samedi 29 mars 2025

Queer

 Je ne vais plus du tout au cinéma ces dernières années, toutefois, quand un synopsis me plaît, je m'arrange tout de même pour faire le déplacement en tâchant d'éviter la foule. Ce dernier point n'était pas un problème pour Queer, le dernier film de Luca Guadagnino, le guichetier et l'ouvreur de billets m'ayant tour à tour dit que cette œuvre avait enregistré très peu d'entrées dans la ville où je réside actuellement. Les deux ont conclu que c'était dommage, l'ouvreur de billets ajoutant tout de même que le sujet n'était pas sa « came », tandis que le guichetier m'a en revanche avoué que le thème le concernait au premier chef. J'aurais pu en prendre note si nous n'avions pas eu une bonne quinzaine d'années d'écart, malheureusement, la quarantaine se rapproche à grand pas, ce qui ne me rassure pas.

La différence d'âge est d'ailleurs bien mise en évidence par le scénario de Justin Kuritzkes, l'histoire racontant les déboires de Lee Williams, un écrivain quinquagénaire exilé au Mexique dans les années 1950, qui tente de tromper l'ennui en passant ses nuits avec des hommes plus jeunes, dont certains attendent sans surprise d'être payés pour leurs services. Chose qui n'est pas le cas du jeune Eugene Allerton, un soldat tout aussi désœuvré qui erre dans la même ville et qui se met à fasciner l'écrivain d'une manière obsédante. Entre distance et rapprochement, les deux hommes partent finalement faire un tour de l'Amérique du Sud à la recherche d'une plante mystérieuse connue pour ses pouvoirs télépathiques, dans l'espoir pour le héros de lire dans les pensées de son inaccessible fantasme.

C'est là où le film m'a perdu. Autant la première partie fonctionne avec ces jeux de chats et de souris qui s'attirent et se repoussent dans les très beaux décors reconstitués dans les célèbres studios Cinecittà, autant le changement d'histoire à mi-parcours m'a profondément ennuyé. En effet, les interminables délires de drogués au beau milieu de la forêt tropicale m'ont tellement laissé de glace que j'ai pris le temps de rechercher une clef égarée quelque part dans mon sac, tout ça pour réaliser, une fois ma trouvaille satisfaite, que les deux junkies en étaient encore à en voir de toutes les couleurs au milieu des plantes, sous l’œil d'une Lesley Manville vraiment pas mise à son avantage, mais dont nous saluerons la performance d'actrice vu l'énorme différence avec les personnages qu'elle avait incarnés par le passé.

Ainsi, non seulement cet acte entier consacré aux hallucinations végétales ne m'a pas convaincu, quoiqu'il me faille avouer être à des lieues de pouvoir comprendre ce qui se passe dans la tête d'un drogué ; mais surtout, le film me semblait déjà bancal dès la première partie à cause de l'interprétation désastreuse de Drew Starkey, un acteur qui ne fait absolument rien pour donner un semblant de vie à son personnage. On pourrait même parler de non interprétation : se contentant de promener son joli minois dans les rues de Mexico, il semble incapable de manifester la moindre émotion, en dehors d'une indifférence générale à tout ce qui lui arrive. Manifestement pas attiré par l'écrivain bien qu'il couche occasionnellement avec lui, il n'a pas l'air plus amoureux de la femme à qui il semble faire un brin de cour, si bien qu'il ne reste qu'un pantin désincarné inapte à pousser le héros dans ses retranchements. La relation est alors si bancale que cela ennuie très vite, au point qu'on aimerait que Lee jette son dévolu sur un amant plus consistant.

