samedi 18 février 2017

Boring.


Je sais, c'est un sujet important et je suis sans doute de mauvaise foi, mais se voiler la face n'y changera rien: je me suis ennuyé à mort devant Loving, le nouvel opus de Jeff Nichols (dont je n'avais encore rien vu avant aujourd'hui), à propos de Richard et Mildred Loving, qui eurent à entrer en procès avec l'Etat de Virginie après s'être mariés malgré leur différence de couleurs. Entendons-nous bien: ce n'est pas un mauvais film, mais ce n'est rien de plus qu'un hameçon à Oscars assez banal, dont le rythme peine grandement à captiver. Difficile, dès lors, d'apprécier réellement cette longue histoire de deux heures où il ne se passe pas grand chose.

Certes, le film a au moins le mérite d'être très sobre, mais ça l'est peut-être trop, justement. C'est pourtant tout à l'honneur des interprètes de ne pas donner des performances larmoyantes, mais l'émotion n'est pas vraiment au rendez-vous, malgré les malheurs des personnages. Je suis manifestement dérangé par l'extrême soumission du couple principal: c'est un excellent choix d'interprétation car Mildred et Richard viennent tous deux d'un milieu très pauvre, aussi comprend-on aisément qu'ils plaident immédiatement coupables en baissant la tête pour éviter la prison, mais ça ne colle pas exactement à ce que dégagent les acteurs derrière ces paroles. Je prends la sublime Ruth Negga à témoin: cette personne dont le visage est idéalement fait pour le cinéma a l'avantage d'être très charismatique même quand elle ne fait rien, de telle sorte que j'ai constamment l'impression d'observer une héroïne forte se forcer à trop jouer la soumission, au lieu que celle-ci paraisse réellement crédible à l'écran. Ça marche évidemment mieux dans la seconde partie, quand Mildred prend les devants en osant écrire aux Kennedy ou en répondant avec un mélange très intéressant de gêne et de plaisir aux questions des journalistes, bien que le point fort de sa performance reste avant tout l'ennui profond qu'elle parvient à suggérer devant son triste quotidien dans la ville étrangère où le couple a dû se réfugier. Mais tout de même, je n'arrive pas tout à fait à croire que Ruth Negga soit immédiatement crédible en femme assez soumise, malgré une bonne performance générale et un choix de sobriété exemplaire (voir notamment sa dernière scène au téléphone, qui manque un peu de piquant mais qui reste très cohérente par rapport à ce que l'actrice a montré jusqu'à présent). A ses côtés, Joel Edgerton a une forme de visage qui sied très bien à son personnage discret, sans compter qu'il bénéficie d'une petite scène de larmes qui rend Richard vraiment touchant. C'est encore une bonne interprétation, qui me fait paradoxalement assez peu d'effet.

Autrement, Jeff Nichols a dû mal à insuffler un rythme digne de ce nom à son film. On voit vraiment le temps passer malgré ses efforts pour créer des tensions dynamisantes, en particulier lors de la première visite de la police, dont l'avancée de nuit dans la maison est entrecoupée par des images du couple endormi sereinement; mais encore lors du retour de nuit en Virginie, alors que les héros bravent l'interdiction de revenir dans l'Etat afin que Mildred accouche parmi les siens; sans oublier d'autres petites séquences assez marquantes comme la peur de Richard voyant une voiture arriver trop vite devant la ferme où lui et sa famille sont cachés, ou encore le montage parallèle de la chute sur le chantier et de l'accident de voiture, scène centrale qui motivera les héros à quitter définitivement la grande ville pour revenir coûte que coûte auprès des leurs. Mais vraiment, si l'on excepte ces quatre séquences notables, le rythme général s'écoule difficilement, ce qui est le résultat d'une multitude de facteurs, dont des protagonistes relativement transparents, un choix de trop montrer les mêmes images de leur quotidien (Mildred passe au moins dix fois dans un couloir avec un panier de linge sous le bras, tandis que Richard n'en finit plus d'empiler des briques), et bien entendu la sempiternelle figure du sauveur blanc, puisque le procès échappe totalement aux principaux intéressés qui ne font même pas le déplacement. Evidemment, le scénariste-réalisateur a voulu rester au plus près de la vérité historique, mais par pitié, n'y avait-il pas moyen d'éviter cette musique héroïque ridicule à chaque apparition de l'avocat blanc bien décidé à venir en aide à ses clients?

