vendredi 7 janvier 2022

Huit heures en Cerdagne


Cet automne, j'ai eu l'occasion de revenir au lac des Bouillouses, ou selon la prononciation catalane plus chantante estany de la Bollosa, pour la première fois depuis le début des années 1990. Exactement comme en Auvergne deux mois plus tôt, sauf que cette fois-ci, la randonnée fut entièrement improvisée. En effet, quand je séjourne dans les Pyrénées certains étés, l'accès au lac ne peut se faire que par navette, afin de préserver le site d'un afflux de visiteurs, ce qui n'invite pas vraiment au voyage. Mais à l'automne, la route est ouverte au public, ce qui m'a permis de m'adonner à une promenade familiale de huit heures autour du pic Carlit, le point culminant des Pyrénées-Orientales, entre le lac des Bouillouses et l'étang de Lanoux, joliment titré estany de Lanós en catalan, et qui est quant à lui le plus grand lac des Pyrénées françaises. Nous nous situons donc en Haute-Cerdagne, à la frontière de l'Ariège, sur les communes de Porté-Puymorens du côté de la vallée du rec de Lanós, et Angoustrine-Villeneuve-des-Escaldes pour tout le reste de la balade, entre les deux lacs et le massif du Carlit.



Faire le tour de ce massif constitue une expérience pleine de surprises, avec de très jolies vues sur les plus beaux sommets du département ! Mais il faut prévoir la journée, surtout à l'automne où la nuit tombe vite. Comme l'indique mon code couleur, c'est une promenade de santé depuis le barrage des Bouillouses jusqu'à celui de Lanoux, avec pour seule difficulté modérée la côte longeant le puig de la Grava, qui permet de relier les deux vallées et qui s'accomplit en douze minutes de bonne marche. La partie rouge, qui conduit à Porté-Puymorens, ne demande pas d'efforts physiques particuliers, mais l'étroit sentier de chevrier qui coupe en deux les pentes très raides du pic de Font Vive, ou puig de Font Viva, est tout simplement vertigineux. Pour moi ce fut un supplice, mais je n'avais pas le choix : il était 16h30 lorsque nous parvînmes au barrage de Lanoux, le crépuscule commençait à poindre, et il m'aurait fallu six heures pour regagner les Bouillouses en sens inverse. Pas d'autre choix que d'avancer, donc. L'ensemble de la randonnée demande environ sept bonnes heures de marche, en comptant les arrêts photos, avec une heure de pique-nique à prévoir à mi-parcours.

La logistique est en revanche assez contraignante si vous voulez rester en groupe, car cela vous oblige à partir à deux voitures, pour aller en garer une à l'arrivée à Porté-Puymorens, avant de perdre encore une heure pour revenir au point de départ, puis encore une autre le soir pour chercher la voiture laissée aux Bouillouses. Sans compter les deux heures aller-retour pour revenir à la maison en Ariège ! Le plus simple est sûrement de scinder le groupe en deux, et d'échanger les clefs de voitures lorsque vous vous croisez à mi-chemin vers le puig de la Grava. Mais le tout vaut tellement le coup d'œil qu'il serait dommage de vous en priver !


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Le lac des Bouillouses

Comme précisé, nous commençâmes la marche à proprement parler au barrage du lac des Bouillouses, qui une fois contourné donne accès aux berges du lac. En arrière-plan se dresse le pic Péric, que les géographes ont divisé entre Petit Péric, à l'est, et Grand Péric à l'ouest. Le lac en lui-même est artificiel : c'est un élargissement de la Têt dû à la construction du barrage dans la première décennie du XXe siècle. On se situe ainsi à la source d'un fleuve qui, après avoir quitté la Cerdagne, arrose les principales villes du Conflent et du Roussillon, dont Mont-Louis, Villefranche-de-Conflent, Prades et Perpignan, jusqu'à la Méditerranée.