Deux autres points qui m'ont semblé hautement détestables sont la violence sous toutes ses formes, qu'il s'agisse de cruauté envers les animaux ou d'homicides révoltants. En effet, les deux hommes se croisent pour la première fois au cours d'un combat de coqs insoutenable, avant que l'écrivain ne tente de séduire le soldat en lui racontant le sort d'un cochon cuisiné vivant, ce qui est quand même le pire plan drague qui se puisse imaginer. Concernant l'homicide avec un verre d'eau, la mise en scène a beau atteindre une perfection formelle dans le symbolisme, l'image n'en reste pas moins extrêmement choquante et irritante. Comme je ne savais rien du roman d'origine avant d'aller voir le film, je me suis empressé de chercher quelques renseignements à son sujet après coup, tout ça pour réaliser que l'auteur de l'autobiographie en question a effectivement tué sa femme de la même manière alors qu'il était sous l'emprise de la drogue. Et comme il fuit le Mexique pour éviter son procès, il se contenta d'être condamné par contumace et ne purgea nullement sa peine. Queer est donc l'adaptation du remords d'un assassin qui mena une longue vie après un acte épouvantable, ce qui rend l'ensemble du projet particulièrement odieux et me fait me demander ce qui a bien pu passer dans l'esprit de Guadagnino et de son scénariste pour choisir une horreur pareille au lieu de millions de projets autrement sains. L'image du film me cause encore des cauchemars un mois plus tard, me faisant regretter d'être aller le voir alors que j'aurais fait l'impasse dessus si je m'étais informé de son sujet plus tôt.

Entre désintérêt total pour les errances de drogués dans un film constamment bancal et répugnance absolue pour un projet haïssable, autant dire que je regrette fortement cette expérience. Du point de vue de la conception du projet, tout n'est pas raté, ce qui permet d'admirer tout de même la belle reconstitution surannée des années 1950, l'ambiance musicale parfois envoûtante à grand renfort de Nirvana, une jolie scène de fellation vraiment réussie, et la performance de Daniel Craig, vraiment très bon dans un rôle de vieux pédé aux multiples addictions. Heureusement qu'il est là pour donner un souffle au film face à un partenaire inanimé. En dehors de Lesley Manville, les personnages secondaires ne sont d'ailleurs pas remarquables, le seul dont on se souvienne étant Jason Schwartzman en homme grossier et dépourvu d'attraits, ce qui n'aide pas à rendre le film plus aimable. Le dernier plan est quant à lui une véritable réussite esthétique, mais reste tout à fait traumatisant, en rappelant que l'on va tous vieillir et finir à bout de forces, ce qui donne envie de se jeter dans la rivière après le meurtre déprimant filmé quelques minutes plus tôt. Finalement, si Luca Guadagnino parvient à sauver quelques meubles avec des images vraiment cinématographiques, Queer n'en reste pas moins un projet extrêmement désagréable que je regrette d'avoir regardé.

jeudi 2 janvier 2025

Conclave

 Ayant emménagé dans une nouvelle ville cet été, j'ai profité de cette fin d'année pour aller en découvrir le cinéma, mon choix s'étant porté sur Conclave, un film américano-britannique sur les coulisses du pouvoir au Vatican réalisé par Edward Berger, un metteur en scène allemand célèbre depuis deux ans pour la nouvelle version d'À l'Ouest, rien de nouveau, que je n'ai pas vue. Conclave était apparemment l'un des films les plus attendus de 2024, avec déjà six nominations pour les Golden Globes qui se tiendront samedi, dont deux pour des interprètes de renom, Ralph Fiennes et Isabella Rossellini. Ces considérations prestigieuses ont-elles donné lieu à un bon film ?

Plus ou moins, mais j'en reste à un petit 6/10 dans ma notation personnelle. J'ai certainement été diverti par l'histoire, qui n'ennuie jamais malgré un rythme assez lent, et qui traduit bien l'austérité que l'on est en droit d'attendre d'une assemblée de cardinaux cloîtrés dans la chapelle Sixtine pour l'élection d'un nouveau pape. Le scénario de Peter Straughan est en fait adapté d'un roman à succès de l'écrivain Robert Harris, visiblement spécialisé dans les thrillers et uchronies politiques. Ne connaissant pas cet auteur, j'ignore si des changements ont été faits lors de la transposition à l'écran, mais on suit assurément l'intrigue avec intérêt. Car sous leurs apparences calmes et introverties, les cardinaux sont prêts à toutes les manipulations pour se faire élire, entre révélation du passé pas propre de tel candidat trop populaire, ou saut à pieds joints dans la simonie, terme que les personnages sont obligés de décrire de manière trop didactique pour les spectateurs pas tous au fait du vocabulaire de l'Église. Ceux qui chutent alors qu'ils étaient à deux doigts d'être élus se retrouvent alors isolés avec leur désarroi par la caméra, tandis que les âmes les plus pures se laissent de plus en plus tenter par la perspective de prendre la place, au prix d'une crise de conscience que l'on ressent très bien dans le jeu de Ralph Fiennes. Dans tous les cas, ces jeux et chats et de souris au sein de l'un des lieux les plus fermés au monde restent parfaitement haletants, à défaut d'être subtils.