On pourra également regretter que Loving ne pose pas toujours les bonnes questions. Pour en revenir au fameux procès, celui-ci se résume très exactement à... deux phrases grand maximum, trois si l'on compte la lecture du propos rétrograde des autorités de Virginie quand à "la répartition des races par dieu sur les cinq continents". Mais à la fin, on n'aura aucune bataille juridique digne de ce nom, puisque le film préfère montrer Mildred repasser inlassablement son linge, et Richard cimenter ses briques le plus stoïquement du monde. D'autre part, je ne connais pas l'état du marché de la maçonnerie dans l'Amérique des années soixante, mais le fait de déménager de force n'a aucun effet économique sur la vie du couple, puisque Richard n'a même pas besoin de chercher du travail dans son nouvel endroit: il part avec ses outils le lendemain même de son arrivée, comme s'il n'y avait rien de plus facile que se faire embaucher en un lieu totalement inconnu. Le scénario se rattrape heureusement en montrant bel et bien les affres du déchirement, lorsque le couple fait ses adieu à la famille avant de partir, mais là encore, la scène est filmée avec tant de pudeur qu'elle n'est pas aussi poignante qu'elle aurait dû. Les réflexions des personnage secondaires sont pour leur part assez banales et n'apportent rien de novateur au propos: la sœur de Mildred reprochant à Richard de l'avoir épousée en sachant qu'ils ne manqueraient pas d'avoir des ennuis sitôt après, la mère de Richard qui fait le même reproche à son fils, ou encore le meilleur ami noir qui se plaint que Richard "joue" au noir alors qu'il est nettement plus privilégié que tous ses amis réunis, à cause de sa peau blanche. On peut éventuellement apprécier l'idée que ces personnages changent d'avis en cours de route: la sœur redevant amie avec son beau-frère, et la mère blanche s'occupant de ses petits-enfants métis avec plaisir, mais ces rebondissements ne sont pas absolument exceptionnels. Dans tous les cas, le sujet est nettement mieux maîtrisé que dans des choses comme The Help, puisque dans Loving, le racisme est réellement sournois et violent, aux antipodes du film caricatural de 2011. Mais... on reste quand même sur sa faim, la faute aux briques et pantalons sales qui finissent par phagocyter l'émotion, ou tout du moins les questions juridiques les plus intéressantes.

Je crois avoir fait le tour de la question. On notera simplement que Loving ne se démarque guère par sa forme: c'est bien filmé, et les points de tensions bien montés, mais c'est loin de laisser sa marque dans l'histoire du cinéma. La musique et la photographie sont pour leur part assez quelconques. Alors voilà où j'en suis: Loving est un assez bon film, mais ça manque d'énergie et l'on passe quand même à côté de certains points qui auraient pu ajouter une complexité bienvenue au tout, ou à défaut une épaisseur un peu plus consistante que ce trop-plein de sobriété aux personnages. La découverte n'est pas inintéressante, mais c'est une œuvre qui sera très vite oubliée dans moins d'un an. Cependant, Ruth Negga possède un visage et un talent très dignes d'être exploités par le cinéma, alors prions que ce soit fait à bon escient dans les années qui viennent, en espérant que l'actrice n'ait pas que ce moment de gloire à son actif. Je suis paradoxalement content qu'elle ait réussi à se faire nommer aux Oscars face à certains gros noms attendus, mais je préfère bien davantage la performance d'Amy Adams dans Arrival. Je m'y perds de toute façon avec cette catégorie cette année: je suis facilement captivé par Ruth Negga mais trouve sa performance vraiment trop sobre, j'aime le travail d'Amy Adams dans un bon film de science-fiction mais reste très peu impressionné par la dame en général, j'apprécie le charisme d'Emma Stone mais ne la trouve pas assez solide d'un point de vue musical pour justifier une nomination, et je trouverais génial qu'on donne un Oscar à Isabelle Huppert pour sa carrière, mais elle ne me surprend aucunement dans un film que j'abomine... Pour couronner le tout, j'ai trouvé les actrices d'Almodóvar vraiment bien mais ne suis ébloui par aucune des deux, de telle sorte que c'est finalement le charisme et le naturel de Sônia Braga qui font la course en tête pour le moment. Pour en revenir au cœur du sujet, Loving est loin d'être indigne et mérite son petit 6/10, mais c'est tout de même loin, très loin, d'être mémorable.

8 commentaires:

  1. Je voulais le voir cet après-midi pour être au point pour les oscars, mais vraiment ce que tu dis est exactement ce que je crains alors bon ... pfffffffff ... pffffffff ...
    j'ai eu la chance (douteuse ?) d'aimer Elle et comme je vénère Huppert, évidemment, j'ai été très investi toute l'année. Mais finalement la concurrence ne m'inspire pas vraiment alors bon ... vive les GG et le SAG avec leurs nominations rigolotes. Ca m'a donné un prétexte pour voir La Fille du train à l'insondable médiocrité.

