mardi 24 mai 2016

Marie Antoinette (2006)


J'eus une telle connexion émotionnelle avec ce film il y a dix ans jour pour jour que j'ai eu bien du mal à savoir comment en parler de façon claire et concise ici. Dans un premier jet, je voulais isoler dix moments-clefs afin de montrer en quoi ce film me parle comme à aucun autre, mais en me relisant, j'ai réalisé que je parlais trop de moi et pas assez du film, avant, surtout, de prendre conscience que je ne deviendrai pleinement adulte qu'une fois que j'aurais cessé de considérer 2006 comme un âge d'or perdu. Ce fut certes une période faste que seul un film aussi coloré pouvait illustrer, mais cet an de grâce doit à présent rejoindre la cohorte des 2001, 2003 et autres belles années orfeiennes, dont je garderais toujours un doux souvenir mais dans lesquelles il ne faut pas rester bloqué. A la place, voici donc cinq raisons qui font à mes yeux de Marie Antoinette le meilleur film des années 2000.


La perfection de timing

L'un des avantages d'être né en 1988, outre le fait d'être un dragon flamboyant et d'avoir son chiffre préféré à deux reprises dans sa date de naissance, c'est que les films m'ayant le plus marqué dans mon adolescence sont systématiquement sortis au bon moment. Ainsi, j'avais pile le bon âge pour profiter pleinement de la merveilleuse période Renaissance des studios Disney tout au long des années 1990; j'ai adoré découvrir l'univers des grands castings alors que je commençais sérieusement à m'intéresser au cinéma avec Gosford Park à l'aube du nouveau millénaire; j'ai vibré de jubilation devant les multiples déclinaisons d'une prochaine culture gay en observant les grandes divas françaises se rouler sur les tapis chamarrés de 8 Femmes en 2002; j'ai trépigné de désir en guettant le name dropping des grandes stars d'antan devant The Aviator à l'époque où l'éclat de l'âge d'or du cinéma hollywoodien m'éblouit pour l'éternité; et rien n'était évidemment plus magnifique que découvrir ses premiers émois amoureux aux sons élégants de Pride & Prejudice début 2006, puis de Brokeback Mountain, un film que je n'aime pas outre mesure mais dont on ne saurait nier l'importance pour un jeune homme de dix-sept ans qui n'attend que de s'assumer pleinement.

Or, Marie Antoinette s'inscrit pleinement dans cette continuité, car aucun autre film ne pourrait illustrer avec tant de perfection l'idée même d'avoir 18 ans. Dès l'arrivée de la bande-annonce rock'n'roll qui promettait de sortir des sentiers battus et contenait déjà son lot de fun et d'images colorées, j'étais à bout d'impatience et fus absolument ravi d'aller voir le film le soir de sa sortie en salles. Cette journée royale fut un délice de tous les instants et je restai excité jusqu'au générique de fin, ayant déjà très envie de revenir aussitôt pour une deuxième visite afin de revivre d'aussi fabuleux moments. Pour mes compagnons, Marie Antoinette fut pourtant une déception, d'aucun préférant Virgin Suicides ou Lost in Translation, mais j'étais pour ma part dans un tel état d'effervescence à l'époque que je me suis immédiatement retrouvé dans le film. Dans le temps présent, tout d'abord, le mélange de fêtes et de mélancolie était exactement mon quotidien à l'époque, les sorties entre amis pour contempler de jolies étoffes étaient loin de m'être inconnues, et les escapades à la campagne avec mes animaux ont toujours compté parmi mes loisirs favoris. Dans le domaine du futur, le trajet vers un nouveau monde dans la grisaille hivernale devait immédiatement faire écho au départ qui m'attendait après le bac; la découverte de lieux inconnus où l'on ne se sent pas vraiment chez soi devait largement préfigurer les premiers mois de ma nouvelle vie d'étudiant; et voir la dauphine se pavaner dans son lit une fois acquise la mécanique de cour ne devait pas être sans évoquer mes propres emportements lors d'une future phase d'acclimatation.

Marie Antoinette reste donc le film à voir pour ses 18 ans, et Sofia Coppola a très bien capté cette alliance de futilité et de sentiment erroné de se croire adulte, à travers ces images de danses endiablées en costumes et de lendemains d'anniversaire assez tristes où l'on passe la journée seul en repensant à la frénésie de la veille. La seule chose peut-être un peu exaspérante, c'est que toute royale qu'elle soit, l'héroïne du film ne s'intéresse finalement pas à grand chose (on doit la voir lire une fois à tout casser), ce qui en fait d'emblée l'incarnation de toutes ces personnes vraiment futiles et ennuyeuses que je n'aurais probablement pas fréquenté en vrai. Pourtant, on se prend vraiment au jeu de son parcours assez simple grâce à la dimension universelle dont l'a dotée la réalisatrice.


