jeudi 21 septembre 2017

Mommie Creepiest


La semaine dernière, je suis allé voir mother!, la nouvelle descente de coke de Darren Aronofsky après son Requiem effrayant et son Cygne noir schizophrène. La raison en est toute simple: à force d'entendre lister Michelle Pfeiffer comme possible candidate aux remises de prix, je tenais à vérifier si elle volait effectivement la vedette à la superstar de la décennie, Jennifer Lawrence. En outre, tenant The Wrestler pour un bon film, je me disais qu'il ne serait pas inintéressant d'en voir davantage dans la filmographie du réalisateur. Malheureusement, j'ai fait chou blanc sur le deux tableaux: non seulement ne suis-je pas convaincu par le résultat, la faute à vingt dernières minutes qui firent voler en éclat l'estime que j'avais pour l'œuvre au départ, mais en outre, Michelle Pfeiffer n'a absolument rien à faire justifiant une distinction.

Car non, rester fichée au milieu d'un salon pendant dix minutes pour regarder l'héroïne avec la même expression menaçante et mystérieuse ne constitue pas une grande performance à mon goût. D'autant que dans toutes les séquences où elle apparaît, difficile de ne pas être du côté de Jennifer Lawrence qui doit jouer d'inquiétude et d'émotions. Le parti-pris est intéressant, car l'extrême et surprenante passivité de cette jeune fille anonyme, qui sera finalement bien la mother du titre, permet au spectateur d'entrer directement dans l'histoire en étant à son niveau. Aronofsky a donc un certain talent à nous connecter directement aux déboires de sa créature (j'emploie ce terme volontairement car Mother s'avère moins un personnage à part entière que la création d'une entité cauchemardesque), et ce en posant une ambiance extrêmement prenante dans les deux-tiers du film. La trame suit en fait trois axes principaux, qui se répètent à l'infini: Jennifer Lawrence veut rester seule avec son bien-aimé, l'écrivain incarné par Javier Bardem, mais celui-ci n'a de cesse d'inviter dans sa maison des étrangers qui touchent à tout, et qui finissent par tout casser, d'abord en petit comité, avant de se muer en groupe plus important qui dérivera lui-même sur une masse pas loin de grouiller comme de la vermine. Le début est clairement plus captivant, à voir comment chaque inconnu entre au compte-goutte dans une maison aux teintes judicieusement pâles, pour mieux en rehausser l'angoisse, avec en outre une excellente utilisation de l'espace alors que Michelle Pfeiffer parle en parcourant chaque pièce de manière circulaire. A ce moment là, je percevais une dimension politique dans le film, me demandant si le créateur était en train de tester notre résistance concernant la notion de propriété: jusqu'où est-on prêt à aller dans le partage de ses biens?

Hélas, l'histoire part cependant en vrille: en effet, après s'être comportés comme des malotrus dans toute la maison, à la grande joie surprenante de Javier Bardem qui n'aime rien tant qu'être adulé par ces deux fans, Ed Harris et Michelle Pfeiffer font venir leurs deux fils qui se battent à mort pour des questions d'héritage. La lecture du film devient alors totalement religieuse: après avoir créé la Terre, la mère-nature dont l'héroïne est l'incarnation et qui a bien du mal à reprendre ses droits face aux crimes de l'humanité, le démiurge se met précisément à créer des êtres humains à travers cette famille d'inconnus. C'est évidemment la femme qui commet la faute en cassant le cristal précieux qui semble assurer la cohésion du couple Bardem/Lawrence, ou plus exactement Dieu/Terre, puis, une fois chassés du jardin d'Eden, le bureau que Bardem clôt justement à coup de clous et de planches, le couple enfante deux avatars d'Abel et Caïn qui annonceront les péchés terrestres à venir. Et plus on avance dans l'histoire du christianisme, à mesure que de plus en plus d'inconnus rentrent dans la maison, d'abord comme fans invétérés de la poésie du héros, plus on dérive vers quelque chose d'absolument sectaire: Bardem est tout à sa joie d'être vénéré par le commun des mortels, et ce en n'ayant aucune considération pour son épouse qui lutte vainement pour empêcher les dégradations dans la maison qu'elle a rénovée elle-même. Et lorsque naît enfin le divin enfant, après une grossesse laborieuse de Jennifer Lawrence devenue Mother à part entière, tout devient abjectement sordide et d'une violence inouïe. C'est ça que je reproche au film: alors que ça se suivait avec intérêt entre ambiance oppressante très bien mise en scène et symbolisme religieux fascinant à décrypter, la fin n'est qu'une suite de violences et ressemble moins à du cinéma qu'à une vomissure où la caméra bouge dans tous les sens alors que c'est la guerre dans chaque pièce, sans plus aucune foi en l'humanité.