Classé « site naturel » en 1976, le lac est bordé de conifères, ce qui en fait une promenade agréable, sans que ce soit l'étendue d'eau des Pyrénées qui m'impressionne le plus. Je préfère les lacs plus petits, nichés au sommet des montagnes. Notez d'ailleurs que, si rallier les deux grands lacs du massif du Carlit vous paraît trop long, il est possible de faire le tour des douze étangs qui dorment aux pieds du pic, pour une petite balade de 3h30 depuis le barrage. Ne les ayant pas vus, ce sera l'occasion d'y revenir dans quelques temps.


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La vallée de la Têt et de la Grava

Après avoir quitté les rives du lac, on entre dans cette vallée marécageuse, qui rappelle ce que furent les Bouillouses avant la construction du barrage. Le sommet du Grand Péric surplombe encore ces étendues herbeuses un certain temps à l'est, mais c'est désormais le pic de la Comète d'Espagne, ou puig de la Cometa d'Espanya, qui s'offre au regard dans toute sa splendeur.


On ne le soupçonne pas de prime abord sur une carte, mais cette vallée est en réalité interminable ! Certainement pas déplaisante, bien au contraire, mais ce qui semble ne durer qu'une heure sur le papier vaut bien le double du temps même pour des randonneurs accomplis. Ça n'en reste pas moins un excellent terrain de jeu pour improviser des histoires d'aventures, ou pour chanter sans s'arrêter à la manière d'une certaine Deanna Durbin dans un western en couleurs !


À mesure que l'on avance, de nouveaux sommets se dévoilent. Je n'arrive pas à identifier celui de gauche qui n'est pas nommé sur Géoportail, mais celui tout en blanc, paré des couleurs d'une Lune méridienne, en ligne droite, est le pic de la Grava.


Ah ! Enfin ! À bientôt 13h, la vallée semble toucher à sa fin, quoique en sa fin soit son commencement, alors que l'on entre dans ce formidable cul-de-sac lunaire. On est à l'extrême nord des Pyrénées-Orientales : derrière la ligne de crète se cache l'Ariège. Avant le traité des Pyrénées de 1659, entériné moins d'un an plus tard par le mariage de Louis XIV et de l'infante Marie-Thérèse dont nous parlions la semaine dernière, ces courbes rocailleuses étaient une frontière internationale entre la France et l'Espagne. L'annexion de la Cerdagne par la première a ainsi remodelé le territoire.


Assurément, le promeneur sent bien qu'il a pris de la hauteur, chose assez surprenante au demeurant tant la vallée parcourue depuis deux heures a paru plate. Pourtant, les arbres finissent tous par disparaître plus on se rapproche du puig de la Grava, qui s'offre ici dans tout son éclat. Et alors qu'il faisait désespérément chaud auparavant, je me suis tout de même félicité de m'être encombré les bras de mon manteau de ville, car le vent glacial d'automne n'aidait pas à réchauffer ce petit « cirque » malgré le soleil. Par bonheur, en s'abritant derrière les petites buttes rocheuses, il fut possible de dîner sans avoir trop froid.


Et puis, se sustenter avec le massif du Canigou dans le dos vous donne l'illusion d'un souffle méridional qui vous réchauffe le cœur sur ces sommets rigoureux !


Le seul moyen de quitter les lieux est de gravir le passage dit de la portella de la Grava, jolie petite côte aux roches ciselées, qui ne vous posera aucune difficulté si vous avez l'habitude de marcher. C'est par cette « porte » que l'on passe sur le plateau de l'étang de Lanoux.


Mais avant ça, l'ascension vous donne l'occasion de contempler l'étang de l'Estanyol, où se reflètent rocs gris et nuages blancs.


Avec toujours une vue sur le Canigou plus vous vous élevez.


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L'étang de Lanoux

La récompense, après avoir gravi la côte, est cette vue magnifique sur l'étang de Lanoux, surplombé par le pic Pedrós et le pic de la Coume d'Or. Les pentes herbeuses font le bonheur des mouflons, dont le troupeau restait cependant trop à l'écart pour que les jumelles tentent de percer leur secret.


Contrairement à son voisin des Bouillouses, l'étang de Lanoux est d'origine naturelle. Il avait déjà l'insigne honneur d'être le plus grand lac des Pyrénées françaises, mais le barrage construit à la fin des années 1950 a décuplé ses proportions ! Pas étonnant que longer sa rive orientale ait pris deux heures, malgré la grande facilité de la promenade.


