samedi 6 mars 2021

Immortelle des neiges (1946)

 



Aujourd'hui, voyage en Roumanie avec Immortelle des neiges. Je cherchais ce court-métrage fantastique de Paul Călinescu, intitulé Floarea reginei et que l'on pourrait traduire littéralement par Edelweiss, depuis que je l'avais vu figurer dans la sélection officielle du premier Festival de Cannes, à l'automne 1946. Aucun prix ne lui fut décerné, le jury lui préférant la légende russe de La Fleur de pierre d'Alexandre Ptouchko pour ses couleurs, mais ça ne l'empêche pas de valoir le coup d'œil. D'ailleurs, il en existe depuis peu une version sous-titrée en français sur Youtube: c'est l'occasion d'en profiter, et de se demander si nous avons affaire à une œuvre intégrale, ou à une version abrégée. En effet, le site officiel du festival l'intègre à la sélection des longs-métrages, sachant que la page Wikipédia russe du metteur en scène la qualifie également comme tel. Mais la page roumaine et Imdb en parlent bel et bien comme d'un court-métrage, ce que semble confirmer le visionnage après lequel on a le sentiment que tout se tient, dans la vingtaine de minutes impartie.

Et ce n'est pas là le seul mystère entourant Immortelle des neiges, dans la mesure où, si tout le monde s'accorde à dire que Paul Călinescu est bien l'auteur du scénario, personne ne précise la source d'origine lui ayant inspiré l'histoire. Le site roumain Cinemagia, qui identifie l'ensemble comme un court-métrage, est le seul à mentionner cette précision royale, affirmant que le film serait en réalité une adaptation d'un conte de fées de l'écrivaine Carmen Sylva, qui ne fut autre que la reine de Roumanie, Élisabeth de Wied, à la jonction des XIXe et XXe siècles! Toutefois, le site ne dit pas si l'œuvre qui nous intéresse est une création originale de la souveraine-artiste, ou s'il s'agit, plus probablement, de l'une des nombreuses légendes populaires de son pays, à laquelle elle donna sa forme littéraire. Si des spécialistes de la littérature roumaine lisent cet article un jour, je veux bien en savoir plus!

Quoi qu'il en soit, le résultat m'a assez captivé pour en parler aujourd'hui, en particulier grâce aux jolies images rurales d'Ovidiu Gologan et Wilfried Ott: les formes granitiques qui se découpent sur des forêts de sapins, mais encore les préparatifs du mariage champêtre, conduits par des bœufs devant des toits de chaume, invitent assurément au voyage. Dommage, mais le film regorge décidément de mystères (!), que je n'arrive pas à situer les lieux de l'action sur une carte. L'introduction, montrant des ouvriers en escapade à la montagne un dimanche, précise que l'une des roches est surnommée "Camila", et fait partie de l'ensemble des monts "Cincas", mais bienheureux qui saura me dire dans quel județ on peut admirer ces merveilles, car j'adorerais y aller en pèlerinage!

Dans tous les cas, cette photographie bien contrastée sert parfaitement le récit fantastique qui se déroule telle la pièce tissée par la sorcière, bien que les décors naturels, quoique ravissants, impressionnent moins que La Fleur de pierre ou La Belle et la Bête, et que les effets spéciaux se contentent d'un peu de brume sur des branchages. L'histoire en question mobilise tous les caractères biens connus des contes de fées, dont une jeune fille retenue prisonnière par sa mère, un prince charmant sur son cheval blanc, une magicienne aux doigts crochus, à laquelle Ioana Călinescu prend bien soin de donner une voix éraillée; des nains barbus tombés en esclavage de ces rides, de ce visage; ou encore un peigne transformé en forêt dense et ensorcelée, prête à ralentir le héros dans sa quête. Tout cela s'intègre dans une narration contemporaine, la fable étant relatée par un berger des environs aux ouvriers en vacances. Le conteur entend leur révéler l'origine des edelweiss, fleur de la reine et reine des fleurs par excellence, tandis que ses compagnons de route se félicitent de prendre l'air après une vie passée dans l'enfer métallique d'une usine.

L'ennui, c'est que si le film est bien un court-métrage, le berger semble plus pressé qu'autre chose parce que le rythme de son récit s'emballe au détriment de toute cohérence psychologique. Certes, un conte fantastique obéit à ses propres règles, mais mon goût irrésistible pour l'ordre et la logique se heurte aux invraisemblances racontées. Ainsi, lorsque le prince rencontre la captive pour la première fois, il lui tient à peu près ce langage: "Qu'importe les dangers, je n'ai jamais vu une femme aussi belle que vous. Je vous aime éperdument..." depuis quinze secondes! Deux minutes plus tard, voilà les amoureux transis mariés à l'église, alors que les villageois sont déjà en route pour le festin, où le prince ne manquera pas d'affirmer son amour immuable pour la femme dont il n'avait jamais entendu parler une heure plus tôt! Alors, vive le coup de foudre, mais à ce rythme, je dis stop! In the name of love! À croire que l'héroïne va se retrouver enceinte de son quatorzième enfant avant la fin! Heureusement que de nouveaux rebondissements sont à venir, mais on aurait aimé que le métrage dure davantage afin de développer un peu mieux sa première partie. Pourtant, tout fait sens, et l'on n'a jamais l'impression qu'il manque des scènes qui auraient été celles d'un film plus long. Je penche donc pour l'idée qu'il s'agit bien d'un court-métrage, et qu'il me faut surtout apprendre à accepter les langages qui ne sont pas forcément les miens, et mettre de côté le réalisme lorsque l'on se plonge dans le surnaturel. De toute manière, le cinéma a toujours fait la part belle au coup de foudre, et avant lui les contes de fées.

À la réflexion, la beauté toute roumaine des comédiens, qui ne cherche pas à se calquer sur les canons occidentaux en vogue depuis toujours, justifie que les personnages tombent en amour au premier regard. Mention spéciale au prince coiffé comme Vlad Țepeș, mais la jeune femme au visage rond est elle aussi séduisante avec ses longs cheveux qui mettent en valeur son costume traditionnel. Leur jeu est en revanche très théâtral, à la manière d'une pantomime où l'on s'écrie en levant les bras au ciel. Le charme de l'ensemble est à chercher ailleurs, dans ses images sylvestres, mais l'héroïne qui cherche toujours à agir par elle-même, quoique cela se résume à courir après son mari, pique assez l'intérêt pour nous intéresser à ces personnages un peu lisses. Même la sorcière n'est pas spécialement charismatique, bien qu'elle parvienne à marquer les esprits par ses expressions hargneuses.

En définitive, le grand film fantastique de la première sélection cannoise, et le chef-d'œuvre féérique de l'année tout court, n'est autre que La Belle et la Bête de Cocteau, curieusement oublié dans le palmarès. La Fleur de pierre de Ptouchko décevait quelque peu malgré ses décors spectaculaires, tandis qu'Immortelle des neiges n'est pas vraiment l'émerveillement espéré. Malgré tout j'ai aimé, mais peut-être moins pour cette chevauchée fantastique au rythme trépidant que pour cette promenade dans les Carpates, où se détachent ces rocs solides d'aspect intensément photogénique. Le tout vous divertira joliment et vous permettra d'ajouter un film exotique à votre collection.

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