De l'intime à l'universel

En effet, la plus grande force du scénario, c'est qu'il mêle très intelligemment le parcours d'un personnage aux titres exceptionnels à une dimension universelle dans laquelle tout un chacun peut se retrouver. La clef de l'histoire tient probablement en ce que Marie-Antoinette était visiblement une jeune fille simple sans aucune culture politique, et qu'elle rappelle en ce sens davantage une célébrité contemporaine dont la notoriété repose sur le paraître et le porte-monnaie, et non sur un talent réel à la différence d'une Marie-Thérèse ayant régné par elle-même. Connaissant le goût très prononcé de Sofia Coppola pour les petites filles riches qui s'ennuient entre quatre murs, le choix d'un tel personnage historique est on ne peut plus cohérent, car à la différence d'une Marie Stuart ou d'une Catherine II, autres figures royales très en vogue au cinéma et qu'on ne peut pas traiter autrement que par le prisme de la politique, la jeunesse somme toute vide ou tout du moins très commune de la dernière reine de France recoupe idéalement toutes les thématiques chères à la réalisatrice. Certains critiques de l'époque lui reprochent pourtant d'avoir éludé l'aspect le plus intéressant de la vie de la reine, la Révolution et sa mort tragique, une tranche de vie effectivement plus mouvementée que le conte de fées de la jeune fille autour des robes et des paillettes, mais c'est au contraire la grande force du film: en arrêtant son histoire seulement aux premières secondes de la Révolution, Sofia Coppola évite ainsi brillamment le piège du biopic, et l'on se retrouve avec un scénario très intéressant sur la fin de l'adolescence, le sentiment de ne pas se sentir à sa place, le devoir d'assumer des responsabilités dont on ne perçoit pas tous les enjeux et la fin d'un âge d'or confortable quand vient le temps de se séparer de ses amis alors que les chemins divergent.

Avec tout ça, le scénario accuse peut-être quelques longueurs de ci de là, mais la principale caractéristique de l'existence de la reine, l'ennui, réussit malgré tout l'exploit de ne jamais ennuyer grâce à l'extraordinaire dynamisme que la scénariste insuffle à son histoire. Ainsi, la réalité historique est évoquée avec humour (le roi lisant des manuels de serrurerie jusque dans son lit!), la ritournelle de cour est à hurler de rire malgré son caractère répétitif, et le montage final sur l'arrivée des troubles politiques est rapide comme il se doit car le film est vu à travers les yeux d'une héroïne qui n'entend précisément rien à ces questions et n'a rien vu venir. En somme, comme je le disais plus haut, le mélange de destin royal et de thèmes universels fonctionne à la perfection: Marie Antoinette brosse autant le portrait d'une femme ayant réellement existé que d'une adolescente typique du début des années 2000, et c'est franchement un exploit que le film parvienne à jouer sur les deux tableaux sans jamais fléchir à aucun moment.


Un éblouissement visuel

La clef d'un tel succès tient sans doute beaucoup à la forme, effectivement sensationnelle, et toujours là pour dynamiser l'intrigue quand le fond se fait pour le moins futile et répétitif. Et là encore, le mélange de réalité historique et de contrepoints audacieux marche à chaque instant: certes, les robes et chaussures de Milena Canonero ressemblent surtout à des macarons, certes, les converses tranchent au milieu des coupes de champagne et des pâtisseries, mais cette touche de modernité n'est finalement que le reflet d'une mode versaillaise qui donnait le ton à l'Europe entière au XVIIIe siècle. Vraiment, cette alliance de commerce américain et de froufrous historiques est jubilatoire, et ça sert particulièrement bien les décors, tout de tons pastels pour bien illustrer l'insouciance qui nimbe l'esprit de l'héroïne, et son désir d'évasion qui s'exprime à travers ce qui lui est le plus immédiatement accessible: les fêtes et le shopping. La photographie de Lance Acord est également merveilleuse car ses teintes claires, même dans la pénombre d'une route au petit matin, reflètent à la perfection le monde d'une jeune personne dont le plus grand drame est de s'ennuyer. Dès lors, des salons bleus à la verdure campagnarde, tout est clair comme sur un nuage d'insouciance, ce qui se marie en outre très bien avec de très jolies images d'écureuils et de temples d'amour. Bref, c'est faussement historique et véritablement moderne à la fois, et un style aussi innovant reste à saluer mille fois.


La meilleure bande-son du monde

Ceci dit, le meilleur de la modernité reste à retrouver dans l'usage d'une bande-son à tomber par terre, où chaque mélodie apporte autant à l'atmosphère d'un moment que les images colorées de macarons. Ainsi, aux côtés de Rameau, Scarlatti et Vivaldi (brillant clin d’œil à All That Jazz pour la ritournelle) se bousculent tous ces groupes découverts à l'occasion du film et que j'ai immédiatement adorés (je dois avoir les goûts musicaux contemporains les plus gays du monde!): Air, Windsor for the Derby, The Radio Dept, Aphex Twin, Bow Wow Wow, Siouxie and the Banshees, The Cure et New Order, soit une avalanche de pépites prouvant autant le bon goût de la réalisatrice que son talent à trouver des mélodies aériennes et mélancoliques pour illustrer son propos, tout en divertissant constamment. Plus encore qu'un festin visuel, Marie Antoinette est avant tout un orgasme auditif dont je ne me lasse pas, et ce n'est pas un hasard si le disque le plus écouté de ma collection reste précisément la liste des chansons du film. Si vous cherchiez à donner du son à l'adjectif "parfait", Sofia Coppola vous tend une énorme perche!