Le scénario n'est cependant pas exempt de reproches, à commencer par un manichéisme franchement exaspérant. On suit en effet l'élection du nouveau pape à travers les yeux du cardinal Lawrence, organisateur du conclave et homme de foi du défunt pape. Hors de tout reproche, son rôle est d'écarter les pécheurs dans l'espoir de faire élire un homme dans la lignée de son prédécesseur admiré, à savoir un pape plutôt progressiste, si tant est que cet adjectif ait un sens dans ce milieu. On se retrouve alors avec deux factions au sein du Vatican, d'une part, le clan des très gentils cardinaux nobles et purs qui souhaitent la paix dans le monde, le bien être des femmes et la protection des gays et lesbiennes, parti dont les figures de proue sont les cardinaux Lawrence et Bellini ; et de l'autre, les vils conservateurs homophobes, misogynes et réactionnaires capables des pires malversations pour parvenir à leurs fins. L'histoire perd alors en intérêt car il n'y a aucun caractère contrasté : tout dans le scénario montre que les premiers sont absolument dénués de mauvaises intentions, tandis que les vices des seconds sont constamment surlignés. Mention spéciale au vilain cardinal Tedesco, le seul personnage extraverti du film, qui passe son temps à crier sur tout ce qui bouge pour faire valoir ses positions conservatrices ! La seule subtilité captivante, c'est la tentation qu'éprouve le cardinal Lawrence de voter pour lui-même lorsqu'il comprend que son allié Bellini n'a plus le vent en poupe, et ce alors qu'il se considère réellement indigne de sa position de cardinal et qu'il souhaitait à l'origine démissionner une fois le conclave terminé.

C'est à mon sens le seul rebondissement vraiment réussi, car c'est le seul moment où l'on voit une personnalité un tant soit peu nuancée. Pour le reste, l'histoire reste, comme je le disais, tout à fait divertissante tant que l'on suit l'acharnement du cardinal Lawrence à se dépêtrer des manipulations des méchants candidats pour ramener un peu de pureté dans ce lieu saint. Malheureusement, le scénariste n'ayant pas confiance en son public et craignant que celui-ci soupire d'ennui devant ces vieux hommes lents, il décide dans les vingt dernières minutes d'intégrer à peu près tout ce qui lui tombe sous la main dans son histoire, mixant dans une anxiété sidérante des éléments de films d'action, en l'occurrence une explosion tout droit sortie de James Bond qui fait voler en éclat les vitraux de la chapelle Sixtine (!), et des éléments en accord avec les pensées progressistes de plus en plus en vogue à notre époque, quitte à ressusciter une légende médiévale bien connue, mais totalement fausse, de l'histoire papale ! Mes positions progressistes sont bien connues des lecteurs du blog, mais au sein du film, ces deux rebondissements sortent tellement de nulle part qu'ils jettent un discrédit absolu sur l'ensemble du projet ! En rester dans les manipulations d'un scrutin suffisait amplement à captiver le spectateur, alors quel besoin d'aller inventer tout ça et de faire bousculer tous ces événements dans la dernière ligne droite, le tout dans une frénésie agaçante ?! Quel dommage de ne pas avoir fait intervenir une soucoupe volante pour terminer sur un grand final chanté et dansé en chœur par les cardinaux et les Martiens !

