mercredi 15 février 2017

La Lalande


Suite à plusieurs requêtes visant à me remotiver, je vais tenter de reprendre mon blog à partir d'aujourd'hui. Je commencerai par un événement d'actualité, puisqu'en début de mois, je n'ai pu m'empêcher d'aller voir ce qui sera très vraisemblablement consacré comme le meilleur film de 2016 aux États-Unis, le déjà célébrissime La La Land, bien que ce soit désormais appelé à connaître le sort des Shakespeare in Love et compagnie, celui de films que tout le monde adore sur le moment, mais que tout un chacun détestera dans cinq ans pour leur caractère trop "léger".

Je ne souhaite pas à cette œuvre de Damien Chazelle une telle destinée, bien que je ne sois pas franchement convaincu par le produit fini. À la décharge du film, il faut dire que je l'ai regardé dans les pires conditions possibles. En effet, à peine étais-je installé au beau milieu d'une salle de cinéma qu'une bonne vingtaine d'étudiantes écervelées de la même promo se sont mises à envahir l'intégralité de ma rangée, ainsi que la totalité de celle de derrière. Et bien entendu, elles n'étaient là que pour une seule et unique raison : "Voir le beau Ryan Gosling, hihi !" J'ai donc eu droit à ça pendant toute la séance :

* Ryan Gosling dit quelque chose: "Hihihi!"
* Ryan Gosling fait quelque chose: "Hahaha!"
* Ryan Gosling porte un costume moche: "Huhuhu!"
* Ryan Gosling se prend un vent: "Oooooooh!"
* Ryan Gosling s'envole dans les étoiles: "Aaaaaaah!"

Bref, j'arrête là, mais vous avez compris. Par bonheur, cette engeance a fini par se calmer dans le second acte plus sérieux, indiquant par-là même que celui-ci était effectivement meilleur que le précédent. Forcément ! C'est là que les premiers enjeux interviennent: il était temps ! Car il faut bien se rendre à l'évidence : La La Land ne brille pas par son scénario. Les deux premières saisons sont notamment d'une banalité affligeante : deux aspirants artistes se rencontrent par hasard, tombent follement amoureux, et passent leur temps à danser ou à faire des bêtises. Les tensions attendues pour pimenter leur relation n'ont pas une grande consistance non plus : un doigt d'honneur, un costume hideux tout droit sorti des années 1980, une bousculade dans un bar et… c'est tout. Mia et Sebastian se disputent à peine avant de tomber dans les bras l'un de l'autre, si bien qu'il faut passer une bonne heure sans que l'histoire n'arrive à décoller. Pour combler les trous, on enchaîne les numéros musicaux, qui se bousculent tous dans la première partie (parce que les déboires plus adultes d'une relation qui dure et de divers échecs professionnels n'appelaient pas quelques airs nostalgiques ?), et l'on tente de développer mollement la vie difficile de célébrités en herbe. Sauf que le quotidien de Mia semble déjà celui d'une star de premier ordre: elle occupe un superbe appartement (en colloc, certes, mais avec des murs assez grands pour coller un poster effrayant d'Ingrid Bergman prête à la manger), elle peut quitter son emploi de serveuse à n'importe quelle heure de la journée (on ne saura d'ailleurs jamais ce que sa patronne voulait lui dire en la convoquant !), elle largue son petit-ami quasi inexistant moins de deux minutes après son apparition, et elle enchaîne les soirées mondaines en copinant avec tout le gratin d'Hollywood. Difficile, dès lors, de se prendre au jeu de ses supposées difficultés lors d'auditions avortées sans raisons.

Le quotidien de Sebastian est en revanche plus crédible dans ce premier acte : il occupe un appartement assez glauque (la chambre à coucher verdâtre), et passe son temps à se faire licencier parce qu'il en a assez de jouer des chants de Noël au piano dans les restaurants. Certains critiquent la dimension malsaine de l'apôtre du jazz, puisque c'est bel et bien Sebastian le WASP qui remet ce style de musique au goût du jour dans le film, là où ses amis noirs échouent lamentablement en préférant faire des chansons commerciales. C'est certes problématique, mais au moins, ce parcours a déjà plus d'enjeux que celui de l'héroïne. Dommage, cependant, que Damien Chazelle se soit révélé incapable de doter son personnage d'une vie familiale digne de ce nom, puisque la divine Rosemarie DeWitt, si fascinante dans Rachel Getting Married, apparaît seulement deux secondes dans un rôle de sœur exaspérée, avant de disparaître sans laisser de traces. Dès lors, retour aux amourettes sur les bancs publics avec Emma Stone, et c'est parti pour une heure de film qui patine inlassablement.

Le second acte semble donc nettement meilleur par comparaison, puisque le couple connaît enfin ses premières tensions, à mesure que chacun tente de réaliser ses rêves. Pour le coup, le chemin de Mia gagne en épaisseur, comme en témoigne son désir d'écrire un spectacle malgré la difficulté de se faire connaître quand on est une petite provinciale qui n'a toujours pas percé depuis six ans. Mon passage préféré : le concert de Sebastian, où Mia réalise que celui-ci a cédé à la tentation d'une musique purement commerciale qui ne lui sied guère, et où elle arbore un visage complexe où se mêlent plaisir d'écouter une chanson qui la divertit et gêne d'être le témoin direct du parcours raté de son compagnon. La toute fin, sur l'évolution alternative du parcours amoureux, permet pour sa part de clore le film sur une note très positive, emplie d'émotions, et ce jusque dans le dernier plan. L'honneur est sauf, mais dommage qu'il faille attendre aussi longtemps avant de ressentir réellement quelque chose pour les protagonistes.

