samedi 27 novembre 2021

Au cœur du Carladès


Il me reste deux cités à évoquer avant de conclure mon périple auvergnat : Mauriac, sympathique sous-préfecture du Cantal où il fait bon se reposer, et la turbulente Vic-sur-Cère, qui cherche à en imposer au regard avec ses bâtiments Renaissance à tous les coins de rues. C'est cette dernière qui nous occupe aujourd'hui, la ville devant son patrimoine remarquable à sa position enviée d'ancienne capitale de la vicomté de Carlat. Comme son nom l'indique, le siège militaire de ce territoire se trouvait à Carlat, mais Vic-sur-Cère l'a rapidement supplantée au fil des ans. Vic reste d'ailleurs à ce jour la ville la plus importante du pays de Carladès, pays traditionnel à cheval sur le Cantal et l'Aveyron, et que les Rouergats de Mur-de-Barrez nomment de préférence Carladez. Côté auvergnat, la Cère conduit aussitôt après à la commune de Polminhac, où le château de Pesteil, que j'aimerais visiter à l'occasion, garde la frontière naturelle entre le Carladès et le bassin d'Aurillac. Il y a donc beaucoup de choses à voir en un micro-rayon de kilomètres, aussi était-il impossible de tout faire en une petite fin d'après-midi. Pas de regrets : la seule promenade dans Vic-sur-Cère a de quoi combler les visiteurs.



Le plus ancien vestige du bourg est une motte castrale dite du Castel Viel, apparemment surplombée par une cascade ravissante qui aurait valu le détour si l'heure l'avait permis. Cependant, si les ruines médiévales n'impressionnent plus guère désormais, c'est parce que l'attrait de la ville est à chercher en sa panoplie de maisons bourgeoises en vieilles pierres et toits de lauze. Signe de prestige, et par jeu de miroir avec Besse, l'une d'entre elles est d'ailleurs baptisée « maison de la reine Margot ». Au secours! Elle est partout! Marguerite vint y prendre les eaux, particulièrement ferrugineuses, dans le courant de l'année 1586. Ce séjour fut surtout l'occasion pour elle de découvrir la bourrée, danse qui lui plut tellement qu'elle s'empressa de l'introduire à la cour lors de son retour en grâce au début du XVIIe siècle. Malgré tout, ladite maison est loin d'être la plus élégante des lieux : il est permis de lui préférer cette jolie tour ronde de l'ancienne école Saint-Antoine, ou le fronton demi-circulaire de la maison Dejou.


Néanmoins, aucune de ces élégantes bâtisses ne peut rivaliser en notoriété avec la maison dite « des princes de Monaco », un logis construit et embelli à la charnière des XVe et XVIe siècles, avec en point d'orgue un tympan de style gothique flamboyant hélas sévèrement endommagé. Un temps revenue dans le domaine royal, la vicomté de Carlat fut érigée en comté de Carladès par Louis XIII, pour être donnée en lot de compensation au prince Honoré II de Monaco, qui avait préféré faire allégeance à la France au détriment de l'Espagne, perdant ainsi nombre de ses revenus originels. Ce qui explique pourquoi le titre honorifique de comte de Carladès est toujours détenu par les Grimaldi, ces parasites qui ne brillaient déjà pas beaucoup à la cour de mon temps, et qui continuent de bénéficier aujourd'hui d'une célébrité nullement justifiée par un quelconque talent. L'ennui, c'est que la plupart des touristes croisés à Vic-sur-Cère n'avaient qu'une idée en tête : photographier la plaque ridicule témoignant du passage du prince actuel lors d'une visite de courtoisie. Et clac clic clac! « Vas-y que je me prenne en photo devant la plaque pour me donner l'illusion de côtoyer les stars de la Riviera! », se disaient ces fanatiques n'ayant même pas eu un seul regard pour la tour d'escalier et son bas-relief autrement séduisant. Tant qu'à fréquenter des têtes couronnées sans trop de jugeote, j'aime autant aller danser la bourrée avec Marguerite, merci bien!


Par bonheur, cela n'enlève rien au charme pittoresque de la ville, qui s'offre sous son meilleur jour depuis la colline de la chapelle du calvaire. La vallée de la Cère y dévoile toute son élégance verdoyante sans excès de pudeur, avec en arrière-plan les nuages buttant sur les monts du Cantal pour recouvrir la partie la moins agréable du département, la fameuse Planèze déjà évoquée lors de mes aventures à Saint-Flour.


Sous le ciel bleu, la promenade dans Vic était tout à fait agréable. L'occasion idéale pour admirer ce charmant édifice sis rue Bertrand, du nom d'une lignée de notaires et d'avocats, dont la dernière héritière, morte sans descendance, légua tous ses biens à des œuvres de charité afin de créer une maison de retraite. Parmi les autres célébrités locales, citons encore Louis de Boissy, écrivain prolifique qui termina ses jours à l'Académie Française, mais aussi comme directeur du Mercure de France, grâce à l'appui de Madame de Pompadour.


Le monument qui m'a le plus marqué reste toutefois la maison du « Chevalier des Huttes », avec laquelle j'ai choisi d'illustrer l'article, et dont on voit ici une échauguette, contrepoint élégant à la tour polygonale du corps de logis. Largement remanié au fil des siècles, ce bâtiment invite à pénétrer dans le centre historique avec ses vieilles pierres apparentes. Il tient son nom d'une famille noble ayant fourni des gardes du corps à rien moins que Louis XVI et Marie-Antoinette. L'un d'entre eux, Jean-Baptiste Pagès des Huttes, fut d'ailleurs massacré pour avoir défendu la reine lors de la journée du 6 octobre 1789, qui vit la famille royale conduite de Versailles à Paris. À l'autre bout du spectre, un autre Jean-Baptiste, Coffinhal, lui aussi né à Vic-sur-Cère au tournant des années 1760, fut l'un des juges les plus impitoyables du tribunal révolutionnaire. La chute de ses amis Robespierre et Fouquier-Tinville entraîna la sienne.

Comme quoi, passer par Vic-sur-Cère est un bon moyen de laisser une trace dans l'Histoire. Des ravages des guerres de Religion au thermalisme de la Belle Époque qui vit des reines serbes et malgaches descendre céans, la ville reste dotée d'un passé tout à fait prestigieux qui s'inscrit dans la pierre de chaque maison. Cet arrêt ne fut pas nécessairement le coup de cœur absolu de mon périple auvergnat, mais la visite est hautement recommandée!

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