Des interprétations pétillantes

Enfin, le tour d'horizon ne serait pas complet sans évoquer certaines performances absolument réjouissantes, qui achèvent de donner au film sa touche la plus colorée. J'en profite pour confesser mon intérêt croissant pour Kirsten Dunst, une jeune actrice que j'aurais eu tendance à ranger jadis dans la catégorie des pâles américaines passablement ennuyeuses à la Scarlett Johansson, étant donné que bien des rôles jouent avant tout de sa propre image et l'empêchent souvent de sortir des sentiers battus, mais qui est à présent une comédienne que j'admire de plus en plus: son charisme extraordinaire lui permettant d'éclipser les superstars des années 1990 dans Interview with the Vampire; son pouvoir d'autodérision monstrueux dans ce chef-d’œuvre de crétinisme réussi qu'est Dick, où à la différence de Michelle Williams elle n'a pas peur de se donner à fond dans le ridicule; sa séquence finale touchante dans Eternal Sunshine, ou encore son portrait magnifique de la dépression dans Melancholia, voilà en effet autant de performances qui m'enthousiasment sincèrement de la part de l'actrice. Or, je l'aime tout autant dans Marie Antoinette, un rôle qui ne lui donne fondamentalement pas grand chose de plus à faire que dans Virgin Suicides, mais où elle a au moins le mérite d'incarner discrètement la mélancolie d'une jeunesse perdue, tout en donnant une véritable force aux scènes dramatiques, en particulier lorsqu'elle s'effondre après avoir vu sa belle-sœur accoucher la première, ou lorsque sa gorge se noue en regardant son mari alors que le couple perd tout dans la dernière séquence. Elle arrive vraiment à nous faire ressentir quelque chose pour son personnage qui ne s'intéresse pourtant pas à grand chose, et c'est un petit exploit qu'il faut saluer.


Cependant, la demoiselle n'est pas encore une Norma Shearer en puissance, aussi ne sera-t-on pas étonné de la voir se faire voler la vedette par ce monument du septième art que reste Judy Davis, une actrice au charisme si foudroyant qu'il lui serait impossible de passer inaperçue même si on lui demandait de jouer une poignée de porte. La preuve, c'est que même si l'on ne voit que sa tête dépasser d'un lit, elle arrive à faire de cette séquence l'une des plus drôles du monde, avant d'incarner l'essence même de l'étiquette de cour, sourires de satisfaction à l'appui. A vrai dire, elle parvient même à transformer des répliques aussi artificielles que "This... Madame, is Versailles!" en sommet de naturel chez une femme n'ayant d'autres raisons d'être que le cérémonial, et c'est tellement génial qu'on en redemande.


Néanmoins, la véritable révélation du film reste à mes yeux la mortellement hilarante Rose Byrne, dans une performance si drôle que je manque encore de m'étouffer rien qu'en y repensant dix ans après. Vraiment, on atteint des sommets de légèreté que nul n'aurait pu imaginer: "Saluuut! Avez-vous déjà couché avec un Russe (demande-t-elle alors que le roi est juste à côté!)? Adieu chérie! Au revoir!" Bref, même Tallulah passerait pour une femme pleine de tact par comparaison. Cerise sur le gâteau, Rose Byrne a beau parler de cul dès qu'elle ouvre la bouche, elle parvient à me faire hurler de rire en permanence alors que je ne supporte précisément pas ce genre de blagues. Il n'y a qu'à voir son sourire lubrique au possible alors qu'elle joue à la fausse prude pour en témoigner! Et quand elle se colle un papier sur le front comme une débile mentale? Et quand elle monte sur la table avec sa coupe de champagne à la main? Ça va tellement loin dans le stupide que c'en devient sublime! En outre, les répliques salaces de Rose Byrne servent brillamment le montage du film, notamment lorsque la princesse de Lamballe lui répond "plutôt prude que putain!" en plein gros plan sur la reine en train de faire une fellation à son croissant alors qu'elle regarde son amant. C'est fabuleux! Surtout, alors que j'aurais tendance à être très snob vis-à-vis d'une telle liberté de ton en vrai, ces touches d'humour fort triviales me font découvrir que je sais également en rire, et c'est toujours ça de pris!

J'imagine que j'ai laissé pas mal de sujets en cours de route, en particulier les jeux de miroir entre les deux séquences à l'opéra, mais l'essentiel est dit: j'adore ce film, rien au monde ne me semble plus exceptionnel que d'avoir eu 18 ans au moment même de sa sortie, et la réussite de timing est si parfaite que ça me laisse encore pantois quand j'y repense. Parce que je regarde Marie Antoinette avec un plaisir toujours croissant depuis dix ans et que le dossier de captures d'écran vient d'exploser tous les records avec 618 images collectionnées, inutile de dire que c'est mon film, ma palme d'or, mon Oscar, et qu'un 10/10 ne me semble même pas assez! En attendant de vibrer à nouveau avec autant d'entrain dans les années qui viennent!

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