Ceci dit, ce finale n'arrive pas entièrement à sauver le film, car La La Land se veut avant tout une comédie musicale. Or, toutes les chansons et toutes les chorégraphies sont d'une incroyable platitude, le comble pour un film de ce type ! Sans mentir, on ne trouvera dans La La Land aucune mélodie capable de retenir l'attention, à l'exception peut-être des mesures instrumentales de Someone in the Crowd, fort sympathiques mais loin de briller par leur complexité. Et pour le reste? Another Day of Sun et Audition sortent de la tête avant même la dernière note, et City of Stars n'a guère que son introduction sifflée pour rester dans les esprits. Sans parler des paroles franchement banales pour chacun des airs en question… Les chorégraphies sont pour leur part insipides à pleurer : Another Day of Sun se veut probablement un hommage aux Demoiselles de Rochefort, mais on dirait davantage une publicité malgré la virtuosité du plan-séquence ; A Lovely Night ne bénéficie que d'un seul et unique geste digne d'intérêt (celui de l'affiche), City of Stars vaut davantage pour ses couleurs crépusculaires que pour son lancer de chapeau et sa pseudo-valse ridicule avec la promeneuse, tandis que le Planetarium était sincèrement plus excitant soixante ans plus tôt chez Nicholas Ray, malgré l'envol assez joli des héros dans les étoiles. Surtout, Emma Stone et Ryan Gosling ne savent ni chanter ni danser, ce qui est un problème quand on tient le premier rôle d'une comédie musicale. Hélas, leurs voix sont mal travaillées et leurs mouvements peu dynamiques. 

Reste heureusement leur indéniable charisme de stars, qui pour le coup donne lieu à une agréable alchimie. Je préfère néanmoins Emma Stone, absolument charmante et irréprochable dans le maniement des émotions, à Ryan Gosling, dont le phrasé me gêne sincèrement lorsqu'il tente de jouer la colère. Il se rattrape dans bien d'autres scènes, mais sa partenaire me touche plus, sans que je sois absolument ébloui par ce qu'elle fait au point de vouloir lui donner l'Oscar qu'elle gagnera à la fin du mois. C'est une bonne performance d'actrice, mais ce n'est pas non plus exceptionnel, et les problèmes dans le registre musical (la moitié du film tout de même !) rendent difficile une possible nomination dans ma propre liste de prix, bien qu'elle reste tout à fait digne d'intérêt. Certains diront que Mia et Sebastian ne sont justement pas de grands chanteurs ou danseurs, et que le talent fort modeste des acteurs dans ce registre sied précisément aux personnages (après tout, l'une veut devenir comédienne, l'autre pianiste), mais une comédie musicale se doit impérativement d'être interprétée par de vrais chanteurs. Liza Minnelli était sans doute trop talentueuse pour incarner Sally Bowles, mais aimerait-on Cabaret si une artiste médiocre avait tenu le premier rôle? Y a-t-il des gens qui préfèrent réellement la cacophonie de Carol Channing face aux notes aériennes de Barbra Streisand dans Hello, Dolly ? J'ai pour ma part choisi mon camp.*

Ainsi, voilà dans ces grandes lignes mon opinion sur le film incontournable de la saison. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, j'ai tout de même passé un bon moment, mais ce n'est certainement pas un chef-d’œuvre. Même les couleurs sont parfois trop criardes à mon goût, accentuant l'aspect publicitaire de la chanson d'ouverture, et lorgnant parfois trop vers le côté délibérément cheap du concert "années 1980" en tenues immondes. Mais La La Land est indéniablement un film divertissant. Et comme je sais que vous trépignez d'impatience pour obtenir la seule et unique information qui vous intéresse depuis le début de cette lecture, je ne vous fais pas languir plus longtemps. Voici donc en exclusivité le verdict de mes voisines de rangée ! Vous serez ainsi ravis d'apprendre qu'à ma gauche, deux d'entre elles étaient en larmes. Certes, la fin est touchante, mais relativisons, ce n'est pas Stella Dallas ! À ma droite, l'une était emmitouflée dans son écharpe et répondit à sa super copine lui demandant si elle avait aimé : "C'est dans mon top 5 préféré de tous les temps !" Réflexion d'un ami à qui j'ai relaté cette anecdote depuis : "En somme, elle n'a vu que six films dans sa vie !" Je suis sûr que c'est précisément le cas ! Six est aussi le chiffre adéquat pour définir La La Land : 6/10. Ça se regarde sans déplaisir, mais c'est assez creux pendant trop longtemps, et c'est loin de révolutionner le genre.

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* Exception faite de Vanessa Redgrave dans Camelot : elle ne sait clairement pas chanter, mais son parler rythmé apporte en fait bien plus de luxure et de coquinerie au Lusty Month of May que les belles notes de Julie Andrews, qui à l'écoute me font davantage penser à Blanche-Neige qu'à Guenièvre.

2 commentaires:

  1. Ah, comme quoi ! J'ai pour ma part (sans surprise) beaucoup aimé ce film. Le manque d'originalité du scénario ne m'empêche que très rarement d'apprécier un film, vu que je recherche autre chose dans le cinéma : et ici, la réalisation est superbe, la musique m'a plu et les deux acteurs ont pour moi une réelle alchimie... Et puis Emma Stone, c'est Emma Stone. J'aime cette actrice.

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    1. Je trouve Emma Stone franchement sympathique comme star. Comme actrice, je la préfère pour le moment dans Birdman, mais comme précisé, je la trouve irréprochable dans La La Land au niveau de l'interprétation. C'est charmant et elle me touche d'une certaine manière. Mais ç'aurait été tellement mieux si elle savait vraiment chanter et danser, avec en prime une meilleure partition!

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