Une petite déception toutefois : les eaux y étaient particulièrement basses cet automne. Comme le rec de Lanós est l'un des affluents du Carol, qui alimente lui même le Sègre qui se jette à son tour dans l'Èbre, la sécheresse estivale a conduit les autorités frontalières à ouvrir les vannes afin d'irriguer les cultures espagnoles. Les jolies petites cascades des ruisseaux en provenance du Carlit ne suffisent évidemment pas à combler le vide en l'absence de pluie et de neige. Et ce n'est pas la première fois que le problème de l'eau au-delà des frontières se pose dans la région : la construction du barrage valut à la France et à l'Espagne un recours en justice.


Mais avant d'arriver en terrain industriel, la nature continue de conserver ses droits, le tour de l'étang offrant ce très beau panorama sur le pic de Castell Isard, ici à gauche, et le fameux pic Carlit. Trônant à 2921 mètres d'altitude, le sommet du département, dont le nom signifierait « éboulis », a un aspect majestueux propice aux légendes. Un récit catholique de la fin du XIXe siècle prétend par exemple que les nombreux étangs aux pieds de la montagne seraient les éclats d'un miroir déposé par la Vierge, que Satan aurait lancé dans un accès de colère. Les guides touristiques Joanne, publiés à la même époque et citant Élisée Reclus, racontent quant à eux que les premiers habitants de la région estimaient que les multiples lacs n'étaient autres que les vestiges de l'antique Déluge, certains ayant même voulu chercher l'Arche sur l'un des sommets environnants.


Une vue souveraine : le pic Carlit trônant au centre d'un massif à son nom.


Non moins imposant, le barrage de Lanoux est bien plus impressionnant que son homologue des Bouillouses. Haut de 45 mètres, il retient plus de 70 millions de mètres cubes d'eau.


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Du côté de Font Vive

Nous voilà désormais dans la dernière partie du périple. Comme évoqué tout à l'heure, c'est aussi la plus vertigineuse. La vue sur les sommets des Coll Roig est pourtant époustouflante, mais les flancs du pic de Font Vive, seule issue possible pour conclure la promenade, étaient vraiment trop vertigineux pour moi. On est pourtant loin d'une ligne de crète ou d'un pont suspendu, de telle sorte que si vous n'êtes pas sujet à ce mal, le sentier vous semblera sûrement d'une facilité inouïe, mais je vous laisse imaginer mon ressenti lorsque je me suis retrouvé au beau milieu de ce versant à l'ombre sur la photographie.


Le pire étant qu'une fois contournée la partie ombragée du versant pour se retrouver au-dessus de l'étang de Font Vive, le sentier grimpe à n'en plus finir jusqu'au sommet de la montagne éponyme ! À cet instant, j'ai vraiment cru qu'il faudrait me tirer de là en hélicoptère, mais par bonheur, le chemin a le bon sens de se couper en deux, avec une partie basse qui redescend vers ces pentes douces et très accueillantes dans les derniers rayons du jour.


Je n'étais pourtant pas au bout de mes peines, car au lieu de nous garer sur les berges du lac du Passet, ce qui nous aurait valu une descente facile et un gain de temps conséquent avant la nuit, il nous fallait encore rejoindre la voiture dans le virage du col de Puymorens. Ce qui impliquait de remonter à nouveau dans la partie vertigineuse de Font Vive. Et comme le chemin n'est plus du tout aménagé à cet endroit là, que les pentes sont remplies d'éboulis rocailleux qui roulent jusqu'en bas, et qu'il faisait de plus en plus noir, j'ai vraiment dû lutter contre ma peur du vide pour terminer ce parcours. Je suis évidemment très content de l'avoir fait, mais je ne pourrais pas revenir dans cette partie de la montagne. Ce qui veut dire que je ne reviendrai probablement jamais à l'étang de Lanoux, vu qu'il faut déjà six heures pour y aller depuis les Bouillouses. Cette balade restera tout de même un bon souvenir.


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