    L'AACF

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    1. Je soutiens quand même Isabelle Huppert pour les Oscars! Emma Stone ne fait clairement pas le poids même si je n'ai aucune préférence absolue entre leurs deux performances sur une échelle microscopique. J'espère ne pas gâcher les chances d'Isabelle en écrivant ça, vu la propension des Oscars à voter systématiquement pour celle que je ne soutiens pas, mais contrairement aux autres années où tout était joué d'avance, il y a quand même quelque chose dans l'air qui permet encore d'espérer. Même si tout indique que le trophée reviendra à Emma, que les votants soient las de cocher La La Land partout pour couronner Huppert serait une si agréable surprise, croisons les doigts!

      As-tu vu Jackie? Je n'ai pas pu m'y résoudre pour ma part, mais j'hésite encore un peu à sauter le pas. Et Emily Blunt était-elle à peu près correcte malgré la nullité apparente du film? Bref, je cherche surtout à rattraper mon retard sur L'Avenir et Love and Friendship pour le moment.

      Loving est, comme précisé, tellement quelconque que je n'y pense déjà plus à l'heure actuelle...

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    2. Cette année, je me situe en terrain neutre pour les Oscars, n'ayant vu aucun de ces films : par contre, Love and Friendship est vraiment très bien, et c'est bien dommage qu'il n'ait (à ma connaissance) aucune nomination ! Kate Beckinsale est peut-être un peu trop mécanique par moments, mais Sevigny et elle manipulent délicieusement leur entourage - et puis, l'ambiance austenienne est des plus agréables. Je pense que le film devrait te plaire !

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    3. Mon problème avec Kate Beckinsale, c'est que je ne la connais pour le moment que dans: une adaptation télévisée d'Emma, où elle est complètement éclipsée par Olivia Williams; Pearl Harbor, que j'ai été forcé de voir par... ma prof de lettres de prépa lors d'un voyage à Prague (!), sans commentaires... et The Aviator, où elle n'a pas le dixième de la présence d'Ava Gardner devant une caméra. Je suis dès lors très intrigué par le déluge de louanges pour Love and Friendship: peut-être s'est-elle enfin métamorphosée en actrice? Dommage que j'ai manqué le film quand il était en salles (je n'avais pas trop goûté la nouvelle et ne m'étais pas pressé pour le voir), j'aimerais à présent vérifier ça, et retrouver la toujours parfaite et malheureusement trop peu employée Chloë Sevigny!

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    4. Même "pas le dixième de la présence d'Ava Gardner" ? Vu le non-charisme de Gardner dans certains films, Beckinsale devait y être vraiment transparente (ça ne m'étonne pas d'avoir complètement oublié qu'elle figurait dans ce film interminable...).
      Outre ce rôle, je ne l'ai vue que Love and Friendship, d'où mon regard pleinement positif sur elle : après, peut-être qu'à la revisite elle me plaira moins. Mais je suis d'accord avec toi sur Sevigny, que je ne connaissais pas et qui est la meilleure du casting !

      (PS : Hmm, bizarre cette prof de prépa qui n'a pas très bon goût !)

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    5. Sevigny est évidemment à voir dans Boys Don't Cry et, pour la télévision, dans If These Walls Could Talk 2. Il paraît qu'elle est encore excellente dans American Psycho, que je ne connais pas... Et le plus souvent, elle est toujours l'élément le plus digne d'intérêt de films qui me font peu d'effet, tels Kids ou Melinda.

      Du coup, c'est réglé, je commanderai Love & Friendship en DVD pour mon anniversaire le mois prochain!

      PS: Cette prof de prépa, non contente d'être une enseignante captivante, avait également une classe folle quand elle courait après son RER. Chacun de ses cours sur le roman picaresque était un régal, à tel point que tous ses étudiants l'idéalisaient... jusqu'à ce fameux voyage à Prague où elle décida, alors que toute la classe avait voté contre, de nous montrer Pearl Harbor... Je n'ai jamais pu la regarder de la même manière après coup...

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    6. J. L. Stanwyck18 mars 2017 à 09:24

      J'explorerai la filmo de Sevigny lorsque j'aurai plus de temps dans ce cas - merci du conseil ! J'espère que Love and Friendship te plaira, après les films nommés qui semblent en général t'avoir laissé sur ta faim.

      C'est drôle, on croirait que tu parles d'une de mes profs d'histoire de lycée, une femme d'une classe et d'une élégance folles également, qui avait un visage très "préraphaélite" !

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  2. Pas vu Jackie encore (en projet ce week-end) et je vois Loving demain.

    Blunt (je m'étais précipité pour voir le film le jour où elle a été nommée aux SAG - l'avantage d'être à Paris, il était encore donné dans une salle) est excellente dans ses scènes d'ivresse, mais le personnage est tellement pauvrement écrit qu'elle n'a rien d'autre à faire (être ivre, malheureuse, confuse pendant deux heures ne font pas une performance, à mon avis !)

    L'AACF

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