grandiose qu'envoûtant. La gigantesque brèche fut causée par l'extraction de la porte d'entrée, qui causa l'effondrement d'une partie de l'édifice, bien que les catholiques, toujours prompts à pourrir la vie de leur prochain, prétendent que l'évangélisateur saint Front aurait éventré la tour pour combattre un dragon qui y logeait. Foutez-nous la paix, et laissez-nous vivre où bon nous semble !

Le musée Vesunna


La domus de Vésone, surnommée domus des Bouquets d'après le nom de la rue qui la longeait lorsqu'on découvrit le site dans les années 1960, eût été un logement tout aussi digne pour mes collègues reptiliens. Cette somptueuse maison gallo-romaine achevée au IIe siècle abrite depuis vingt ans l'un des plus beaux musées de France, Vesunna, qui fait décidément l'unanimité auprès de toutes les personnes de ma connaissance qui l'ont visité.


Mis en valeur par une immense verrière due à l'architecte Jean Nouvel, le musée offre un parcours très enrichissant qui témoigne du génie de nos ancêtres. Outre les objets consacrés à l'éclairage intérieur, aux ustensiles de beauté, à l'écriture et aux jeux en tous genres, on peut également y admirer des peintures murales bien conservées, même si mon coup de cœur est allé au fabuleux système de l'hypocauste, par lequel on se chauffait il y a 2000 ans. L'alcôve consacrée à cette invention ingénieuse m'a entièrement fasciné.


Loin de s'arrêter là, le musée se distingue également par une magnifique collection lapidaire, dotée de multiples colonnes et chapiteaux ornés d'animaux finement sculptés. Assurément, ce bestiaire m'a enchanté. Pour ne citer que quelques exemples parmi tant d'autres, évoquons un chapiteau toscan orné de dauphins affrontés de coquilles, sommet d'une colonne elle aussi en calcaire, où se détachent un loup, une panthère, un sanglier, des oiseaux et des griffons. Une autre colonne du IIe siècle montre quant à elle des écureuils croquant des raisins, tandis que juste à côté, une frise marine fait la part belle aux chevaux de mers et dauphins sur un amas d'armes.


Un peu plus loin, une sculpture de Mercure révèle le dieu voyageur en compagnie des animaux qui lui sont chers, du coq à la tortue en passant par le bouc et les deux serpents enlacés formant le célèbre caducée d'Hermès, dont Mercure est la transposition. Pour abréger ce passage en revue qui pourrait durer des heures tant la visite fut plaisante, concluons par cet autel taurobolique dédié à Cybèle, qui fut retrouvé entre la porte normande et l'actuel château Barrière. C'est malheureusement sur cette pierre que l'on sacrifiait des animaux jadis, comme en témoignent les bandelettes sacrificielles pendant aux oreilles du taureau, l'arme du crime, la patère et le vase à libations. Cet autel date de la fin du IIe siècle ou du début du IIIe et n'a rien perdu de son aura.

Exposition temporaire


Bonus ! L'année dernière s'est tenue à Vesunna une exposition consacrée à une romancière bien connue de tous les lecteurs du monde entier : Agatha Christie, en quête d'archéologie. Je ne suis pas le plus grand admirateur de la dame et de ses personnages manichéens, mais quelques portraits plus fins qu'à l'accoutumée, comme l'héroïne de Je ne suis pas coupable et l'universitaire borgne de Cinq petits cochons, resteront de bons souvenirs de lecture, sans parler de ses grands classiques exotiques qui continuent de me faire rêver à travers le tourisme de luxe des années 1930, et de me divertir grandement grâce aux étoiles du cinéma qui s'y sont données à cœur joie dans des adaptations bien connues des lecteurs gretalulliens, de l'inimitable Wendy Hiller à l'énergique Piper Laurie, en passant par l'ogresque Lauren Bacall, l'hilarante Ingrid Bergman, la divine Vanessa Redgrave, l'exquise Rachel Roberts, l'élégante Jacqueline Bisset, les trois grâces Bette Davis, Maggie Smith et Angela Lansbury, l'effrayante Mia Farrow, la schizophrène Jane Birkin, notre mascotte Lois Chiles, les trois garces Elizabeth Taylor, Geraldine Chaplin et Kim Novak, la vampirique Diana Rigg, la non moins distinguée, ou pas, Sylvia Miles et bien sûr, le fameux maillot de bain de Meurtre au soleil capable de convertir tous les hommes de l'univers aux délices de l'inversion !