Heureusement que l'interprétation est de qualité pour faire passer la pilule même dans cette fin ubuesque. Et c'est certainement un plaisir de retrouver Ralph Fiennes en grande forme, avec une performance intériorisée et très expressive, qui permet de croire à la sincérité constante de son personnage. Espérons que ce rôle pourra lui rapporter enfin les lauriers qu'il mérite depuis plusieurs décennies. À ses côtés, Stanley Tucci est plutôt bon bien que son personnage soit nettement moins développé que ce qu'on aurait pu croire de prime abord, tandis que John Lithgow est très à son aise dans son rôle habituel de grand homme réservé aux pensées troubles. Pour sa part, Sergio Castellitto a une vraie présence malgré la caricature qui lui permet de marquer les esprits, quand Lucian Msamati donne une interprétation très cohérente de son personnage peu recommandable qui souhaitait devenir le tant attendu premier pape africain. Le très éthéré Carlos Diehz offre quant à lui la touche latine à cette société cosmopolite, mais l'existence même de ce personnage au sein de la narration pose de gros problèmes pour le déroulement de l'intrigue : on comprend totalement le dénouement du conclave dès son introduction, dans un schéma christique au sens Agatha du terme, puisqu'il est la pièce rapportée dans un environnement où tout le monde se connaissait d'avance. Il eût été bien moins suspect d'en faire un cardinal déjà connu par ses pairs au préalable, pour mieux découvrir comment ses secrets déstabilisent ses alliés au fur et à mesure du vote.

Enfin, notons avec plaisir que les femmes ne sont pas écartées de la distribution, puisque les religieuses qui assurent le service en dehors des heures de vote sont dirigées par Isabella Rossellini. Vous savez que je ne suis pas le plus grand admirateur au monde d'Ingrid Bergman, mais c'est toujours un plaisir d'écouter sa fille parler à l'écran, car elle ressuscite vocalement mon époque de prédilection de l'histoire du septième art, l'âge d'or d'Hollywood. Dans le rôle de sœur Agnès, Isabella est à l'unisson de ses collègues avec une interprétation sur la retenue, qui n'oublie pas de montrer la force cachée que cette religieuse dissimule dans cet univers masculin. L'actrice ne m'a pas autant bouleversé que Ralph Fiennes étant donné qu'elle n'a vraiment qu'un second rôle, mais elle reste mémorable à sa manière, au point que je suis content de la voir citée pour un prix.

Sur la forme, Conclave impressionne surtout par la reconstitution du Vatican dans les célèbres studios de Cinecittà. Si la chapelle Sixtine recréée ne peut faire oublier l'originale tant celle-ci est au-delà du célèbre, le choix de faire de la résidence Sainte-Marthe un hôtel moderne aux allures de prison renforce effectivement la tension nécessaire à l'histoire. Dommage que certaines conversations ultra secrètes aient lieu dans des couloirs au vu et au su de tous, car le projet du clan progressiste, porté un cardinal ayant en outre accès à des lieux isolés, abandonne sa légitimité pour un amateurisme de mauvais aloi. De son côté, la costumière a fait le choix de s'inspirer des modèles textiles du XVIIe siècle afin que ceux-ci aient l'air plus beaux que les actuels pour le public, ce qui n'est pas pour me déplaire. La photographie est quant à elle en accord avec le ton recherché par le scénario. Nous n'en dirons malheureusement pas tant de l'horrible partition de Volker Bertelmann, qui à trop se vouloir expérimentale finit par noyer le film dans une overdose de sons stressants, pour bien rappeler toutes les trois secondes que les personnages sont sous tension. Pitié !

En conclusion, Conclave m'a tout à fait diverti, mais les créateurs du film sont parfois beaucoup trop bourrins pour accoucher d'une œuvre remarquable. Une musique constamment irritante, des vues de l'esprit unidimensionnelles et des rebondissements fantastiques totalement hors de propos nuisent considérablement à la réussite d'un film qui aurait gagné à assumer pleinement son aspect d'enquête interne froide et austère répondant à son propre rythme. Faites davantage confiance à votre public la prochaine fois, messieurs ! Heureusement que le divin Ralph Fiennes est là pour mettre tout le monde d'accord.