Même en admettant que le film dénonce en réalité la cruauté de l'écrivain-démiurge, cela passe par une imagerie si abjectement misogyne que le message tombe à plat. En effet, à force de voir Jennifer Lawrence être constamment humiliée (elle doit faire le ménage même quand ce n'est pas elle qui renverse de l'eau), puis rouée de coups, à moitié dévorée par une foule en délire guidée par l'éditrice-apôtre, et enfin brûlée vive, le sort de l'héroïne est tellement épouvantable qu'il devient absolument insoutenable de regarder le personnage être frappé de partout. On sent trop clairement qu'Aronofsky a pris plaisir à filmer les mille et un supplices à faire subir à son actrice principale, si bien que l'image ne saurait être autre chose qu'extrêmement misogyne. A supposer que le réalisateur se caricature lui-même sous les traits de l'écrivain, cela en dit long sur ses propres fantasmes, quand bien même il tenterait de les dénoncer ici. Dans tous les cas, j'ai le même problème avec Black Swan, où Aronofsky prend également un plaisir trop manifeste à faire souffrir son héroïne allant crescendo dans la folie, et ce alors qu'on y retrouve également une image paternaliste de metteur en scène intrusif, au lieu de façonner un personnage digne de ce nom. Tout cela est bien surprenant, car dans The Wrestler, chaque personnage a son identité propre, et aucun d'entre eux n'est traité avec mépris par son créateur. Mais que ce soit dans Requiem for a Dream, Black Swan et désormais Mother!, le réalisateur me semble avoir un goût trop prononcé pour le mépris envers ses personnages, et cet acharnement est par trop malsain. Le pire est quand même atteint avec les dernières scènes de Mother!, à vomir d'horreur car l'acharnement n'est plus seulement psychologique, mais carrément physique puisque le but de l'histoire est de détruire entièrement son héroïne. Même s'il faut y voir une métaphore environnementale (Jennifer Lawrence ne peut résister aux crimes humains qu'en répondant de façon "terrestre": tremblements de Terre, inondations et incendie), la façon de filmer une femme démolie par autant de violences est tout simplement trop dure pour être acceptable.

Mon ressenti de Mother! est ainsi en grande partie plombé par un finale abject, alors que les nombreux symboles et métaphores donnaient l'impression qu'il s'agirait d'un film captivant de prime abord. Malheureusement, ni la symbolique de la création artistique et ni la critique de la religion ne justifiaient d'aboutir sur une fin où le réalisateur semble avoir un orgasme en s'acharnant jusqu'à ce que mort s'ensuive sur son héroïne. Jennifer Lawrence fait malgré tout un bon travail d'actrice, mais le personnage est tellement passif qu'elle n'a finalement pas beaucoup d'émotions à jouer à part une sorte d'inquiétude mâtinée de colère, à force de se voir entièrement dépassée par les événements. Quant à Michelle Pfeiffer, elle est très loin de ses grands rôles d'il y a vingt ans: on lui demande de rester debout à plisser les yeux, et c'est à peu près tout. Mais il est faux de dire qu'elle vole la vedette à sa partenaire, c'est même davantage l'inverse, et dieu sait si je préfère mille fois Pfeiffer à Lawrence en temps normal. Quant aux hommes, ils n'ont pas grand chose à faire non plus d'un strict point de vue interprétatif: Ed Harris tousse, et Javier Bardem reste à regarder fixement l'héroïne quand celle-ci lui résiste. Finalement, j'ai mis une assez mauvaise note à tout ça, parce que la fin plombe absolument tout ce qui avait été édifié auparavant: j'étais parti sur un 6/7 pendant un bon moment, mais cet incroyable déchaînement de violence, envers un personnage qui semblait en outre faussement favorisé par le metteur en scène au départ, me semble tellement gratuit, injuste et si affreusement sexiste qu'il est impossible de rester sur une bonne note, bien qu'il s'agisse d'un film qui fait réfléchir et qui ne s'oubliera pas si aisément.

1 commentaire:

  1. Bon et bien je ne comptais pas aller le voir (a priori, trop violent et flippant pour moi) : c'est confirmé, merci (d'autant que l'"oscar buzz" a plus ou moins disparu assez vite d'après les sites que je consulte).

    L'AACF

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