Plus sérieusement, j'ai beaucoup aimé cette exposition, moins consacrée aux meurtres en tous genres qu'au travail de terrain d'Agatha Christie et Max Mallowan en Mésopotamie. Débutant par un voyage à bord de l'Orient-Express au son du jazz des Années folles, la visite nous conduisait sous le soleil irakien à travers une reconstitution aussi réaliste qu'instructive, mention spéciale aux combinés téléphoniques d'époque qui permettaient d'écouter des citations des mémoires de l'écrivaine. Aux côtés de la maison syrienne partiellement reconstituée, des panneaux explicatifs apportaient quelques informations tout à fait dignes d'intérêt. J'ai notamment appris que sur les chantiers, les piocheurs touchaient tous le même salaire quel que fût leur âge, et qu'il y avait toute une hiérarchie sur le terrain, puisque après les piocheurs, qui avaient le plus de chance de faire les plus belles découvertes, venaient les bêcheurs, et à leur suite les enfants chargés d'évacuer la terre, qu'ils ne manquaient pas de fouiller dans l'espoir de trouver un fragment oublié susceptible de leur valoir une bonne récompense. Le racisme était également présent sur les lieux, puisque le comptable chargé de verser les salaires avait apparemment l'habitude de soupirer à l'idée de voir l'argent « partir entre des mains musulmanes ». Sans commentaires…


Ayant elle-même participée au nettoyage et à l'inventaire des poteries, en plus de son travail documentaire de photographie et d'écriture, Agatha Christie fut le témoin privilégié de ce métier qui fait forcément rêver l'ancien étudiant en histoire que je n'ai jamais cessé d'être. Pour faire le lien avec le patrimoine antique évoqué dans les textes, l'exposition avait abondamment sollicité le département des Antiquités orientales du Louvre, à travers quelques pièces syriennes et irakiennes toutes plus somptueuses les unes que les autres, dont ce cachet en forme de chien de la période d'Uruk, trouvé à Girsu lors de la mission d'Ernest de Sarzec en 1881, un sceau cylindrique en marbre noir de la période d'Akkad représentant une scène de banquet, et cette figurine de capriné de la fin de l'âge du bronze, retrouvée lors de la mission d'André Parrot en Syrie entre 1931 et 1932.



Hormis le Louvre, d'autres fonds furent sollicités pour compléter cette exposition, à l'instar du musée des Beaux-Arts de Lyon ayant prêté cette tête de dignitaire assyrien trouvée à Nimroud. Pour illustrer plus précisément le travail d'Agatha sur le terrain, les fonds Christie et Mallowan ont également répondu à l'appel, avec entre autres la reproduction en aluminium de la clef en fer de leur maison à Bagdad, que l'autrice jugeait plus légère à transporter dans son sac à main, des photographies prises par la dame elle-même, l'appareil qui lui servit à immortaliser ces clichés, et le passeport avec lequel elle voyagea, plus tard, dans les années 1950. Rajeunie d'un an pour une raison inconnue sur ce précieux document, sa profession est par ailleurs mentionnée sous les mots prestigieux de « married woman ». Sans commentaires, pour la seconde fois. Le tout n'en a pas moins formé une excellente exposition grâce à laquelle j'ai pu m'immerger dans un métier de rêves à une autre époque. Je reste tout de même sceptique, car les œuvres d'art conservées hors de leur pays d'origine restent le fruit d'un énorme pillage.

Conclusion


Si Périgueux est loin d'être une ville enchanteresse, les monuments de l'antique Vesunna en font tout de même une étape obligatoire pour les amoureux d'histoire et de patrimoine. La tour de Vésone et le musée qui lui est associé sont réellement impressionnants et méritent amplement le détour. Je ne suis pas sûr d'en dire autant du quartier Saint-Front que je tâcherai de décrire dans un prochain article, malgré la beauté indéniable des bâtiments Renaissance qui le parsèment.